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La Convention européenne des droits de l’homme et les droits des enfants

 

Table ronde 1 : « Les grandes étapes de la justice internationale pour les enfants »

 

Françoise Tulkens
Juge à la Cour européenne des droits de l’homme

Permettez-moi tout d’abord de vous remercier d’avoir invité la Cour européenne des droits de l’homme à participer à vos travaux. Nous sommes soucieux à la Cour de contribuer, dans la mesure de nos moyens, au meilleur développement ou, plus exactement, au développement le plus juste de la justice internationale pour les enfants.
 

Je trouve important que les différentes interventions de cette première table ronde aient été précédées par le rapport de la professeure Ruth Farrugia qui nous a remarquablement introduits aux principaux textes internationaux (généraux et spécifiques) relatifs aux droits des enfants. Ceci permet de situer la nature et la portée, les possibilités et les limites des différents instruments que les enfants et les jeunes peuvent et doivent mobiliser autant sur la scène universelle que sur les scènes régionales. Il est d’ailleurs intéressant de constater que l’Union européenne s’engage également dans la voie d’une stratégie européenne sur les droits de l’enfant en se fondant sur l’article 24 de la Charte des droits fondamentaux qui reconnaît les droits de l’enfant. En matière de droits fondamentaux, je suis convaincue qu’une voie n’épuise pas tout et qu’entre ces différents instruments des complémentarités et des synergies doivent être mises en place. Celles-ci m’apparaissent d’autant plus essentielles qu’aujourd’hui le problème est peut-être moins le vide que le trop-plein qui confronte les acteurs à une telle pluralité de textes qu’il est parfois difficile de savoir lequel utiliser et comment. Cette situation se reflète parmi les ONG de défense des droits de l’homme, ce qui explique dans certains cas la nécessité de coordination ou de plateforme commune.
 

S’agissant des droits des enfants, la Convention européenne des droits de l’homme est marquée par deux caractéristiques qui la distinguent des autres instruments qui ont été et qui vont être analysés.
 

D’un côté, contrairement à la Convention internationale des droits de l’enfant des Nations Unies, la Convention européenne des droits de l’homme de 1950 ne contient pas de disposition spécifique relative aux enfants et aux jeunes même si certains droits, comme par exemple le droit à l’éducation (art. 2 du Protocole additionnel), s’appliquent de manière particulière aux enfants. En revanche, l’article 1er de la Convention dispose que les Etats « reconnaissent » – et pas simplement « s’engagent à reconnaître » comme dans la plupart des traités internationaux – à « toute personne » les droits et libertés définis à la Convention. Les droits des enfants sont donc des droits de l’homme ou, encore, les droits de l’homme appartiennent pleinement aux enfants.
 

D’un autre côté, le mécanisme de contrôle créé par la Convention pour assurer le respect des engagements résultant par les Etats de la Convention est celui d’une instance entièrement judiciaire que représente la Cour européenne des droits de l’homme. De manière cohérente avec l’article 1er de la Convention, l’article 34 de celle-ci dispose que la Cour peut être saisie d’une requête par « toute personne » qui se prétend victime d’une violation des droits reconnus par la Convention. Aucune distinction donc dans le texte entre les hommes et les femmes, les étrangers et les nationaux, les adultes et les mineurs : un enfant, un mineur peut saisir directement la Cour européenne des droits de l’homme. En outre, ne l’oublions pas, la Cour peut également être saisie d’une requête interétatique par laquelle un Etat saisit la Cour d’un manquement aux dispositions de la Convention qu’elle croit pouvoir être imputé à un autre Etat (art. 33 de la Convention). Je sais bien que cette voie est peu utilisée en général et sans doute encore moins en ce qui concerne les droits des enfants, mais il est parfois utile de réveiller des dispositions en sommeil. Il faut toutefois noter que, dans la requête interétatique Chypre c. Turquie qui a fait l’objet d’un arrêt de la Cour du 10 mai 2001, la question de l’enseignement a été abordée : d’une part, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention dans le chef des Chypriotes grecs vivant dans le nord de l’île dans la mesure où les manuels destinés à leur école primaire ont été soumis à une censure excessive pendant la période considérée ; d’autre part, la Cour conclut aussi qu’il y a eu violation de l’article 2 du Protocole n °1 dans la mesure où les Chypriotes grecs n’ont pas bénéficié d’un enseignement secondaire approprié .
 

