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Historique du Forum

 

Le Forum a été mis en place par le 3ème Sommet des Chefs d'Etat et de gouvernement du Conseil de l'Europe (Varsovie, mai 2005), pour renforcer la démocratie, les libertés politiques et la participation des citoyens.

(...

Sessions précédentes

du Forum

Forum_2011

2011

(Limassol, Chypre, octobre)

Interdépendance de la démocratie et de la cohésion sociale

Nouveau:

Actes (anglais)

 

Thorbjorn Jagland, Secrétaire Général du Conseil de l'Europe, a ouvert le Forum en reconnaissant que les mesures radicales qui sont prises dans de nombreux pays pour tenter d'équilibrer les budgets publics sont à la fois nécessaires et compréhensibles mais que certains pays courent un réel risque de remettre gravement en cause le modèle européen de cohésion sociale. 

 

2010

Erevan, octobre)

Perspectives 2020

La démocratie en Europe - Principes et enjeux  

 Actes du Forum

 

Le Conseil de l'Europe a un rôle stratégique unique à jouer dans le renforcement de la bonne gouvernance démocratique au sein de l'espace européen, et ce à tous les échelons.  La démocratie, ou plutôt la bonne gouvernance démocratique, est désormais intrinsèquement associée au respect des droits de l'homme ; mais elle est également reconnue comme la forme de gouvernance la plus efficace pour garantir la stabilité, la durabilité et le bien-être. Tel fut le message principal émanant du Forum de Erevan.

 

2009

(Kiev, octobre)

Systèmes électoraux : Renforcer la démocratie au 21ème siècle"

Actes du Forum

 

 "Dans une démocratie véritable, le peuple est souverain et la décision appartient à celui/celle qui vote"  tel a été le principal message du Forum 2009, qui a fait ressortir la nécessité d'associer d'avantage les citoyens aux processus électoraux, de renforcer la participation au scrutin et d'en garantir à chaque étape le bon déroulement démocratique.

(...)

2008

(Madrid,  octobre)

"La démocratie électronique : un pari audacieux"

 

L'impact des technologies de l'information et de la communication (TIC) sur la démocratie a été au coeur des discussions..

(...)

 

2007

(Stockholm, juin)

"Pouvoir et autonomisation - L'interdépendance de la démocratie et des droits de l'homme"

 

Les discussions ont été consacrées aux questions telles que le rôle et les responsabilités de l'opposition, la démocratie représentative au niveau local et régional, l'autonomisation de l'individu et la non-discrimination, le respect de la liberté d'expression et d'association de la société civile, et la promotion de la démocratie, des droits de l'homme et des réseaux sociaux.

 (...)

 

2006

(Moscou, octobre)

"Le rôle des partis politiques dans la construction de la démocratie"

 

Le Forum s'est penché sur le rôle et les responsabilités des partis politiques dans la recherche de solutions aux défis contemporains, l'interaction entre les partis politiques et avec d'autres acteurs du processus démocratique, et la construction et le renforcement des institutions démocratiques.

(...)

 

Réunion de lancement (Varsovie, novembre 2005)

"La participation des citoyens"

 

 

Les discussions ont eu pour thème l'état de la démocratie contemporaine en Europe.

(...)

Projets précédents

"Les institutions démocratiques

en action"

 


Faire évoluer la démocratie en Europe

Résumé analytique de l’acquis du Conseil de l’Europe

Lawrence Pratchett et
Vivien Lowndes
Unité de recherche sur la gouvernance locale
Université De Montfort, Royaume-Uni

Projet intégré « Les institutions démocratiques en action »
Conseil de l’Europe

Edition anglaise :

Developing Democracy in Europe – An Analytical Summary of the Council of Europe’s Acquis

Tous droits réservés. Aucun extrait de cette publication ne peut être reproduit, enregistré ou transmis, sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit – électronique (CD-ROM, Internet, etc.), mécanique, photocopie, enregistrement ou de toute autre manière – sans l’autorisation préalable écrite de la Division des Editions, Direction de la Communication et de la Recherche.

Conception : Atelier de création graphique du Conseil de l’Europe
Conseil de l’Europe
F-67075 Strasbourg Cedex

©Conseil de l’Europe, 2004
Imprimé dans les ateliers du Conseil de l’Europe

Résumé général

La démocratie semble avoir marqué une étape décisive dans son évolution en Europe. Les institutions démocratiques sont en effet plus largement acceptées et appliquées qu’elles ne l’ont jamais été au cours de l’histoire du continent. Les Européens sont aujourd’hui plus nombreux que jamais à vivre sous des régimes démocratiques et à souscrire au quotidien aux valeurs de la démocratie. Mais cette dernière montre dans le même temps des signes d’atrophie. La méfiance à l’égard des institutions politiques, la désaffection des urnes et la montée du terrorisme, dont la menace pèse lourdement sur les pratiques démocratiques, constituent autant de remises en question de la conception traditionnelle d’un confortable consensus politique à l’égard des institutions fondamentales.

Faire évoluer la démocratie en Europe analyse l’action menée par l’Organisation pour assurer le bon fonctionnement des institutions démocratiques. Il se concentre tout particulièrement sur les textes adoptés par le Conseil et leurs documents de référence. Par sa synthèse de l’acquis du Conseil dans le domaine de la démocratie, le rapport offre à la fois un inventaire de la pensée incarnée par cette Organisation en la matière et une analyse des problèmes et des opportunités que rencontre la démocratie en Europe.

Difficultés, défis et opportunités

Il est indispensable de reconnaître les difficultés, les défis et les opportunités auxquels est confrontée la démocratie européenne, puisque ces questions composent précisément le contexte dans lequel s’inscrivent les efforts déployés par le Conseil de l’Europe pour assurer le bon fonctionnement des institutions démocratiques.

Les difficultés : le déficit démocratique croissant dont souffrent aussi bien les démocraties anciennes que les plus récentes représente le problème le plus patent. La participation aux institutions politiques officielles continue de décroître, tandis que l’attention des citoyens politiquement actifs glisse de plus en plus vers des domaines qui échappent au contrôle des Etats nations et sortent du cadre des institutions traditionnelles de la politique collective. La légitimité de ces dernières est remise en question par l’évolution des modèles de l’engagement politique. Cette situation est aggravée par une difficulté supplémentaire : la méfiance à l’égard du monde politique. Bien qu’une dose de scepticisme constitue un gage de bonne santé pour la démocratie, la perte de confiance dont souffrent à la fois la politique et les institutions politiques représente un danger, car elle pousse les citoyens à se détourner davantage de ceux qui les gouvernent. Quand bien même cette méfiance ne poserait aucun problème, l’exclusion systématique de divers groupes de la vie politique et leur privation effective du droit de vote constituent une troisième difficulté rencontrée par la démocratie européenne contemporaine. Supposée ou réelle, cette privation de fait du droit de vote est préoccupante pour la démocratie, car elle touche à l’un de ses principes fondamentaux, celui de l’égalité politique des citoyens. Enfin, l’absence d’infrastructures civiles efficaces et de participation active des ONG à la vie politique et démocratique dans de nombreux pays représente une quatrième difficulté pour la démocratie. Les organisations de la société civile sont en effet généralement considérées comme des intermédiaires essentiels entre les citoyens et l’Etat dans les régimes démocratiques établis. Aussi leur absence nuit-elle profondément à la démocratie, puisqu’elle peut entraver le bon fonctionnement de ses institutions.

Les défis : les défis auxquels est confrontée la démocratie sont extérieurs à ses structures ou procédures institutionnelles et dépendent de contraintes socioéconomiques et politiques. En premier lieu, la prise de conscience de la mondialisation limite les réactions des différents Etats nations face à la mutation des modèles économiques et démographiques. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un phénomène nouveau, la mondialisation est aujourd’hui une gageure pour l’Europe, car la démocratie représente pour la première fois le régime politique dominant sur le continent ; relever les nouveaux défis s’avère de ce fait plus complexe que par le passé. En deuxième lieu, la consolidation des diverses instances paneuropéennes se surajoute à ces enjeux. Citons, notamment, le problème que posent la convergence concomitante des convictions, normes et institutions fondamentales et, parallèlement, les efforts de protection et de promotion des différences et identités nationales, régionales et locales. Le Conseil de l’Europe, seule instance à regrouper l’ensemble des démocraties européennes, a ainsi un rôle considérable à jouer pour mettre en balance ces enjeux.

Opportunités : l’européanisation représente également, bien entendu, l’une des opportunités majeures de la démocratie en Europe. Outre le consensus auquel il permet de parvenir sur un certain nombre de questions particulières, le Conseil de l’Europe offre un solide cadre institutionnel à la coopération, à l’apprentissage et à la mutation politique dans l’Europe entière. Cette opportunité est particulièrement nette s’agissant de l’adoption des nouvelles technologies destinées à soutenir ou à renforcer la démocratie. Le Conseil en a été conscient très tôt et a pris un certain nombre de mesures visant à appuyer l’utilisation efficace de ces technologies.

Principes fondamentaux

L’acquis forme un ensemble complexe de notions, qui s’est constitué au fil du temps grâce à un processus de discussion complexe. Son contenu peut néanmoins être réparti en cinq principes fondamentaux.

1. La démocratie parlementaire – le Conseil demeure attaché aux structures formelles de la démocratie destinées à faire respecter la séparation des pouvoirs et la présence d’une gamme d’instruments permettant la formulation et l’expression des opinions. L’existence d’assemblées élues, constituées en parlements, représente une donnée essentielle de cette structure institutionnelle. Les parlements forment dans cette optique un microcosme représentatif de l’éventail complet des préoccupations socioéconomiques et politiques de la collectivité ; ils sont le centre du débat et de la réflexion. L’acquis ne propose cependant pas de doctrine approfondie sur les rapports entre les parlements et les autres tentatives d’implication directe des citoyens dans le processus politique.

2. La représentation – la réalisation de cette ambition suppose que les parlements, qui sont au service des communautés, soient véritablement représentatifs de ces dernières. Le Conseil s’est concentré sur trois piliers de cette représentativité. Il a tout d’abord défendu le principe de la pluralité des partis politiques, qui constitue le fondement d’une politique démocratique effective. Sa préoccupation à l’égard du financement des partis politiques et de la nécessité de prévenir toute corruption de ces derniers par le versement à leur profit de fonds provenant de groupes d’intérêts privés est, à cet égard, significative. Deuxièmement, le Conseil a mené une action énergique en faveur des bons usages en matière électorale, à la fois par la définition de normes et la mise en place d’un suivi des processus électoraux. Tout en favorisant l’application de normes exigeantes au cours des élections, le Conseil s’est également attaché à la question de la privation du droit de vote des minorités ethniques et a tout particulièrement œuvré en faveur de la promotion de l’égalité entre hommes et femmes, qui constitue une caractéristique essentielle de la démocratie. Enfin, le Conseil a également appuyé activement l’élaboration de nouveaux instruments destinés à renforcer la représentation.

3. La transparence, la réactivité et la responsabilité – bien que de très nombreuses questions puissent être traitées sous l’angle de la transparence, de la réactivité et de la responsabilité, le Conseil a centré son action sur trois domaines principaux. Premièrement, il s’est efforcé de définir et de faire respecter les normes éthiques qui devraient s’imposer à tout agent de l’Etat, qu’il s’agisse d’un fonctionnaire percevant un traitement ou d’un élu. Deuxièmement, il a conçu un éventail d’instruments visant à lutter contre la corruption à tous les échelons, depuis les collectivités locales jusqu’à la criminalité et la corruption internationales. Dans le cadre de son action de codification des activités de corruption qu’il convenait d’incriminer, le Conseil a établi d’importants repères pour la prévention de la corruption antidémocratique. Troisièmement, le Conseil a consacré une grande part de ses efforts au soutien des médias libres et agissants, qu’il considère comme l’un des piliers de la démocratie. Son souci d’assurer le pluralisme des médias, qui constitue le meilleur moyen de garantir la liberté d’expression, s’inscrit dans cette optique. La transparence, la réactivité et la responsabilité des institutions politiques ne sont possibles qu’en préservant et en renforçant chacun de ces trois éléments.

4. La démocratie infranationale et la subsidiarité – la Charte européenne de l’autonomie locale définit le rôle des collectivités locales au sein d’un régime démocratique élargi. Malgré sa très large adoption par les Etats membres, la pratique de la démocratie locale demeure extrêmement limitée dans de nombreux pays. C’est particulièrement le cas pour le principe de subsidiarité, qui exige une prise de décision à l’échelon le plus proche des citoyens et dont l’application n’a pas été systématique. Il s’agit là d’un problème complexe, notamment parce qu’il n’existe aucun Etat qui présente une structure institutionnelle identique à un autre à l’échelon national ou infranational. Ce principe demeure toutefois important pour la démocratie et essentiel au regard de la conception de la démocratie européenne défendue par le Conseil de l’Europe.

5. La participation et la société civile – le Conseil de l’Europe promeut les principes de participation et de société civile par le biais de nombreux textes adoptés par ses soins et actions menées par lui. La promotion de la participation consiste essentiellement à encourager l’engagement de groupes habituellement marginalisés : jeunes, minorités ethniques, immigrés, etc. La nécessité d’une représentation équilibrée des deux sexes occupe également une place déterminante dans ce domaine. Le soutien accordé à la société civile s’est davantage focalisé sur le moyen de permettre aux ONG de bénéficier d’une reconnaissance officielle pour leur contribution en faveur de la démocratie et d’acquérir une forme de légitimité politique. Mais le rapport entre ce principe et ceux plus spécifiquement concernés par les institutions de la démocratie représentative demeure embryonnaire.

Il convient également de faire état du caractère évolutif de ces principes. Comme le projet démocratique est lui-même intemporel et inachevé, nous devons reconnaître que les principes démocratiques prônés par le Conseil de l’Europe ont davantage pris corps au gré d’enrichissements et d’adaptations successifs qu’ils n’ont été le fruit d’une réflexion cohérente et soutenue. Certains principes ont été énoncés suite à une difficulté ou une situation précise. La baisse de la participation électorale et le constat de déficit démocratique sont un exemple des problèmes auxquels il a fallu faire face. La transition démocratique de l’Europe centrale et orientale, ainsi que l’adhésion d’un certain nombre d’Etats aux parcours sociaux et politiques fort divers, représentent un événement qui a considérablement modifié le cours de l’évolution démocratique. Aussi n’est-il guère surprenant que les principes exposés plus haut ne soient pas toujours compatibles entre eux et génèrent quelques tensions au sein du projet démocratique porté par le Conseil. Ces principes entrent parfois en concurrence dans des contextes différents pour l’orientation des évolutions institutionnelles. Ils constituent néanmoins le fondement de l’action menée par le Conseil en matière d’institutions démocratiques et, à ce titre, offrent des éléments essentiels à la compréhension du cheminement démocratique de l’Europe.

Les institutions démocratiques en action

Du point de vue analytique, le terme « institution » fait référence à la « règle du jeu » que les acteurs politiques observent dans un contexte donné. Certaines de ces règles présentent un caractère formel (les constitutions, les directives ou les structures organisationnelles), d’autres constituent des normes et des conventions informelles, qui peuvent varier d'un pays à l'autre. Les institutions politiques déterminent le comportement des acteurs politiques. Les institutions ou les règles du jeu ne déterminent pas le résultat, mais offrent un cadre au sein duquel les acteurs politiques élaborent et poursuivent leurs stratégies. Les institutions politiques prévoient une série de contraintes et de possibilités applicables à la pratique de la démocratie.

Le Conseil participe implicitement à l’élaboration des institutions démocratiques et explicitement à la recherche de leur bon fonctionnement. Les institutions évolueront d’autant plus efficacement qu’elles auront été conçues à la fois solidement et de manière à pouvoir être remaniées. Ces exigences sont d’ores et déjà reconnues par le Conseil : ses conventions officielles laissent aux différents Etats membres une certaine latitude pour l’établissement de la démocratie. Les textes qu’il adopte visent à renforcer les principes, tout en permettant un degré de réflexion sur diverses questions. Le suivi des évolutions démocratiques ajoute encore à la fois aux possibilités de remaniement et à la solidité des diverses institutions nationales et locales. Mais à trop vouloir solutionner les problèmes contemporains, relever des défis démocratiques précis et saisir les opportunités qui pourraient se présenter, le Conseil risque de négliger la force d’inertie des institutions et la nécessité d’un modèle institutionnel réactif.

Soucieux d’améliorer l’efficacité du fonctionnement des institutions démocratiques, le Conseil doit avant tout déterminer les valeurs qu’il entend exprimer au moyen de formes institutionnelles particulières. Les principes énoncés plus haut représentent une première étape dans cette démarche, puisqu’ils permettent de clarifier les différents principes constitutifs de l’acquis et de mettre en lumière les éventuelles tensions au sein de ces principes ou entre eux. La clarification des « règles du jeu » actuelles et la compréhension des fonctions attribuées aux différents acteurs passent nécessairement par l’émergence de ces valeurs. Deuxièmement, lorsqu’il formule des recommandations de réforme institutionnelle, le Conseil doit garder à l’esprit les complexités de la démocratie propres à chaque Etat membre, les rapports de pouvoir inhérents aux différents modèles institutionnels et l’influence de l’histoire sur le façonnement des structures institutionnelles en place. Recommander ou s’engager en faveur de pratiques institutionnelles qui ne refléteraient pas ces questions, et n’offriraient par conséquent aucune latitude, ne présenterait guère d’intérêt. Troisièmement, l’approche retenue par le Conseil en matière de modèle institutionnel ne devrait pas viser la perfection ou le « modèle idéal type », mais plutôt chercher à concrétiser ses valeurs et ses ambitions démocratiques par la combinaison de différentes formes institutionnelles, susceptibles de s’adapter aux divers contextes politiques et culturels.

La plus importante contribution du Conseil de l’Europe au développement de la démocratie dans ses Etats membres consiste peut-être en son rôle de garant du respect de cette même démocratie. Comme il n’est pas partie prenante dans « l’interaction institutionnalisée », le Conseil est en mesure de proposer des réformes qui traduisent une conscience des rapports de pouvoir concurrents, mais qui n’y prennent pas part. Ses pouvoirs d’initiative de réformes institutionnelles (traités, recommandations, etc.) et ses activités de suivi et de soutien permettent aux différents organes du Conseil de favoriser et de renforcer des institutions à la fois solides et remaniables. Solides, car elles reflètent les valeurs fondamentales de la démocratie européenne et sont l’expression d’un consensus propre à l’ensemble du continent. Remaniables, dans la mesure où leur souplesse les autorise à s’inspirer d’autres institutions et de l’expérience acquise par d’autres pays, ainsi qu’à varier les formes et les pratiques institutionnelles. Enfin, grâce à la place unique qu’il occupe, le Conseil est en mesure d’étendre les institutions démocratiques à d’autres niveaux et à d’autres domaines politiques. Seule une attention soutenue portée à l’élaboration des institutions permettra au Conseil de conserver son influence sur le développement institutionnel de la démocratie en Europe.

Table des matières
Chapitre 1 : Définir la démocratie en Europe

Chapitre 2 : Problèmes, défis et opportunites

Chapitre 3 :Les principes fondamentaux de la démocratie européenne

Chapitre 4 : Les institutions démocratiques en action

Chapitre 5 : Les conflits générés par l’établissement de la démocratie

Chapitre 1 : Définir la démocratie en Europe  

Introduction

Que signifie la démocratie à travers le continent européen et quelles mesures le Conseil doit-il prendre pour soutenir et améliorer la pratique démocratique ? Ces deux questions essentielles figurent au coeur du présent rapport. Ce dernier porte sur l’acquis du Conseil de l’Europe dans le domaine des institutions démocratiques en action. En d’autres termes, il concerne la conception de la démocratie et des moyens de la renforcer propre au Conseil. Aussi les idées présentées ici ne sont-elles pas des notions abstraites tirées de théories politiques, ni des observations empiriques diffuses portant sur l’évolution de la démocratie à travers l’Europe. Le présent ouvrage fait appel aux textes adoptés par le Conseil pour examiner les problèmes et les enjeux démocratiques auxquels est confrontée l’Europe élargie, les valeurs et principes fondamentaux qu’il s’efforce d’appuyer, ainsi que les thèmes et les points plus généraux qui émergent de son action en faveur du bon fonctionnement des institutions démocratiques.

Cette étude s’inscrit dans le contexte du premier projet intégré, « Les institutions démocratiques en action ». Depuis le mois de janvier 2002, le projet a examiné les divers organes du Conseil pour en rassembler les différents volets démocratiques. Il a également pris des initiatives sur un certain nombre de questions et a produit une série de publications analytiques, lesquelles font le point sur la philosophie contemporaine du Conseil de l’Europe sur un éventail de sujets touchant à la démocratie dans ses quarante-cinq Etats membres. Le présent rapport complète les travaux déjà entrepris par le projet, en vue d’offrir un résumé analytique détaillé des activités de construction et de consolidation des institutions démocratiques exercées par le Conseil. Il est également lié au Livre vert du projet consacré à « l’avenir de la démocratie en Europe »1. Cette analyse a alimenté les délibérations du groupe de sommités sur l’avenir de la démocratie en Europe et, en retour, a pris forme à partir des questions et des observations de ce dernier.

L’objet de ce rapport est de livrer une analyse de l’action menée par le Conseil de l’Europe en faveur du bon fonctionnement des institutions démocratiques. Il se concentre tout particulièrement sur les textes adoptés par le Conseil et leurs documents de référence, en vue d’étudier la conception de la démocratie qu’il défend et la manière dont diverses institutions y adhèrent. Bien que ce procédé conduise inévitablement à l’examen des textes déjà adoptés ou mis en œuvre par le Conseil, le rapport se projette dans l’avenir, car il met l’accent sur le moyen de renforcer la démocratie dans l’ensemble de l’Europe en recourant à différents instruments de réforme institutionnelle. Aussi le présent rapport porte-t-il, à travers son analyse de l’acquis du Conseil de l’Europe, plus particulièrement sur le fonctionnement de la démocratie et la capacité de consolidation de cette dernière dont dispose le Conseil. Les délibérations et les documents produits par le Conseil et consacrés à sa conception élargie de l’évolution démocratique en Europe constituent la principale source d’information utilisée pour cette analyse. Celle-ci porte par conséquent davantage sur l’action ou la philosophie du Conseil en matière d’institutions démocratiques que sur les activités ou l’attitude de chaque Etat membre dans ce domaine (bien qu’il existe inévitablement une importante interaction entre ces différents acteurs).

Trois points essentiels sous-tendent l’analyse qui va suivre et il convient de les souligner d’emblée. Rappelons tout d’abord que le Conseil de l’Europe n’est pas responsable de la démocratie en Europe : il offre simplement un forum de débat et d’élaboration des pratiques démocratiques. Il a certes pour mission de promouvoir l’évolution démocratique de chacun de ses Etats membres et du continent tout entier, mais il n’est pas responsable de l’incapacité d’un pays à se montrer fidèle aux idéaux démocratiques. Cette précision peut sembler superflue, mais ses implications sont importantes et ne sauraient être négligées. Le Conseil ne dispose que de moyens limités pour peser sur le cheminement démocratique d’un pays ; aussi entretient-il des rapports complexes avec le développement des institutions démocratiques des divers Etats nations. L’acquis reflète non seulement les idéaux démocratiques que le Conseil souhaiterait voir appliquer par l’ensemble de ses quarante-cinq Etats membres, mais encore la realpolitik des relations démocratiques paneuropéennes et les limites qu’elle impose à la réalisation de ces idéaux. La modestie des propositions du Conseil témoigne ainsi moins d’un manque d’ambition démocratique de sa part que d’une constatation lucide de ce qui peut être fait au vu des circonstances. Aussi convient-il de reconnaître les réalisations démocratiques dont il est l’auteur, plutôt que de lui reprocher les insuffisances de certains Etats membres en matière de démocratie.

