8ème Conférence des Ministres de la Santé des pays membres du Conseil de l’Europe (Bratislava – République Slovaque)

Déplacements à l’échelle internationale : droits de l’homme et défis pour les systèmes de santé

DĂ©claration de Bratislava

23 novembre 2007

PRÉAMBULE

Nous, les Ministres de la SantĂ© des quarante-sept États membres du Conseil de l'Europe, rĂ©unis Ă  Bratislava les 22 et 23 novembre 2007 Ă  l’invitation du gouvernement slovaque dans le cadre de la huitième ConfĂ©rence europĂ©enne des Ministres organisĂ©e par le Conseil de l'Europe, en tant que gardiens de la santĂ© de nos nations, reconnaissons que :

Le dĂ©placement des personnes au sein de l’Europe, et vers l'Europe, constitue un phĂ©nomène croissant, qui prĂ©sente des dĂ©fis pour les services de santĂ© et les droits de l'homme ;

Les personnes qui se dĂ©placent ne constituent pas une catĂ©gorie unique ; il peut s'agir aussi bien d'immigrĂ©s que de personnes dĂ©placĂ©es Ă  l’intĂ©rieur d’un pays, de migrants intĂ©rieurs, de rĂ©fugiĂ©s, de personnes qui retournent chez elles, des populations victimes de la traite, des demandeurs d’asile, des migrants irrĂ©guliers et travailleurs migrants, y compris les professionnels de santĂ©;

Les facteurs entrant en jeu dans la continuité des courants migratoires, tels que la pauvreté, la guerre, les changements climatiques et le manque d’accès aux services essentiels, soulèveront inévitablement des questions quant à l’intégration sociale et à la santé des personnes qui se déplacent;

Nous considĂ©rons qu’il nous faut travailler ensemble pour s’assurer que les migrations internes Ă  l’Europe ou en provenance de l’extĂ©rieur ne nuisent en rien Ă  la santĂ© des personnes qui se dĂ©placent ou de la population du pays d’accueil ;

Nous sommes convaincus qu’il faut s’occuper de la santĂ© des personnes qui se dĂ©placent aux deux extrĂ©mitĂ©s du processus migratoire, par exemple, en renforçant les systèmes de santĂ© des pays d'origine et en leur fournissant une assistance au dĂ©veloppement ;

Nous pensons, de même, que si tous les États membres coordonnent leurs actions, tiennent à jour leurs données et informations scientifiques et partagent ces dernières, il sera possible d’apporter des réponses rapides et concertées aux menaces qui se font jour à l’heure actuelle pour la santé publique.

EN CONSÉQUENCE, NOUS, LES MINISTRES

CONSCIENTS QUE :

Comme les questions de santĂ© concernent tous les personnes qui se dĂ©placent, indĂ©pendamment de l’âge, du sexe et de la diversitĂ© culturelle des intĂ©ressĂ©s, les gouvernements devraient tenir compte de la diversitĂ© culturelle (y compris religieuse), sociale et Ă©conomique de ces personnes dans l'Ă©laboration de leurs politiques de santĂ© ;

MĂŞme dans les meilleures circonstances possibles, le processus migratoire est source de stress, faisant ainsi augmenter la vulnĂ©rabilitĂ© des migrants aux maladies. Les personnes contraintes aux dĂ©placements Ă  l'intĂ©rieur de leur territoire sont encore plus exposĂ©es au risque de souffrir de troubles mentaux et autres maladies du fait d’un traumatisme qui perdure et d’un manque de services de santĂ© adĂ©quats ;

Les barrières socio-Ă©conomiques, culturelles et linguistiques peuvent ĂŞtre un obstacle, dans l’accès des services de santĂ©, aussi bien pour les personnes qui se dĂ©placent que celles qui fournissent ces services ; ces barrières peuvent s’aggraver d’un manque de connaissance et de comprĂ©hension des services disponibles ;

Les femmes, les enfants et les personnes âgĂ©es ont besoin d’une protection particulière, elles reprĂ©sentent une importante proportion du nombre total de personnes en dĂ©placement, ont des besoins particuliers en matière de santĂ© et sont souvent plus exposĂ©s au risque d'exploitation Ă©conomique, sexuelle ou de genre, ainsi qu’à la violence ;

La mobilité croissante des professionnels de santé, y compris entre les quarante-sept États membres du Conseil de l'Europe, favorise certains pays, mais peut priver d’autres pays de professionnels hautement qualifiés et très nécessaires.