Même s’il est important de rappeler le principe que toute personne peut saisir la Cour, il faut éviter la fiction selon laquelle les enfants et les jeunes pourraient exercer les droits fondamentaux comme s’ils étaient des adultes. A l’instar de nombreux justiciables vulnérables, l’accès à la justice et, a fortiori, à la justice internationale n’est pas chose aisée. Les obstacles sont tout autant juridiques qu’économiques, sociaux et culturels. C’est sur ce point là précisément que des propositions et des suggestions devront être faites pour permettre aux enfants et aux jeunes la jouissance concrète et effective – et non pas théorique et illusoire – des droits garantis par la Convention. A cet égard, la Cour pourrait / devrait éventuellement examiner de manière plus approfondie la possibilité d’accepter, dans certains cas, l’action d’intérêt collectif qui permettrait à des associations ou à des groupes, sans qu’ils soient personnellement touchés par la violation alléguée, d’être en quelque sorte la voix des sans-voix. Plus techniquement aussi, comme la Cour ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes, cette exigence peut constituer, dans certains cas, un obstacle à la possibilité pour un mineur d’adresser une requête à la Cour dans la mesure où il ne jouit pas dans son ordre juridique de la capacité d’exercer ses droits en justice. La Cour pourrait donc, conformément à sa jurisprudence, envisager dans certaines situations d’éventuelles dispenses de cette condition de recevabilité des requêtes. Autant de questions à examiner et à approfondir.
 

Isabelle Berro-Lefèvre et moi-même avons choisi de travailler en deux temps. Cet après-midi, je tenterai de vous montrer, dans la jurisprudence de la Cour, la nature et l’objet des affaires qui ont été introduites par des enfants ou qui concernent ceux-ci. Je m’en tiendrai à la jurisprudence récente car il est important de voir quels sont les problèmes auxquels les enfants sont confrontés aujourd’hui en termes de droits fondamentaux. Demain, Isabelle Berro-Lefèvre en tirera en quelque sorte les enseignements en ce qui concerne la question plus précise de l’accès des mineurs à la Cour.
 

Je vais évoquer certains articles de la Convention qui me semblent les plus significatifs, même si on pourrait analyser cette jurisprudence en dégageant des grands thèmes susceptibles d’en structurer l’étude, comme par exemple le droit des enfants à une protection ou encore les droits et libertés accordés par la jurisprudence de la Cour aux enfants. Je me limiterai à vous fournir des matériaux bruts pour vous permettre, à vous qui êtes en première ligne, d’apprécier la pertinence et les limites de cette jurisprudence, de la critiquer aussi, d’en signaler les zones d’ombre ainsi que les promesses pour l’avenir.
 

Au titre des principes généraux, il faut enfin rappeler ceci. Une des règles d’or qui inspire et nourrit le travail d’interprétation de la Cour européenne des droits de l’homme est que la Convention est un instrument vivant qui doit s’adapter aux réalités de la société dans laquelle nous vivons. C’est ce qui oblige la Cour à s’engager dans la voie d’une interprétation ouverte, évolutive, dynamique, finaliste et téléologique qui peut surprendre mais qui est essentielle. Comme le dit Ricoeur, « le sens d’un texte n’est pas derrière le texte mais devant lui » . A cet égard, le développement, à côté des obligations négatives, des obligations positives qui incombent aux Etats, de même que l’application horizontale de la Convention, jusque et y compris dans les relations entre particuliers ont joué un rôle important dans le domaine des droits des enfants. Il en va de même, et nous le verrons, en ce qui concerne l’extension des garanties procédurales. Il est d’ailleurs intéressant d’observer, aussi bien en droit interne qu’en droit international, que des évolutions ou des innovations significatives dans les systèmes de justice proviennent souvent de la justice des mineurs. Comme si on se trouvait là devant un terrain plus souple, plus ouvert permettant le développement de voies nouvelles.
 

Article 3

L’article 3 de la Convention, qui interdit la torture et les peines et traitements inhumains et dégradants, garantit un droit absolu, indérogeable, sans exception, en quelque situation que ce soit. Depuis 1999, la Cour insiste sur le fait que le niveau d’exigence croissant en matière de protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales implique, parallèlement et inéluctablement, une plus grande fermeté dans l’appréciation des atteintes aux valeurs fondamentales des sociétés démocratiques (arrêt Selmouni c. France du 28 juillet 1999). Par ailleurs, il est acquis que dans l’évaluation du seuil de gravité du traitement subi, la Cour prend en compte les caractéristiques personnelles des victimes, notamment leur âge.
 