En deuxième lieu, la démocratie ne représente pas une issue tangible, à la portée de l’ensemble des quarante-cinq Etats membres du Conseil de l’Europe ; elle constitue davantage un projet inachevé, en constante évolution dans tous les pays qui s’efforcent de le réaliser. Un tel contexte ne permet pas de définir les progrès d’une nation en direction de la démocratie, ni d’ailleurs les avancées de l’Europe élargie en la matière, bien qu’il soit parfaitement possible de constater des réalisations démocratiques précises sur le plan de la mise en place des institutions. La présence d’un élément d’intemporalité empêche par conséquent de déterminer à quel stade de la construction démocratique est parvenue l’Europe. La seule possibilité qui nous soit offerte consiste en revanche à désigner les institutions qui soutiennent la démocratie et à indiquer de quelle manière elles intensifient la pratique démocratique. La compréhension de l’acquis du Conseil de l’Europe impose de le replacer dans ce contexte d’intemporalité. Le rapport ne procédera pas une analyse de l’acquis selon un modèle discret ou une métrique démocratique particulière, mais examinera au contraire les progrès réalisés dans le domaine de la conception et de l’évolution institutionnelles. La dernière partie de cette publication présentera en conséquence un cadre institutionnel utile à la compréhension de la méthode employée par le Conseil pour permettre le bon fonctionnement des institutions démocratique dans un tel contexte d’intemporalité.

Troisièmement, et ce point est lié au constat d’intemporalité, il convient d’admettre que la démocratie n’est pas représentée par une idée établie ou une série d’institutions. Les théoriciens des sciences politiques continuent à s’opposer sur les principes constitutifs de la démocratie et le modèle idéal de pratique démocratique. Dans les faits, les fondements constitutionnels et les règles politiques de la démocratie poursuivent leur évolution dans l’ensemble des Etats nations. Aussi la démocratie doit-elle être conçue comme un ensemble de valeurs et de principes dont l’interaction varie en fonction des divers contextes, plutôt que comme une formule unique de bons usages, voire un modèle idéal que des régimes politiques imparfaits s’efforceraient d’atteindre. De la même manière, les différents instruments démocratiques n’auront pas la même incidence selon la situation socioéconomique et politique dans laquelle ils auront été introduits. La diversité des histoires économiques et politiques propres à chaque Etat européen offre un cadre complexe, propice à l’innovation démocratique, et tout un éventail de possibilités d’amélioration de la démocratie. Parallèlement, des instruments démocratiques particuliers, tels que référendums, initiatives participatives et autres dispositifs de ce type, ne produisent pas des effets identiques d’un Etat à l’autre. Les institutions démocratiques sont, pour l’essentiel, très différentes dans chacun des quarante-cinq Etats membres, car elles sont l’expression de sa culture socioéconomique et politique et le fruit de son histoire. Ces différences n’impliquent pas nécessairement la supériorité de certaines institutions démocratiques, ni d’ailleurs le caractère plus démocratique de certains pays par rapport à d’autres. L’étude des institutions démocratiques doit de ce fait tenir compte de ces différences et laisser place à l’interprétation. Ainsi, l’importance de l’autonomie locale et la promotion de la subsidiarité à un échelon inférieur à celui de l’Etat nation ont des implications institutionnelles et pratiques fort diverses selon que l’attention se porte sur le plus vaste Etat territorial d’Europe (la Fédération de Russie) ou sur le plus petit pays du continent (Saint-Marin). L’approche retenue ici pour l’examen des institutions démocratiques se veut par conséquent plus comparative qu’absolue.

Ces trois points sont essentiels à l’analyse qui suit, non seulement parce qu’ils mettent en lumière les limites de ce que l’on est en droit d’attendre du Conseil de l’Europe, mais encore parce qu’ils indiquent la diversité dont peut faire preuve la vision démocratique de l’Europe. De fait, une fois admis, ils soulignent le socle des possibilités et éléments solides divers sur lequel édifier la démocratie européenne.

La classification de l’acquis

L’analyse effectuée dans la présente publication se fonde avant tout sur des documents émanant directement du Conseil de l’Europe. Comme nous l’avons déjà précisé, il s’agit ici d’étudier l’acquis du Conseil en vue d’en synthétiser les notions et la conception de la démocratie, ainsi que le fonctionnement et l’évolution au fil du temps des institutions démocratiques. Nous nous intéresserons également à la manière dont le Conseil peut contribuer à la démocratie européenne en améliorant le fonctionnement des institutions démocratiques. Bien que cette étude fasse appel à d’autres éléments pour étayer les thèmes essentiels qui y sont développés, sa principale source documentaire est constituée par les conventions, recommandations, rapports et autres publications produits par le Conseil depuis sa fondation en 1949.

L’organisation paneuropéenne offre un éventail complexe de documents qui participent à la constitution de son acquis dans le domaine des institutions démocratiques. Certains d’entre eux ont force de loi et modèlent directement le fonctionnement de la démocratie dans les Etats membres ; d’autres présentent un caractère plus discursif et n’influent que de manière informelle sur les pratiques démocratiques. Entre ces deux extrêmes, il existe une série de documents dont la forme et l’importance au regard des institutions démocratiques varient. Aussi devons-nous, avant de pouvoir procéder à l’analyse qui nous occupe, clarifier le statut de ces diverses sources documentaires et l’utilisation qui en est faite dans ce rapport.

Le terme « acquis » fait référence à un ensemble défini de notions sur lesquelles repose la conception en vigueur d’un domaine donné, c’est-à-dire ce qui est souvent tenu pour certain dans les discussions quotidiennes. Ces notions ne sont d’ordinaire ni exposées en détail ni contestées, ce qui présente un inconvénient : leur contenu détaillé demeure bien souvent implicite et peut être interprété de multiples façons par ceux qui y ont recours. Ce rapport aura ainsi pour objet de décortiquer l’ensemble défini de notions qui fonde l’approche retenue par le Conseil de l’Europe en matière d’institutions démocratiques, de mettre en lumière ses principales caractéristiques, d’identifier toute contradiction éventuelle et de fournir un socle solide à des considérations ultérieures. Le terme acquis peut également être employé pour désigner des principes et des notions généralement admis, au sujet desquels un consensus s’est dégagé et dont tous les principaux points de divergence ont été réglés. Bien que la valeur fondamentale que représente en Europe la démocratie puisse être considérée comme une notion établie et extrêmement consensuelle, les avis continuent à diverger au sein du Conseil de l’Europe et de ses Etats membres à propos du fonctionnement des différentes institutions démocratiques et des priorités de l’évolution démocratique à venir. De fait, notre analyse est en parie motivée par le désir de mettre en lumière ces désaccords. C’est la raison pour laquelle nous nous efforcerons à la fois d’identifier l’acquis du Conseil de l’Europe dans le domaine des institutions démocratiques et d’expliciter les tensions qui agitent ses notions fondamentales actuelles. Le Conseil ne peut en effet envisager de peser sur l’avenir de la démocratie que sur cette base.

Il existe de multiples sources possibles de l’acquis du Conseil, dont les principales sont les suivantes :

- les conventions, traités et chartes du Conseil de l’Europe ;
- les recommandations du Comité des Ministres ;
- les recommandations, résolutions, avis et directives de l’Assemblée parlementaire ;
- les recommandations, résolutions et avis du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe ;
- les rapports des autres organisations chapeautées par le Conseil de l’Europe, y compris la Commission européenne pour la démocratie par le droit (la Commission de Venise) et le Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO) ;
- les divers rapports et publications de référence qui étayent les activités du Conseil de l’Europe, y compris les rapports d’information rédigés pour les recommandations, résolutions et avis, ainsi que les données de sortie des projets d’étude transversale, tels que le projet « Les institutions démocratiques en action ».

Chacune de ces catégories possède un statut variable et façonne l’acquis de différente manière. Nous en exposerons brièvement dans cette partie les implications sur la constitution de l’acquis en nous concentrant sur trois types de documents : les traités, les délibérations, ainsi que les rapports et publications générales.

Traités : conventions, protocoles et chartes

La principale source de l’acquis de l’Organisation est constituée par ses 193 traités, qui s’étendent de son Statut initial, adopté en 1949, jusqu’aux conventions les plus récentes, portant sur des questions telles que la « cybercriminalité » (2001) ou « les relations personnelles concernant les enfants » (2003). Bien qu’il existe des différences techniques entre les conventions, protocoles et chartes, leur statut juridique est similaire et ils seront collectivement désignés sous le vocable de « traités » aux fins de la présente analyse. Les traités sont en principe ouverts à la signature et à la ratification par les Etats membres et l’on attend de ceux qui en ratifient le contenu qu’ils agissent en conséquence, par exemple en mettant leur législation nationale en conformité avec les dispositions des traités concernés. La constitution de cet acquis se poursuit, puisque des chartes, conventions et protocoles supplémentaires s’ajoutent aux précédents et que ces derniers peuvent être révisés par le Conseil. En outre, l’adhésion successive des différents Etats membres aux divers traités ou parties de traités en accroît l’importance et l’acceptation dans l’Europe entière. Il s’agit par conséquent d’un acquis fluide et dynamique, fruit d’une évolution historique de plus d’un demi siècle et de l’apport de quelque quarante-cinq démocraties européennes, mais qui n’en reste pas moins pertinent pour l’exercice de la démocratie moderne.

Certains traités sont essentiels à l’existence même du Conseil de l’Europe et à son évolution constante. Bien qu’il n’existe aucune liste définie de conventions dont la ratification constituerait un préalable indispensable à toute adhésion d’un nouvel Etat membre au Conseil, l’Assemblée parlementaire rend un « avis » sur toute demande d’adhésion, lequel fixe les exigences minimales imposées à tout candidat. Cet « avis » varie certes pour chaque pays candidat, mais les exigences formulées à l’adresse de certains des plus récents d’entre eux donnent une bonne indication de ces conditions d’adhésion incontournables. L’adhésion de l’Arménie en 2001 était ainsi soumise à la signature et à la ratification, dans un délai d’un an, de la Convention européenne des Droits de l’Homme (et de ses protocoles additionnels), de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et de la Charte européenne de l’autonomie locale. Un calendrier plus long, étalé sur deux à trois ans, était proposé pour les autres conventions relatives à la criminalité transfrontalière et pour la signature de la Charte sociale européenne2. A l’instar de nombreux autres pays, l’Arménie a également signé la Convention-cadre européenne pour la protection des minorités nationales avant son adhésion, qui s’est ainsi ajoutée à sa liste d’accords d’adhésion européens. Ces exigences ont été identiques pour d’autres Etats candidats récents, comme la Lituanie (1995), et fournissent ainsi un excellent moyen d’établir les critères fondamentaux attendus des Etats membres.

Fiche 1. : Conditions minimales d’adhésion
(L’exemple de l’Arménie : Avis n° 221 (2000) de l’Assemblée parlementaire)

Les conditions à remplir pour devenir membre du Conseil de l’Europe varient selon les pays. L’Assemblée parlementaire émet un avis sur chaque demande d’adhésion, dans lequel elle établit les conditions à remplir. Le cas de l’Arménie, qui a rejoint le Conseil de l’Europe en 2001, offre un bon exemple des exigences actuelles. L’Arménie a été invitée à prendre les mesures suivantes :

- signer la Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH), telle qu’amendée par ses Protocoles n° 2 et 11, et les Protocoles n° 1, 4, 6 et 7 ;

- ratifier la CEDH et ses Protocoles n° 1, 4, 6 et 7 dans l’année suivant son adhésion ;

- signer et ratifier, dans un délai d’un an suivant son adhésion, la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, et ses protocoles ;

- signer et ratifier, dans un délai d’un an suivant son adhésion, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ;

- signer et ratifier, dans un délai d’un an suivant son adhésion, la Charte européenne de l’autonomie locale ;

- signer et ratifier, dans un délai de deux ans suivant son adhésion, la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière et ses protocoles additionnels, ainsi que les conventions du Conseil de l’Europe relatives à l’extradition et à l’entraide judiciaire en matière pénale, celle relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime, et celle sur le transfèrement des personnes condamnées, et à appliquer entre-temps leurs principes fondamentaux ;

- signer, dans un délai de deux ans suivant son adhésion, la Charte sociale européenne, la ratifier dans un délai de trois ans suivant son adhésion et, dès l’adhésion, s’efforcer de mettre en œuvre une politique conforme aux principes qu’elle contient.

En outre, de nombreux pays signent la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales avant l’adhésion.

Ces traités ne sont pas tous directement liés au fonctionnement de la démocratie, mais leur combinaison offre une base solide au travail du Conseil dans ce domaine.

Tous les traités ne contribuent pas à la constitution de l’acquis du Conseil dans le domaine des institutions démocratiques. De fait, plusieurs d’entre eux n’ont qu’un vague rapport avec la démocratie, tandis que d’autres ont sur elle une influence importante, mais indirecte. Nous proposons ici une classification en trois catégories des traités ouverts à la signature et à la ratification, selon leur pertinence à l’égard de la démocratie et de l’évolution des institutions démocratiques.

Les traités préalables fixent les conditions préalables permettant l’établissement de la démocratie et de ses valeurs et principes généraux. Ces traités énoncent les principes fondamentaux dont le respect est attendu de toute démocratie moderne et comprennent, notamment, les conventions du Conseil de l’Europe sur les droits de l’homme, les droits sociaux et la protection sociale, ainsi que la liberté d’expression. Ils englobent également les conventions et les chartes qui confirment l’Etat de droit, comme les traités portant sur la corruption, la coopération transfrontalière et les questions relatives à la vie privée. Ils ont pour caractéristique commune d’énoncer ou d’adopter les grands principes qui fondent la démocratie, plutôt que traiter directement des institutions démocratiques.

Les traités institutionnels, à l’inverse, concernent directement l’établissement de structures ou de pratiques institutionnelles particulières en rapport avec la démocratie ou les relations entre les institutions démocratiques. Ces traités comprennent la Charte européenne d’autonomie locale et les projets de chartes de l’administration communale et de l’autonomie régionale. Ils occupent une place cruciale dans l’acquis en matière de démocratie.

Les traités non pertinents portent sur d’autres questions relatives aux valeurs européennes ou à l’Etat de droit, mais qui n’ont aucune incidence directe sur les institutions ou les pratiques démocratiques. Ces traités se révèlent précieux pour établir une stabilité et maintenir une coopération entre les Etats nations, mais ils ne concernent qu’indirectement le développement des institutions démocratiques en Europe.

Les traités institutionnels sont les plus déterminants pour l’acquis, bien que les traités préalables aient également un lien avec un certain nombre de ses éléments. Le rapport se concentrera ainsi principalement sur les traités institutionnels, tout en faisant appel aux traités préalables lorsque ceux-ci ont une incidence sur l’évolution des institutions ou les pratiques institutionnelles.

Les travaux du Comité des Ministres, de l’Assemblée parlementaire et du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe

Alors que les traités forment le fondement juridique de la définition de l’acquis, l’évolution des institutions démocratiques est plus directement abordée par les travaux des divers organes du Conseil : le Comité des Ministres, l’Assemblée parlementaire et le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe (le Congrès). Les délibérations de ces trois instances offrent une interprétation de la conception officielle de la démocratie et une indication des problèmes auxquels sont confrontées les démocraties contemporaines en Europe. Ces délibérations fournissent également des indices sur les priorités démocratiques du Conseil et les orientations actuelles de la démocratie.

Les travaux du Comité des Ministres présentent tout un éventail de textes différents, depuis les décisions et déclarations relatives à des questions particulières, jusqu’aux recommandations formulées à l’intention d’instances ou de pays spécifiques, aux résolutions portant sur des points précis et aux réponses aux recommandations ou questions qui lui sont adressées par les autres institutions du Conseil (l’Assemblée et le Congrès). Les recommandations du Comité des Ministres aux Etats membres relatives à des questions sur lesquelles il a convenu d’une politique commune sont particulièrement importantes au regard de l’acquis en matière de démocratie. Lorsque ces recommandations se rapportent à la démocratie, elles ne mettent pas seulement en lumière les problèmes démocratiques essentiels et les solutions préconisées par le Comité, mais définissent également l’orientation générale qu’il entend donner à la démocratie. Le Comité des Ministres procède également au suivi de l’adoption ou de la mise en œuvre de ses recommandations dans les Etats membres. L’ampleur du suivi effectué pour la mise en œuvre des recommandations ayant une incidence sur la démocratie constitue également un bon indicateur de l’importance qu’il attache à des institutions ou pratiques démocratiques précises.

De la même manière, les travaux de l’Assemblée parlementaire se subdivisent en plusieurs catégories. L’Assemblée adopte quatre types de textes : les recommandations faites aux Comité des Ministres sur des propositions susceptibles d’être adoptées par les Etats membres ; les résolutions, qui reflètent la position adoptée par l’Assemblée sur une question ou un problème particulier, qu’elle a identifié et sur lequel elle livre ses conclusions ; les avis rendus sur des questions qui lui ont été posées par le Comité des Ministres ; et enfin les directives adressées à ses commissions parlementaires. Ces textes représentent une importante contribution à l’acquis, car ils concrétisent les délibérations des députés de l’ensemble des quarante-cinq Etats membres et se fondent de ce fait sur une reconnaissance des problèmes rencontrés par la démocratie et des possibilités qui s’offrent à elle dans l’Europe entière. Mais ils doivent être traités avec précaution, dans la mesure où tous les députés ne contribuent pas de manière substantielle à l’intégralité des textes. Le Règlement de l’Assemblée impose avant tout que les propositions de recommandation ou de résolution soient déposées par un minimum de dix membres de l’Assemblée, issus de cinq délégations nationales au moins. Certains de ces textes peuvent de ce fait représenter des préoccupations régionales ou les intérêts d’une catégorie particulière de pays qui ne sont pas représentatifs de l’ensemble de l’Europe. Aussi, bien que les autres Etats membres ne s’y soient pas nécessairement opposés, il serait inexact de penser que la totalité de ces textes aient été pleinement cautionnés par tous les Etats membres. Néanmoins, une fois adoptés, ils deviennent partie intégrante de l’acquis et contribuent à l’interprétation de la démocratie donnée par le Conseil, notamment du fait de leur adoption officielle selon la procédure législative de l’Assemblée.

Le Congrès adopte trois types principaux de textes. Ses recommandations sont d’ordinaire destinées au Comité des Ministres ou à l’Assemblée, mais peuvent également être adressées à un Etat membre pour l’inciter à tenir une conduite particulière. Ses résolutions traitent souvent d’un sujet identique à celui des recommandations, mais elles sont formulées à l’intention des pouvoirs locaux ou régionaux et les invitent à entreprendre des actions précises. Enfin, il élabore par ailleurs des chartes dépourvues de caractère contraignant, dont il encourage l’adoption par les autorités locales ou nationales. Ces textes sont particulièrement importants pour le développement de l’acquis, car ils abordent souvent des éléments spécifiques de la démocratie (tels que la participation des jeunes à la vie politique) et se concentrent tout spécialement sur des institutions qui concourent à la démocratie, notamment à l’échelon infranational. A l’instar de l’Assemblée, l’intérêt des membres du Congrès pour les textes adoptés varie en intensité en fonction des sujets.

Rapports et publications générales

Afin d’étayer l’élaboration des textes adoptés, les divers organes du Conseil de l’Europe produisent également tout un éventail de rapports et de publications qui exposent plus en détail les éléments et les raisonnements qui fondent chaque recommandation, résolution et autres actes analogues. Ces rapports sont autant de moyens de compréhension des arguments invoqués à l’appui des décisions prises par les divers organes. Ils donnent également une indication sur la manière d’interpréter les recommandations et résolutions et sur leur rapport avec d’autres textes adoptés. Ces rapports et publications n’émanent pas exclusivement des trois piliers institutionnels du Conseil de l’Europe, mais proviennent également des autres composantes de son action. La Commission européenne pour la démocratie par le droit (la Commission de Venise) et le Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO) représentent également d’importantes sources documentaires et de conseils qui contribuent à la constitution de l’acquis. Mais si l’on analyse la contribution de ces organisations, il convient de garder à l’esprit qu’elles représentent des accords partiels auxquels tous les Etats membres du Conseil de l’Europe n’ont pas adhéré. Enfin, de nombreuses activités du Conseil génèrent également des documents et des rapports visant à clarifier ou à renforcer certains aspects de l’exercice de la démocratie. Les données produites dans le cadre du projet « Les institutions démocratiques en action », dans lequel s’inscrit le présent rapport, ont ici une importance toute particulière. Un certain nombre de comptes rendus de conférences et de publications offrent une synthèse de la position adoptée par le Conseil sur des questions précises en rapport avec la démocratie en Europe. Ces données, elles aussi, impriment une orientation à l’acquis.

Aucun de ces rapports, ni aucune de ces autres données de sortie ne possède un statut officiel lié aux travaux du Conseil de l’Europe, dans la mesure où ils ne font pas partie de la production statutaire de l’un de ses organes et n’ont pas davantage été adoptés par eux sous forme de texte officiel. Nous les intégrerons néanmoins dans l’acquis aux fins de la présente analyse, car ils indiquent le contexte et le sens du but poursuivi, qui ne transparaissent pas toujours pleinement dans les textes officiellement adoptés par les principales institutions.

Le Conseil de l’Europe ne s’est pas développé à l’écart des autres instances paneuropéennes et internationales. Les institutions de l’Union européenne (notamment la Commission européenne, le Parlement européen, le Comité des régions et la Convention européenne sur l’avenir de l’Europe), l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et les Nations Unies ont toutes interagi de façon considérable avec le Conseil de l’Europe, dont l’action a à la fois été influencée par elles et influé sur elles. Ainsi, d’une part, le Conseil a dû se montrer réactif dans les rapports qu’il entretenait avec les divers organes de l’Union européenne, qui ont eu une incidence significative sur sa conception du fonctionnement des institutions démocratiques ; et, d’autre part, il a également guidé d’autres instances internationales par nombre de ses recommandations et actions institutionnelles : citons à titre d’exemple le projet de charte mondiale d’autonomie locale, dont le texte « s’inspire très étroitement de celui de la Charte européenne d’autonomie locale »3. Bien que les travaux de ces autres instances ne fassent pas directement partie de l’acquis du Conseil de l’Europe, elles ont néanmoins au fil du temps une incidence significative sur l’évolution de ses notions et de sa philosophie en matière d’institutions démocratiques. Aussi mentionnerons-nous ces relations chaque fois que cela s’avérera utile.

