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Retour Faire preuve d’ouverture d’esprit pour améliorer la protection des demandeurs d'asile LGBTI en Europe

Carnet des droits de l'homme
Deux personnes LGBTI ont fui la Syrie pour demander l'asile en Europe - Photo Bradley Secker

Deux personnes LGBTI ont fui la Syrie pour demander l'asile en Europe - Photo Bradley Secker

Dans nombre de pays du monde, les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI) subissent de graves violations de leurs droits de l'homme en raison de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leurs caractéristiques sexuelles. Ces violations prennent la forme de meurtres, d’actes de violence, d’une criminalisation des relations homosexuelles et de discriminations sévères. Elles se produisent aussi dans des États membres du Conseil de l'Europe. Dans la déclaration que j’ai faite en mai dernier, à l’occasion de la Journée internationale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie, j’évoquais notamment les cas choquants de persécutions ciblées de personnes LGBTI par des forces de l’ordre, comme en Tchétchénie (Fédération de Russie) ou en Azerbaïdjan. En outre, je constatais avec inquiétude que, dans d’autres pays européens aussi, l’homophobie et la transphobie restent un phénomène répandu, qui se traduit par des violences quotidiennes.

Si nous devons nous employer sans relâche à mieux protéger les droits des personnes LGBTI, il faut aussi reconnaitre qu’elles n’ont parfois pas d’autre choix que de fuir leur pays en quête de sécurité. Or, dans nombre d’États membres du Conseil de l'Europe, les demandeurs d'asile LGBTI sont confrontés à de nombreuses difficultés dans leur quête de sécurité. Il est urgent de traiter ce problème.

Orientation sexuelle et identité de genre dans les lois nationales sur l’asile

C’est tout d’abord la manière dont les normes internationales sont interprétées et appliquées dans les différents États membres du Conseil de l'Europe qui empêche parfois les demandeurs d'asile LGBTI d’obtenir la protection dont ils ont besoin. La Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, à laquelle tous les États membres du Conseil de l'Europe sont parties, établit le cadre général de la protection internationale. Elle définit le réfugié comme une personne qui ne peut pas, ou ne veut pas, retourner dans son pays d’origine parce qu’elle craint avec raison d’y être persécutée, c'est-à-dire d’y être soumise à des violations graves des droits de l'homme. De plus, pour se voir reconnaître le statut de réfugié, il faut que cette persécution soit fondée sur l’un des cinq motifs suivants : la race, la nationalité, la religion, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social. Les Principes directeurs sur la protection internationale n° 9 du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) indiquent clairement que l’orientation sexuelle et l’identité de genre sont couvertes parmi les motifs prévus par la Convention de 1951, plus spécifiquement dans la notion d’appartenance à un certain groupe social. De la même manière, dans sa Recommandation CM/Rec(2010)5, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe note que les États membres « devraient reconnaître dans leur législation nationale qu’une crainte bien fondée de persécution motivée par l’orientation sexuelle ou l’identité de genre puisse être un motif valide d’octroi du statut de réfugié et de l’asile ». La Directive 2011/95 de l’Union Européenne (UE) concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale impose aussi aux États membres de l’UE d’accorder une attention particulière à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre.

Une reconnaissance explicite en droit national du fait que l’orientation sexuelle et l’identité de genre font partie des motifs prévus par la Convention relative au statut des réfugiés renforce considérablement la protection juridique des demandeurs d'asile LGBTI. Pourtant, les États membres du Conseil de l'Europe n’incluent pas tous explicitement l’orientation sexuelle, l’identité de genre et/ou les caractéristiques sexuelles dans leurs lois sur l’asile.

D’autres éléments importants des Principes directeurs du HCR doivent aussi être dûment mis en œuvre lors des procédures d’asile. Il s’agit de reconnaître que certains traitements ou formes de discrimination constituent une persécution au sens de la Convention de 1951. Les Principes directeurs mettent en avant plusieurs facteurs à prendre en considération lorsqu’on détermine si une personne LGBTI serait persécutée en cas de renvoi dans son pays d’origine. Parmi ces facteurs figurent de possibles tentatives de changer de force l’orientation sexuelle ou l’identité de genre de la personne concernée, l’existence de lois criminalisant les relations entre personnes de même sexe, et les comportements d’ acteurs non étatiques, tels que les membres de la famille ou des groupes extrémistes.