Je ne vais pas ici évoquer la question des châtiments corporels qui a fait l’objet depuis longtemps d’une jurisprudence de la Cour même si ceux-ci ne sont pas encore totalement éradiqués dans les pays du Conseil de l’Europe . Je vais me limiter à trois domaines sensibles aujourd’hui liés aux questions de l’asile et de l’immigration, des mineurs en détention et de la violence familiale.
 

 

Asile et immigration
 

L’arrêt Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique du 12 octobre 2006 concerne la détention dans un centre de transit pour adultes à l’aéroport et le refoulement d’une fillette de cinq ans, sans que des mesures d’encadrement et d’accompagnement psychologiques ou éducatives n’aient été dispensées par un personnel qualifié. Ici, il convient de noter que les requérantes étaient à la fois la mère et l’enfant.
 

La Cour observe que la situation personnelle de la requérante se caractérisait par son très jeune âge, le fait qu’elle était étrangère en situation illégale dans un pays inconnu et qu’elle n’était pas accompagnée car séparée de sa famille et donc livrée à elle-même. Elle se trouvait dès lors dans une situation d’extrême vulnérabilité. Eu égard à la protection absolue conférée par l’article 3 de la Convention, il convient, selon la Cour, de garder à l’esprit que c’est cet élément qui est déterminant et que celui-ci prédomine sur la qualité d’étranger en séjour illégal de la requérante. Il appartenait donc à l’Etat belge de la protéger et de la prendre en charge par l’adoption de mesures adéquates au titre des obligations positives découlant de l’article 3. La Cour estime donc que sa détention, qui a fait preuve d’un manque d’humanité, a atteint le seuil requis pour être qualifiée de traitement inhumain . Une même violation de l’article 3 est constatée en ce qui concerne le refoulement de cette fillette en raison du manque de préparation et d’absence de mesures d’encadrement et de garanties entourant le refoulement litigieux .

Violence policière et conditions de détention
 

Dans l’arrêt Assenov et autres c. Bulgarie du 28 octobre 1998, le requérant était un mineur, âgé de quatorze ans lorsqu’il fut appréhendé par la police et placé en garde à vue. Sur le plan substantiel, la Cour estime qu’il est impossible d’établir sur base des preuves disponibles si les blessures du requérant lui ont été causées par la police comme il l’affirme. En revanche, lorsqu’un individu allègue de manière défendable avoir subi des traitements contraires à l’article 3, cette disposition combinée avec l’article 1 requiert par implication qu’il y ait une enquête officielle. C’est donc ici, dans cet arrêt, qui concerne un mineur, que la Cour conclut pour la première fois, à une violation procédurale de l’article 3 fondée sur l’absence d’une enquête effective. Il s’agit d’une manière créative pour la Cour de contourner les difficultés, parfois extrêmement importantes, pour les mineurs de rapporter la preuve de mauvais traitements et d’imposer aux Etats l’obligation positive de mener une enquête.
 

Dans l’arrêt Bati et autres c. Turquie du 3 juin 2004, il s’agissait de sévices infligés à des jeunes détenus. Pour la Cour, ces traitements particulièrement violents et douloureux ont porté atteinte non seulement à l’intégrité physique mais aussi à l’intégrité mentale des requérants. Considérés dans leur ensemble et compte tenu de leur durée ainsi que du but vers lequel ils tendaient (l’extorsion d’aveux), ces actes ont été qualifiés par la Cour de torture. De manière générale, à plusieurs reprises, la Cour a décidé que des personnes vulnérables, et les mineurs en particulier, ont droit à la protection de l’Etat sous la forme d’une prévention efficace, les mettant à l’abri de toute forme grave d’atteinte aux droits énoncés à l’article 3, ce qui suppose une diligence spéciale de la part de l’Etat pour assurer à ces personnes des conditions de détention compatibles avec le respect de la dignité humaine. Les Règles pénitentiaires européennes demandent d’ailleurs que les régimes de détention prennent en compte l’âge des personnes.
 