Chapitre 2 : Problèmes, défis et opportunites  

Les efforts d’orientation des institutions et des pratiques démocratiques déployés par le Conseil s’inscrivent dans un contexte particulièrement complexe. Au-delà du constat évident de la présence de quarante-cinq Etats membres regroupant quelque 800 millions de citoyens, la démocratie européenne du XXIème siècle est également confrontée à un certain nombre de problèmes, de défis et d’opportunités. Nous examinerons brièvement dans ce chapitre les trois facteurs qui déterminent le contexte dans lequel fonctionnent les institutions démocratiques, à partir des textes adoptés par les différents organes du Conseil. Nous étudierons dans un premier temps les problèmes constatés par le Conseil et qu’il s’efforce de traiter par diverses interventions institutionnelles. Ils consistent principalement en des difficultés internes, propres au fonctionnement de la démocratie dans des pays ou des contextes internationaux précis. Nous nous pencherons ensuite sur les grands défis relevés par le Conseil dans ses diverses activités. Ceux-ci naissent de l’évolution des comportements économiques, démographiques, sociaux et politiques observés par le Conseil. Enfin, le chapitre traitera brièvement des opportunités que le Conseil cherche à saisir, notamment en ce qui concerne l’exploitation des nouvelles technologies, envisagées comme un support de la démocratie en Europe.

Les problèmes démocratiques

Une grande partie de l’action du Conseil consiste à traiter les difficultés rencontrées par le fonctionnement de la démocratie en Europe en général ou dans certains pays en particulier. Il ne serait cependant ni souhaitable, ni raisonnable de chercher à aborder ici l’ensemble des problèmes identifiés par le Conseil au cours de ses travaux. Nous nous bornerons au contraire à examiner de façon succincte quatre vastes questions, qui touchent à la philosophie contemporaine du Conseil4 et guident par conséquent ses ambitions démocratiques.

Précisons tout d’abord qu’à l’instar de nombreuses autres organisations nationales et internationales, le Conseil s’est de plus en plus inquiété du « déficit démocratique » croissant dont souffre l’Europe. La Résolution sur l’avenir de l’Europe, adoptée en 2003 par l’Assemblée parlementaire, résume cette situation dans les termes suivants :

      L’Assemblée est consciente que le taux de participation aux élections locales, régionales et nationales est souvent assez faible dans plusieurs Etats membres, et juge ce constat alarmant, bien que les abstentions aux élections puissent aussi être des expressions conscientes d’une volonté populaire.5

Le problème dont il est ici question est avant tout celui d’une crise de légitimité politique et démocratique. La participation aux élections et un engagement plus marqué dans la vie politique sont souvent considérés comme un signe d’efficacité de la démocratie. Bien qu’on ne puisse leur accorder trop d’importance sans soulever une série de questions conceptuelles et pratiques, ces éléments constituent néanmoins une indication de l’implication des citoyens dans les problèmes traités par leurs gouvernements. En outre, en participant aux élections et aux autres aspects de la vie politique traditionnelle, les citoyens légitiment tacitement les institutions et les mécanismes du régime démocratique et reconnaissent la validité de l’issue de ces élections, quand bien même ils seraient personnellement en désaccord avec les fondements idéologiques d’un gouvernement ou avec le contenu d’une politique. A l’inverse, leur absence de participation est souvent interprétée, au mieux, comme une forme d’apathie des citoyens ou pire, comme un rejet tacite de la légitimité des institutions et de l’action gouvernementales. L’inquiétude suscitée par l’absence de participation des jeunes à la vie politique et la crainte d’y voir le désengagement de toute une génération plutôt qu’une attitude propre à une période de l’existence sont particulièrement symptomatiques de ce problème. Si le désengagement des citoyens représente effectivement un rejet tacite de la légitimité des institutions et de l’action gouvernementales, notamment parmi les jeunes, l’avenir nous réserve une crise majeure de la légitimité démocratique. Bien entendu, la thèse du rejet tacite n’est qu’une des explications possibles du phénomène observé et peut exagérer un problème qui s’explique davantage par une profonde mutation sociopolitique et culturelle6. Mais elle aide à expliquer les inquiétudes du Conseil face au déficit démocratique.

Le problème n’est pas nouveau pour le Conseil. Une recommandation du Comité des Ministres de 1997 soulignait déjà la nécessité d’inciter les jeunes à s’impliquer davantage dans la vie civile, notamment à l’échelon local7. Elle préconisait, entre autres mesures, la mise en place de réseaux européens destinés à favoriser une plus grande participation des jeunes. En outre, une recommandation ultérieure de 1998 reconnaissait l’importance de la participation des enfants à la vie familiale et sociale, considérée comme une condition préalable du renforcement de la culture démocratique dans la société. Parmi les principes énoncés, figurait l’affirmation suivante :

      la participation est un facteur décisif pour assurer la cohésion sociale et vivre en démocratie dans le respect des valeurs de la société multiculturelle et des principes de tolérance ; la participation des enfants est essentielle pour influer sur leurs propres conditions de vie, car participer ne signifie pas simplement contribuer au fonctionnement des institutions et au processus de décision mais il s'agit surtout d'une structure démocratique générale touchant à tous les secteurs de la vie familiale et sociale8 ;

Elle recommandait en conséquence aux Etats :

      [D’]encourager les collectivités locales et les municipalités à promouvoir la participation des enfants, ainsi que la participation conjointe des parents et des enfants, dans le plus grand nombre possible de domaines de la vie locale, de manière à développer la responsabilité sociale et à faire de la citoyenneté une expérience de vie réelle pour les enfants ; [et d’]encourager le développement de diverses formes de participation des enfants aux niveaux local, régional et national.

Plus récemment, le Comité des Ministres s’est également préoccupé de l’équilibre entre hommes et femmes dans la participation à la vie politique et de la nécessité de veiller à une représentation convenable des femmes au sein des institutions démocratiques. Parmi ses propositions les plus significatives figure la recommandation en faveur d’une représentation des hommes ou des femmes dans toute instance décisionnelle de la vie politique ou publique, qui ne soit pas inférieure à 40 %9. Malgré ces recommandations, la participation reste cependant un problème important pour les Etats membres.

Une deuxième difficulté identifiée par de nombreux travaux du Conseil offre également une alternative à l’explication du désengagement politique et du déficit démocratique : le manque de confiance présumé des citoyens à l’égard des institutions et des mécanismes politiques. Cette méfiance est due à plusieurs facteurs. Elle découle notamment de la preuve de la corruption constante qui sévit au sein des gouvernements, depuis les accusations de népotisme pratiqué au sein de l’Union européenne, jusqu’à l’échec de l’adhésion d’un certain nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe à l’accord partiel instituant le GRECO10. Il convient cependant de noter que les allégations de corruption ne se limitent pas à quelques pays précis, ni d’ailleurs à un échelon administratif particulier. Bien que l’étendue de ce problème soit susceptible de variations, les accusations de corruption touchent régulièrement tous les pays d’Europe. C’est la raison pour laquelle le Conseil s’est attaché à définir et à faire respecter une série de normes démocratiques, dont l’objet s’étend de la procédure électorale11 aux normes éthiques applicables aux fonctionnaires12.

La professionnalisation croissante du monde politique et l’apparente absence de transparence de nombreux mécanismes politiques constituent une cause supplémentaire de la méfiance à son égard. Malgré le flot d’informations déversé par les médias traditionnels et les nouveaux médias sur les actions concrètes des gouvernements, les citoyens demeurent convaincus que le secret et l’intérêt règnent dans une bonne part de l’Etat. En outre, on s’inquiète de voir de nombreux gouvernements chercher à contrôler, manipuler ou supprimer tout débat public sur certains sujets, ce qui ressort notamment de leur attitude à l’égard des médias.13 Cette question est particulièrement préoccupante, notamment parce qu’elle touche au cœur même de ce principe démocratique fondamental qu’est la liberté d’expression. Le Conseil a en conséquence constamment soutenu la liberté et le pluralisme des médias, considérés à la fois comme un observateur attentif du gouvernement, et donc un moyen de renforcer la transparence, et comme une incarnation plus générale du principe de la liberté d’expression. La préoccupation actuelle du Conseil découle de la menace que font peser certains pays européens sur l’un ou l’autre de ces rôles.

Malgré la diversité des causes et des réponses, toutes ces activités visent à apporter une solution à la baisse de confiance constatée à l’égard des institutions politiques. Le manque de confiance dans la politique en général et le scepticisme vis-à-vis des institutions démocratiques en particulier sont implicitement perçus comme une menace pour la démocratie. Aussi le Conseil cherche-t-il, après avoir identifié le problème posé par cette défiance, à s’attaquer à ce qu’il considère comme une cause majeure de l’échec de la démocratie en Europe.

La question du droit de vote et de la possibilité que des citoyens en soient privés constitue un troisième problème, à la fois bien réel et présent dans l’esprit du public. Cette privation de fait du droit de vote fait référence à des actes de corruption, ainsi qu’à des pratiques illicites ou contraires à la déontologie, qui empêchent certains individus d’exercer leur droit de participer au processus politique et démocratique. Ce phénomène comprend la pratique du vote familial et l’exclusion systématique des minorités ethniques ou des immigrés de la vie politique14. Il est devenu un thème majeur de l’action du Conseil, en particulier du fait du nombre accru de ses Etats membres et de l’immigration transfrontalière croissante à laquelle est confrontée la plus grande partie de l’Europe. Le sentiment d’être privés du droit de vote éprouvé par de nombreux citoyens tient au fait que toute forme de participation de leur part, soit par le biais des urnes, soit par d’autres moyens, leur paraît dépourvue d’incidence sur leur gouvernement. Cette question rejoint à bien des égards le raisonnement avancé à l’appui de la théorie de la « privation relative », selon laquelle le fossé entre les aspirations des citoyens et la capacité des Etats à résoudre les problèmes se creuse15. Mais elle se réfère également à la situation de nombreuses catégories socioprofessionnelles et démographiques qui se sentent systématiquement sous représentées au sein des élites politiques et continuent de ce fait à se détourner de la politique officielle. Là encore, une bonne part de l’action menée par le Conseil ne vise pas uniquement à réparer cette privation de fait du droit de vote, mais également à encourager une plus grande participation à la vie politique des catégories qui se sentent exclues de la politique démocratique16.

Il existe enfin un dernier problème posé par le rôle des organisations non gouvernementales, qui contribuent à la culture démocratique et au renforcement de la société civile dans les pays ayant dissuadé ou activement empêché l’existence d’une telle vie associative. L’attention portée à cette question est étroitement liée à la notion de « démocratie associative »17 et à l’introduction de la notion de capital social18 dans le débat politique. Comme l’a constaté le Forum des citoyens de 2002, organisé par le projet « Les institutions démocratiques en action », les organisations non gouvernementales ne fournissent pas seulement des services qui vont au-delà de ceux qu’assure l’Etat, elles jouent également un rôle d’intégration, notamment au niveau local19. De fait, elles peuvent également contribuer à instaurer un rapport de confiance et de réciprocité entre les membres de la collectivité, même à l’égard des institutions politiques. Cependant, l’éventail et les types d’ONG varient considérablement à travers l’Europe et, notamment dans les pays en transition, ces organisations communautaires font cruellement défaut. Comme elles favorisent la cohésion sociale, la confiance et les échanges et équivalent très largement à une démocratie effective20, leur absence de certains pays est extrêmement préoccupante. Cette question mobilisera sans doute des années encore toute l’énergie du Conseil.

Comme nous l’avons indiqué au départ, ces problèmes ne se réduisent pas uniquement aux démocraties européennes et ne sont pas les seuls auxquels le Conseil de l’Europe se trouve confronté : d’autres difficultés, telles que la montée des partis extrémistes, racistes ou xénophobes dans de nombreux pays européens, figurent également au cœur du débat. Parallèlement, la menace que fait planer le terrorisme sur la démocratie et le fait que cette menace à la fois renforce l’emprise des partis racistes et xénophobes sur chaque Etat et justifie le recours, par les rouages de l’Etat, à des pratiques secrètes ou répressives, deviennent préoccupants21. Mais ces quatre points essentiels aux yeux du Conseil que sont la légitimité politique et démocratique, la défiance à l’égard de la vie politique, la privation du droit de vote et l’absence d’infrastructures de la société civile dans certains pays occupent une grande partie de l’attention du Conseil et guident son action actuelle.

Les défis démocratiques

Les défis auxquels est confrontée la démocratie européenne sont liés aux problèmes que nous venons d’évoquer, mais ils s’en distinguent dans la mesure où ils découlent de facteurs en grande partie extérieurs aux institutions démocratiques. Ils déterminent également, à certains égards, les difficultés identifiées par le Conseil et les types de réponses disponibles. Ces défis sont, eux aussi, nombreux et variés. Il est néanmoins possible d’en classer une bonne part selon trois thèmes principaux.

C’est le cas tout d’abord de la mondialisation, dont on constate l’incidence considérable sur l’évolution de la démocratie et l’attitude des citoyens à l’égard de cette dernière. Comme l’a constaté la résolution adoptée en 2003 par l’Assemblée parlementaire sur l’avenir de la démocratie :

      La tendance grandissante à la mondialisation des échanges, des économies et des marchés financiers pose aux gouvernements et aux parlements nationaux des problèmes qui échappent au contrôle qu’ils peuvent exercer par le biais de la législation et des politiques nationales, provoquant un sentiment d’insécurité et d’incertitude au sein de la société, et exigeant donc une intensification de la coopération multilatérale entre Etats22.

Bien que les théoriciens continuent à s’opposer sur la notion même de mondialisation en avançant des définitions et des significations concurrentes, elle représente un défi aux yeux du Conseil, car elle menace la souveraineté des Etats nations sur tout un éventail de questions économiques et sociales. Les mutations économiques et sociales s’imposent aux Etats, souvent malgré les efforts considérables qu’ils déploient pour leur résister. Cette menace induit à son tour une perte de légitimité des parlements et des gouvernements. L’importance de la mondialisation actuelle est bien entendu fréquemment exagérée et, à certains égards tout au moins, diffère peu des périodes d’évolution économique et sociale mondiale antérieures : nous assistons simplement aujourd’hui à un glissement des modèles d’accumulation financière et de pouvoir vers d’autres nations. La mondialisation constitue cependant également un nouvel enjeu pour le Conseil de l’Europe, car la démocratie est à présent le mode d’organisation politique dominant, tout au moins en Europe. Comme la mondialisation exige une réponse coordonnée des Etats nations, dont chacun possède ses propres fondements et légitimité démocratiques distincts, ce défi se révèle plus complexe et plus délicat à relever que par le passé. L’Europe connaît, au même moment, un mouvement de convergence accrue vers des principes aussi essentiels que la protection des droits fondamentaux de l’homme et une série de divergences dues aux comportements protectionnistes adoptés par les Etats en faveur de leur économie et de leur patrimoine nationaux ou régionaux. Elaborer une réponse consensuelle et coordonnée face aux défis lancés par la mondialisation, et ce dans un cadre qui ne vise pas uniquement à maintenir la démocratie, mais également à l’étendre, constitue un enjeu majeur pour le Conseil.

La question de l’européanisation, d’ailleurs liée à celle de la mondialisation, représente un deuxième défi. Diverses institutions paneuropéennes ont connu une extension considérable au cours des deux dernières décennies. L’exemple le plus notable est celui du Conseil de l’Europe, dont le nombre d’Etats membres a plus que doublé depuis 1999, passant de vingt-deux en 1988 à quarante-cinq en 2003, tandis que l’Union européenne a accueilli dix nouveaux Etats membres en mai 2004 et devrait s’élargir encore au cours des prochaines années. Bien que ces organisations fassent référence à un patrimoine européen commun23, leur expansion englobe en réalité un large éventail d’ethnies, de religions et de cultures différentes, dont il convient de concilier les diverses évolutions institutionnelles. De fait, le défi linguistique que représente la réunion de quarante-cinq pays aussi variés sur le plan géographique, et qui s’étendent de l’Islande à l’Azerbaïdjan et de la Fédération de Russie au Portugal, pose le problème crucial de l’élaboration d’une identité européenne commune et d’une conception de la démocratie partagée par l’ensemble du continent. Certains vont jusqu’à se demander si l’Europe pourra survivre à l’ignorance, où se trouvent les citoyens, des autres langues européennes. L’expansion a également accru la mobilité des citoyens, ce qui place la démocratie locale et régionale face à de nouveaux enjeux. Le défi de l’européanisation est par conséquent double. Il s’agit, d’une part, de définir un ensemble commun de normes et de pratiques démocratiques, qui permette l’adaptation de l’extrême diversité d’usages et de cultures de chaque Etat membre. D’autre part, une tâche plus vaste encore doit être menée à bien : élaborer une conception commune de l’européanisation et déterminer sa signification pour la démocratie, notamment dans le contexte de certaines cultures politiques et sociales hermétiques à toute forme de coopération européenne plus étroite et sceptiques à l’égard des institutions européennes24.

Le troisième défi concerne davantage les grandes tendances sociales et politiques qui peuvent être observées dans de nombreuses démocraties différentes et, notamment, le changement de comportement politique constaté chez les citoyens. Pippa Norris, dans un document rédigé pour le colloque organisé pour le Conseil sur le thème « Les jeunes et les institutions démocratiques », considère que la double question de l’évolution du répertoire politique et des groupements d’activité politique permet de comprendre les profondes mutations du comportement politique25. Le terme de répertoire fait ici référence à l’éventail des actions menées comme une forme d’expression politique ; P. Norris note un glissement dans l’attitude de la jeune génération : la politique traditionnelle, organisée autour de l’activité des partis, est abandonnée au profit d’autres répertoires de l’action politique, qui s’attachent à la défense d’une cause, préfèrent cibler un problème politique précis et recourent à des formes d’action plus directes. Ses observations sont étayées par d’autres recherches, qui révèlent que l’engagement politique est aujourd’hui marqué par une plus grande individualisation et une focalisation sur des questions particulières26. Le terme de groupements est employé au sens d’organisations collectives, qui arbitrent et dirigent l’engagement politique. Là encore, Pippa Norris constate une diminution de l’engagement auprès des organisations traditionnelles, telles que les églises et les syndicats, et une nette propension, surtout parmi les jeunes, à adhérer à de nouveaux mouvements sociaux et à des organisations mues par une question précise. Selon elle :

      Aujourd’hui en revanche, il semble plus clair d’établir une distinction entre les actions adaptées aux besoins des citoyens, essentiellement liées aux élections et aux partis politiques, et les répertoires axés sur la défense d’une cause, qui centrent leur attention sur des questions précises et des préoccupations politiques, dont la politique de consommation (l’achat ou le boycott de certains produits, motivé par des raisons politiques ou éthiques), les pétitions, les manifestations et les mouvements de protestation sont une illustration.27

Ses propres constatations viennent renforcer, à bien des égards, la mutation des modèles d’engagement très largement observée dans les démocraties européennes. Il est intéressant de constater que peu d’indices portent selon elle à croire à une diminution de la participation des jeunes : « l’énergie politique de la jeune génération dans les sociétés post-industrielles s’est diversifiée et a davantage glissé vers un activisme axé sur la défense d’une cause que reflué vers une attitude apathique »28.

L’évolution de la typologie des répertoires politiques place le Conseil de l’Europe face à un important enjeu démocratique, non seulement parce qu’elle l’oblige à admettre de nouveaux mécanismes de participation politique et à y répondre, mais encore parce que ces changements de répertoire ont une importance pour les institutions démocratiques en place. La différence entres les répertoires n’est pas uniquement d’ordre comportemental ; elle tient également aux objectifs poursuivis. Les modèles traditionnels de la participation politique visaient presque exclusivement à influer directement ou indirectement sur des gouvernements issus des urnes. De fait, une bonne part de la littérature conventionnelle consacrée à ce sujet adopte cette position, qu’elle considère comme un moyen de définir la participation politique et de la distinguer des comportements sociaux ou économiques au sens large29. A l’inverse, les répertoires récents ou émergents de la participation politique, notamment parmi les jeunes, poursuivent des objectifs plus vagues et conçoivent les institutions de la démocratie représentative comme une source d’influence parmi d’autres. Les nouveaux mouvements sociaux se préoccupent souvent davantage de l’attitude des multinationales ou se concentrent sur un problème précis, qui dépasse les frontières nationales. L’Etat nation et ses institutions à l’échelon national et infranational sont fréquemment considérés comme des questions périphériques ou hors de propos dans ces grands combats, en particulier lorsqu’ils concernent l’économie ou l’environnement de la planète. Si la thèse du glissement générationnel vers ces nouveaux répertoires s’avérait exacte, le Conseil de l’Europe se trouverait confronté à un défi de taille : adapter les institutions actuelles de la démocratie représentative aux nouvelles idées et aux nouveaux modèles de comportement politique. Sans une telle adaptation, ces institutions risquent de devenir de plus en plus étrangères aux préoccupations politiques d’une large part de la société. Un échec pourrait au bout du compte entraîner une atrophie supplémentaire de la démocratie en Europe.

Le Conseil a bien entendu déjà commencé à s’attaquer à ces problèmes et défis. Après tout, ces questions ont été identifiées à partir des textes adoptés par le Conseil lui-même, y compris les recommandations et résolutions de ses divers organes, et il paraît probable qu’elles demeureront le moteur de plusieurs de ses actions spécifiques.

Les opportunités démocratiques

Bien que l’éventail des réponses à apporter à ces problèmes et à ces défis soit large et varié, tant pour chaque Etat membre qu’au sein du Conseil, ce dernier cherche avant tout à saisir les deux opportunités majeures que représentent, d’une part, le renforcement de l’européanisation et, d’autre part, le rôle de soutien et d’adaptation des pratiques démocratiques dévolu aux nouvelles technologies. Nous les examinerons brièvement dans cette dernière partie.

Bien que l’européanisation soit source de multiples défis pour le Conseil, il convient également de reconnaître qu’elle présente une série d’opportunités pour la démocratie. Les événements survenus depuis 1989 ont vu la démocratie devenir le mode d’organisation politique dominant dans l’Europe entière, tandis que les institutions démocratiques des pays en transition étaient modelées en particulier par l’action du Conseil de l’Europe et d’autres instances paneuropéennes, comme l’Union européenne et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). La formidable expansion à la fois de l’Europe, en tant qu’instance politique cohérente, et de la démocratie, son régime politique le plus largement répandu, offre un certain nombre d’opportunités. Elle permet à l’évidence un degré de coopération entre l’ensemble des quarante-cinq Etats membres du Conseil de l’Europe qui paraissait impensable il y a vingt ans à peine. Ce sont précisément cette coopération et cette unité qui occupaient l’esprit des dix pays fondateurs lorsqu’ils rédigèrent le Statut du Conseil. Son préambule déclare à ce propos :

      Convaincus qu'afin de sauvegarder et de faire triompher progressivement cet idéal et de favoriser le progrès social et économique, une union plus étroite s'impose entre les pays européens qu'animent les mêmes sentiments ; considérant qu'il importe dès maintenant, en vue de répondre à cette nécessité et aux aspirations manifestes de leurs peuples, de créer une organisation groupant les Etats européens dans une association plus étroite.…30

Ces aspirations devaient toutefois paraître bien irréalisables en 1949 à l’échelle où les a portées aujourd’hui le Conseil. Comme l’a affirmé Walter Schwimmer, Secrétaire Général du Conseil :

      Le Conseil de l'Europe […] est essentiellement resté une organisation d'Europe de l'Ouest jusqu'au démantèlement progressif des régimes d'Europe centrale et orientale qui étaient fondés sur des structures et valeurs politiques différentes. Ce processus a commencé en 1989 lorsque le mur de Berlin s'est effondré. Les révolutions de 1989 ont ramené le Conseil de l'Europe à ses objectifs originels. Le Conseil de l'Europe a toujours eu pour but de couvrir l'ensemble de l'Europe. Seul le clivage politique, militaire et idéologique de l'Europe a empêché l'Organisation de remplir ses objectifs statutaires. La «nouvelle donne» en Europe, qui a suivi les événements de 1989, a donné au Conseil de l'Europe une chance de mettre pleinement en œuvre son potentiel, en tant que structure de coopération paneuropéenne et d'organisation se consacrant principalement à l'instauration de la paix et à la prévention des conflits.31

Le nombre toujours croissant de ses Etats membres, qui réunit aujourd’hui la quasi-totalité des Etats et principautés d’Europe, offre une opportunité sans précédent de promouvoir un socle commun de démocratie au sein et au-delà du continent. Seuls deux pays européens, Monaco et le Bélarus, demeurent en dehors du giron du Conseil de l’Europe et ont tous deux déposé une demande d’adhésion32 mais seul Monaco est candidat à ce jour. L’adhésion de Monaco devrait d’ailleurs intervenir très prochainement, suite à l’avis favorable rendu par l’Assemblée parlementaire en avril 2004.