RAPPELONS QUE :

Pour les États Partie à ces instruments:

La Charte sociale (rĂ©visĂ©e) (STE 163), assure – le cas Ă©chĂ©ant – la protection de la santĂ© des Etats partie (Article 11), le droit Ă  l'assistance sociale et mĂ©dicale (Article 13) et offre une protection particulière aux travailleurs migrants (Article 19) ainsi qu’aux personnes âgĂ©es (Article 23) ;

L’article 3 de la Convention sur les droits de l'homme et la biomĂ©decine (STE n° 164), se rĂ©fère Ă  la nĂ©cessitĂ© de prendre des mesures appropriĂ©es en vue d’assurer un accès Ă©quitable Ă  des soins de santĂ© de qualitĂ© appropriĂ©e ;

La Convention europĂ©enne relative au statut juridique des travailleurs migrants (STE 093), Article 19, dispose que « Toute Partie contractante s'engage Ă  accorder sur son territoire aux travailleurs migrants et aux membres de leurs familles, en sĂ©jour rĂ©gulier sur son territoire, l'assistance sociale et mĂ©dicale au mĂŞme titre que les nationaux Â», en accord avec les obligations qu'ils assument en vertu d'autres accords internationaux et en particulier la convention internationale d'assistance sociale et mĂ©dicale de 1953 (STE 014) ;

Certaines Recommandations du ComitĂ© europĂ©en pour la prĂ©vention de la torture ont trait spĂ©cifiquement Ă  la santĂ© et au bien-ĂŞtre des ressortissants Ă©trangers privĂ©s de libertĂ© ;

Plusieurs Recommandations du Comité des Ministres visent à assurer une protection plus complète, notamment la Recommandation Rec(2006)18 sur les services de santé dans une société multiculturelle, la Recommandation Rec(2006)10 relative à un meilleur accès aux soins de santé pour les Roms et les Gens du voyage en Europe et la Recommandation Rec(2006)11 sur la mobilité transfrontalière des professionnels de santé et ses incidences sur le fonctionnement de systèmes de soins.

RECONNAISSONS QUE :

Des mesures pour la santĂ© des migrants bien gĂ©rĂ©es, y compris en matière de santĂ© publique, contribuent au bien-ĂŞtre de tous et peuvent faciliter l’intĂ©gration et la participation des migrants dans les pays d’accueil, en favorisant l’inclusion et la comprĂ©hension, contribuant ainsi Ă  la cohĂ©sion sociale et Ă  un dĂ©veloppement accru ;

Une participation accrue des femmes Ă  la promotion et Ă  la protection de la santĂ© des femmes migrantes permet une meilleure comprĂ©hension et facilite leur intĂ©gration dans les systèmes de soins des pays d’accueil, eu Ă©gard au rĂ´le particulier que jouent les intĂ©ressĂ©es dans l’éducation de la gĂ©nĂ©ration suivante ;

L’état de santĂ© d'une personne ne devrait pas constituer un motif permettant de fonder un quelconque exception aux normes et principes consacrĂ©s par le droit international en matière de migration ;

Les États membres s’assureront que les migrants irréguliers puissent accéder à des services de soins conformément aux traités internationaux en vigueur, ainsi qu’au droit et aux politiques nationales.