Enfin, l’arrêt Okkali c. Turquie du 17 octobre 2006 a permis à la Cour de développer plus loin encore sa jurisprudence quant aux obligations positives de l’Etat en matière de poursuites pénales. Le requérant était un mineur de douze ans qui a subi des mauvais traitements au commissariat de police. Sa plainte a débouché sur la condamnation des policiers à des peines minimales, dont il a été sursis à l’exécution. Par ailleurs, son action en dédommagement a été déclarée irrecevable pour prescription. La Cour estime que, en tant que mineur, le requérant aurait dû bénéficier d’une protection accrue dans la procédure, mais que les autorités n’ont pas pris en compte sa vulnérabilité particulière. En outre, cette procédure a abouti à une impunité des responsables des actes contraires à l’interdiction absolue posée par l’article 3. En appliquant et interprétant la législation nationale, les juges ont exercé un pouvoir discrétionnaire davantage dans le sens de réduire l’effet de l’acte illégal d’une extrême gravité que de prévenir toute apparence de tolérance d’un tel acte. Tel qu’il a été appliqué, le système pénal ne pouvait engendrer aucune force dissuasive susceptible d’assurer la prévention efficace de tels actes illégaux. L’issue de la procédure pénale n’ayant pas offert un redressement approprié de l’atteinte portée à la valeur consacrée par l’article 3, il y a donc violation de cette disposition.
 

Enfin, s’agissant des mineurs privés de liberté, il faut également prendre en compte et examiner avec attention les rapports établis par le Comité pour la prévention de la torture qui, à travers les visites effectuées par le Comité sur le terrain, soulèvent de manière particulièrement juste les problèmes aigus posés par la détention des mineurs.

 

Abus et violence dans la famille
 

Au regard de ce même article 3, la Cour a eu plusieurs fois l’occasion de se prononcer sur des actes de violences physiques contre des enfants au sein de la famille. Ainsi, dans les arrêts A. c. Royaume-Uni du 23 septembre 1998, Z. et autres c. Royaume-Uni du 10 mai 2001 ou encore E. et autres c. Royaume-Uni du 26 novembre 2002, la Cour va rappeler l’obligation positive qui pèse sur l’État de prendre les mesures pour que les enfants ne soient pas soumis à des traitements inhumains et dégradants, même administrés par des particuliers, ce qui était le cas dans ces affaires puisqu’il s’agissait du beau-père. Application horizontale donc de la Convention.
 

Par ailleurs, au-delà de la sanction pénale, la Cour exige que les États mettent en place des mesures raisonnables pour empêcher les mauvais traitements. Dans certains cas, c’est la loi qui n’assure pas une telle protection et elle doit être modifiée . Dans les autres cas, c’est le système qui a failli à son devoir de protéger les enfants ou, à tout le moins, de minimiser les risques : les autorités et plus particulièrement les services sociaux savaient ou auraient dû savoir que les enfants étaient face à un danger réel .
 

 

Article 4
 

Dans l’arrêt Siliadin c. France du 26 juillet 2005, qui concerne une ressortissante togolaise mineure victime de ce que l’on appelle aujourd’hui l’esclavage domestique, la Cour a fait pour la première fois application de l’article 4 de la Convention qui interdit l’esclavage et le travail forcé. Elle estime que la requérante a été tenue en état de servitude et que la législation française n’offrait pas une protection suffisante dans la mesure où de tels faits n’étaient pas réprimés par le droit pénal. En d’autres termes, « les obligations positives qui pèsent sur les Etats (…) commandent la criminalisation et la répression effective de tout acte tendant à maintenir une personne dans ce genre de situation » . La Cour rappelle qu’elle « a déjà estimé que les enfants et autres personnes vulnérables, en particulier, ont droit à la protection de l’Etat, sous la forme d’une prévention efficace, les mettant à l’abri de formes aussi graves d’atteinte à l'intégrité de la personne » conformément d’ailleurs à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (art. 19 et 37) . En l’espèce, il est important de noter que si cette affaire est arrivée jusqu’à la Cour, c’est grâce au fait que des associations ont pris en charge le cas de cette jeune fille, notamment le Comité contre l’esclavage moderne.
 

 

Article 5
 

Selon son propre libellé, l’article 5 qui garantit le droit à la liberté et à la sûreté vaut pour « toute personne ». La garantie qu’il assure s’étend à l’évidence aux mineurs et il s’agit d’ailleurs là d’un point qui ne prête pas à controverse.