Outre une coopération et un sentiment d’unité européenne, le projet d’européanisation permet également l’émergence de deux évolutions démocratiques connexes. En premier lieu en effet, un ensemble de principes et de normes démocratiques susceptibles d’être promus en Europe pourra grâce à lui être élaboré. Le chapitre suivant portera tout particulièrement sur l’identification des principes communs qui figurent au cœur de la démocratie européenne. Le sentiment de coopération et d’unité encouragé par le Conseil pousse à la fois ce dernier et ses Etats membres à déceler les défauts que présente la démocratie dans certains pays et à user de leur influence pour renforcer les normes et les pratiques démocratiques. Les instruments utilisés pour ce faire s’étendent des 193 traités européens juridiquement contraignants auxquels les Etats membres sont supposés adhérer, jusqu’à l’exercice d’un suivi établi par le Comité des Ministres à l’égard de pays précis33. Précisons à ce sujet que l’expansion de l’européanisation est un cercle vertueux, qui génère constamment de nouvelles possibilités de renforcement de la démocratie européenne. Ce cercle vertueux s’accommode cependant mal de la notion de « géométrie variable », qui permet de concilier des pratiques démocratiques différentes au sein de la mission universellement admise du Conseil. Comme le faisait observer Peter Schieder, Président de l’Assemblée parlementaire, dans un discours (« Construire une Europe ») prononcé le 25 septembre 2003.

      [L’Europe] … est une idée, une vision d’un continent pacifique et prospère, fondé sur une coopération toujours plus étroite entre l’ensemble de ses peuples et régie par les valeurs communes de la démocratie, des droits de l’homme et de l’Etat de droit... Lorsqu’il s’agit des principes les plus sacrés de notre société, à savoir la liberté, la démocratie, les droits de l’homme, la dignité humaine, la tolérance, la justice et l’Etat de droit, il ne peut exister qu’une seule Europe. Nous ne pouvons laisser les autorités, nationales ou autres, choisir à la carte les normes de bonne conduite qui leur conviennent. Il est de notre responsabilité à tous d’empêcher une telle dérive.

La réalisation de cet objectif représente une série d’enjeux importants pour le Conseil.

L’européanisation offre en deuxième lieu la possibilité d’élargir l’apprentissage et le transfert politiques entre les pays, notamment dans un contexte d’amélioration des institutions et des pratiques démocratiques. L’harmonisation des normes démocratiques vise, en général, à privilégier les meilleurs usages des divers Etats membres et à renforcer la démocratie. Compte tenu de la diversité de l’éventail des Etats membres, les possibilités pour chacun d’eux de tirer parti des expériences de ses pairs sont immenses. Les contrastes entre grands et petits Etats, entre pays à géographie homogène et hétérogène, entre anciennes et nouvelles démocraties, ainsi qu’entre les différences ethniques, culturelles et linguistiques, permettent toute une diversité d’observations pratiques, riches d’autant d’enseignements. Les Etats membres peuvent apprendre les uns des autres lorsqu’ils présentent des caractéristiques similaires en terme de superficie, de géographie ou de démographie. D’autre part, les différences entre les pays peuvent également dans certains cas agir comme un miroir, notamment pour comparer les usages des anciennes et des nouvelles démocraties. Ainsi, la liberté de la presse est largement considérée comme un critère démocratique essentiel, qu’il importe de promouvoir activement auprès des jeunes démocraties. Pourtant, la législation française relative à la presse, dont l’adoption remonte à 1881, s’avère extrêmement restrictive et, bien qu’elle ne soit pas appliquée dans la pratique, elle n’en demeure pas moins toujours en vigueur34. L’extension de l’européanisation offre de ce fait non seulement une occasion de définir un ensemble de convictions essentielles, mais encore la possibilité pour chaque Etat membre de réfléchir au fonctionnement de sa démocratie et aux moyens de l’améliorer.

Le Conseil a également cherché à exploiter une deuxième opportunité offerte par le domaine des nouvelles technologies de l’information et des communications (TIC) et le potentiel qu’elle représente pour la démocratie. Le projet « Les institutions démocratiques en action » s’est avéré particulièrement utile pour orienter l’action du Conseil en la matière. Walter Schwimmer, Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, a confirmé l’engagement du Conseil en faveur de cette opportunité dans son avant-propos à une synthèse des publications et des textes juridiques du Conseil relatifs aux TIC, parue en 2003 :

      Le Conseil de l’Europe s’est donc fixé pour priorité d’exploiter pleinement le potentiel des TIC comme moyen d’améliorer la participation directe des citoyens à la vie démocratique. […] Les travaux sur ces nouveaux thèmes sont menés dans le cadre des normes applicables aux TIC à l’échelle européenne pour défendre et développer la démocratie ; ces normes mises au point par le Conseil de l’Europe portent sur des questions comme la protection des données, l’équipement des régions rurales, la formation des femmes et des jeunes filles aux TIC, le développement d’activités culturelles et les dangers de la cybercriminalité et du discours de haine diffusé sur l’Internet.35

Cette reconnaissance de l’importance des TIC pour l’avenir démocratique de l’Europe n’est pas seulement une constatation de la possible utilisation des nouvelles technologies en vue de renforcer un engagement démocratique ; elle témoigne également de la compréhension de l’incidence des évolutions technologiques sur d’autres aspects de l’action du Conseil. Bien que la présente étude revienne à plusieurs reprises sur les rapports entre les TIC et la démocratie dans les chapitres suivants, nous exposerons brièvement ici même deux opportunités que le Conseil espère retirer de l’exploitation des TIC.

Premièrement, le Conseil cherche à exploiter les TCI en vue d’appuyer et de renforcer les institutions de la démocratie contemporaine, en modifiant la pratique démocratique. Il s’agit là, à bien des égards, de ce que Trechsel et d’autres, dans leur étude consacrée à la démocratie électronique dans l’ensemble des vingt-cinq Etats membres ou en voie d’adhésion de l’Union européenne, qualifiait de toute dernière « technologie de la démocratie »36. Selon eux, les mécanismes employés pour l’expression des principes démocratiques ont connu une évolution considérable tout au long de l’histoire de la démocratie, depuis l’agora grecque jusqu’aux systèmes contemporains de régime représentatif. Au cours de cette mutation dynamique de la démocratie, chaque période de transition vers un nouvel ensemble d’institutions démocratiques a été déterminée par l’adoption d’une technologie particulière. Les TIC sont simplement, à ce titre, le dernier avatar technologique appliqué à la démocratie. Bien entendu, les répercussions de cette technologie de pointe sur les institutions actuelles seront considérables selon l’adoption qui en sera faite. Aussi le rôle de soutien ou d’élaboration des normes relatives aux applications particulières des TIC joué par le Conseil est-il primordial pour déterminer de quelle manière ces technologies renforceront ou modifieront l’exercice de la démocratie. Le Conseil souhaite ainsi, notamment, protéger les principes démocratiques fondamentaux au moment de la mise en œuvre des TIC.

Le Conseil s’est efforcé de promouvoir l’adoption des nouvelles technologies en Europe en général et dans le cadre du projet « Les institutions démocratiques en action » en particulier, en vue d’appuyer ou de renforcer les mécanismes démocratiques identifiés37. Bien que l’incidence des TIC en Europe préoccupe depuis longtemps le Conseil, son intérêt pour le potentiel de nouvelle « technologie de la démocratie » que représentent les TIC est relativement récent. Il a adopté un certain nombre de conventions et de textes portant sur divers aspects de la société de l’information, depuis la protection des données jusqu’à la lutte contre la cybercriminalité à l’échelle européenne, qui témoignent d’un souci permanent pour les diverses répercussions de ces nouvelles technologies38. Ce n’est pourtant qu’en 1997 que l’Assemblée parlementaire commença à manifester le désir particulier de se pencher attentivement sur le support que les TIC pourraient offrir aux mécanismes démocratiques, en adoptant deux résolutions symétriques qui en examinaient le potentiel sur le plan de la représentativité et de la participation des citoyens39. A la suite de ces résolutions, le Comité des Ministres a adopté une déclaration qui saluait

      les possibilités qu'offrent les nouvelles technologies de l'information de promouvoir la liberté d'expression et d'information, le pluralisme politique et la diversité culturelle, et de contribuer au développement d'une société de l'information plus démocratique et durable ;

et reconnaissait

      l'apport des nouvelles technologies de l'information à l'ouverture, la transparence et l'efficacité à tous les niveaux - national, régional et local - du gouvernement, de l'administration et des systèmes juridiques des Etats membres, ainsi qu'au renforcement de la stabilité démocratique.40

Cette déclaration ne reconnaît pas seulement le potentiel démocratique des TIC, elle exhorte également les Etats membres à adopter et à adapter les évolutions technologiques, en vue d’atteindre des objectifs démocratiques précis. Elle encourage notamment l’adaptation d’outils d’administration électronique pour renforcer l’efficacité, la transparence et la maniabilité des institutions démocratiques.

Depuis la déclaration de 1999, les pays de l’Europe entière et d’autres continents ont montré un intérêt particulier pour le vote électronique à distance et un certain nombre d’expériences ont été menées dans divers Etats membres41. Par l’intermédiaire du projet intégré, le Conseil a réagi en traçant dans ses activités un axe favorable au vote électronique, destiné à appuyer l’élaboration de normes et de protocoles paneuropéens pour les systèmes de scrutin électronique. Alors qu’il existe encore quelques préoccupations au sujet de l’environnement technique, social et juridique au sein duquel peut prendre place le vote électronique42, le Conseil montre la voie en édictant des règles transnationales sur la manière de surmonter ces difficultés. Dans ce domaine en particulier, il réalise le potentiel démocratique des TIC et s’efforce d’atténuer les répercussions prétendument négatives que ces technologies pourraient avoir sur la démocratie.

La deuxième opportunité que représentent les TIC pour la démocratie est certes moins tangible, mais elle n’en est pas moins déterminante. Comme les technologies ont une incidence sur les institutions de la démocratie, elles conduisent inévitablement à l’expression de valeurs particulières. Le recours à une technologie précise, en vue de soutenir un processus ou une activité démocratique spécifique, actionne de manière explicite les valeurs et les principes sous-jacents de cet aspect de la démocratie. Le vote électronique, par exemple, vise à étendre le principe d’égalité politique en facilitant le vote de l’ensemble des citoyens (bien qu’il puisse produire un effet contraire à court terme s’il ne s’attaque pas à la fracture numérique). Inversement, permettre l’expression de valeurs antidémocratiques par le biais des TIC équivaudrait implicitement à admettre l’abandon de certains principes démocratiques. L’action menée par le Conseil en vue de prévenir la prolifération de « discours de haine » sur Internet illustre concrètement cette vaste tâche, qui consiste à trouver le juste équilibre entre la liberté d’expression et les activités de lutte contre le racisme et la xénophobie43. Cette préoccupation du Conseil est l’expression non seulement de son inquiétude à l’égard des utilisations particulières qui pourraient être faites des TIC, mais également des valeurs et des principes profondément enracinés qui sont les siens. A cet égard, les TIC offrent une possibilité de renforcer et d’énoncer les valeurs et les principes dont le Conseil est le symbole. Ce renforcement traduit parfois une utilisation positive de la technologie, alors que cette utilisation peut s’avérer à d’autres occasions plus négative. Mais ce qui importe avant tout, c’est que ces TIC offrent une telle possibilité.

Le renforcement de ces valeurs ne se fonde pas sur un raisonnement empreint de déterminisme technologique. L’acquis du Conseil ne comporte aucune présomption d’une incidence implicite des technologies sur la démocratie ni de leur capacité à conduire inexorablement à un avenir démocratique particulier. Le Conseil constate plutôt les possibles changements qui attendent l’Europe et les chances que l’exploitation de certaines évolutions technologiques pourrait offrir à la démocratie.

Conclusions

Il est important de reconnaître les problèmes, les défis et les opportunités auxquels est confrontée la démocratie européenne, car ce sont ces mêmes questions qui créent le contexte dans lequel le Conseil de l’Europe s’efforce de mettre les institutions démocratiques en action. Le problème le plus tangible est celui du déficit démocratique croissant perçu tant dans les démocraties anciennes que dans les plus récentes. Le déclin de la participation aux institutions politiques officielles se poursuit, tandis que les citoyens politiquement actifs tournent de plus en plus leur attention vers des questions qui échappent au contrôle des Etats nations et se déroulent hors de la scène traditionnelle des institutions politiques de la collectivité. Face à cette évolution des modèles d’engagement politique, la légitimité des institutions démocratiques classiques est remise en question. Cette désaffection se double d’une deuxième difficulté : la défiance à l’égard du monde politique. Bien qu’une dose de scepticisme soit un signe de bonne santé de la démocratie, la baisse de confiance à l’égard à la fois des responsables et des institutions politiques représente une menace, dans la mesure où elle creuse encore un peu plus le fossé qui sépare les citoyens de leurs gouvernements. Même si cette défiance ne posait pas problème, l’étendue de l’exclusion systématique de diverses catégories de la population de la vie politique et leur privation de fait du droit de vote représente une troisième entrave à la démocratie européenne contemporaine. Que cette privation de liberté soit simplement ressentie par les citoyens ou qu’elle constitue une réalité, elle n’en demeure pas moins un problème pour la démocratie, car elle touche à l’un de ses principes fondamentaux : l’égalité politique. Enfin, la démocratie est confrontée à une quatrième difficulté, celle du manque d’infrastructures civiques efficaces et de l’absence de participation active des ONG à la vie politique et démocratique de nombreux pays. L’importance du rôle d’intermédiaires joué par les organisations de la société civile entre les citoyens et l’Etat dans les démocraties effectives est largement admise. Leur absence constitue de ce fait un problème crucial pour la démocratie, susceptible d’amoindrir l’efficacité de l’action de ses institutions.

Les défis lancés à la démocratie sont extérieurs à ses structures ou mécanismes institutionnels et découlent de pressions socioéconomiques et politiques plus larges. D’une part, la conscience de la mondialisation limite la réaction de chaque Etat nation face au glissement des modèles économiques et démographiques. Bien qu’elle ne soit pas un phénomène nouveau, la mondialisation représente aujourd’hui un enjeu pour l’Europe, car la démocratie constitue pour la première fois le régime politique dominant du continent, ce qui rend le relèvement des nouveaux défis plus complexe que par le passé. D’autre part, la consolidation des diverses instances paneuropéennes ajoute encore à ces défis. Il s’agit en effet, notamment, de créer une convergence concomitante autour de convictions, de règles et d’institutions essentielles, tout en veillant dans le même temps à protéger et favoriser les différences et les identités locales, régionales et nationales. Seule instance à regrouper l’ensemble des démocraties européennes, le Conseil de l’Europe a un rôle de premier plan à jouer pour trouver un juste équilibre entre ces enjeux.

L’européanisation représente bien entendu l’une des grandes opportunités de la démocratie sur l’ensemble du continent. Outre qu’il permet de parvenir à un consensus sur des questions particulières, le Conseil de l’Europe fournit un solide cadre institutionnel pour la coopération, l’apprentissage et le transfert de politique dans l’Europe entière. Cette opportunité est particulièrement évidente en ce qui concerne l’adoption de nouvelles technologies destinées à appuyer ou à renforcer la démocratie. Le Conseil en a eu conscience très tôt et a pris un certain nombre de mesures en vue de soutenir l’utilisation efficace des technologies.

Les problèmes, défis et opportunités exposés dans ce chapitre ne constituent naturellement qu’un simple aperçu des principaux points constatés par le Conseil. Un large éventail de questions n’ont pas été examinées ici. Mais le fait de considérer ces questions en termes de problèmes spécifiques, de grands défis et d’opportunités naissantes permet d’étudier plus en détail les principes défendus par le Conseil. Ceux-ci font l’objet du prochain chapitre.

Chapitre 3 :Les principes fondamentaux de la démocratie européenne  

Pour comprendre l’efficacité de l’action démocratique du Conseil, il est indispensable d’examiner la direction dans laquelle évolue la démocratie en Europe, ainsi que les principes que le Conseil et les organisations connexes cherchent à promouvoir. Certains de ces principes constituent une évidence et ont été clairement énoncés dans un éventail de documents adoptés par le Conseil tout au long de son existence. D’autres demeurent plus implicites et demandent à être précisés. Nous analyserons dans ce chapitre les principes démocratiques essentiels que le Conseil s’efforce de promouvoir auprès de ses Etats membres. Nous mettrons notamment en lumière la conception propre au Conseil de ces questions et principes, telle qu’elle se trouve exposée dans ses divers textes. Nous examinerons également les principaux instruments auquel il a recours pour mener à bien ces activités.

Il s’agit là d’un exercice nécessairement délicat. Alors que tout le monde s’accorde à reconnaître en Europe que la démocratie est confrontée à des enjeux majeurs, les causes de ces derniers et les solutions qui pourraient y être apportées ne font pas l’unanimité. Les problèmes identifiés et les solutions mises en œuvre sont susceptibles de varier d’un pays à l’autre, même lorsqu’ils partagent une approche globale de l’enjeu concerné. L’expérience de vote électronique menée à grande échelle dans l’Europe entière illustre parfaitement cette contiguïté des convergences et des divergences. L’une des principales justifications avancées pour l’introduction du scrutin électronique dans différents pays était de lutter contre la diminution généralisée de la participation électorale. Mais les stratégies adoptées pour sa mise en œuvre varient considérablement, depuis l’ensemble générique fourni par l’Etat aux Pays-Bas jusqu’au programme d’expériences extrêmement diverses menées à l’échelon local appliqué au Royaume-Uni44. La mise en œuvre du vote électronique place par ailleurs chaque Etat devant un enjeu différent. Le vote par Internet expérimenté dans la commune française de Vandoeuvre-lès-Nancy à l’occasion des élections présidentielles de 2002 a provoqué une vive émotion au sujet de la sécurité, car le traitement des résultats du scrutin avait été confié à une société sous-traitante étrangère, installée à New York45. Pourtant, cette même société (electron.com) assurait déjà le scrutin électronique de nombreux autres pays européens. L’Espagne, quant à elle, est surtout préoccupée par la capacité technique de garantir la sécurité du vote de chaque électeur46. Aussi s’avère-t-il difficile de concevoir les enjeux démocratiques à l’échelon paneuropéen : les stratégies de mise en œuvre et les réponses politiques adoptées face à des défis théoriquement similaires varient considérablement, même lorsque les Etats recourent à des instruments ou à des technologies apparemment identiques. Agir en dépit de la complexité de cette diversité politique et culturelle représente une véritable gageure pour les organisations paneuropéennes.

Le débat sur la démocratie ajoute encore à cette complexité. Malgré le patrimoine philosophique et culturel commun que peuvent prétendre partager l’ensemble des Européens, la démocratie est apparue dans un contexte historique différent pour chaque pays et s’est développée selon des formes institutionnelles variables. Les structures institutionnelles et l’importance de pratiques ou d’usages particuliers témoignent aujourd’hui encore de ce passé politique propre aux divers Etats. Bien qu’une littérature de plus en plus abondante évoque les enseignements politiques que les pays retirent les uns des autres, la place et le fonctionnement d’un type institutionnel particulier doivent plus à l’évolution interne d’un Etat qu’à un enrichissement qui serait le fruit des expériences pratiques de ses voisins. La scène européenne n’est par conséquent pas dominée par un type unique de démocratie et les divergences, tant sur le plan de la conceptualisation de la démocratie que sur celui de son adoption, demeurent profondes à travers l’Europe.

Passé ce constat de la complexité et de l’extrême diversité de la pratique démocratique en Europe, il convient également de reconnaître le degré de convergence auquel est parvenu le continent, grâce aux efforts déployés depuis un demi siècle par le Conseil de l’Europe, l’Union européenne et les autres instances paneuropéennes. Bien des pays ont ainsi développé de nouvelles formes de démocratie, malgré une absence de pratique démocratique au cours de leur histoire récente. Les démocraties plus anciennes ont également connu une évolution pendant cette même période. Ces divers Etats présentent en conséquence un certain degré d’harmonisation, puisqu’ils s’efforcent d’adopter une législation conforme aux principes démocratiques et que leurs différentes institutions incarnent des règles et des usages similaires. Ils partagent en outre des expériences identiques et sont confrontés aux mêmes défis. La gestion ces derniers peut certes varier d’une institution à l’autre, mais ils conservent cette expérience commune, qui peut être façonnée et développée par le biais d’organisations telles que le Conseil de l’Europe. Nous examinerons dans ce chapitre comment le Conseil a aidé chacun de ces pays à mesurer les enjeux et à exprimer les principes fondamentaux de la démocratie.

La démocratie ne constitue pas un ensemble cohérent ou immuable de principes aisément applicables, encore moins lorsqu’elle est examinée dans le cadre d’une analyse transnationale. De fait, dire de la démocratie qu’elle est une notion essentiellement controversée revient à formuler l’un des truismes de la doctrine politique47. Bien que celle-ci soit souvent associée à une série de principes48, la combinaison précise de ces derniers et l’importance relative de différentes valeurs sont tout aussi souvent sujettes à interprétation. A certains égards d’ailleurs, les principes abstraits sont moins importants que le contexte dans lequel ils se concrétisent. Les principes abstraits de la démocratie sont élaborés par les formes institutionnelles particulières qui permettent le fonctionnement de la démocratie. L’incarnation de ces principes dans les institutions et leur application dans des contextes divers leur confèrent tout leur sens. La promulgation de la démocratie49 aux divers échelons transnationaux, nationaux et infranationaux donne non seulement leur signification à ces principes, mais met encore en lumière leur importance relative pour l’exercice de la démocratie. Ainsi, alors que la plupart des théoriciens de la démocratie jugent le principe d’égalité politique essentiel, de nombreuses institutions démocratiques sapent ses possibilités de réalisation, souvent parce qu’elles traitent des inégalités structurelles de la société.

