20e Conférence du Conseil de l'Europe des Directeurs des services pénitentiaires et de probation - Radicalisation et autres défis stratégiques

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Bucarest, 9-10 juin 2015
 

M. le Président, Cher Monsieur Bejan,

M. le Ministre,

Mesdames et Messieurs,

Chers collègues et amis,

C’est un honneur et un plaisir pour moi de vous accueillir, au nom du Conseil de l’Europe, à la 20e Conférence des Directeurs des Services pénitentiaires et de probation.

Je souhaiterais avant toute chose remercier vivement M. Robert Marius Cazanciuc, Ministre de la Justice de la Roumanie, et M. Cătălin Claudiu Bejan, Directeur Général de l’Administration Pénitentiaire Nationale, ainsi que leur équipe, de l’excellente organisation de cet évènement, et pour leur chaleureuse hospitalité.

Cette 20e Conférence se déroule dans un contexte où les services pénitentiaires et de probation doivent toujours et encore faire face à des difficultés que vous tous connaissez bien : en particulier le surpeuplement des prisons, les conditions de travail du personnel pénitentiaire, la gestion et les finances des établissements, ainsi que la préparation des détenus à leur libération. Aujourd’hui, il vous est de surcroît demandé de traiter d’un problème de la plus haute importance : la prévention de l’extrémisme violent et de la radicalisation des détenus, qui peuvent conduire au terrorisme. Il est vrai que - comme le démontreront différents rapports, ce phénomène est connu depuis les années 2000 - mais son traitement exige des approches différentes.

Aussi l’objectif principal de cette Conférence est-il d’examiner « comment contrer cette radicalisation ». Il s’agit d’un objectif qui constitue une priorité pour le Secrétaire général et le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, objectif qui a clairement été énoncé lors de la réunion du Comité des Ministres qui s’est tenue à Bruxelles, le 19 mai dernier. Vous avez donc un très fort soutien politique dans cette entreprise.


Mesdames et Messieurs,

En décembre 2013, Amedy Coulibaly avait été condamné à cinq ans de prison ferme pour avoir projeté l’évasion de prison d’un islamiste radical. Il s’agissait là de sa deuxième condamnation, suite à une première détention pour braquage de banque. Or, il y a des raisons sérieuses de penser que c’est au cours de cette première détention qu’il s’est radicalisé. Lors de sa seconde détention, son comportement en prison n’avait posé aucun problème, il avait même été considéré exemplaire. Comme Coulibaly avait été placé en détention provisoire dès son interpellation mi-2010, il a pu bénéficier d’une remise de peine. Il est ainsi sorti de prison en mars 2014, après quatre ans de détention, avec l’obligation de porter un bracelet électronique jusqu’en mai 2014. Six mois plus tard, en janvier 2015, en l’espace de trois jours,  Amedy Coulibaly a tué un jogger à Fontenay-aux-Roses, une policière à Montrouge, et quatre otages au supermarché Hypercasher de la Porte-de-Vincennes, à Paris.

Cet exemple démontre non seulement la difficulté à déceler les intentions d’une personne, même lorsque cette personne est soumise à un niveau intrusif d’observation et de contrôle de sa vie quotidienne, comme c’est le cas en prison ou en période de probation. Cet exemple démontre également que les extrémistes les plus dangereux ont appris à dissimuler leurs réelles opinions, convictions et intentions. Jusqu’à très récemment, les signes de radicalisation pouvaient généralement être repérés par des changements de comportement ou de préférences vestimentaires par exemples. Actuellement, les personnes radicalisées ne portent plus nécessairement la barbe djihadiste traditionnelle et demandent souvent à pouvoir bénéficier d’une télévision dans leur cellule.

Une question sensible se pose dès lors d’emblée : est-il souhaitable et opportun de développer des lignes directrices sur la prévention de la radicalisation en prison ? Faut-il rendre publiques les meilleures pratiques au risque de permettre aux personnes radicalisées d’adapter leur comportement de façon à ne pas être repérées ? Ou, au contraire, des règles claires et transparentes sont-elles toujours préférables ?

Vous allez certainement en débattre au cours de ces deux prochains jours.


Mesdames et Messieurs,

Afin de donner une toile de fond à vos travaux, permettez-moi d’attirer votre attention sur le Plan d’action du Conseil de l’Europe sur la lutte contre l'extrémisme violent et la radicalisation conduisant au terrorisme, adopté par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, à Bruxelles, le 19 mai dernier.