Parmi les cas autorisés de privation de liberté, l’article 5 § 1 d) prévoit la détention régulière d’un mineur pour son éducation surveillée. Récemment, dans l’arrêt D.G. c. Irlande du 16 mai 2002, la Cour va juger que n’est pas régulière la détention provisoire pendant plusieurs mois d’un mineur en prison en l’absence de structures d’accueil appropriées à un régime d’éducation surveillée .
 

Dans l’arrêt Selçuk c. Turquie du 10 janvier 2006, l’intéressé, qui était mineur à l’époque des faits (seize ans), fut maintenu en détention provisoire pendant quatre mois avant d’être libéré. Considérant en particulier que le requérant était mineur, la Cour estime que les autorités n’ont pas démontré de façon convaincante en quoi il était nécessaire de le maintenir en détention provisoire pendant ce délai (art. 5 § 3). De manière générale, dans les premiers contacts des jeunes avec les autorités policières et judiciaires, je pense que les autorités judiciaires doivent être attentives à la vulnérabilité particulière des jeunes et au fait que cette première expérience peut marquer de manière irrémédiable un parcours délinquant.
 

Enfin, dans l’arrêt Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique du 12 octobre 2006 que j’ai déjà évoqué, la question se posait aussi de savoir si la détention de la petite fille de cinq ans qui relevait du paragraphe f) de l’article 5 – « l’arrestation ou la détention régulière d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire » – était régulière au sens de cette disposition. En l’espèce, la Cour rappelle que l’enfant était détenue dans un centre fermé conçu pour des adultes étrangers en séjour illégal, dans les mêmes conditions que celles d’une personne adulte, lesquelles n’étaient pas adaptées à la situation d'extrême vulnérabilité liée à son statut de mineure étrangère non accompagnée . Dans ces conditions, la Cour estime que le système juridique belge en vigueur à l’époque et tel qu’il a été appliqué dans cette affaire n’a pas garanti de manière suffisante le droit de la seconde requérante à la liberté .


Article 6

L’article 6 consacre le droit au droit, le droit au procès équitable. En fait, nous touchons au cœur même de l’institution de la justice dans une société démocratique : plutôt que de subir le conflit ou de vouloir le régler par la violence, l’accès au juge ouvre la voie d’une décision juste.
 

A cet égard, une question importante est celle de l’aptitude pour un enfant à participer à son procès. Dans l’arrêt S.C. c. Royaume-Uni du 15 juin 2004, la Cour rappelle qu’il est essentiel que l’enfant soit traité « d’une manière qui tienne pleinement compte de son âge, de sa maturité et de ses capacités sur le plan intellectuel et émotionnel, et de prendre des mesures de nature à favoriser sa compréhension de la procédure et sa participation à celle-ci (…), notamment en conduisant le procès de façon à réduire autant que possible l’intimidation et l’inhibition de l’intéressé » . Sans doute la Cour entend-t-elle faire preuve de réalisme. Une « participation réelle », dans ce contexte, « présuppose que l'accusé comprenne globalement la nature et l'enjeu pour lui du procès, notamment la portée de toute peine pouvant lui être infligée. Cela signifie que l'intéressé – si nécessaire avec l'assistance d'un interprète, d'un avocat, d'un travailleur social ou encore d'un ami – doit être en mesure de comprendre dans les grandes lignes ce qui se dit au tribunal. Il doit être à même de suivre les propos des témoins à charge et, s'il est représenté, d'exposer à ses avocats sa version des faits, de leur signaler toute déposition avec laquelle il n'est pas d'accord et de les informer de tout fait méritant d'être mis en avant pour sa défense » .
 

Une autre question significative est celle de la parole de l’enfant. Dans l’arrêt Sahin c. Allemagne du 8 juillet 2003, la Cour estime qu’il y a eu une violation non seulement de l’article 6 mais également de l’article 8 dans la mesure où les tribunaux allemands n’avaient pas entendu l’enfant, afin d’obtenir des informations exactes et complètes sur la relation entre celui-ci et son père.

Enfin, sur le plan pénal, le système protectionnel auquel les enfants dans de nombreux pays ont été soumis entraîne évidemment des effets pervers. Ainsi, dans la décision R. c. Royaume-Uni du 4 janvier 2007, la Cour a estimé que l’avertissement donné par la police à un mineur ayant commis des attentats à la pudeur sur des filles de son école ne rentrait pas dans le champ d’application des garanties du procès équitable qui se limite au bien-fondé de toute accusation en matière pénale.