Fiche 3.1 : Les principes généraux de la démocratie

Le Statut du Conseil
(Statut du Conseil de l’Europe (1949) STE n° 001)

Le rôle de la démocratie en tant que fondement des sociétés européennes est consacré par le Statut du Conseil, qui est l’expression de l’engagement des Etats en faveur des principes généraux de la démocratie, et qui en outre établit une structure opérationnelle fondée sur les institutions démocratiques des Etats membres. En introduction, le Statut souligne que la démocratie se fonde sur :

    la liberté individuelle, la liberté politique et la prééminence du droit.

Ces principes sont constamment réaffirmés dans l’acquis du Conseil et sont à la base de tous les instruments qui ont suivi.

Du point de vue opérationnel, le Statut crée un Comité des Ministres (composé des Ministres des Affaires Etrangères des Etats membres) en tant qu’organe directeur et instance décisionnaire du Conseil, et une Assemblée consultative (l’Assemblée parlementaire, composée de membres des Parlements élus de chaque Etat) en tant que son organe délibérant. Ce dispositif s’inspire des structures démocratiques escomptées dans les Etats membres et encourage les pratiques démocratiques fondées sur la séparation des pouvoirs.

La Convention européenne des Droits de l’Homme
(Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (1950), STE n° 005 ; premier Protocole additionnel à la Convention (1952), STE n° 009)

La Convention européenne des Droits de l’Homme énonce une série de droits et libertés fondamentaux : droit à la vie, interdiction de la torture, interdiction de l’esclavage et du travail forcé, droit à la liberté et à la sûreté, droit à un procès équitable, pas de peine sans loi, droit au respect de la vie privée et familiale, liberté de pensée, de conscience et de religion, liberté d’expression, liberté de réunion et d’association, droit au mariage, droit à un recours effectif, interdiction de la discrimination. Elle prévoit également un mécanisme international de mise en oeuvre, la Cour européenne des Droits de l’Homme. Instituée à Strasbourg, celle-ci statue sur des requêtes individuelles et donne des avis consultatifs concernant l’interprétation de la Convention et de ses protocoles.

Les droits garantis par la Convention peuvent sans exception être considérés comme nécessaires dans une démocratie moderne. Certains sont toutefois particulièrement importants pour le bon fonctionnement de la démocratie :

- Article 9 – Liberté de pensée, de conscience et de religion ;

- Article 10 – Liberté d’expression ;

- Article 11 – Liberté de réunion et d’association ;

- Article 3 du Protocole n° 1 – Droit à des élections libres.

Les mesures positives prises spécialement à l’intention des catégories marginalisées de la population produisent un double effet : elles réparent certes les inégalités existantes, mais peuvent dans le même temps en créer de nouvelles. En outre, la démocratie doit être envisagée comme un ensemble dynamique de principes, au sein duquel l’importance relative de valeurs éventuellement concurrentes évolue au fil du temps pour répondre à la fois aux enjeux internes auxquels sont confrontées ses notions et aux influences externes. Pour pouvoir comprendre les principes fondamentaux de la démocratie européenne, il convient avant tout d’analyser la mutation que subissent en permanence les démocraties européennes.

La conception de la démocratie défendue par le Conseil repose sur le postulat d’une entente réciproque sur les principes et les valeurs qui la constituent. Une proportion importante de ses conventions et chartes débute par une reconnaissance de l’existence d’un patrimoine commun partagé par l’ensemble des Etats membres. Celui-ci comprend les principes essentiels énoncés par le Statut du Conseil, dans lequel tous les Etats membres réaffirment leur attachement « aux valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun de leurs peuples et qui sont à l'origine des principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du droit, sur lesquels se fonde toute démocratie véritable »50. Ces principes figurent au cœur de toute action entreprise par le Conseil, qu’il s’agisse des droits de l’homme individuels ou de l’amélioration des institutions démocratiques. Leur caractère abstrait est cependant si prononcé, qu’il permet une interprétation fort large de leur contenu.

Le patrimoine commun de l’Europe constitue un thème récurrent, qui témoigne d’un profond attachement à l’évolution philosophique et historique de la démocratie dans les différents Etats nations. Comme le constate Loughlin51, ce patrimoine commun comprend des notions telles que la foi en « la place élevée de l’individu », la séparation institutionnelle des pouvoirs, la conviction rousseauiste de l’existence d’une « volonté générale », ainsi que la notion de citoyenneté et les droits et obligations qui y sont attachés. Ce patrimoine commun est en vérité celui d’une démocratie libérale, même si ses valeurs ont été institutionnalisées sous des formes diverses dans les différents pays. Le patrimoine commun peut tenir lieu de référence, c’est-à-dire indiquer ce que l’on peut attendre d’une démocratie européenne, mais il ne prévoit pas de point de départ commun, ni de consensus sur la future évolution de la démocratie.

Nous nous attacherons, dans la partie qui va suivre, à dépasser la proclamation vague et ambiguë de ce patrimoine européen commun, pour examiner en détail cinq principes essentiels, qui nous informeront sur la manière dont le Conseil de l’Europe conçoit la démocratie en général et sur l’affirmation des normes démocratiques en particulier. Bien qu’ils soient tirés de la doctrine, ces principes ne sont pas nécessairement conformes à ceux ordinairement énoncés en matière de démocratie. Ils peuplent en revanche les textes du Conseil et figurent en première place dans les débats et les raisonnements avancés dans ses diverses publications. Ils n’ont certes pas tous rang de principes fondamentaux, mais nous croyons pouvoir affirmer qu’ils forment les caractéristiques les plus récurrentes et les plus distinctives de l’action du Conseil. C’est la raison pour laquelle ils constituent collectivement une définition de la démocratie qui peut être formulée à partir des propres documents du Conseil.

Ces cinq principes sont exposés ci-dessous, ce qui nous permettra, d’une part, de mettre l’accent sur ces éléments constitutifs de la démocratie promue par le Conseil et, d’autre part, de procéder à l’analyse de l’évolution et de l’adoption de la démocratie à travers l’Europe. Les principes démocratiques ne peuvent être compris que dans un contexte institutionnel. C’est pourquoi il importe non seulement que nous les présentions en compagnie des documents dans lesquels ils sont énoncés, mais encore que nous examinions comment ces principes sont appliqués au travers de formes institutionnelles particulières.

La démocratie parlementaire

Le trait le plus essentiel du Conseil de l’Europe est sans doute son engagement à toute épreuve en faveur de la démocratie représentative, principe fondamental dont découlent toutes les autres caractéristiques démocratiques. Ce principe est garanti par le propre Statut du Conseil52, qui institue deux organes principaux au cœur même de l’organisation : un Comité des Ministres composé des ministres des Affaires étrangères (ou de leurs représentants) de chaque Etat membre et une Assemblée consultative (rebaptisée Assemblée parlementaire en 1994), qui comprend les représentants élus des parlements des Etats membres. Bien que le Statut ne subordonne pas expressément l’adhésion d’un Etat au Conseil à son régime de démocratie parlementaire, il contient un certain nombre d’exigences implicites de pratiques représentatives. De fait, une bonne part de ses normes démocratiques porte sur la garantie d’une représentation adéquate et appropriée au sein d’assemblées élues.

Fiche 3.2 : Primauté de la démocratie parlementaire

La Convention européenne des Droits de l’Homme – Protocole n° 1
(STE n° 009)

L’article 3 du Protocole n° 1 établit le droit à des élections libres dans tous les Etats membres, droit qui est à la base de la structure parlementaire de la démocratie :

Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif.

Cet article consacre en droit le principe selon lequel le Parlement est la voix du peuple.

Résolution n° 800 (1983) de l’Assemblée parlementaire sur les principes de la démocratie
Cette résolution souligne les principales caractéristiques d’un système efficace de représentation démocratique :

- des élections législatives libres, au vote secret et au suffrage universel ;

- la participation de la population et sa consultation en-dehors des élections ;

- la séparation institutionnelle des pouvoirs, y compris, le cas échéant, une certaine forme de décentralisation ;

- une pluralité de partis politiques représentatifs et à l’écoute des citoyens ;

- des normes juridiques et la prééminence du droit comme bases de toute activité politique et administrative.

Parmi les autres résolutions de l’Assemblée parlementaire qui traitent de la mise en oeuvre de ces principes, on peut citer :

la Résolution n° 980 (1992) sur la participation des citoyens à la politique ;

la Résolution n° 1121 (1997) sur les instruments de la participation des citoyens dans la démocratie représentative ;

la Résolution n° 1154 (1998) sur le fonctionnement démocratique des parlements nationaux ;

la Résolution n° 1353 (2003) sur l’avenir de la démocratie : renforcer les institutions démocratiques.

La primauté de la démocratie représentative a été réaffirmée à plusieurs reprises par l’Assemblée parlementaire. Sa Résolution de 1983 relative aux principes de la démocratie déclare :

      Des élections libres, au vote secret et au suffrage universel, à des intervalles raisonnables, pour la constitution de parlements jouissant d’un haut degré de souveraineté et composés de représentants de partis politiques libres de s’organiser et de s’exprimer, demeurent le noyau irremplaçable de la vie politique démocratique.53

Le Conseil assimile souvent démocratie représentative et démocratie parlementaire. Ce lien apparaît clairement dans la citation mentionnée ci-dessus, mais il est plus net encore dans l’affirmation de l’importance de la démocratie parlementaire faite par l’Assemblée parlementaire. Cette dernière a plusieurs fois jugé nécessaire de mettre l’accent sur le caractère primordial des parlements, qu’elle considère comme la pierre angulaire de la démocratie, notamment dans le contexte d’atrophie démocratique et d’insuccès parlementaire constaté dans l’Europe entière. Une résolution de 1992 formule l’observation suivante :

      la dénonciation des faiblesses des démocraties parlementaires ne met pas en cause l'attachement au système représentatif jugé « le meilleur et le seul acceptable ». [Il] incombe aux seuls parlementaires, en tant que législateurs, de représenter l'intérêt général.54

L’importance des parlements, qui représentent la volonté générale et sont capables de trouver le juste équilibre entre les intérêts concurrents des citoyens, est à nouveau rappelée dans une résolution de 1997 :

      L’harmonisation des besoins majoritairement contradictoires et conflictuels des citoyens ou groupes de citoyens, dictée par l’intérêt général, ne peut être réalisée que par les délibérations parlementaires.55

Une résolution de 1998 renouvelle l’engagement de l’Assemblée en faveur de la démocratie parlementaire en motivant sa position :

      Le parlement est l’expression de la volonté du peuple et de l’intérêt général. Pour remplir ce rôle, il exerce des fonctions qui forment le socle du parlementarisme européen: il fait la loi, il fixe les normes du droit positif, il pose les règles juridiques qui régissent notre société; grâce à un certain nombre de procédures, il contrôle l’exécutif et, en raison de ce pouvoir, le gouvernement doit avoir la confiance de la chambre élue au suffrage universel.56

En d’autres termes, les parlements garantissent l’objectif de liberté politique et d’Etat de droit défini par le Conseil. Plus récemment, dans sa résolution sur l’avenir de la démocratie en Europe, l’Assemblée soulignait également que :

      La démocratie parlementaire est l’une des valeurs qui sont à la base, et même l’une des raisons d’être, des travaux du Conseil de l’Europe dans le sens d’une union plus étroite en Europe. En réaffirmant leur attachement aux idéaux et aux valeurs qui sont le patrimoine commun de leurs peuples et la source première de la liberté individuelle, de la liberté politique et de l’Etat de droit, principes qui forment la base de toute véritable démocratie, tous les Etats membres se sont engagés, en vertu du Statut du Conseil de l’Europe, à garantir une démocratie parlementaire libre et pluraliste.57

Il n’est guère surprenant, à bien des égards, que l’Assemblée parlementaire puisse souhaiter renforcer le rôle des parlements, afin de les placer au coeur même de la démocratie. Après tout, l’Assemblée est elle-même composée de parlementaires issus des quarante-cinq Etats membres. Pour autant, le plaidoyer et les arguments en faveur de parlements considérés comme l’incarnation de la démocratie représentative et les arbitres de la volonté générale ne reposent pas uniquement sur les positions adoptées par les anciens ou actuels membres de l’Assemblée, mais également sur le rôle plus général que jouent les parlements au sein de la démocratie. Outre le contrôle qu’ils exercent sur le pouvoir exécutif, l’Assemblée avance également l’idée que dans une véritable démocratie, les parlements devraient être au cœur du débat politique. Cet argument a notamment été invoqué alors qu’elle s’inquiétait de voir le débat parlementaire à présent orienté par les préoccupations médiatiques et de ce fait considérablement affaibli58. Pire encore, l’Assemblée craignait que le parlement « ne perde au profit des médias, son rôle de centre de discussion et de décision sur les questions d’intérêt national »59. Ce rôle de centre du débat national dévolu aux parlements justifie pleinement qu’ils conservent leur primauté dans la démocratie moderne.

La réaffirmation constante de cette primauté pose cependant un certain nombre de problèmes pour l’avenir démocratique de l’Europe et la place du Conseil dans le fonctionnement des institutions démocratiques. Plusieurs pratiques significatives importantes, essentielles à la compréhension du fonctionnement souhaitable de la démocratie, découlent de l’affirmation de la démocratie parlementaire. Ces usages comprennent l’application concrète de la notion d’égalité politique par le biais du suffrage universel, la mise en œuvre d’une législation électorale rigoureuse et efficace, l’institutionnalisation des usages parlementaires, le respect de la transparence par les gouvernements et l’application de cadres juridiques plus larges en vue de prévenir la corruption. Mais de telles pratiques ne cadrent pas nécessairement avec bon nombre d’enjeux contemporains auxquels est confrontée la démocratie ni, d’ailleurs, avec plusieurs initiatives et priorités démocratiques définies par les Etats membres ou les organes du Conseil.

L’importance accordée à une participation des citoyens au-delà du simple cadre du scrutin organisé à l’occasion d’élections régulières illustre les relations discordantes entre la défense de la démocratie parlementaire et l’élaboration de nouveaux instruments démocratiques. L’adhésion à l’idée d’une plus grande participation des citoyens aux affaires publiques, soit à titre personnel (par exemple par le biais de référendums60), soit sous la forme d’instances collectives (comme les ONG61), se fonde sur la présomption qu’un tel engagement parviendra à inverser la désaffection actuelle des citoyens à l’égard de la politique institutionnalisée et à renforcer l’attachement au processus démocratique formel des élections62. Il s’agit en outre d’une mesure populaire, qui bénéficie d’un large soutien, tant au sein du Conseil qu’auprès de chaque Etat membre. Comme nous le verrons plus tard, le débat à l’intérieur du Conseil sur la participation accrue des citoyens porte pour une bonne part sur le développement de la société civile et le renforcement de la participation comme une fin démocratique en soi : un glissement vers un modèle que l’on qualifie désormais de « démocratie forte »63. Mais la défense simultanée de la démocratie parlementaire prise par l’Assemblée et les autres organes du Conseil se concentre davantage sur le modèle de démocratie « réaliste » prôné par Joseph Schumpeter et d’autres, lequel considère les parlements comme le centre de la démocratie et préconise une répartition des tâches entre les citoyens et les élus qui les servent. Schumpeter déclare ainsi :

      Les électeurs à l’extérieur du parlement doivent respecter la division du travail entre eux-mêmes et les représentants politiques qu’ils élisent. […] Ils doivent comprendre qu’une fois les élections terminées, l’action politique est du ressort de l’élu et non du leur. Cela signifie qu’ils doivent s’abstenir de lui dire ce qu’il a à faire […] Les tentatives de restriction de la liberté d’action des parlementaires – par exemple le fait de les submerger de courriers et de télégrammes – doivent être interdites de la même manière64.

Les diverses tentatives faites par l’Assemblée en vue de maintenir les parlements au cœur du débat politique dans la société65 ou de restaurer la confiance des citoyens dans les institutions traditionnelles sur lesquelles repose la démocratie parlementaire66 admettent implicitement cette répartition des tâches. La préoccupation de la Commission de Venise au sujet de questions comme l’immunité parlementaire constitue une expression similaire de cette division67. Le Conseil se trouve par conséquent écartelé entre deux convictions fondamentalement opposées, liées à des modèles démocratiques éventuellement contradictoires. D’une part, le souci de protéger les parlements, sièges de la démocratie représentative, et leur primauté au centre de la discussion et des débats politiques ; d’autre part, face au déclin de la légitimité parlementaire dans l’ensemble de l’Europe, le désir de trouver de nouvelles formes d’engagement politique, de nouveaux espaces politiques et de nouvelles sphères du débat politique. Alors même que ces deux orientations ont pour objectif de défendre la démocratie parlementaire et son siège institutionnel, le parlement, elles pourraient avoir pour conséquence de saper un peu plus encore la légitimité des institutions mêmes que ces mesures visent à protéger.

Nous ne prétendons pas ici que l’Assemblée a tort de placer la démocratie parlementaire au cœur de son action. Ce n’est pas davantage une erreur que de souhaiter renforcer l’engagement des citoyens en faveur du fonctionnement de la démocratie ou de favoriser des formes de participation plus étendues. Mais il est important d’attirer l’attention sur les éventuelles contradictions de ces deux modèles. L’adoption de la démocratie impose de s’engager en faveur de procédures et d’institutions particulières et le Conseil se doit de définir sciemment l’orientation qu’il entend donner à la démocratie en Europe.

La représentation

    Fiche 3.3 : La démocratie en action

    Code de bonne conduite en matière électorale
    (Avis n° 190/2002 de la Commission de Venise ; Résolution n° 1320 (2003) de l’Assemblée parlementaire ; Résolution n° 148 (2003) du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe ; Déclaration du 13 mai 2004 du Comité des Ministres)

    Mis au point par la Commission de Venise en réponse à une demande de l’Assemblée parlementaire (Résolution n° 1264 (2001)), le Code de bonne conduite en matière électorale énonce une série de critères détaillés permettant d’évaluer la tenue d’élections libres et équitables en Europe. Il établit notamment les critères permettant de veiller au respect des cinq principes suivants :

    - le suffrage universel, y compris les conditions d’âge, de nationalité et de résidence ;
    - le suffrage égal, y compris le principe d’une voix par personne, les droits des minorités nationales et l’égalité des sexes ;
    - le suffrage libre, y compris la libre formation et la libre expression de la volonté de l’électeur et la lutte contre la fraude électorale ;
    - le suffrage secret, y compris le secret du vote individuel et la prévention du vote familial ;
    - le suffrage direct, condition de l’élection directe de représentants au niveau national et local.

    La Déclaration du Comité des Ministres et la Résolution de l’Assemblée parlementaire appellent les Etats membres à mettre leurs législations électorales en conformité avec les principes énoncés. Ces règles serviront également de référence aux futures activités d’observation électorale et de suivi du Conseil.

    Les outils de démocratie directe
    (Recommandation n° R (96) 2 du Comité des Ministres concernant les référendums et les initiatives populaires au niveau local)

    Dans cette recommandation, le Comité des Ministres établit les conditions nécessaires à la tenue de référendums et d’initiatives populaires au niveau local. Il souligne que le système de la démocratie représentative doit rester la base de la démocratie locale et affirme que, parallèlement, le droit des citoyens de se prononcer sur des choix importants qui engagent l’avenir pour une longue période ou portent sur une décision difficilement réversible fait partie des principes démocratiques communs à tous les Etats membres du Conseil de l’Europe.

    Le financement des partis politiques
    (Commission de Venise (2001), Lignes directrices et rapport sur le financement des partis politiques (Doc. CDL-INF (2001) 8) ; Comité des Ministres, Recommandation Rec (2003) 4 sur les règles communes contre la corruption dans le financement des partis politiques et des campagnes électorales (8 avril 2003) ; Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, Recommandation n° 86 (2000) sur la transparence du financement des partis politiques et leur fonctionnement démocratique au niveau régional)

    Ayant examiné les modes de financement des partis politiques dans les Etats membres et les possibilités de corruption liées à une dépendance trop étroite des partis politiques vis-à-vis de sources de financement privées, la Commission de Venise a établi des règles pour le financement public des partis politiques. Le Comité des Ministres s’est appuyé sur ce travail pour définir un ensemble de règles communes et fondamentales :

    - le financement public et privé des partis politiques est acceptable tant que les conflits d’intérêts sont évités, que la transparence des dons est assurée et que l’indépendance des partis politiques est maintenue ;
    - l’Etat doit, le cas échéant, adopter des règles en matière de dons aux partis politiques, y compris en établissant un plafond pour les dons émanant de toute personne physique ou morale ;
    - les dons d’entreprises ou de gouvernements étrangers doivent être interdits ou réglementés ;
    - les dépenses liées aux campagnes électorales doivent être limitées et les règles relatives à leur enregistrement et à leur contrôle doivent être clairement formulées ;
    - les Etats doivent prévoir la mise en place d’un système de contrôle indépendant du financement des partis politiques et des campagnes électorales, y compris de vérification des comptes.

L’importance accordée par le Conseil à la démocratie parlementaire se double conséquemment d’une grande attention portée aux différents mécanismes qui assurent une représentation efficace des citoyens, c’est-à-dire les institutions qui donnent vie à la démocratie représentative et confèrent aux parlements leur légitimité politique. Plusieurs caractéristiques de l’action du Conseil peuvent être mentionnées ici. Tout d’abord l’intérêt actuel du Conseil pour le soutien accordé aux travaux des partis politiques dans le cadre de son engagement plus général en faveur de la « démocratie parlementaire pluraliste »68. Il se soucie ainsi de plus en plus d’assurer un financement public approprié des partis politiques. On peut également citer l’action menée par le Conseil pour la définition de normes électorales, qui s’adressent notamment aux nouvelles démocraties, mais également aux démocraties plus anciennes auxquelles il réserve des normes plus exigeantes. Enfin, le Conseil soutient tout un éventail d’innovations électorales, y compris la fixation de règles et de pratiques relatives au vote électronique. Ces innovations pourraient bien modifier et faire progresser la nature de la démocratie représentative dans l’ensemble de l’Europe. Mais elles font naître dans le même temps une interrogation : ces nouvelles formes de représentation correspondent-elles à l’évolution sociale et politique des Etats membres ou ne sont-elles qu’une simple réaction face à ces changements ?

