Interview de l'ambassadeur Daryal Batibay, Représentant Permanent de la Turquie (27 octobre 2010)



Quelles sont alors les questions prioritaires de la présidence turque au Comité des Ministres et les points phares de son agenda ? Quels sont les changements qui doivent intervenir durant la présidence de la Turquie ?

La période pendant laquelle la Turquie est chargée de la présidence est un moment important de l’histoire du Conseil de l’Europe, qui a déjà 60 ans et, tout comme une personne physique, une personne morale qui arrive à 60 ans tente de faire une évaluation, de prendre conscience de ce qu’elle a déjà réalisé et des buts qu’elle se propose d’atteindre. Il y a un an, a été élu au Conseil de l’Europe un Secrétaire général qui s’est engagé à faire des réformes, à apporter des changements : Thorbjorn Jagland, ancien Premier ministre et Ministre des affaires étrangères de Norvège. Et la Turquie soutient une telle action réformiste pour se renforcer et pour conserver sa place et son rôle dans l’architecture politique de Conseil de l’Europe et de l’Europe et, en tête des actions que nous mènerons durant la période de notre présidence, vient la volonté de donner une impulsion à ces réformes. Et, lors de la réunion du Comité des Ministres qui se tiendra à Istanbul le 11 mai prochain, nous n’épargnerons pas nos efforts pour que soient réalisés des résultats concrets dans le sens des réformes.

Dans ce cadre, une autre de nos priorités, sur initiative de la Turquie et proposition de notre Ministre des affaires étrangères, a été que soit constitué par le Secrétaire général un groupe de personnalités choisies, à la présidence duquel se trouve Joschka Fischer. L’objectif fondamental de ce groupe sera de prendre en main les problèmes et difficultés récemment rencontrés sur la capacité de vivre ensemble en Europe, de débattre à leur sujet et d’offrir aux gouvernements un certain nombre de propositions et de conseils. Quand nous considérons les évènements, nous pouvons voir que des difficultés et obstacles sérieux se dressent dans beaucoup de pays d’Europe en ce qui concerne le vivre ensemble. En particulier, nous savons tous combien cette question est importante pour les populations d’origine turque établies en Europe. C’est un dilemme pour les pays d’Europe, car, comme vous le savez, la population européenne vieillit et la vie s’allonge, ce qui rend nécessaires les migrations par nécessité de créer une force de travail capable de soutenir la population vieillissante. Le fait que se produise une diminution dans la croissance démographique et en même temps un allongement de la durée de la vie rend les choses très difficiles. Ce n’est qu’avec l’immigration que l’Europe connaîtra une croissance démographique positive. Mais, en même temps que la nécessité de l’immigration, se révèlent les problèmes que pose cette immigration et ce phénomène est la cause d’un certain nombre de réactions : d’une part l’obligation d’avoir recours à l’immigration et d’autre part les difficultés que crée celle-ci. Nous espérons que des conseils utiles seront donnés par ce groupe de personnalités choisies concernant les questions à l’ordre du jour, telles que la question de savoir comment sortir de ces impasses, comment les règles du vivre ensemble peuvent être définies, les cultures plurielles, l’intégration et le respect des différences. La Turquie a été le promoteur de l’établissement de ces comités de sages.

Une autre de nos priorités est la réforme de la Cour européenne des droits de l’homme, qui se trouve confrontée à une charge de requêtes qui va toujours croissant; le nombre de 140 000 requêtes a été dépassé et il ne fait que s’accroître, de jour en jour. Ainsi, la CEDH est dans une position où elle ne peut appliquer elle-même les conseils qu’elle donne. Elle donne, en effet, aux Etats des arrêts de violation pour délais excessifs dans les jugements, mais ne peut, elle-même, se conformer aux règles relatives à la longueur excessive des procédures. C’est pourquoi une réforme de la CEDH est maintenant inévitable. Au mois de février dernier, a été organisée, à Interlaken, une conférence sur la réforme et les choses ont commencé à bouger. Nous avons la volonté de faire progresser ces réformes et même de mener à bien certaines d’entre elles. C’est dans ce but que nous organiserons à Izmir, en avril prochain, une conférence au plus haut niveau dont l’objectif sera d’accélérer cette entreprise de réformes au sein de la CEDH.

Comment voyez-vous le futur du Conseil de l’Europe ? Quelles sont les réformes dont il a besoin pour se faire une place plus influente sur la scène politique mondiale ?

Lorsque, à la fin de ces 60 années, vous considérez le Conseil de l’Europe, il faut accepter la réalité du fait que cette Organisation est un peu restée à l’ombre de l’Union européenne, car celle-ci prévoit une coopération ou plutôt une intégration plus avancée du point de vue de ses 27 Etats membres actuels. Pourtant, le Conseil de l’Europe est un forum de coopération entre les gouvernements. L’Union européenne est censée avoir été édifiée sur le concept d’union, le Conseil, lui, sur celui de partenariat. L’Union ayant donc été établie sur une idée d’intégration plus avancée et ses ressources financières, naturellement, étant plus importantes, apparaît aujourd’hui comme l’institution dominante en Europe. Mais, le Conseil de l’Europe bénéficie d’avantages que n’a pas l’Union européenne. C’est le fait que sa structure englobe tout le continent, car, l’Union européenne ne sera jamais dans cette situation. Par exemple, la Russie ne sera jamais membre de l’Union. Donc, l’avantage majeur du Conseil de l’Europe c’est d’être une plateforme de coopération qui englobe tout le continent. Une deuxième caractéristique, c’est que ce n’est pas seulement un forum pour discourir, mais un forum de coopération, à la base d’accords qui sont contraignants sur le plan du droit. Avec qui ? Avec tous les pays européens. Il nous faut donc renforcer cette particularité sans égale du Conseil de l’Europe, cette particularité qu’aucune institution internationale ou européenne ne saurait endosser. D’ailleurs, la présidence turque va conjuguer tous ses efforts en ce sens, mais ces efforts ne doivent pas rester isolés, il faut que tous les pays membres accordent leur appui, qu’ils affichent une volonté dans le sens de l’accroissement du fonctionnement politique du Conseil de l’Europe. A ce sujet, il me semble que la mission en incombe aux grands pays, en même temps membres de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe. Dans le cas où ils portent un intérêt spécial à ses travaux, je crois intimement que le rôle du Conseil de l’Europe, grâce aux particularités que j’ai indiquées plus haut, ira croissant.

Ceci est un extrait de l'interview réalisée le 27 octobre 2010 avec M. Daryal Batibay, Représentant permanent de la Turquie.

Transcription complète et enregistrement de l'interview
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