Article 8
 

L’article 8 assure le droit au respect de la vie privée et familiale. Nous avons évidemment ici à la Cour européenne des droits de l’homme un important contentieux lié au respect de cette disposition dans les hypothèses de placement des enfants ainsi que dans tout ce qui concerne les droits de garde et les droits de visite dans le cadre des procédures en divorce. Les parents ont le droit de vivre avec leurs enfants comme les enfants ont le droit de vivre avec leurs parents.
 

Je ne peux pas aborder ces questions aussi complexes, aussi délicates et aussi sensibles dans cette brève intervention, aussi j’évoquerai trois questions qui me semblent nouvelles aujourd’hui.
 

 

Le droit de connaître ses origines
 

Dans certains arrêts récents, la Cour a reconnu le droit, pour un enfant, de connaître ses origines, l’identité de ses parents ainsi que les circonstances de sa naissance . Dans les affaires Mikulic c. Croatie (arrêt du 7 février 2002) et Ebru et Tayfun Engin Çolak c. Turquie (arrêt du 30 mai 2006), la Cour a reconnu le droit d’un enfant de connaître les éléments de sa filiation. Dans l’arrêt Odièvre c. France du 13 février 2003, la Cour estime que « la naissance, et singulièrement les circonstances de celle-ci, relève de la vie privée de l’enfant (…) garantie par l’article 8 de la Convention (…) » tandis que dans l’arrêt Jäggi c. Suisse du 13 juillet 2006, la Cour estime même que le droit de connaître ses origines appartient au noyau dur du droit au respect de la vie privée .
 

Dans cette matière qui est aujourd’hui sensible et qui connaît évidemment une accélération à la faveur du développement des biotechnologies, la Cour est de plus en plus confrontée avec des conflits entre droits fondamentaux : le droit de l’enfant d’un côté de connaître ses origines vs. le droit de la mère par exemple de conserver son anonymat ou sa vie privée ou le droit du père de ne pas se soumettre à des tests ADN . Ces conflits de droits sont aujourd’hui à mes yeux les plus difficiles à résoudre par la Cour car ils demandent une méthode de résolution originale. Comment peut-on mettre sur les plateaux de la balance des droits qui a priori méritent un respect égal ? A cet égard, la Cour, dans l’arrêt Mikulic, a adopté une approche procédurale : si le système ne prévoit pas une obligation pour le père de se soumettre à un test ADN, d’autres moyens doivent être mis en place pour permettre à une autorité indépendante de déterminer la filiation du requérant.
 


Le consentement à l’adoption
 

La décision V.S. c. Allemagne du 22 mai 2007 pose une question intéressante et inédite : elle porte sur le consentement de la requérante, qui est une mineure, à l’adoption de son enfant. En l’espèce, elle avait donné naissance à son enfant lorsqu’elle était âgée de seize ans et, après son consentement à l’adoption, elle est revenue sur sa décision.Elle se plaint de ce que son consentement donné par écrit devant un notaire a été validé en dépit de sa minorité et sans que l’approbation de sa mère en tant que représentant légal ait été nécessaire, conformément aux dispositions du Code civil. Le Code prévoit en effet que le consentement d’une mineure à l’adoption de son enfant constitue un acte juridique à caractère personnel, ne nécessitant aucune approbation par les représentants légaux ou par le tribunal de tutelle comme cela est prévu par les dispositions relatives au mariage d’un mineur. Ce qui est en jeu ici c’est la différence de protection d’un mineur par rapport au mariage d’un côté et par rapport au consentement à l’adoption de son propre enfant de l’autre. La question est d’autant plus cruciale que le consentement à l’adoption est irrévocable, entraînant de lourdes conséquences telles que la rupture définitive de tout lien familial avec l’enfant. En revanche, un mariage peut être dissout et même avant une séparation de fait est possible. La Cour a néanmoins déclaré la requête irrecevable, « compte tenu de ce qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux autorités internes, en principe mieux placées que le juge international pour mettre en balance les intérêts concurrents en jeu du fait de leur contact direct avec le contexte de l’affaire et tous les intéressés ». Dès lors, « la Cour considère que les autorités nationales n’ont pas outrepassé leur marge d’appréciation en l’espèce, d’autant qu’elle n’a pu constater l’existence d’un consensus des États contractants quant à la manière de régir les questions d’adoption ».
 