Ce Plan d’action comporte deux volets principaux :

Le premier consiste à renforcer le cadre juridique contre le terrorisme et l’extrémisme violent. Dans ce contexte, les Etats sont invités à signer et ratifier les instruments pertinents du Conseil de l’Europe, notamment la Convention pour la prévention du terrorisme et son Protocole additionnel sur « les combattants terroristes étrangers », - nouvel instrument juridique qui devrait prochainement être ouvert à la signature et sur lequel je reviendrai tout à l’heure -, la Convention relative au financement du terrorisme ainsi que le Protocole additionnel à la Convention sur la cybercriminalité qui permet de lutter contre les actes racistes et xénophobes.

Le Plan d’action propose également d’élaborer une nouvelle Recommandation qui permettrait de lutter contre les terroristes qui agissent de façon isolée, indépendamment de cellules ou de groupes organisés, ces terroristes que l’on a surnommé les « loups solitaires ». Il est indispensable que nos Etats échangent leurs expériences dans ce domaine afin de faciliter l’identification de ces terroristes à un stade précoce.

Afin de renforcer ce cadre juridique, il s’agira également de travailler sur l’amélioration de la mise en œuvre de la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale et sur le gel des avoirs de membres d’organisations terroristes, une tâche qui sera confiée  à Moneyval, notre organe de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

Lors de la session ministérielle du 19 mai 2015, les 47 Ministres ont adopté un Protocole additionnel à la Convention pour la prévention du terrorisme de 2005. Le but de ce Protocole est de compléter la Convention-mère par des dispositions visant à la mise en œuvre des aspects de droit pénal de la Résolution 2178 du Conseil de sécurité des Nations Unies afin de combattre les actes criminels des « combattants terroristes étrangers ». Ce Protocole criminalise un certain nombre d’actes lorsqu’ils sont commis intentionnellement :

  • Participer à une association ou à un groupe à des fins de terrorisme ;
  • Recevoir un entraînement pour le terrorisme ;
  • Se rendre à l’étranger à des fins de terrorisme ;
  • Financer des voyages à l’étranger à des fins de terrorisme ;
  • Organiser ou faciliter par quelque autre manière des voyages à l’étranger à des fins de terrorisme.

On constate donc qu’il s’agit essentiellement d’infractions de nature préparatoire par rapport à des actes terroristes.

Nous espérons que ce Protocole additionnel sera très rapidement ouvert à la signature et que les Etats membres ou non du Conseil de l’Europe le ratifieront ou y adhèreront dans les plus brefs délais afin de lutter contre ce phénomène des combattants terroristes étrangers qui prend une ampleur insoupçonnée.

Je ne saurais bien évidemment conclure ce volet portant sur le renforcement du cadre juridique sans préciser que nos 47 Ministres ont certes rappelé leur détermination sans faille à lutter contre le terrorisme mais tout en affirmant, dans le même temps, que leur action devait se fonder solidement sur le respect des droits de l’homme, de l’Etat de droit et de la démocratie.

J’en viens à présent au second volet de ce Plan d’action, second volet qui vise à prévenir et à lutter contre la radicalisation en favorisant l’adoption de mesures concrètes dans le secteur public, en particulier dans les établissements scolaires et les prisons, ainsi que sur Internet.

L’éducation tout d’abord. Elle offre le meilleur moyen de comprendre et d’accéder à la « culture démocratique ». Le Conseil de l’Europe élabore en ce moment les compétences indispensables à la citoyenneté démocratique, afin qu’elles figurent dans les programmes scolaires de nos 47 Etats membres.

Il s’agit ensuite de construire des sociétés inclusives. Les projets mis en place viseront notamment à lutter contre les clichés et la discrimination, à renforcer la confiance des citoyens par-delà les différences sociales et culturelles.

Il s’agira également d’opposer des contre-arguments au dévoiement des religions et au discours destructeur des extrémistes. Des responsables religieux et des universitaires expliqueront en quoi les activités des organisations terroristes sont contraires aux religions.

Il s’agira enfin de renforcer les actions pour combattre le discours de haine, la radicalisation et le recrutement des combattants terroristes sur Internet. Nous avons besoin de mieux comprendre comment les médias sociaux et Internet servent de vecteurs de radicalisation. Le Sommet de Washington de février dernier, consacré aux moyens de contrer l’extrémisme violent, a souligné la nécessité dans ce domaine de renforcer la coopération entre les acteurs de tous les secteurs clés, tout en respectant pleinement le principe fondamental de la liberté d’expression.