Une notion qui pose particulièrement problème est l’idée selon laquelle on pourrait attendre des personnes LGBTI qu’elles dissimulent leur orientation sexuelle ou identité de genre une fois de retour dans leur pays afin d’échapper à des violations des droits de l'homme. Cette approche a été fermement rejetée par la Cour de justice de l’UE (CJUE) en 2013. En janvier 2018, dans l’arrêt qu’elle a rendue dans l’affaire I.K. c. Suisse, la Cour européenne des droits de l'homme a souligné que l’orientation sexuelle constitue un aspect fondamental de l’identité et de la conscience d’un individu et qu’il ne saurait dès lors être exigé de personnes déposant une demande de protection internationale fondée sur leur orientation sexuelle qu’elles dissimulent cette dernière.

Stéréotypes et suspicion dans le cadre de la procédure d’asile

En plus des problèmes d’application des normes internationales, les demandeurs d'asile LGBTI peuvent aussi avoir des difficultés à convaincre les autorités chargées de l’asile de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. Les décisions relatives à l’asile dépendent dans une large mesure de l’évaluation par les autorités de la crédibilité des demandeurs d'asile. Les entretiens menés au cours de la procédure d’asile jouent un rôle central dans l’évaluation de cette crédibilité. Ainsi que le montre un récent rapport de l’Agence des droits fondamentaux de l’UE (FRA), les entretiens avec les demandeurs d'asile LGBTI sont trop souvent menés de manière inadéquate. Les officiers de protection chargés des entretiens posent des questions fréquemment influencées par des stéréotypes et par des conjectures infondées concernant les pays d’origine des demandeurs.

Il arrive également que les autorités n’aient pas conscience du fait que, dans nombre de pays d’origine des demandeurs, l’orientation sexuelle, l’identité de genre et les caractéristiques sexuelles sont des sujets tabous, qui provoquent souvent des sentiments de honte et de peur chez la personne LGBTI. Celle-ci peut être perturbée par la présence d’un interprète venant de la même communauté qu’elle. Elle risque d’être moins à même de donner des informations de la manière attendue par la personne qui l’interroge. En outre, les demandeurs d'asile ont souvent peur d’évoquer leur orientation sexuelle ou leur identité de genre dès le début de la procédure. Or, s’ils donnent ces informations à un stade ultérieur, ils risquent de se heurter à des obstacles bureaucratiques ou même de voir leur demande rejetée. Ceci pose un autre risque, à savoir l’identification tardive de besoins spécifiques, tels que des soins médicaux pour les personnes transsexuelles ou intersexes.

Les pratiques consistant à soumettre un demandeur d'asile à des interrogatoires ou à des tests humiliants pour déterminer son orientation sexuelle sont particulièrement problématiques. En 2010, la FRA a dénoncé les « tests phallométriques » alors pratiqués en République tchèque, en expliquant que ces tests étaient en contradiction avec l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants, ainsi qu’avec le droit au respect de la vie privée. Ces tests consistaient à mesurer les réactions physiques provoquées par du matériel pornographique hétérosexuel chez des personnes ayant demandé le statut de réfugié en invoquant leur orientation homosexuelle. En 2014, dans une affaire concernant les Pays-Bas, la CJUE a estimé que des interrogatoires détaillés sur les pratiques sexuelles du demandeur constituaient une violation du droit au respect de la vie privée et familiale, et que la nécessité de protéger la dignité humaine interdisait aux autorités chargées de l’asile d’exiger des « éléments de preuve tels que l’accomplissement par le demandeur d’actes homosexuels, sa soumission à des «tests» en vue d’établir son homosexualité, ou la production par ce dernier d’enregistrements vidéo de tels actes ». Dans un autre arrêt, la CJUE a précisé qu’il était également interdit d’avoir recours à une expertise psychologique reposant sur des tests de personnalité pour vérifier l’orientation sexuelle d’une personne.

Identification des besoins et sécurité au sein des structures d’accueil

L’identification précoce des vulnérabilités est essentielle. Il est essentiel de prendre en considération qu’une personne LGBTI peut avoir déjà vécu des expériences très traumatisantes dans son pays d’origine ou au cours de son voyage vers le pays d’asile : elle peut avoir subi des violences sexuelles, avoir été soumise à la traite des êtres humains ou à d’autres mauvais traitements physiques ou psychologiques. Les autorités devraient donc veiller à ce que soient décelés aussi vite que possible des besoins spécifiques de soins médicaux ou de soutien psychosocial, par exemple. Le Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) a publié un outil permettant d’évaluer les besoins particuliers des demandeurs d'asile en ce qui concerne la procédure et l’accueil ; y compris les besoins liés à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre.