Il ne fait aucun doute que la démocratie représentative repose sur l’existence des partis politiques. La pluralité des partis est souvent considérée comme la base de toute démocratie représentative et le seul moyen de permettre un fonctionnement efficace de la démocratie moderne :

      Les partis politiques sont les principaux acteurs de la vie politique. [Ils] rassemblent les revendications des citoyens sous forme de programmes politiques cohérents – ce qui permet aux électeurs de faire leur choix au moment des élections. Les partis politiques forment les gouvernements et expriment la voix de l’opposition au sein du corps législatif. [Ils] sont en première ligne dans les systèmes de démocratie représentative pour régler les problèmes de société.69

L’acceptation de ce principe a rendu le Conseil de plus en plus soucieux des risques de corruption des partis politiques. Les différents organes du Conseil redoutent notamment que le budget croissant des campagnes électorales n’accentue la dépendance des partis politiques à l’égard du financement privé et que leur intégrité ne soit, du même coup, mise en doute par les citoyens. La recommandation de l’Assemblée parlementaire sur le financement des partis politiques, adoptée en 2001, exprime brièvement cette inquiétude :

      Les citoyens se préoccupent de plus en plus de la corruption liée aux partis politiques, de l’affaiblissement de l’indépendance des partis et des influences inappropriées qui peuvent s’exercer sur des décisions politiques par le biais de moyens financiers. L’Assemblée, soulignant que les partis politiques sont une composante essentielle des démocraties pluralistes, est sérieusement préoccupée par cette situation. […]Pour conserver et renforcer la confiance des citoyens dans leur système politique, les États membres du Conseil de l’Europe doivent adopter certaines règles régissant le financement des partis politiques et des campagnes électorales.70

Cette préoccupation est corroborée par un rapport de la Commission de Venise, qui constate que, malgré « le caractère relativement récent de l’intérêt porté à la question du financement des partis politiques»71, celle-ci inquiète profondément de nombreux pays. Il est intéressant de noter que les études menées pour la rédaction du rapport observent l’existence de problèmes tant dans les pays en transition qu’au sein des démocraties établies de longue date. Ses propositions ont reçu l’appui d’une recommandation de l’Assemblée adoptée en 2001, qui vise à créer à l’échelon européen un cadre destiné à assurer un équilibre entre financement public et dons privés. Celle-ci établit également le principe d’un plafond pour le montant des sommes versées par toute personne physique ou morale à un parti politique. Le Comité des Ministres a par la suite renforcé cette orientation dans une recommandation de 200372. Le problème de la transparence financière des partis politiques se pose également à l’échelon infranational73.

L’action menée par le Conseil en matière de financement des partis politiques est intéressante non seulement pour les problèmes qu’elle permet de cerner et les solutions qu’elle apporte, mais encore parce qu’elle met en lumière son souci d’une représentation effective. Le rôle d’intermédiaires entre les citoyens et l’Etat des partis politiques leur confère la première place dans l’activité politique. Aussi le peu de confiance dont jouissent les partis politiques se répercute-t-il sur la légitimité des parlements élus. Les partis représentent une donnée essentielle du processus électoral.

Le Conseil accorde une importance considérable au processus électoral, qu’il considère comme le point de départ de la représentation démocratique. Ce principe est garanti par le premier Protocole additionnel à la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et Libertés fondamentales, qui impose à l’ensemble des parties signataires « [d’]organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif »74. Le Conseil a énergiquement promu par des voies diverses le droit à des élections libres et l’application de normes électorales exigeantes visant à assurer l’exercice de ce droit par l’ensemble des citoyens. Outre la publication de normes électorales75, le Conseil a également appuyé un dispositif d’observation des élections, en vue d’en garantir la liberté et l’équité. Ces procédures d’observation et de suivi présentent une dimension internationale prononcée, comme l’ont démontré les activités exercées par le Conseil à l’occasion des élections géorgiennes en 2003.

En dehors de la promotion de normes généralement exigeantes en matière électorale, le Conseil s’est montré particulièrement soucieux de protéger le principe du suffrage universel. Divers textes adoptés traitent de la privation de fait du droit de vote pour des catégories sociales et ethniques particulières, causée par les défaillances des pratiques électorales de certains pays. Le Conseil a tout spécialement veillé à ce que la procédure électorale garantisse un traitement égal et équitable aux minorités ethniques, aux immigrés et aux résidents étrangers76. Il s’est inquiété plus récemment du vote familial pratiqué dans certains pays et de la nécessité de protéger le droit de vote individuel des femmes77. Ce problème est parfaitement résumé par Walter Schwimmer dans l’avant-propos d’un ouvrage publié en 2002 sur la question :

      « Il y a « vote familial » lorsqu’un homme, dans une famille, accompagne pour voter une ou plusieurs femmes qui lui sont apparentées ou bien lorsque les membres d’une même famille votent ensemble publiquement. Cette pratique, souvent facilitée par l’attitude des personnes chargées des opérations de vote, va à l’encontre des droits politiques des femmes et constitue un manquement aux instruments juridiques nationaux et internationaux. [C’]est priver les femmes de droits de représentation, c’est méconnaître les procédures électorales équitables et c’est laisser la porte ouverte à la fraude électorale.78

L’attention portée à présent sur le problème du vote familial peut être considérée, à bien des égards, comme la continuité de l’action menée par le Conseil en faveur de la défense des élections libres et équitables. Mais elle soulève également la question importante de l’évolution de la démocratie représentative à travers l’Europe. L’étude réalisée par le Congrès à partir de la somme des rapports rédigés suite aux missions d’observation d’élections menées par le Conseil et l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) constate l’association presque exclusive de ce problème avec les jeunes démocraties européennes et leurs nouvelles structures politiques démocratiques, dans certaines zones rurales où le droit de vote individuel peut n’être pas aussi bien établi que dans les démocraties plus anciennes79.

Cette préoccupation est sans doute symptomatique de l’intérêt plus général porté par le Conseil à la mise à niveau des Etats membres dont l’adhésion s’est faite à partir de 1989, par l’adoption de normes démocratiques similaires à celles, réputées exigeantes, des pays fondateurs. Ces préoccupations se justifient peut-être à l’égard de certaines nouvelles démocraties, mais elles ne sauraient à l’évidence les concerner toutes. En outre, elles créent une distinction artificielle entre démocraties anciennes et récentes et posent problème pour l’évolution future des pratiques démocratiques au sein à la fois des démocraties bien établies et de celles en transition. Face à la diminution de la participation électorale, un certain nombre de démocraties solidement implantées ont introduit une possibilité de vote par correspondance pour l’ensemble des citoyens, qui peut aller jusqu’à prendre un caractère obligatoire dans certaines élections. Ce type de vote à distance ôte aux agents électoraux ou aux observateurs impartiaux toute possibilité de prévenir la pratique du vote familial. La poussée en faveur du vote électronique à distance sur Internet ou par l’intermédiaire d’autres technologies accroît le risque de vote familial80. Le problème du vote familial pourrait toucher les démocraties anciennes au même titre que les plus jeunes si le vote à distance, par voie postale ou électronique, devenait la norme.

Les activités du Conseil sont en conséquence susceptibles d’entrer en conflit. D’une part, le Conseil énonce le principe du vote par scrutin secret, qu’il juge crucial pour la démocratie représentative. D’autre part, il contribue à la définition de normes destinées à expérimenter et à développer le vote électronique. Bien que la motivation du Conseil soit en l’espèce de garantir le respect du principe des élections démocratiques, le vote électronique peut entraîner dans certains contextes une remise en cause du caractère privé du vote. Considérer que le vote familial se limite aux démocraties en transition, victimes de « pratiques culturelles qui reflètent la domination du patriarcat sur la démocratie»81, constitue une hypothèse audacieuse et sans doute déplacée. Bien que ce phénomène ne soit probablement pas aussi répandu dans les démocratie bien établies, on imagine aisément que certains individus dominants voteraient au nom d’autres membres de leur famille, surtout s’il leur est possible de le faire depuis chez eux. Si cette possibilité existait, le vote familial serait pratiqué dans certains ménages, même dans les cultures démocratiques les plus stables et les plus évoluées. En outre, il sera difficile au Conseil de justifier le refus de l’extension des pratiques de vote à distance dans les pays aujourd’hui désignés comme particulièrement sujets au vote familial, alors qu’il les promeut dans le même temps au sein d’autres pays pour combler le déficit démocratique.

Le Conseil cherche à soutenir et à développer la démocratie représentative, ainsi qu’à réaffirmer la légitimité des parlements, par toute une série de mécanismes. En agissant ainsi, il répond à la fois aux enjeux que représentent les pratiques démocratiques élargies et aux opportunités que peuvent offrir les nouvelles technologies et les autres innovations. Mais le Conseil doit parallèlement trouver le juste équilibre entre le développement de la démocratie et l’établissement et la protection de ses principes fondamentaux.

Transparence, réactivité et responsabilité

La transparence, la réactivité et la responsabilité des élus représentent un problème chronique pour les régimes de démocratie représentative82. La question de la transparence, en particulier, a longuement occupé les débats du Conseil. Il s’est surtout intéressé de près au rôle des médias, considérés comme des observateurs indépendants de la démocratie et les gardiens de la liberté d’expression. De ce point de vue, l’existence de médias libres et critiques est une condition essentielle de la transparence de la vie politique, qui garantit la réactivité de la classe politique à la volonté du peuple et la véritable responsabilité des gouvernements pour leurs orientations politiques et leurs actes. Il s’agit là d’une exigence d’autant plus pressante que sans transparence ni responsabilité réelles, la politique est encline à la corruption et aux comportements oligarchiques. Aussi la définition de normes éthiques à l’intention de la fonction publique et le contrôle de sa conduite représentent-ils un élément crucial de l’évolution démocratique.

La transparence, la réactivité et la responsabilité couvrent une multitude de caractéristiques différentes de la démocratie, depuis les élections, dont le rôle est d’amener les candidats à rendre compte de leurs actes, jusqu’à la réactivité des gouvernements à la « volonté générale » et la transparence des rouages de l’Etat, qui vise à empêcher ceux qui le servent de détourner leur fonction publique à leur profit personnel. Bien que tous ces points ne manquent pas d’importance, le Conseil s’est tout particulièrement soucié de trois éléments institutionnels qui sous-tendent ce type de pratiques. Il a tout d’abord mis l’accent sur la définition et le respect de normes éthiques qui s’imposent aux fonctionnaires. Celles-ci s’ajoutent à la longue histoire de l’éthique du service public et fournissent un ensemble de critères incompressibles, au vu desquels l’ensemble des organismes publics d’Europe devrait être apprécié. En deuxième lieu, et ce point est lié au premier, le Conseil s’est efforcé de lutter contre la corruption à tous les échelons de l’administration dans l’Europe entière, ainsi que contre le problème plus vaste de la criminalité et de la corruption organisées et de la menace qu’elles représentent pour la démocratie. Enfin, le Conseil a largement assuré la promotion de la liberté et de l’activité des médias, qui forment une composante institutionnelle vitale de toute démocratie véritable. Ce troisième élément est, à bien des égards, celui qui contribue le plus à la transparence, la réactivité et la responsabilité des gouvernements, non seulement en désignant leurs échecs ou les actes de corruption, mais encore en offrant un espace public pluraliste où l’on réfléchit à la « volonté générale ». En outre, l’existence même d’une presse libre et active peut dissuader la pratique de la corruption et atténuer les penchants oligarchiques de l’ensemble des gouvernements. Nous examinerons, l’un après l’autre, chacun de ces trois éléments.

    Fiche 3.4 : Transparence, réactivité et responsabilité

    La conduite des agents publics
    (Recommandation n° R (2000) 10 du Comité des Ministres sur les codes de conduite pour les agents publics)

    Le code de conduite pour les agents publics établit les règles de comportement que les agents de la fonction publique devraient observer dans une démocratie. Il spécifie que :

    - les conflits d’intérêts doivent être évités ; les agents publics sont tenus de déclarer tout conflit potentiel et de prendre des mesures pour l’éviter ;
    - un agent public ne doit se livrer en dehors du service public à aucune activité incompatible avec sa position ou ses fonctions ;
    - un agent public ne doit ni solliciter ni accepter de cadeaux ou autres avantages lui étant destinés, ou destinés à sa famille ou à ses amis ;
    - un agent public ne doit pas abuser de sa position officielle ;
    - des dispositifs administratifs et juridiques doivent permettre de signaler toute activité contraire aux dispositions du code.

    La Recommandation n° R (98) 12 du Comité des Ministres sur le contrôle de l’action des collectivités locales indique des voies permettant de faire évoluer les systèmes de contrôle dans un sens favorable à l’autonomie locale sans pour autant mettre en cause leur efficacité.

    Vingt principes directeurs pour la lutte contre la corruption
    (Résolution (97) 24 du Comité des Ministres)

    Conscient du fait que la corruption représente une grave menace pour la démocratie, le Comité des Ministres a adopté en 1997 une résolution qui, parmi d’autres principes, encourage les initiatives nationales et internationales de lutte contre la corruption, y compris la criminalisation des pratiques de corruption et la saisie de leurs revenus, limite l’immunité à l’égard des enquêtes et des poursuites, encourage la transparence dans les marchés publics, et réaffirme l’indépendance des médias dans la révélation de pratiques de corruption.

    Conventions relatives à la corruption
    (Convention pénale sur la corruption, STE n° 173 ; Convention civile sur la corruption, STE n° 174)
    La Convention pénale sur la corruption vise à coordonner la criminalisation d’un grand nombre de pratiques de corruption, y compris :

    - la corruption active et passive d’agents publics nationaux et étrangers ;
    - la corruption active et passive de parlementaires nationaux et étrangers et de membres d’assemblées parlementaires internationales ;
    - la corruption active et passive dans le secteur privé ;
    - la corruption active et passive de fonctionnaires internationaux ;
    - la corruption active et passive de juges nationaux, étrangers et internationaux, et d’agents de tribunaux internationaux ;
    - le trafic d’influence actif et passif ;
    - le blanchiment du produit des délits de la corruption ;
    - les infractions comptables (factures, documents comptables, etc.) liées à des délits de corruption.

    Elle pose les bases d’une coopération internationale renforcée (assistance mutuelle, extradition, mise à disposition d’information) dans l’investigation et la poursuite d’infractions de corruption. Les Etats qui ne sont pas déjà membres du GRECO le deviennent automatiquement lorsqu’ils ratifient la Convention..

    La Convention civile sur la corruption est la première initiative visant à définir des règles internationales communes en matière de droit civil et de corruption. Elle fait obligation aux Parties contractantes de prévoir dans leur droit interne « des recours efficaces en faveur des personnes qui ont subi un dommage résultant d’un acte de corruption afin de leur permettre de défendre leurs droits et leurs intérêts, y compris la possibilité d’obtenir des dommages-intérêts » (Art. 1).

L’éthique du service public est une tradition ancienne en démocratie83. Ses principes fondamentaux sont largement admis et comprennent la conviction que les titulaires d’une fonction publique se doivent d’agir dans le respect de « l’intérêt général », sans chercher à tirer un profit personnel de leur fonction ; ils ne sauraient accepter de cadeaux de tiers désireux de bénéficier d’avantages, ni se placer en situation d’obligation vis-à-vis de quiconque ; il leur faut éviter tout conflit d’intérêt et, le cas échéant, veiller à ne prendre aucune part aux décisions qui pourraient être rendues ; ils doivent agir avec objectivité et décider au cas par cas ; leurs activités doivent être transparentes et susceptibles d’examen public approfondi ; enfin, ils demeurent responsables de leurs actes84. Ces principes ont été réaffirmés par une recommandation du Comité des Ministres sur les codes de conduite pour les agents publics85. Ils sont par ailleurs largement admis et appliqués dans de nombreux pays d’Europe.

Compte tenu de la maturité d’un grand nombre de démocraties européennes, il paraît surprenant que le Conseil éprouve le besoin de continuer à se soucier de l’éthique du service public. Mais la promotion actuelle des normes éthiques à tous les échelons de l’administration est jugée essentielle au maintien de la confiance des citoyens dans les institutions démocratiques. La présence de normes exigeantes applicables au service public est indispensable non seulement à l’échelon des gouvernements nationaux, mais également à l’échelon local, car la visibilité des fonctionnaires y est plus marquée et les possibilités de corruption ou de comportements contraires à l’éthique y sont tout aussi nombreuses. C’est la raison pour laquelle le Comité directeur sur la démocratie locale et régionale (CDLR) a préparé un ensemble d’initiatives modèles sur l’éthique publique au niveau local86. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un instrument juridique, ce document fournit néanmoins une série d’exemples à suivre sur la manière de maintenir et de procéder au suivi d’une éthique du service public dans divers pays, ainsi que sur les rapports entre les normes applicables à la vie publique à l’échelon national et local. Il s’agit en conséquence d’une réaffirmation des principes énoncés par la Recommandation du Comité des Ministres sur les codes de conduite pour les agents publics, illustrée par plusieurs exemples de cadres institutionnels et organisationnels dans lesquels peuvent s’inscrire ces valeurs.

La lutte contre les comportements contraires à l’éthique ou la corruption ne saurait cependant se réduire à la conduite des agents publics, qu’ils soient élus ou nommés. Aussi le Conseil s’est-il préoccupé des problèmes et des conséquences plus larges de la corruption partout où elle sévissait. Le préambule de la résolution du Comité des Ministres relative à la corruption déclare à ce propos :

    la corruption représente une grave menace pour les principes et les valeurs fondamentaux du Conseil de l'Europe, sape la confiance des citoyens en la démocratie, porte atteinte à la prééminence du droit, méconnaît les droits de l'homme et met en péril le progrès social et économique.87

Ainsi, la corruption non seulement affecte les institutions premières de la démocratie, mais elle porte également atteinte aux principes démocratiques (la corruption empêche par exemple l’égalité politique entre l’ensemble des citoyens) et aux fondements institutionnels de la démocratie (tels que l’Etat de droit). L’existence de deux conventions européennes relatives à la corruption88 et la création de deux instances consacrées à l’Etat de droit89 et au contrôle de la corruption90 démontrent l’importance attachée par le Conseil à ce problème. De fait, les mesures de lutte contre la corruption occupent une place centrale dans bon nombre d’activités du Conseil. Les conventions donnent une définition concrète de la corruption et proclament de ce fait par défaut son caractère inacceptable ; elles fournissent par ailleurs un ensemble de mesures juridiques et institutionnelles qu’il appartient aux Etats membres de prendre, en vue de lutter contre elle. La Commission de Venise et le GRECO procèdent, chacun à sa manière, à un suivi et à un compte rendu externe de l’efficacité de la lutte menée par les Etats nations contre la corruption, bien qu’il convienne de noter que tous les pays européens ne sont pas membres de ces deux instances. L’action de lutte contre la corruption engagée par le Conseil étaye par conséquent de façon importante la démocratie.

Tous ces efforts se sont jusqu’ici concentrés sur les modes d’organisation de l’administration et le moyen de maintenir des normes de service public exigeantes. Le Conseil de l’Europe a cependant également reconnu le rôle joué par les médias dans la promotion de la transparence, de la réactivité et de la responsabilité de l’administration. Trois questions connexes figurent au cœur de cette préoccupation depuis plusieurs décennies. Premièrement, la question de la liberté d’expression, caractéristique essentielle de la démocratie, est soulevée dans divers aspects des travaux du Conseil. Une recommandation adoptée en 1978 par l’Assemblée parlementaire réaffirme par exemple « sa conviction que la liberté de la presse et de la télévision, élément fondamental de la liberté d’expression est l’une des conditions indispensables à tout système politique démocratique »91. Cette affirmation découle de l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme qui comprend, notamment, « la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière »92. La protection de ce droit dans les médias a été jugée si importante que la Cour européenne des Droits de l’Homme a prononcé plus de cent arrêts sur l’article 10 depuis 1960, ce qui a constitué une jurisprudence substantielle sur la question93. Malgré la double présence de la jurisprudence et de la Convention, l’Assemblée parlementaire reconnaît toutefois que des « violations graves de la liberté d’expression » continuent à être commises en Europe et dans le reste du monde94 et recommande au Conseil d’étendre ses activités de suivi dans ce domaine. Elle s’inquiète, notamment, de ce que « les récents attentats terroristes peuvent fournir un prétexte à l’instauration de nouvelles restrictions à la liberté d’information »95. Comme la liberté des médias figure effectivement dans l’acquis du Conseil, ce dernier reste préoccupé par l’étendue des restrictions imposées ou des atteintes portées à cette liberté par les gouvernements. Il s’inquiète ainsi tout particulièrement du harcèlement et de l’intimidation des médias en général et des journalistes en particulier auxquels recourent certains Etats.

Deuxièmement, et ce point est lié à la notion de liberté d’expression, le Conseil se soucie du pluralisme des médias et de la véritable indépendance des différents types de médias vis-à-vis de toute influence politique. Il s’inquiète à cet égard en particulier de la concentration des médias aux mains d’un petit nombre de personnes et de la manipulation délibérée des médias pratiquée au profit de quelques groupes d’intérêts. Dans le préambule de sa Recommandation de 1999 sur des mesures visant à promouvoir le pluralisme des médias, le Comité des Ministres soulignait que :

    le secteur de la radiodiffusion de service public, devraient permettre aux différents groupes et intérêts qui existent dans la société – y compris les minorités linguistiques, sociales, économiques, culturelles ou politiques – de s'exprimer [et] que l'existence d'une multiplicité de médias autonomes et indépendants aux niveaux national, régional et local promeut généralement le pluralisme et la démocratie.96

L’attention du Conseil porte par conséquent à la fois sur ceux qui cherchent à contrôler les médias en en restreignant le pluralisme et sur ceux dont les intérêts ne sont pas pris en compte par manque de pluralisme des médias. Les droits et les cultures des minorités nationales et des travailleurs migrants, notamment, sont jugés particulièrement menacés dès lors que le pluralisme des médias est limité97.

Troisièmement, le Conseil a montré un intérêt contraire pour l’éthique du journalisme et la nécessité de réguler les médias en vue de garantir leur honnêteté à l’égard des particuliers. Cette préoccupation porte essentiellement sur l’objectivité et la neutralité des médias et, notamment, sur le « droit de réponse [accordé] à tout citoyen ayant fait l’objet d’une allégation »98. Le Conseil reconnaît en conséquence la nécessité d’une régulation des médias, en particulier pour l’exploitation des nouvelles technologies, qui offrent des axes de développement supplémentaires aux médias. Mais il admet également que concilier protection de la liberté d’expression et pluralisme des médias dans le cadre de cette régulation est une tâche complexe, difficile à accomplir. C’est la raison pour laquelle il demeure important de procéder à un suivi des Etats membres et de leurs rapports avec les médias.

Toutes ces préoccupations sont avant tout une reconnaissance du solide appui offert par les médias à la transparence, la réactivité et la responsabilité de l’administration. Chaque fois que les médias enquêtent sur la politique gouvernementale, attendent des individus ou de l’administration qu’ils justifient leur action ou encore expriment l’inquiétude ou l’intérêt du public, ils contribuent utilement à la démocratie, même si les gouvernements ne se réjouissent pas nécessairement de leurs interventions. L’efficacité des médias peut, notamment, favoriser la promotion de normes éthiques parmi les fonctionnaires et renforcer la lutte contre la corruption. Mais il demeure un paradoxe au cœur même de ce principe. La transparence, la réactivité et la responsabilité sont essentielles à la solidité des institutions démocratiques, dans la mesure où elles incitent à la confiance en ces institutions. Dans le même temps cependant, le recours à des politiques et à des instruments efficaces, qui révèlent les défaillances ou la corruption de l’administration, contribue à saper la confiance des citoyens dans ces mêmes institutions. La défiance à l’égard des institutions démocratiques est parfois salutaire, notamment en cas d’abus systématique de leur pouvoir par les gouvernements. Dans certains cas pourtant, les citoyens accordent trop d’importance à des défaillances mineures, qui entraînent une perte de confiance hors de proportion avec la gravité de l’infraction. Les mesures destinées à garantir la transparence, la réactivité et la responsabilité de l’administration accentuent ainsi le scepticisme, qui participe certes de la santé de la démocratie, mais doit également être contrebalancé par la volonté de préserver la légitimité des institutions démocratiques.

