Retour Colloque sur le thème « Être homosexuel/le en Europe au temps de la Seconde Guerre mondiale (histoire, mémoire, commémoration)

Paris , 

Seul le prononcé fait foi

 

Monsieur Bayart, Ministre-Conseiller,
Monsieur le Professeur Bussière,
Madame le Professeur Laugier,
Mesdames et Messieurs,

Nous sommes face à un réel problème: à mesure que le temps passe et que le nombre de personnes qui ont vécu la Seconde Guerre mondiale s’amenuise, comment évoquer les atrocités qui ont été commises? Comment raconter l’histoire de ceux qui les ont subies d’une manière qui soit suffisamment parlante pour éviter que notre sombre passé ne se répète?

Se souvenir, ce n’est pas simplement accomplir un acte de respect à l’égard de ceux qui ont souffert, c’est aussi mettre en place l’une de nos plus grandes protections contre la résurgence de la violence engendrée par les préjugés et la haine.

Ceci est vrai pour toutes les victimes de l’holocauste, pour le peuple juif d’abord, et les six millions d’individus qui ont été exterminés. C’est également vrai pour les autres groupes persécutés, dont les Roms, les personnes handicapées, les témoins de Jéhovah et les homosexuels.

Pour ces groupes, le défi a été d’autant plus difficile à relever: ils ont dû lutter pour leur droit d’être inscrits dans la mémoire de l’humanité.

Le grand public n’a pas encore pris pleinement conscience de ce que fut le sort des Européens homosexuels envoyés dans les camps de concentration nazis. Les survivants qui en ont parlé l’ont fait rarement et à intervalles espacés, souvent réduits au silence par la peur ou la honte. Collectivement, on ne s’est guère préoccupé de raconter leur histoire.

Ce n’est que grâce aux travaux de pionniers comme ceux d’historiens spécialisés et de militants que la vérité a été mise au jour, du moins partiellement. Je voudrais, à ce propos, rendre hommage à l’action des universitaires, chercheurs et associations qui ont mené ce combat et qui, pour beaucoup d’entre eux, sont représentés ici aujourd’hui.

Nous savons à présent que de 1933 à 1945, quelque 100 000 hommes de tous les pays d’Europe – d’Autriche, de France, des Pays-Bas, de Pologne et de ce qui était alors la Tchécoslovaquie – ont été arrêtés pour la simple raison qu’ils étaient homosexuels.

Nous savons qu’environ 50 000 personnes, officiellement définies comme homosexuelles, ont été condamnées par les tribunaux. La plupart de ces hommes ont été longtemps enfermés dans des prisons ordinaires. On estime entre 5 000 et 15 000 le nombre de personnes condamnées qui ont été déportées dans des camps de concentration et ont dû porter un uniforme,  comme les autres prisonniers, marqué de signes distinctifs: il s’agissait soit d’un gros point noir et du chiffre 175 – le numéro du paragraphe du Code pénal allemand interdisant les actes homosexuels – tracés au dos de leur veste, soit, plus tard, d’un triangle rose.

Grâce aux personnes qui ont eu le courage de parler, nous connaissons à présent, quelques-unes des tragédies personnelles. Un homme du nom de Pierre Seel a été déporté dans le camp de Schirmeck à l’âge de 17 ans. Quarante ans après sa déportation et ce qu’il décrit comme une «vie rangée» d’hétérosexuel, il a révélé son homosexualité en 1982 et osé faire le récit de ses souffrances.

Lors d’une réunion de l’Association internationale des lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes, Pierre a expliqué que les prisonniers homosexuels dans les camps étaient non seulement en butte à une extrême brutalité de la part des gardiens, mais  aussi qu’ils devaient, de surcroît, faire face au mépris des autres détenus. Ils étaient en proie à la haine, de quelque côté qu’ils se tournent.

Ces souffrances doivent être rappelées et c’est ce que nous faisons dans le cadre de notre programme intitulé «Transmission de la mémoire de l’holocauste et prévention des crimes contre l’humanité». Ceci a été rendu possible grâce à la Convention culturelle européenne – adoptée il y 60 ans, en décembre 1954, et signée à présent par cinquante pays – qui souligne l’importance de l’enseignement de l’histoire, y compris de la commémoration, dans tous les Etats européens.

En 2011, ce programme est devenu transversal, intégrant des dimensions comme la culture, le patrimoine, la jeunesse et l’action contre le racisme et l’intolérance. L’éducation est la clé à tous les niveaux: primaire, secondaire et universitaire. C’est par ce moyen que nous pouvons apprendre à la nouvelle génération à construire des sociétés ouvertes, tolérantes et plurielles, et à les protéger.

Le colloque d’aujourd’hui est une émanation de la volonté d’agir du Conseil de l'Europe pour que l’on se souvienne de toutes les victimes de l’holocauste, en soutenant les efforts des historiens et en sensibilisant davantage l’opinion au sort de groupes particuliers.

C’est aussi l’occasion de s’élever contre l’homophobie et la discrimination qui gangrènent notre continent et notre monde; l’occasion de renouveler notre engagement à aller de l’avant en s’appuyant sur les progrès déjà accomplis. Soulignons en effet qu’il y a déjà eu des avancées considérables dans ce domaine, notamment grâce à la dépénalisation des actes homosexuels dans toute l’Europe.

Il y a cinq ans, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a fait un pas important  en adoptant une recommandation historique visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. En termes de droits de l'homme, c’est le premier instrument au monde expressément axé sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. C’est aussi le premier instrument établissant des normes relatives aux droits des personnes transgenres. Le Comité des Ministres a ainsi donné au Conseil de l'Europe un instrument juridique solide pour combattre la discrimination et renforcer les droits des personnes LGBT dans ses 47 Etats membres. L’adoption de cette recommandation a déjà donné lieu à de véritables changements et de réels progrès. Elle a favorisé la mise en œuvre de réformes juridiques et politiques concrètes.

Néanmoins, il nous reste  encore un long chemin à parcourir avant de pouvoir nous enorgueillir de garantir les droits de l'homme universels à toutes les personnes, quelle que soit leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. Nous avons encore beaucoup à faire avant de pouvoir affirmer qu’elles jouissent d’une dignité et de droits égaux, sans aucune discrimination. Je veux simplement que vous sachiez qu’en tant que principale Organisation des droits de l'homme en Europe, le Conseil de l'Europe continuera d’aider ses Etats membres à lutter contre la discrimination et à relever les défis auxquels sont confrontées les personnes LGBT.

Nous n’oublierons pas les souffrances du passé. Nous nous emploierons chaque jour à faire en sorte que ce passé ne se répète jamais.

Je vous remercie de votre attention.