Les mineurs étrangers et immigrés
 

S’agissant de l’expulsion des mineurs délinquants, dans l’arrêt Jakupovic c. Autriche du 6 février 2003, il s’agissait d’infractions commises pendant l’état de minorité du requérant. La Cour estime qu’il faut avancer de solides raisons pour pouvoir justifier l’expulsion d’un jeune homme de seize ans, tout seul, vers un pays (la Serbie) qui vient de traverser une période de conflit armé et alors que rien ne prouve que l’intéressé y ait des parents proches. Dans l’arrêt Radovanovic c. Autriche du 22 avril 2004, la Cour aboutit également à un constat de violation de l’article 8 : il s’agissait de l’expulsion d’un étranger ayant vécu depuis son enfance en Autriche et qui avait été condamné, pendant qu’il était encore mineur, pour des vols qualifiés et des cambriolages. Outre sa peine, il fut frappé d’une interdiction de séjour illimitée. Sans négliger la gravité des infractions commises par le requérant, la Cour note que celui-ci les a accomplies alors qu’il était mineur, qu’il n’avait pas d’antécédents judiciaires et que sa peine fut assortie d’un sursis.
 

Dans l’arrêt Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique du 12 octobre 2006 que j’ai déjà évoqué, la Cour apporte un élément intéressant : « Etant donné que la requérante était une mineure étrangère non accompagnée, l'Etat belge avait pour obligation de faciliter la réunification familiale » .



Article 9
 

La requête Grzelak c. Pologne a été récemment communiquée. Elle concerne l’absence de dispositions de remplacement convenable pour des élèves des écoles primaires publiques qui ont choisi de ne pas suivre le cours d’instruction religieuse. Les requérants sont les parents de l’enfant concerné et ils se fondent sur l’article 9 combiné avec l’article 14 de la Convention.

Article 2 du Protocole n° 1
 

Une requête pendante devant la Grande Chambre et une autre actuellement communiquée concernent la situation des enfants roms à l’école. Dans la requête D.H. et autres c. République tchèque, les requérants se plaignent au regard de l’article 2 du Protocole n° 1 combiné avec l’article 14 de la Convention qu’ils ont été placés dans des écoles spéciales destinées aux enfants atteints de déficiences intellectuelles. Contestant la fiabilité des tests effectués et estimant que leurs parents n’avaient pas été suffisamment informés des conséquences de leur consentement au placement, les requérants soutiennent que leur placement dans des écoles spécialisées consistait en une pratique générale créant une ségrégation et une discrimination raciale. La question est donc celle de la discrimination indirecte.
 

Dans la requête Sampanis et autres c. Grèce (communiquée le 20 février 2007), les requérants se plaignent de l’inaction des autorités à les inviter à inscrire leurs enfants d’âge scolaire à l’école primaire publique de la municipalité, et qui de ce fait ont raté une année scolaire. De surcroît, même après l’inscription de leurs enfants à l’enseignement primaire, la direction de l’école a cédé aux pressions exercées par des parents d’enfants et elle a imposé aux enfants d’origine rom de suivre initialement des cours du soir leur étant spécialement réservés, puis d’être scolarisés dans un établissement distinct de l’établissement principal de l’école. Il m’a semblé important d’évoquer ces deux affaires car ce sont à peu près les seules où l’article 14 de la Convention qui est le lieu naturel de l’interdiction de la discrimination dont on sait qu’elle frappe surtout les requérants vulnérables, est en fait très peu invoquée et utilisée.


Conclusion
 

La question des droits des enfants est primordiale, essentielle et doit être abordée avec sérieux. C’est ce que nous voulons tous faire pour le moment. Elle n’épuise cependant pas tout. Les questions fondamentales auxquelles les jeunes sont confrontés sont non seulement juridiques mais elles sont aussi sociales, économiques et culturelles. Les grandes fractures de notre société se retrouvent au cœur même de l’enfance : pauvreté, exclusion et discrimination. Le respect des droits des enfants doit être assuré avec le développement de leurs besoins fondamentaux : les enfants doivent être intégrés dans nos politiques de bien-être. Les droits ne sont jamais une fin en soi. Ils sont un moyen pour une société plus juste, plus solidaire pour tous. Tel est, à mon avis, le sens et la force du programme développé par le Conseil de l’Europe : « Construire une Europe pour et avec les enfants ».