Lors de l’évaluation des vulnérabilités et des risques, les autorités devraient aussi garder à l’esprit que, même dans le pays d’asile, les personnes LGBTI peuvent ne pas être en sécurité. Par exemple, elles risquent d’être harcelées, mises à l’écart ou discriminées par d’autres demandeurs d'asile dans les centres d’accueil. Ces problèmes peuvent contraindre les personnes LGBTI à éviter ces centres d’accueil, ce qui les empêche d’avoir accès aux services de base. Dans cette situation, elles redeviennent particulièrement vulnérables à l’exploitation et à la traite.

Dans la recommandation susmentionnée, le Comité des Ministres appelle les États à protéger les demandeurs d'asile LGBTI, notamment en prenant des mesures appropriées « pour prévenir les risques de violence physique, y compris des violences sexuelles, d’agressions verbales ou d’autres formes de harcèlement pesant sur les demandeurs privés de leur liberté ». Dans l’arrêt O.M. c. Hongrie, la Cour européenne des droits de l'homme souligne aussi que les autorités devraient veiller tout particulièrement « à éviter les situations qui risquent de confronter les demandeurs d'asile aux mêmes souffrances qui les avaient déjà obligés à fuir leur pays ». À mon avis, cela implique une obligation plus large faite aux Etats de veiller à ce que les demandeurs d'asile LGBTI qui relèvent de leur juridiction soient protégés contre le harcèlement, la discrimination et la violence, y compris dans les centres d’accueil. Il est peut-être difficile d’épingler un modèle idéal unique permettant de remplir cette obligation, mais plusieurs mesures sont indispensables : former le personnel des centres d’accueil, bien informer les résidents sur l’inclusion des personnes LGBTI, et établir un environnement sûr pour les demandeurs d'asile LGBTI. Des initiatives importantes, comme le modèle de Berlin pour le soutien aux réfugiés LGBTI, qui prévoit des services de conseil, des formations et un hébergement protégé pour les demandeurs d'asile LGBTI en danger, peuvent contribuer au développement de bonnes pratiques.

Principales mesures à prendre pour améliorer la situation

Pour améliorer la protection des demandeurs d'asile LGBTI, les États européens devraient commencer par s’assurer que leurs lois reconnaissent explicitement que la qu’une crainte raisonnable de persécution fondée sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre ou les caractéristiques sexuelles est un motif valable d’octroi du statut de réfugié.

Deuxièmement, lors de l’application de ces lois, il faut prendre en compte les recommandations officielles formulées par le HCR, qui concernent notamment les formes particulières de persécution auxquelles les personnes LGBTI peuvent être soumises, l’existence de lois pénales liées à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre, et l’importance de reconnaître le rôle des acteurs non étatiques dans la persécution des personnes LGBTI.

Troisièmement, il est urgent de donner des formations et des orientations pratiques à tous les professionnels qui participent à la procédure d’asile, y compris les personnes qui mènent les entretiens et les personnes qui prennent les décisions, ainsi que les interprètes. Les autorités devraient tirer pleinement parti des ressources déjà disponibles, comme celles produites par la Commission internationale de juristes et ILGA-Europe, et coopérer avec des groupes de la société civile pour mettre en place des formations, notamment destinées à éliminer les stéréotypes. Cela est indispensable pour faire en sorte que les professionnels aient l’ouverture d’esprit nécessaire pour traiter les demandes d’asile déposées par des personnes LGBTI, et agissent en connaissance de cause et avec tact et respect tout au long de la procédure. Une procédure d’asile ne devrait jamais comporter de questions ni de tests physiques ou psychologiques intrusifs. Ces méthodes devraient être abandonnées d’urgence dans tous les pays où elles sont encore pratiquées.

Enfin, les États membres du Conseil de l'Europe devraient utiliser les outils disponibles pour évaluer les vulnérabilités des demandeurs d'asile LGBTI, parmi lesquels ceux conçus par l’EASO. Ils devraient aussi intensifier les recherches et les échanges sur les moyens de garantir de bonnes conditions de réception et de sécurité à ces personnes, ainsi que l’accès aux soins spécifiques dont elles ont besoin.

Il est d’autant plus urgent de prendre ces mesures que l’institution de l’asile me semble menacée dans toute l’Europe. Les demandeurs d'asile LGBTI risquent d’être particulièrement touchés par le recul de la protection internationale, qui pourrait avoir des conséquences désastreuses pour leur sécurité et leur dignité.

Strasbourg 11/10/2018
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