Mesdames et Messieurs,

L’expérience montre – et vous êtes les mieux placés pour le confirmer – qu’un certain nombre de ceux qui succombent au recrutement par les terroristes sont radicalisés et recrutés en prison, soit en étant confrontés directement à un discours radical et extrémiste, soit – comme on vient de le voir – en le découvrant sur Internet. Aussi l’un des objectifs majeurs de notre Conférence est-il de travailler sur un projet de Lignes directrices sur le rôle que les services pénitentiaires et de probation peuvent jouer pour faire face à la radicalisation et à l’extrémisme violent susceptibles de conduire au terrorisme. Ce texte devrait être prêt pour adoption par le Comité des Ministres, en décembre 2015. Je souligne que le projet soumis à notre examen a été préparé par le Conseil de coopération pénologique (PC-CP).

Ce projet vise principalement à fournir aux services pénitentiaires et de probation de nos Etats des lignes directrices pratiques afin de les aider à prévenir, détecter et traiter les situations de radicalisation et d’extrémisme violent, pouvant conduire au terrorisme. Tout en formulant des recommandations générales en matière de prévention, elles devraient également mettre en évidence, non seulement la bonne gestion des prisons, mais, avant tout, le mentorat, la préparation à la libération ainsi que la surveillance et l’accompagnement des anciens détenus à l’issue de leur libération.


Mesdames et Messieurs,

Vous l’avez souvent rappelé au cours de vos conférences, la vie carcérale devrait, autant que faire se peut, ressembler au monde extérieur. Cela signifie que tous les éléments de prévention et de lutte contre la radicalisation et l’extrémisme violent qui sont pertinents à l’extérieur des prisons, notamment dans les domaines de l’éducation, de la formation professionnelle ou encore de l’embauche, devraient également l’être en prison, et peut-être même encore davantage. Cela dit, je suis bien conscient que ce postulat occasionne une pression supplémentaire tant pour les services pénitentiaires que pour les services de probation.

Face à la complexité des problèmes à surmonter, la coopération entre les services pénitentiaires et de probation s’impose d’autant plus ; cette coopération implique un travail conjoint sur les programmes mis en œuvre avant et après la libération, en particulier les programmes concernant les délinquants dont l’évaluation du risque et des besoins donne des raisons sérieuses de croire qu’ils pourraient être sur la voie de  la radicalisation.

Il serait également fort judicieux que ces Lignes directrices comprennent également des principes fondamentaux et des garanties sur le plan de la coopération et de l’échange d’informations entre les services pénitentiaires et de probation et les services de police et de renseignement.

Une autre facette – cruciale elle aussi – du travail des services pénitentiaires et de probation portera sur la déradicalisation de ceux qui ont pris part à des activités terroristes, et qui devraient être préparés à leur réinsertion dans la société.


Mesdames et Messieurs,

Au cours de la première partie de la Conférence, nous entendrons la contribution de la France sur le sujet « Peut-on lutter contre la radicalisation en prison ? », ainsi que l’analyse de la situation et de la déradicalisation des prisons dans les pays du Moyen-Orient.

Les travaux pour prévenir l’extrémisme violent et la radicalisation menant au terrorisme ne se limitent en effet pas à l’Europe. Ils ont une dimension planétaire. C’est pourquoi nous nous réjouissons et nous félicitons d’avoir parmi nous des orateurs venant d’Outre Atlantique. La présence d’orateurs de marque des Etats-Unis souligne bien le caractère mondial de cette problématique, mais également la réponse de caractère universel que nous sommes prêts à y donner ensemble.

C’est donc un véritable privilège pour moi d’ouvrir cette 20e Conférence, puisque c’est la 20e fois que les meilleurs experts représentant nos 47 Etats membres et d’autres Etats partageant nos valeurs se réunissent afin de trouver ensemble des solutions adaptées aux défis évolutifs auxquels nous sommes confrontés. Vous avez un programme riche et intense. Vous allez vous réunir en groupes et tables rondes qui se tiendront en parallèles. Le programme a été conçu pour permettre une participation maximale et active de toutes et tous. Je suis convaincu qu’après ces deux jours de travail, nous serons mieux à même d’identifier des moyens d’améliorer la prévention de la radicalisation dans les prisons.

Je vous souhaite à toutes et à tous des travaux fructueux et une excellente Conférence !

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