Afin de relever les défis que la mobilité des personnes pose pour les droits de l'homme dans le domaine de la santé et des systèmes de soins, nous, les Ministres de la Santé des États membres du Conseil de l'Europe,

SOMMES RESOLUS A :

Mettre l’accent sur les aspects éthiques et des droits de l'homme lorsque nous traitons les questions de santé des personnes qui se déplacent, à travers la coopération avec d'autres organisations internationalles, y compris les ONG;

Examiner la possibilité, pour les États Parties à la Charte sociale européenne (révisée), d’accepter les dispositions relatives à la santé et au bien-être dans tous les États membres et le cas échéant, à la protection de la santé des travailleurs migrants, dans l’esprit de l’Article 19 de la Charte ;

Oeuvrer à l’élimination des barrières et obstacles qui empêchent en pratique d’accéder à la protection de la santé des personnes qui se déplacent, y compris celles qui sont en situation irrégulière pour ce qui concerne les soins d'urgence.

Travailler Ă  surmonter les obstacles qui empĂŞchent les personnes qui se dĂ©placent d’accĂ©der Ă  la protection de la santĂ©, en sensibilisant et en assurant une formation pour les professionnels de santĂ©, les dĂ©cideurs, les planificateurs de la gestion de la santĂ© et les Ă©ducateurs de santĂ©, ainsi que les membres des autres professions liĂ©es Ă  la prestation des services de santĂ© ;

Prendre des mesures pour gérer les questions de santé publique liées aux migrations internationales en établissant ou en renforçant des partenariats entre gouvernements et organisations aux niveaux international, national et local, ainsi qu’au niveau associatif ;

Soutenir la recherche sur la santĂ© publique pour consolider et renforcer les systèmes nationaux et internationaux de surveillance et d’information, ainsi que pour consolider et soutenir des programmes fondĂ©s sur des donnĂ©es Ă©tablies concernant la santĂ© des  personnes qui se dĂ©placent ;

Prendre des mesures pour renforcer et intĂ©grer la dimension sanitaire dans la politique de dĂ©veloppement et de coopĂ©ration selon le principe « De la santĂ© dans toutes les politiques Â» ;

Promouvoir la participation des migrants Ă  l’élaboration des programmes, Ă  la prestation des services de santĂ© et Ă  leur Ă©valuation ;

Prêter attention à la nécessité de prendre de mesures de santé d’une manière appropriée et conformément au Règlement sanitaire international (2005), dès l’arrivée de migrants faisant partie de populations à haut risque sanitaire, pour que les intéressés puissent être mieux soignées et redirigés vers les services appropriés.

Prendre des mesures pour former et Ă©duquer les professionnels de santĂ©, les dĂ©cideurs, les planificateurs de la gestion de la santĂ© et les Ă©ducateurs de santĂ©, le cas Ă©chĂ©ant, sur la manière de traiter les questions de soins de santĂ© liĂ©es Ă  la mobilitĂ© des populations, et les disparitĂ©s entre services de santĂ© selon la situation gĂ©ographique de ces derniers ;

Envisager des mesures pour rendre les services de santé destinées aux personnes qui se déplacent plus sensibles à l’âge, au sexe et à leur diversité, par exemple en fournissant une information facilement accessible dans une langue appropriée, ou, lorque nécessaire, en donnant l'accès à des services de médiation;

Tenir compte de la vulnĂ©rabilitĂ© particulière des  personnes qui se dĂ©placent Ă  certaines maladies infectieuses telles que la tuberculose, le sida et les maladies sexuellement transmissibles, en recherchant une meilleure convergence d’approche entre politiques et stratĂ©gies de prĂ©vention, de lutte et de traitement de ces maladies ;

Prendre en considération les besoins des personnes qui se déplacent, notamment en ce qui concerne les maladies chroniques et la santé mentale ;

Promouvoir, dans les pays d’accueil, des dispositifs destinĂ©s Ă  traiter des problèmes de santĂ© pouvant rĂ©sulter de dĂ©placements forcĂ©s, tels que le conseil, la prise en charge psychologique et la rĂ©habilitation des victimes de torture ou de traumatismes, y compris les violences sexuelles, la violence de genre ou toute autre violation des droits de l'homme ;