Démocratie infranationale et subsidiarité

Les institutions des collectivités territoriales revêtent une importance particulière pour le Conseil de l’Europe. Celle-ci est illustrée par un certain nombre de mesures concrètes, prises par le Conseil en vue de soutenir le développement des collectivités locales et régionales et de maintenir ces institutions au cœur de son action. Premièrement, la création du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe en 1994 sous forme d’instance consultative, issue de la Conférence permanente des pouvoirs locaux et régionaux d’Europe initialement mise en place par le Conseil, a accordé à l’administration locale une place bien plus prépondérante au sein des affaires européennes que celle qu’elle occupe dans de nombreux Etats européens.

Fiche 3.5 : Démocratie locale et subsidiarité

(Charte européenne de l’autonomie locale (STE n° 122) ; Recommandation n° R (95) 19 du Comité des Ministres sur la mise en oeuvre du principe de subsidiarité)

La Charte définit les règles fondamentales garantissant l'indépendance politique, administrative et financière des collectivités locales. Elle prévoit que le principe de l'autonomie locale soit inscrit dans la législation interne et, si possible, dans la Constitution. En vertu de la Charte, les organes de l’autonomie locale doivent être élus au suffrage universel.

Par ailleurs, les collectivités locales doivent être capables de régler et de gérer les affaires publiques, dans le cadre de la loi, sous leur propre responsabilité et au profit de leurs populations. En conséquence, la Charte énonce le principe de subsidiarité, selon lequel l'exercice des responsabilités publiques doit, de façon générale, incomber aux autorités les plus proches des citoyens. Seules les responsabilités qui ne peuvent pas être assumées au niveau inférieur – ou du moins pas dans d’aussi bonnes conditions sur le plan de la coordination et de l’efficacité - doivent être réservées à la compétence des autorités de niveau immédiatement supérieur. A cette fin, la Charte formule les principes concernant la protection des limites territoriales des collectivités locales, l’adéquation des structures et des moyens administratifs aux missions des collectivités locales, les conditions de l'exercice des responsabilités au niveau local, le contrôle administratif des actes des collectivités locales, les ressources financières des collectivités locales, et la protection légale de l'autonomie locale.

La Recommandation n° R (95) 19 du Comité des Ministres sur la mise en oeuvre du principe de subsidiarité précise comment définir et exercer l’ensemble des compétences propres à chaque niveau de collectivités territoriales.

Le Congrès est régulièrement consulté à la fois par le Comité des Ministres et l’Assemblée parlementaire et participe de ce fait de manière significative aux travaux du Conseil. Il a par ailleurs élaboré avec succès plusieurs conventions et chartes en faveur du développement de la démocratie au sein des Etats membres. Deuxièmement, la Charte européenne de l’autonomie locale, adoptée en 1985, est devenue un instrument important de la promotion et de l’évaluation du rôle des collectivités locales et régionales au sein des structures démocratiques nationales, ainsi que, plus généralement, du suivi des relations entre administration centrale et locale. Comme nous l’avons déjà indiqué, les principes énoncés dans cette charte constituent les fondements de la Charte mondiale de l’autonomie locale des Nations Unies. En outre, comme nous le verrons par la suite, la charte est devenue une norme constitutive de la démocratie. Enfin, le Conseil a adopté un certain nombre d’autres chartes et conventions, spécifiquement consacrées aux questions territoriales et destinées à promouvoir l’action des pouvoirs locaux ou régionaux. Tout ceci démontre en conséquence l’engagement déterminé du Conseil en faveur des institutions de la démocratie infranationale.

L’attachement du Conseil aux institutions territoriales peut sembler insolite si l’on considère que ses autres organes statutaires sont avant tout composés de représentants des gouvernements et parlements nationaux. Pour comprendre cet intérêt et analyser le rôle joué par ces institutions, il convient tout d’abord d’examiner l’idée que se fait le Conseil de la démocratie locale par rapport à la doctrine démocratique. Cette dernière accorde une place particulière à la démocratie locale et à sa concrétisation institutionnelle, les collectivités locales. L’existence des collectivités locales est traditionnellement justifiée par une multitude d’arguments : les institutions de la démocratie locale assurent la diffusion du pouvoir au sein de la société, la démocratie locale concourt à la diversité et aux différences face à un ensemble étroitement uniforme de politiques centrales et, enfin, les collectivités locales peuvent se montrer plus réceptives aux besoins des citoyens que des administrations centrales lointaines99. Plus récemment, on a également assisté à un regain d’intérêt pour une démocratie locale réputée faciliter et encourager la participation politique des citoyens dans le cadre plus général de l’Etat démocratique. Cet argument trouve son origine dans la pensée politique du XIXe et affirme que les institutions locales de la démocratie représentent le lieu le plus accessible à l’acquisition et à l’exercice des aptitudes politiques. J. S. Mill soutenait en 1861 que la démocratie locale non seulement offrait de plus grandes chances de participation politique, mais encore constituait un instrument d’intégration sociale :

    Dans les instances locales en revanche, outre leur rôle d’électeurs, de nombreux citoyens ont à leur tour la possibilité de se faire élire et plusieurs d’entre eux, soit par un processus de sélection, soit par un système de rotation, occupent l’un ou l’autre des nombreux mandats exécutifs locaux. […] On peut ajouter que ces fonctions locales, qui ne sont pas en général briguées par les membres de la haute société, assurent à une catégorie sociale nettement inférieure l’importante éducation politique qu’elles sont le moyen de dispenser.100

De la même manière, Alexis de Tocqueville, dans son essai consacré à la démocratie en Amérique, était impressionné par la capacité d’autonomie démocratique des petites communautés, même lorsque le caractère démocratique des institutions nationales s’avérait défaillant101. Ces théories ont été complétées ces dernières décennies pour appuyer la conviction que l’aptitude de la démocratie à soutenir une culture et une pratique démocratiques élargies dépend intrinsèquement de l’efficacité des institutions de la démocratie locale102. Sans démocratie locale, la démocratie ne peut prospérer à l’échelon national, ni davantage à l’échelon international.

Ces convictions sont corroborées par la Charte européenne de l’autonomie locale103. Le Conseil s’engage, dans le préambule de la Charte, en faveur d’un grand nombre de principes énoncés plus haut. Il déclare que « les collectivités locales sont l’un des principaux fondements de tout régime démocratique », confirme le « droit des citoyens de participer à la gestion des affaires publiques » et soutient « que c’est au niveau local que ce droit peut être exercé le plus directement ». En conséquence, la charte souligne le principe de subsidiarité, selon lequel « l’exercice des responsabilités publiques doit, de façon générale, incomber de préférence aux autorités les plus proches des citoyens »104. Il invite également les pays signataires à accorder un pouvoir de compétence générale aux collectivités locales et pose pour principe, notamment, que les collectivités locales doivent disposer d’un droit de recours juridictionnel lorsqu’elles peuvent faire la démonstration d’une ingérence abusive du pouvoir central dans le « libre exercice de leurs compétences »105. Aussi la charte établit-elle un important ensemble de principes visant à protéger cet élément essentiel de la démocratie nationale que représente la démocratie locale.

La charte a reçu un excellent accueil en Europe. En novembre 2003, seuls quatre pays n’avaient pas signé le traité106 et trois autres devaient encore le ratifier107. Il semble donc que pour les trente-trois Etats concernés, la notion d’autonomie locale et les principes garantis par la charte soient largement admis et mis en oeuvre. Cet aperçu ne fait cependant aucune distinction entre engagement et action. En 1998, le Congrès faisait observer qu’un grand nombre de pays qui avaient ratifié la charte n’avaient pas incorporé ses principes dans leur législation nationale et déniaient de ce fait aux collectivités locales la capacité d’exercer un recours juridictionnel lorsque la législation ou la réglementation nationale était contraire à la charte108. Les rapports de suivi du Congrès de la démocratie locale et régionale des divers Etats membres décrivent une situation plus complexe et moins satisfaisante encore. Alors que quelques Etats sont directement critiqués pour leur manque de soutien à la démocratie locale, un grand nombre d’entre eux se voient reprocher la mise en œuvre d’une partie seulement des dispositions de la charte ou de n’avoir pas agi constamment dans l’esprit de celle-ci. Les gouvernements centraux de plusieurs Etats demeurent réticents à accorder aux collectivités locales ou régionales davantage de légitimité politique et de compétences financières, malgré leur engagement en faveur des principes énoncés par la charte. A cet égard, précisons que la charte et sa ratification constituent un point de départ à partir duquel réaliser les ambitions du Conseil en matière de démocratie locale et de subsidiarité, plutôt qu’une fin en soi. Bien que le Conseil reste attaché à la démocratie locale, il lui faut consacrer davantage d’énergie à inciter les Etats membres à la mettre en place.

Les activités du Conseil dans ce domaine ne se limitent pas exclusivement à son intérêt pour la démocratie locale : il a élaboré un certain nombre de chartes et de conventions consacrées à certains aspects de l’administration infranationale. La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local, notamment, soulignent toutes deux le rôle complémentaire important de l’administration infranationale. Chacun de ces deux traités reconnaît que les collectivités régionales et locales peuvent assurer une meilleure protection des droits et cultures des minorités que les administrations centrales. A cet égard, les régions sont considérées comme un moyen de faire face à la mondialisation et vont de pair avec la diversité culturelle dans un contexte d’internationalisation croissante des intérêts politiques et économiques. Cette même préoccupation sous-tend la recommandation du Congrès visant à renforcer les activités et la promotion des régions dotées de pouvoirs législatifs109 et son intérêt pour les régions durables dans le contexte de la mondialisation110. En outre, cette préoccupation s’est logiquement étendue à l’élaboration d’une Charte européenne de l’autonomie régionale, qui définit « des références générales quant aux compétences fondamentales qui doivent être reconnues à toutes les régions et ouvre en même temps des possibilités de différenciation et d’organisation permettant de tenir compte des intérêts particuliers des différents types de régions »111. Bien qu’aucun consensus n’ait été trouvé sur cette question et que la charte demeure à l’état de projet, elle n’en illustre pas moins un aspect important des travaux du Conseil : renforcer la promotion des collectivités territoriales, en vue de protéger les intérêts démocratiques et les cultures des minorités.

Ce souci de la démocratie régionale et locale ne vise pas uniquement à faire progresser les institutions démocratiques, mais également à soutenir l’exercice de la démocratie. Le Conseil, et le Congrès en particulier, reconnaissent que les institutions démocratiques locales et régionales offrent également de plus grandes chances d’engagement politique des catégories qui demeurent traditionnellement en marge de la vie politique à l’échelon national. Ainsi, la Charte urbaine européenne, dans sa déclaration sur le droit à la ville, considère la participation des citoyens comme un élément essentiel de la vie au sein des villes européennes112. Bien que cette charte soit quelque peu idéaliste et manque de recommandations concrètes à l’intention des Etats membres, elle présente néanmoins une vision des villes dans laquelle s’inscrit la démocratie locale. De la même manière, la Charte européenne sur la participation des jeunes à la vie locale et régionale (1992), révisée en 2003, fixe des lignes directrices visant à inciter les jeunes à participer aux décisions qui les concernent et à prendre une part active à l’évolution sociale de leur quartier, de leur commune ou de leur région. Le Congrès a fourni un cadre institutionnel au débat et à l’élaboration des collectivités locales et régionales et, de ce fait, à la promotion de la démocratie locale. Il ne fait guère de doute que le Conseil se range à l’idée que la démocratie locale représente un élément essentiel d’une démocratie nationale et européenne vivante et saine. Les autres organes du Conseil se sont également engagés activement dans la promotion de la démocratie locale et régionale. Depuis 1979, le Comité des Ministres a adressé plus de vingt recommandations aux Etats membres dans le domaine de la démocratie locale, y compris d’importantes recommandations sur la participation des citoyens113, les finances des collectivités locales114 et la mise en œuvre du principe de subsidiarité115. Ces recommandations témoignent du degré d’engagement encourageant du Comité des Ministres en faveur des collectivités territoriales. Il est clair qu’on ne retirera de plus amples bénéfices du développement de la démocratie locale que si les autres piliers du Conseil de l’Europe continuent à coopérer étroitement à son soutien et à son renforcement.

Participation et société civile

La doctrine reconnaît depuis longtemps déjà aux organisations de la société civile le rôle de socle de la démocratie. Alexis de Tocqueville a admis dès le XIXe siècle l’importance des organisations civiles comme support de l’exercice de la démocratie116. Plus récemment, l’intérêt porté au capital social, considéré comme un élément essentiel du succès des démocraties, a ravivé le débat sur la contribution des réseaux sociaux et de la société organisée à la pratique de la démocratie. La métaphore de Robert Putnam sur les Américains pratiquant « le bowling en solitaire »117 a eu une résonance particulière non seulement aux Etats-Unis, mais encore en Europe, notamment parce qu’il mettait en lumière les rapports entre les gouvernements, les citoyens et les organisations de la société civile. Le constat de l’évolution des répertoires de l’engagement politique, notamment, que nous avons souligné dans le chapitre précédent, où l’on assiste à un désintérêt des citoyens pour les organisations conventionnelles de la politique au profit de nouveaux types d’engagement, davantage centrés sur un problème particulier, à caractère plus consumériste ou en faveur d’une cause, place les gouvernements face à un dilemme118.

Fiche 3.6 : Société civile

Le statut juridique des ONG internationales
(Convention européenne sur la reconnaissance de la personnalité juridique des organisations internationales non gouvernementales, STE n° 124).La Convention donne une définition de l’organisation non gouvernementale (ONG) internationale et énonce les critères auxquels une telle organisation est tenue de satisfaire pour être reconnue sur le plan juridique. Elle doit :

- avoir un but non lucratif d’utilité internationale ;
- avoir été créée par un acte relevant du droit interne d’une Partie ;
- exercer une activité effective dans au moins deux Parties ;
- avoir son siège statutaire sur le territoire d’une Partie et son siège réel dans cet Etat ou dans une autre Partie.

La Convention établit les règles régissant les preuves à fournir aux autorités de la Partie où la reconnaissance est demandée, et énumère les cas exceptionnels dans lesquels une Partie peut refuser la reconnaissance (par exemple, lorsque les activités de l'organisation considérée contreviennent à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre ou à la prévention du crime).

Grâce à la Convention, les ONG sont considérées officiellement aujourd’hui comme l’un des quatre piliers du Conseil de l'Europe.

Statut des organisations non gouvernementales en Europe
(Principes fondamentaux sur le statut des organisations non gouvernementales en Europe, 13 novembre 2002). Considérant que l’existence d’un grand nombre d’ONG est une expression du droit à la liberté d’association et de l’adhésion du pays hôte aux principes du pluralisme démocratique, et reconnaissant que le fonctionnement des ONG entraîne des responsabilités aussi bien que des droits, ce document énonce les principes suivants :

Principes fondamentaux
Les ONG sont créées à l’initiative d’individus ou de groupes de personnes. Le régime juridique et fiscal national qui leur est applicable devrait donc autoriser et encourager de telles initiatives.

Toutes les ONG jouissent du droit à la liberté d’expression.

Les ONG dotées de la personnalité juridique devraient avoir une capacité juridique identique à celle dont jouissent généralement les autres personnes morales et être soumises aux mêmes obligations et peines dans les domaines administratif, civil et pénal généralement applicables à ces personnes.

Toute action ou omission d’un organe gouvernemental affectant une ONG devrait être susceptible de recours administratif et pouvoir être contestée devant un tribunal indépendant et impartial ayant plénitude de juridiction.

Le document décrit les dispositions juridiques régissant la création des ONG, leur composition et leur personnalité juridique, leur gestion et leur financement, leur obligation de rendre compte et l’aide publique dont elles peuvent bénéficier.

D’une part, les gouvernements s’orientent vers un rapport direct avec les citoyens ou les catégories de citoyens, afin d’inverser la tendance à la diminution de la participation politique classique. D’autre part, les organisations de la société civile, notamment celles dont le champ d’action porte sur les questions dont les citoyens se préoccupent le plus ou qui affrontent directement les gouvernements, prennent une importance croissante dans la définition de l’orientation politique. Les gouvernements peuvent jouer un rôle significatif en façonnant les possibilités d’engagement et en encourageant la participation, à la fois directement, par le biais d’initiatives participatives parrainées par l’Etat, et indirectement, par la pluralité des organisations de la société civile.

Fiche 3.7 : Participation des citoyens

(Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local, STE n° 144 ; Recommandation n° R (97) 3 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la participation des jeunes et l'avenir de la société civile ; Recommandation n° R (98) 8 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la participation des enfants à la vie familiale et sociale)

Le Conseil a adopté plusieurs instruments visant à favoriser la participation politique de groupes risquant d’être marginalisés.

La Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local prévoit que les Parties s'engagent à garantir aux résidents étrangers, aux mêmes conditions qu'à leurs propres ressortissants, les « droits classiques » à la liberté d'expression, à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder des syndicats et de s'y affilier. En outre, les Parties sont encouragées à mieux associer les résidents étrangers aux procédures de consultation au niveau local. Sous certaines conditions prévues par la loi, les droits à la liberté d'expression et à la liberté de réunion et d'association peuvent être soumis à des restrictions.

La Convention donne aux collectivités locales ayant sur leur territoire un nombre significatif de résidents étrangers la possibilité de créer des organismes consultatifs locaux élus par les résidents étrangers. La Convention prévoit aussi que les Parties s'engagent à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections locales à tout résident étranger ayant résidé légalement et habituellement dans l'Etat en question pendant les cinq ans précédant les élections. D’autres instruments visent à promouvoir la participation des jeunes à la vie politique. Voir notamment :

- la Recommandation n° R (97) 3 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la participation des jeunes et l'avenir de la société civile ;
- la Recommandation n° R (98) 8 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la participation des enfants à la vie familiale et sociale ;
- la Charte européenne révisée sur la participation des jeunes à la vie locale et régionale (adoptée par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe le 21 mai 2003).

De plus, la Recommandation n° R (2001) 19 du Comité des Ministres sur la participation des citoyens à la vie publique au niveau local propose de nombreux moyens de renforcer la démocratie locale, qui est l'une des pierres angulaires de la démocratie en Europe.

Le Conseil de l’Europe a pris part aux deux aspects de ce dilemme. Certaines de ses activités ont exploré les différentes possibilités de reconfiguration ou de stimulation de la participation politique, en particulier parmi les catégories démographiques, socioprofessionnelles ou ethniques traditionnellement marginalisées. Mais, de façon plus significative, le Conseil a également cherché à impliquer plus directement les organisations de la société civile dans son action, tout d’abord en définissant le statut légal des organisations non gouvernementales internationales (ONG)119 puis, par la suite, en développant le rôle consultatif d’un éventail d’ONG internationales120. De fait, la place de ces ONG au sein du Conseil s’est accrue au point qu’elles sont désormais considérées comme l’un de ses quatre principaux organes, aux côtés du Comité des Ministres, de l’Assemblée parlementaire et du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe. Les organisations de la société civile ont de ce fait un rôle important à jouer au sein à la fois des activités du Conseil et de son action en faveur du développement de la démocratie.

Le Conseil a introduit un certain nombre d’instruments, qui visent à promouvoir la participation directe des citoyens au-delà du scrutin organisé à l’occasion d’élections régulières ou qui exhortent les gouvernements des Etats membres à adopter de telles mesures. Ces instruments s’étendent de la définition, par la Commission de Venise, des principes sur lesquels doit se fonder l’organisation des référendums121, jusqu’aux résolutions de l’Assemblée parlementaire sur le moyen de permettre aux Etats membres de renforcer les possibilités de participation des citoyens par l’intermédiaire d’exercices de consultation et d’engagement122. Le Comité des Ministres a adressé une recommandation aux Etats membres sur la mise en place d’une participation équilibrée des femmes et des hommes à la prise de décision politique et publique123. La raison profonde de ces initiatives est le constat de déficit démocratique effectué auparavant. Par ailleurs, le rapport d’information sur lequel se fonde la résolution relative à la participation des citoyens, adoptée en 1997 par l’Assemblée, dépasse la simple reconnaissance des défaillances démocratiques et propose de nouvelles possibilités d’engagement, qui découlent du niveau d’études croissant des citoyens et du potentiel offert par les nouvelles technologies :

    […] deux nouveaux facteurs militent en faveur d'un élargissement des possibilités de participation des électeurs : l'élévation globale du niveau d'éducation et les moyens d'information et de communication plus performants.124

Fiche 3.8 : Les femmes dans la vie politique

Participation équilibrée des femmes et des hommes
(Recommandation n° R (2003) 3 du Comité des Ministres sur la participation équilibrée des femmes et des hommes à la prise de décision politique et publique)

Le Comité des Ministres estime que, dans l'intérêt de la démocratie, il n'est plus possible de méconnaître les compétences, les aptitudes et la créativité des femmes, et qu'il convient au contraire de prendre en compte la perspective de genre et d'associer les femmes de tous horizons et de tous âges à la prise de décision politique et publique à tous les niveaux. Il recommande que la représentation de chacun des deux sexes au sein d'une instance de décision dans la vie politique ou publique ne soit pas être inférieure à 40 %. Le Comité des Ministres invite donc les gouvernements des Etats membres :

- à s'engager à promouvoir une représentation équilibrée des femmes et des hommes en reconnaissant publiquement qu'un partage égal du pouvoir décisionnel entre femmes et hommes d'horizons et d'âges différents renforce et enrichit la démocratie ;
- à protéger et à promouvoir l'égalité des droits civils et politiques des femmes et des hommes, y compris le droit d'éligibilité et la liberté d'association ;
- à s'assurer que les femmes et les hommes peuvent exercer individuellement leur droit de vote et, à cet effet, prendre toutes les mesures nécessaires à l'élimination de la pratique du vote familial ;
- à revoir leur législation et leurs pratiques afin de s'assurer que les stratégies et les mesures décrites dans la présente recommandation sont appliquées et mises en œuvre ;
- à promouvoir et à encourager des mesures visant spécifiquement à stimuler et soutenir chez les femmes la volonté de participer à la prise de décision dans la vie politique et publique ;
- à envisager la définition d'objectifs assortis de délais pour parvenir à une participation équilibrée des femmes et des hommes à la prise de décision politique et publique ;
- à porter la présente recommandation à la connaissance de toutes les institutions politiques concernées, ainsi qu'aux organes publics et privés, en particulier les parlements nationaux, les collectivités locales et régionales, les partis politiques, la fonction publique, les organismes publics et semi publics, les entreprises, les syndicats, les organisations patronales et les organisations non gouvernementales ;
- à assurer le suivi et l'évaluation des progrès réalisés en matière de participation équilibrée des femmes et des hommes à la prise de décision dans la vie politique et publique et à soumettre des rapports réguliers au Comité des Ministres sur les mesures entreprises et les progrès accomplis dans ce domaine.

