Conclusion
La démocratie libérale, telle qu'elle est actuellement pratiquée en Europe, n'est pas « la fin de l'histoire ». Elle peut et doit évoluer si elle veut conserver le respect légitime des citoyens. Elle l’a d’ailleurs fait à plusieurs reprises dans le passé, en relevant les défis et en tirant parti des perspectives qui s’offraient à elle. Pourquoi ne le ferait-elle pas une nouvelle fois ?
Dans ce livre vert, nous avons fait appel à notre imagination collective de théoriciens et de praticiens de la politique, pour proposer des réformes susceptibles d’améliorer la qualité de la démocratie en Europe et d’asseoir davantage sa légitimité. Certaines de ces réformes ont déjà été introduites –généralement à titre expérimental – dans quelques systèmes politiques, mais la plupart n'ont jamais été mises au banc d’essai. Nous sommes les premiers à reconnaître que ces réformes ne sont pas toutes également urgentes, réalisables ou même souhaitables. Il revient aux responsables politiques de décider de leur intérêt et de leur degré de priorité.
Nous nous permettons néanmoins de faire quelques réflexions sur les réformes qui, nous en sommes convaincus, sont les plus urgentes. Nous pensons tous que le problème majeur de la démocratie européenne contemporaine est la perte de confiance des citoyens dans les institutions politiques et la baisse de leur participation au processus démocratique. C'est pourquoi les réformes à même d’accroître la participation électorale, d'encourager l'adhésion aux partis politiques, aux associations et aux mouvements de la société civile, et de renforcer la confiance dans les fonctions représentatives et législatives des responsables politiques, méritent d'être étudiées, surtout quand elles rendent en outre la politique plus attrayante. Le deuxième grand problème auquel presque toutes les démocraties européennes sont confrontées est le nombre croissant de résidents étrangers et leur statut politique. Il convient aussi de privilégier les mesures visant à intégrer ces non-nationaux dans le processus politique.
Les réformes suivantes pourraient, à notre sens, être introduites dans la plupart des Etats membres par une législation ordinaire. Elles ne devraient pas grever excessivement le budget et pourraient améliorer sur le champ, bien que marginalement, la qualité de la démocratie :
- Loteries pour électeurs
- Conseils élus spécialisés
- Kiosques de démocratie
- Education à la participation politique
- Droits de vote pour les résidents étrangers
- Conseil des résidents étrangers
- Non-cumul des mandats
- Aide électronique aux candidats et aux parlements (« vote intelligent »)
- Systèmes de suivi électronique et de délibération en ligne
- Un agent de promotion de la réforme démocratique
Le deuxième volet de réformes se heurtera probablement à une plus grande opposition politique, ces mesures étant les plus novatrices et les plus susceptibles de modifier l’équilibre actuel des pouvoirs entre les partis, les groupes organisés et les organismes publics. Peut-être auront-elles, pour cette raison, un impact plus durable sur la qualité de la démocratie et la légitimité des institutions. Mais elles sont aussi plus vulnérables aux problèmes de « transversalité » car leurs effets secondaires devraient être plus importants et, par conséquent, exiger des ajustements imposant à leur tour d'autres réformes.
- Vote à la carte
- Citoyenneté universelle
- Mandats partagés
- Guides de citoyenneté
- Participation à l'élaboration du budget
- Des gardiens pour surveiller les gardiens
- Un carton jaune pour les assemblées législatives
- Législation cadre
- Seuils variables pour les élections
- Coupons de financement des partis politiques
- Coupons de financement des organisations de la société civile
- Référendums et initiatives populaires
- Vote par correspondance et vote électronique
- Démocratie interne des partis
Enfin, nous reconnaissons que les propositions indiquées ci-dessous sont particulièrement difficiles à faire adopter et à mettre en œuvre. Elles sont totalement originales, coûtent plus cher, et exigeraient probablement des super-majorités ou même une révision constitutionnelle. Il ne faut pas pour autant les écarter mais leur introduction demandera un débat beaucoup plus approfondi entre les responsables politiques et une meilleure préparation des citoyens.
– Service civil
– Des gardiens spéciaux pour les gardiens des médias
– Liberté d'information
– Distribution de fonds réservés
– Une Assemblée des citoyens
Nous souhaitons conclure sur une note de prudence. Les réformes des règles du jeu démocratique, quand elles sont isolées, sont rarement efficaces. Ce sont les réformes globales et synergiques qui ont le mieux réussi à améliorer la performance et la légitimité. Parfois fruit d'une appréciation délibérée et rationnelle des interdépendances en jeu, elles ont été le plus souvent le produit du processus politique lui-même et de son besoin inévitable d'alliances législatives, de compromis entre forces rivales et de compensations aux groupes indociles. Autrement dit, dans les démocraties « réelles », la conception des réformes est presque toujours imparfaite, d'autant plus qu’elles visent à modifier les futures règles de la concurrence et de la coopération entre les forces politiques.
De surcroît, les réformateurs prévoient rarement toutes les conséquences des mesures qu'ils introduisent. Ces changements ont presque toujours des répercussions inattendues, certaines bonnes, certaines moins bonnes. N'oublions jamais que dans une société libre et dans un système démocratique, les individus et les organisations touchés par les innovations politiques réagissent, et souvent de manière imprévisible. Plus important, ils tentent de les exploiter à leur profit personnel et essaient assez souvent de les détourner pour protéger les groupes établis.
Tout cela plaide en faveur de la prudence, surtout quand on introduit des réformes authentiquement novatrices. Ces mesures devraient de préférence être d'abord traitées comme des expériences politiques menées à des niveaux soigneusement choisis, en général à l’échelon local ou régional. Une fois leurs effets systématiquement contrôlés et évalués, si possible par un organisme impartial et multinational comme le Conseil de l'Europe, elles pourront être transposées à d'autres niveaux au sein du même pays ou à d'autres Etats membres.
Répétons-le, nos démocraties européennes peuvent être réformées. Elles peuvent se rapprocher de ce « quelque chose qui n’existe pas », et ainsi regagner la confiance des citoyens dans les institutions et redonner de la légitimité à des processus qui semblent l’avoir perdue ces dernières décennies. Mais la tâche ne sera pas facile. Il faudra la sagesse collective des théoriciens et des praticiens de la politique des quarante-cinq Etats membres du Conseil de l'Europe pour choisir les réformes les plus souhaitables, évaluer leurs conséquences et, enfin, partager les enseignements de ces expériences. Nous espérons qu'avec ce livre vert conçu à la demande du Conseil de l'Europe, nous avons contribué à amorcer ce mouvement.