Prendre des mesures pour lutter contre les pratiques nuisant aux femmes et aux jeunes filles, telles que les mutilations gĂ©nitales fĂ©minines et les mariages prĂ©coces ou forcĂ©s qui peuvent avoir de graves rĂ©percussions sur la santĂ© des intĂ©ressĂ©es ;

Encourager les pays d'accueil Ă  examiner favorablement l’invitation faite par l’AssemblĂ©e parlementaire, dans sa RĂ©solution 1509 (2006), Ă  Ă©liminer toute obligation faite aux personnels de santĂ© et aux autoritĂ©s scolaires de signaler aux pouvoirs publics la prĂ©sence de migrants irrĂ©guliers ;

Encourager les pays d’accueil Ă  assurer l'accès aux soins de santĂ© Ă  toute personne ayant droit Ă  la protection internationale au mĂŞme titre que leurs ressortissants, tout en veillant Ă  ce que les demandeurs d’asile reçoivent les soins mĂ©dicaux nĂ©cessaires, qui comportent, les soins urgents et le traitement essentiel des maladies et Ă  fournir l'assistance mĂ©dicale ou autre, nĂ©cessaire aux demandeurs ayant des besoins particuliers ;

Soutenir, dans le cadre de la sociĂ©tĂ© civile, les initiatives prises par des femmes migrantes pour des femmes migrantes, notamment lorsque les intĂ©ressĂ©es peuvent agir comme mĂ©diatrices aux fins de cohĂ©sion sociale et de tolĂ©rance ;

Promouvoir l'accès à l'information et à l'éducation en matière de santé pour les migrants, en particulier pour les jeunes; l'éducation en matière de santé devrait comprendre la santé génésique et sexuelle, l’égalité entre les genres, et couvrir la nutrition et les accidents du travail;

Renforcer une approche Ă©thique en coordonnant et en concertant les actions des pays d’origine et des pays d’accueil visant Ă  gĂ©rer l’émigration des professionnels de la santĂ© en provenance des pays qui ont investi dans leur formation ;

ET, À CES FINS, RECOMMANDONS QUE

Les États membres qui ne l’ont pas encore fait envisagent la possibilitĂ© de signer et de ratifier :

- les instruments juridiques du Conseil de l'Europe qui couvrent les aspects sanitaires tendant Ă  faciliter l’intĂ©gration des travailleurs migrants, tels que la Charte sociale europĂ©enne (rĂ©visĂ©e), la Convention europĂ©enne relative au statut juridique du travailleur migrant, la Convention europĂ©enne d’assistance sociale et mĂ©dicale et la Convention europĂ©enne de sĂ©curitĂ© sociale ;

En outre, et en vue de parvenir Ă  une plus grande cohĂ©sion sociale en Europe et de poursuivre la mise en Ĺ“uvre du Plan d’action du Sommet de Varsovie et de la StratĂ©gie pour la cohĂ©sion sociale, recommandons que le ComitĂ© des Ministres du Conseil de l'Europe :

renforce la dimension de la santé dans les futurs programmes d'activités du Conseil de l'Europe;

continue Ă  promouvoir des mesures incorporant les dimensions Ă©thiques, sociales et des droits de l'homme dans les politiques de santĂ©, en tenant compte des besoins spĂ©cifiques des groupes vulnĂ©rables, y compris les migrants ;

renforce le rôle du Conseil de l'Europe en tant que gardien des droits de l'homme et de la cohésion sociale par l’intégration des composantes de la solidarité et du dialogue interculturel dans les politiques sanitaires européennes, en englobant les migrants, les réfugiés et autres personnes qui se déplacent ;

invite le Comité européen de santé publique (CDSP) à tenir compte, dans ses futurs travaux, de la dimension éthique et des droits de l'homme des migrations, y compris en élaborant un code international d’éthique relatif aux soins de santé des gens qui se déplacent ;

confie au Comité européen de santé publique (CDSP) le soin d’élaborer un programme de travail concernant les défis sanitaires actuels des groupes vulnérables, y compris les migrants, les réfugiés, les demandeurs d’asile, les Roms et Gens du voyage.