Une grande partie des débats de l’Assemblée consacrés aux nouveaux modes de participation des citoyens portent cependant sur la dichotomie traditionnelle entre démocratie directe et démocratie représentative. En conséquence, sa résolution incitant les gouvernements à recourir aux référendums appelle également à la prudence et préconise un juste équilibre entre la participation des citoyens et l’exercice de la responsabilité politique :

      Une observation préalable s’impose pour écarter un malentendu, potentiellement lourd de conséquences, et qui tend à opposer démocratie directe et démocratie représentative. L’harmonisation des besoins majoritairement contradictoires et conflictuels des citoyens ou groupes de citoyens, dictée par l’intérêt général, ne peut être réalisée que par les délibérations parlementaires. Le recours aux outils de la démocratie directe doit être considéré comme un complément. Même en Suisse, pays exemplaire en matière de démocratie directe, 95 % des décisions législatives sont prises par le parlement.
      […] Des utilisations abusives du référendum ne doivent pas occulter son véritable but qui est de rendre la démocratie représentative plus participative et, de ce fait, de la consolider et de devenir l’antidote du malaise actuel qui la mine.125

La quête de cet équilibre ramène le débat aux rapports entre la démocratie représentative et les autres types d’engagement politique. En réaffirmant la primauté de la démocratie parlementaire et la responsabilité du monde politique, l’Assemblée glisse clairement vers la conception « réaliste » de la démocratie défendue par Schumpeter, pour qui les parlements sont et doivent demeurer le siège adéquat du pouvoir souverain. Cette affirmation est cependant en désaccord avec de nombreuses autres activités du Conseil, qui s’efforcent de trouver de nouveaux moyens d’amener les catégories marginalisées de la population à participer à certains domaines politiques. Ainsi, le Comité des Ministres a encouragé les citoyens à prendre part au processus décisionnel en matière de soins de santé126. Le Congrès a favorisé la création d’instances consultatives à l’échelon local, destinées à assurer la participation des résidents étrangers à la vie politique locale127, qui complète la Convention actuellement en vigueur sur cette même question128. D’autres instruments ont encouragé l’adoption de mesures particulières, en vue de renforcer la participation des personnes âgées, des jeunes et des minorités ethniques129. Ces initiatives ne visent pas uniquement à promouvoir de nouveaux modes de participation politique, elles cherchent également à améliorer l’efficacité politique de catégories particulières de la population, tenues à l’écart de la politique traditionnelle ou hors de l’influence de certains domaines de la politique. Elles s’efforcent ainsi de réparer ce qui est perçu comme une inégalité politique et de renforcer le pouvoir politique de groupes particuliers. Mais elles génèrent par-là même inévitablement un conflit entre l’expression de la souveraineté parlementaire et la participation des citoyens.

Ce conflit est loin d’être réglé par la doctrine politique qui prévaut en matière d’exercice de la démocratie. On peut néanmoins comprendre ce rapport en considérant que les instruments démocratiques remplissent différentes fonctions : 130

- certains instruments, tels que le vote, répondent à une approche intrinsèquement numérique et visent uniquement à agréger les préférences de chaque citoyen, en vue de parvenir à une décision majoritaire ;

- d’autres s’inscrivent intrinsèquement dans une stratégie de négociation et, conscients de la pluralité des intérêts en présence dans la société, cherchent à obtenir un compromis entre ces différents intérêts ;

- enfin, certains instruments correspondent à une méthode délibérative et incitent les citoyens à réfléchir à des points de vue concurrents au moment de faire leur choix. Le recours à la délibération reflète l’idée qu’une préférence n’est pas nécessairement bien arrêtée, mais qu’elle peut évoluer par l’étude et la discussion.

Cette distinction entre les instruments démocratiques est importante, car elle permet un examen plus systématique des rapports entre les citoyens, les gouvernements et les organisations de la société civile. Les instruments formels de la démocratie représentative sont avant tout numériques : les systèmes électoraux reposent sur diverses méthodes d’agrégation des voix pour déterminer les vainqueurs du scrutin. De la même manière, les mécanismes décisionnels parlementaires recourent à l’agrégation numérique pour déterminer le choix d’une politique lorsque les parlementaires mettent une question aux voix. Cependant, une bonne part de l’activité politique traditionnelle s’inscrit dans un processus de négociation. Qu’il s’agisse de former une coalition parlementaire autour d’une politique particulière ou de marchander avec des organisations pour obtenir un soutien en faveur de certaines initiatives, la politique consiste souvent en une négociation entre divers groupes d’intérêts. De fait, cette politique de négociation figure au cœur des conceptions pluralistes de la démocratie et constitue le fondement de la participation des ONG dans un régime démocratique. Les processus délibératifs sont importants, dans la mesure où une bonne part de l’activité politique consiste à convaincre les citoyens de soutenir une cause particulière ou de réfléchir à des idées précises. Lorsque des dispositifs incitent sciemment à la discussion, ils admettent implicitement qu’on n’arrête pas une préférence d’emblée, mais que la prise d’une décision exige des éléments d’information et de réflexion préalables.

En réalité, de nombreux mécanismes abolissent ces distinctions. Les décisions prises au sein des démocraties représentatives comportent souvent des éléments de chacune de ces trois catégories. Les référendums, par exemple, sont explicitement numériques dans la forme où ils parviennent au stade de la décision politique. Mais ils peuvent également donner lieu à des négociations entre les partis politiques ou d’autres groupes d’intérêts, en vue de dégager un appui politique en faveur ou contre la question référendaire. Lors de la présentation des arguments opposés, les parties concernées encourageront également un processus de délibération parmi les citoyens. Aussi, s’agissant de l’existence et de l’évolution des institutions de la démocratie, la question qui se pose est-elle celle de l’importance que l’on entend accorder à ces différentes fonctions. La nature délibérative des parlements leur impose une conduite différente de celle d’une stratégie de négociation. En outre, il peut s’avérer nécessaire de réexaminer la technique d’agrégation numérique lorsque les débats produisent davantage d’effets.

L’intérêt de cette question est de mettre en lumière la combinaison possible de ces différents instruments pour renforcer l’efficacité de la démocratie. Elle fournit par conséquent une série de critères utiles à l’appréciation des activités des ONG et des initiatives parrainées par l’Etat en faveur de la participation des citoyens. Seuls les modes de scrutins formels assurent véritablement une démocratie numérique placée sous le signe de l’égalité politique. Bien que les enquêtes, les sondages et les autres formes de consultation donnent un aperçu des préférences des citoyens, ils ne constituent pas un mode d’agrégation numérique fiable. La pluralité des groupes d’intérêts et des organisations est néanmoins vitale si l’on souhaite avancer dans la voie d’une démocratie fondée sur la négociation. Cette pluralité est tout aussi cruciale pour le développement de la démocratie délibérative, bien que la discussion puisse également être favorisée par le biais d’initiatives parrainées par l’Etat.

Le Conseil se trouve cependant face à un problème : la relative facilité de la promotion des mécanismes de la démocratie numérique auprès des Etats membres. De fait, les activités relatives aux normes électorales et au suivi des élections sont essentielles à ce type de démocratie. Les structures d’aide aux pays en transition vers la démocratie mises en place par le Conseil constituent l’une de ses grandes réussites en matière démocratique. Mais établir une société civile solide grâce à un réseau d’ONG, par définition indépendantes de l’Etat, est une tâche autrement plus délicate et plus longue. Dans les pays où l’Etat contrôlait autrefois la société civile ou décourageait son émergence même, le nombre d’ONG demeure insuffisant, tout comme leur capacité à appuyer la concrétisation complète d’une conception pluraliste. En outre, la privation d’une culture politique propice aux délibérations ou à la négociation, à laquelle leur histoire avait auparavant condamné les nouvelles démocraties, y entrave également le développement de ces pratiques. Bien que la compréhension de la manière dont ces organisations peuvent contribuer à la démocratie s’intègre peu à peu à l’acquis du Conseil, la capacité de renforcer la démocratie par le biais de ces notions demeure limitée dans un grand nombre de pays européens.

Conclusions

Le présent chapitre portait sur l’identification et l’analyse des principes démocratiques fondamentaux établis par l’acquis du Conseil en matière de démocratie. Cet acquis forme un ensemble complexe de notions, qui s’est constitué au fil du temps grâce à un processus de discussion complexe. Il convient d’en résumer ici les cinq principes essentiels.

La démocratie parlementaire. Le Conseil demeure attaché aux structures formelles de la démocratie destinées à faire respecter la séparation des pouvoirs et la présence d’une gamme d’instruments permettant la formulation et l’expression des opinions. L’existence d’assemblées élues, constituées en parlements, représente une donnée essentielle de cette structure institutionnelle. Les parlements forment dans cette optique un microcosme représentatif de l’éventail complet des préoccupations socioéconomiques et politiques de la collectivité ; ils sont le centre du débat et de la réflexion. L’acquis ne propose cependant pas de doctrine approfondie sur les rapports entre les parlements et les autres tentatives d’implication directe des citoyens dans le processus politique.

La représentation. La réalisation de cette ambition suppose que les parlements, qui sont au service des communautés, soient véritablement représentatifs de ces dernières. Le Conseil s’est concentré sur trois piliers de cette représentativité. Il a tout d’abord défendu le principe de la pluralité des partis politiques, qui constitue le fondement d’une politique démocratique effective. Sa préoccupation à l’égard du financement des partis politiques et de la nécessité de prévenir toute corruption de ces derniers par le versement à leur profit de fonds provenant de groupes d’intérêts privés est, à cet égard, significative. Deuxièmement, le Conseil a mené une action énergique en faveur des bons usages en matière électorale, à la fois par la définition de normes et la mise en place d’un suivi des processus électoraux. Tout en favorisant l’application de normes exigeantes au cours des élections, le Conseil s’est également attaché à la question de la privation du droit de vote des minorités ethniques et a tout particulièrement œuvré en faveur de la promotion de l’égalité entre hommes et femmes, qui constitue une caractéristique essentielle de la démocratie. Enfin, le Conseil a également appuyé activement l’élaboration de nouveaux instruments destinés à renforcer la représentation.

Transparence, réactivité et responsabilité.

Bien qu’un large éventail de questions puissent être abordées sous l’angle de la transparence, de la réactivité et de la responsabilité, le Conseil a concentré ses efforts sur trois domaines principaux. Premièrement, il a cherché à définir et à faire respecter les normes éthiques dont l’observation peut être attendue de tout agent public, qu’il soit un fonctionnaire percevant traitement ou un élu. Deuxièmement il a élaboré toute une gamme d’instruments visant à lutter contre la corruption à tous les échelons, depuis les collectivités locales, jusqu’à la criminalité et la corruption internationales. En s’attachant à codifier les actes de corruption qu’il convenait d’incriminer, le Conseil a établi d’importants éléments de référence pour la prévention de la corruption antidémocratique. Troisièmement, le Conseil a consacré une bonne part de ses efforts à soutenir ce pilier de la démocratie que représentent des médias libres et agissants. Parallèlement, il s’est également soucié du pluralisme des médias, qui constitue le meilleur moyen de garantir la liberté d’expression. Seuls la préservation et le renforcement de chacune de ces trois composantes permettront d’asseoir la transparence, la réactivité et la responsabilité des institutions politiques.

Démocratie infranationale et subsidiarité.

La Charte européenne d’autonomie locale a défini la place de l’autonomie locale dans un régime démocratique élargi. Cependant, malgré sa très large adoption par les Etats membres, l’exercice de la démocratie locale demeure extrêmement limité dans de nombreux pays. Le principe de subsidiarité, notamment, qui exige que les décisions soient prises à l’échelon le plus proche des citoyens, n’a pas toujours été respecté. Il s’agit là d’un problème complexe, notamment parce qu’il n’existe pas deux Etats membres dont les structures institutionnelles à l’échelon national ou infranational soient similaires. Ce principe reste néanmoins important pour la démocratie et essentiel dans la vision de la démocratie européenne du Conseil.

Participation et société civile.

Le Conseil promeut les principes de la participation et de la société civile à travers un grand nombre de textes adoptés par ses soins et d’activités. La participation consiste tout particulièrement à encourager l’engagement de catégories d’ordinaire marginalisées de la population : les jeunes, les minorités ethniques, les immigrés, etc. La nécessité d’une représentation équilibrée des hommes et des femmes constitue également une caractéristique majeure de ce domaine. Le soutien à la société civile a davantage porté sur le moyen de permettre aux ONG d’obtenir une reconnaissance officielle de leur contribution à la démocratie et d’acquérir une certaine légitimité politique. Néanmoins, les rapports entre ce principe et ceux qui relèvent plus spécifiquement des institutions de la démocratie représentative demeurent embryonnaires.

Ces cinq principes, ainsi que les diverses pratiques institutionnelles qui les incarnent, constituent le cœur de l’acquis du Conseil de l’Europe en matière de démocratie. Le présent rapport ne prétend toutefois pas énoncer ces principes de manière exhaustive ni cohérente. D’autres principes sont en effet parfois avancés en complément de ces normes fondamentales. La liste proposée ici retient simplement les principes les plus fréquemment invoqués dans les traités et les textes adoptés par le Conseil.

Il convient également de faire état du caractère évolutif de ces principes. Comme le projet démocratique est lui-même intemporel et inachevé, nous devons reconnaître que les principes démocratiques prônés par le Conseil de l’Europe ont davantage pris corps au gré d’enrichissements et d’adaptations successifs qu’ils n’ont été le fruit d’une réflexion cohérente et soutenue. Certains principes ont été énoncés en réponse à une difficulté ou une situation précise. La baisse de la participation électorale et le constat de déficit démocratique sont un exemple des problèmes auxquels il a fallu faire face. La transition démocratique de l’Europe centrale et orientale, ainsi que l’adhésion d’un certain nombre d’Etats aux parcours sociaux et politiques fort divers représentent un événement qui a considérablement modifié le cours de l’évolution démocratique. Aussi n’est-il guère surprenant que les principes exposés plus haut ne soient pas toujours compatibles entre eux et génèrent quelques tensions au sein du projet démocratique porté par le Conseil. Ces principes entrent parfois en concurrence dans des contextes différents pour l’orientation des évolutions institutionnelles. Ils constituent néanmoins le fondement de l’action menée par le Conseil en matière d’institutions démocratiques et, à ce titre, offrent des éléments essentiels à la compréhension du cheminement démocratique de l’Europe.

Chapitre 4 : Les institutions démocratiques en action  

Pour comprendre de quelle manière la démocratie peut être développée en Europe, il convient de se pencher attentivement sur les institutions démocratiques et leur mode de fonctionnement. Depuis sa fondation, le Conseil de l’Europe s’est efforcé de concevoir ou de façonner le développement des institutions démocratiques parmi ses Etats membres, en se consacrant au départ aux démocraties déjà bien établies et, plus récemment, aux démocraties nouvelles et émergentes. Le Projet intégré « Les institutions démocratiques en action » témoigne de cet engagement général, mais il attire également l’attention sur les enjeux pratiques de l’édification des institutions dans des contextes divers et complexes. Les principes démocratiques, tels que la représentation, la participation et la responsabilité, entrent en vigueur et prennent tout leur sens au travers des mécanismes institutionnels131. Dans le cadre de son évaluation de l’intégration des normes par les Etats membres, le projet s’est attaché à la fois à l’état de santé des institutions démocratiques en vigueur et à la conception de nouvelles institutions destinées à poursuivre un objectif démocratique (vote électronique et approche intégrée de l’égalité des sexes, par exemple).

Un résumé analytique de l’acquis (sur lequel repose le Projet intégré « Les institutions démocratiques en action ») exige un cadre qui permette de préciser, premièrement, comment les instituions démocratiques exercent leurs activités ; deuxièmement, le défi que représentent les institutions démocratiques en action pour le Conseil de l’Europe ; et, troisièmement, les principes d’une bonne conception institutionnelle.

Nous aborderons tour à tour dans ce chapitre chacun de ces trois thèmes.

Comment les institutions démocratiques exercent-elles leurs activités ?

Du point de vue analytique, le terme « institution » fait référence à la « règle du jeu » que les acteurs politiques observent dans un contexte donné. Certaines de ces règles présentent un caractère formel, comme les constitutions, les directives ou les structures organisationnelles ; d’autres constituent des normes et des conventions informelles, qui ont été établies selon le mode de fonctionnement de la vie politique de chaque pays. Les premières ont été soigneusement conçues et clairement spécifiées, tandis que les secondes forment un droit coutumier, une série d’usages non écrits, ce qui ne nuit en rien à leur validité. Les institutions politiques fonctionnent en modelant le comportement des acteurs politiques, c’est-à-dire des responsables politiques, des fonctionnaires, des groupes d’intérêt et des citoyens. La règle du jeu ne détermine pas le résultat de ce dernier (songeons par exemple au football), mais offre un cadre au sein duquel les acteurs élaborent et poursuivent leur stratégie. Les institutions politiques prévoient une série de contraintes et de possibilités applicables à la pratique de la démocratie.

Les règles créent les fonctions (telles que le statut d’élu, de membre exécutif, de président de commission, de partenaire) ; elles déterminent comment les personnes concernées accèdent à ces fonctions ou les quittent (élection, nomination, parrainage, contrat), les initiatives qu’elles sont habilitées à prendre (décision, recours, veto) et les objectifs qu’elles sont autorisées à poursuivre132. Alors que les règles formelles définissent des procédures, des incitations et des sanctions précises, les règles informelles déterminent ce que l’on juge « approprié » dans diverses situations et sont l’expression de valeurs et d’identités. Les règles informelles renforcent parfois les restrictions formelles, les outrepassent quelquefois et représentent alors des institutions fantômes ou parallèles (« où tout se joue vraiment »).

Il est important de conserver à l’esprit que l’édification, le maintien et l’amélioration de la démocratie ne sont pas l’œuvre des institutions elles mêmes, mais celle des acteurs politiques. Les institutions ne représentent pas davantage que des documents écrits (ou publiés sur un site Web) ou des bâtiments de béton et de verre, à moins que les structures dont elles sont l’expression soient « instanciées » dans le comportement des individus133. Ce sont les acteurs politiques qui créent et recréent au quotidien les institutions. Ce sont les responsables politiques, les fonctionnaires et les citoyens qui assortissent les situations aux règles et qui prennent la décision de respecter, d’enfreindre ces mêmes règles ou d’y faire une entorse.

De fait, le nombre et l’éventail d’acteurs politiques qui participent à l’heure actuelle à la démocratie ne cessent de croître. Le débat démocratique et la prise de décision associent de plus en plus les ONG et les acteurs du secteur privé. Nous avons aujourd’hui besoin d’un cadre qui se concentre davantage sur les règles du jeu démocratique que sur l’organisation particulière de l’Etat. La plupart des innovations démocratiques impliquent des règles et des usages qui façonnent de nombreux acteurs et organismes différents, lesquels agissent à la fois de façon individuelle et en partenariat. Le processus démocratique ne peut être considéré plus longtemps comme synonyme du fonctionnement des structures étatiques officielles, que se soit à l’échelon national, infranational ou supranational. La démocratie européenne connaît de nouveaux modes d’institutionnalisation, bien que les anciennes institutions (telles que les organes législatifs, les assemblées élues et les conseils locaux) demeurent importantes. Pour poursuivre la comparaison avec le football, disons qu’il convient d’examiner l’évolution suivie par le jeu lui-même et non le destin d’un club en particulier (quelle que soit son influence).

Faire fonctionner les institutions démocratiques est un processus en plusieurs étapes. Des règles formelles appropriées doivent non seulement être créées, puis admises par les divers acteurs politiques concernés et ensuite intégrées au fil du temps. Enfin, elles doivent faire l’objet d’un suivi, qui permettra de déterminer si elles façonnent efficacement les comportements politiques et la prise de décision et si elles sont parvenues à entrer dans les usages politiques les plus établis. La force de l’approche retenue par le Conseil de l’Europe tient à l’importance que l’acquis accorde à chacune de ces étapes.

En premier lieu, les conventions ayant force de loi et les recommandations non contraignantes participent tous deux à la création des institutions démocratiques. Ainsi, comme nous l’avons déjà démontré plus haut, alors que la Charte européenne d’autonomie locale précise les règles formelles des rapports entre gouvernement central et collectivités locales, les rapports de suivi du Congrès établissent clairement la diversité des applications nationales de cette question.

Deuxièmement, les programmes de formation et de sensibilisation, ainsi que la fourniture de lignes directrices politiques, sont essentiels à la reconnaissance de nouvelles règles institutionnelles. L’action menée par les différentes composantes du Conseil pour aider les pays en transition à former les responsables politiques et à intégrer les mécanismes institutionnels représente une étape significative dans cette voie.

Ensuite, l’intégration des institutions démocratiques est réalisée grâce à l’assistance d’experts de la mise en œuvre des instruments adéquats. Les diverses conférences et autres activités du projet font partie de ce processus.

Finalement, le Conseil de l’Europe procède également au suivi du respect des engagements des Etats membres à l’égard de la mise en place et du fonctionnement des institutions démocratiques. Ces activités de suivi mettent en lumière les défaillances ou les problèmes de leur mise en œuvre et énoncent également les principes institutionnels auxquels le Conseil est attaché.

Ainsi, globalement, le fonctionnement des institutions démocratiques est assuré par la combinaison de règles constitutionnelles formelles et des schémas informels produits par le comportement et les attentes des citoyens. La démocratie est jugée particulièrement efficace lorsque les règles formelles et informelles sont toutes deux largement comprises et admises par l’Etat. Inversement, lorsque les institutions formelles sont relativement neuves, il peut arriver que les normes et les usages informels n’aient pas encore dépassé le stade de l’élaboration ou de la négociation et ne soient pas aussi largement admises. Dans ce cas, l’absence de normes informelles, qui agissent comme un lubrifiant sur les rouages de la démocratie, nuit à l’efficacité du fonctionnement de cette dernière.

Les institutions démocratiques en action : un défi pour le Conseil de l’Europe

Il existe à l’évidence de nombreuses variables externes susceptibles d’influer sur l’intervention du Conseil de l’Europe en matière d’institutions démocratiques : citons notamment le niveau d’éducation, la situation économique, les tensions sociales, l’évolution démographique, etc. Nous nous intéresserons ici aux problèmes extérieurs à la nature même des institutions démocratiques.

Il est avant tout indispensable de constater que les institutions démocratiques sont insérées dans un environnement institutionnel complexe, à la fois politique et non politique, sur lequel ceux qui les conçoivent peuvent avoir fort peu d’emprise. Les mécanismes institutionnels éventuellement ciblés par une intervention précise du Conseil de l’Europe – les conseils des collectivités locales, les assemblées régionales, les gouvernements nationaux – sont emboîtés dans le cadre institutionnel plus large qui existe au dessus, en dessous et à coté d’eux. Les institutions démocratiques locales, par exemple, sont façonnées par les règles qui émanent d’échelons administratifs supérieurs, y compris la législation nationale. Les gouvernements nationaux, de leur coté, sont influencés par des modèles institutionnels qui ne sont pas nécessairement politiques, mais qui sont véhiculés dans la société et l’économie en général par les médias, l’éducation et les canaux commerciaux (inspirés, par exemple, par les styles de gestion commerciale, les modèles de direction d’entreprise, les  idées de « révolution des technologies de l’information » ou les campagnes de lutte contre la corruption). Les institutions démocratiques sont également modelées par les cultures et les usages locaux particuliers (les particularismes locaux), que ce soit à l’échelon national, régional ou local134. L’émergence d’une nouvelle gestion publique dans l’ensemble des pays de l’OCDE et au-delà, l’attention portée à l’administration électronique et d’autres évolutions de ce type sont autant d’exemples de modèles institutionnels qui non seulement façonnent les institutions publiques, mais encore sont suffisamment adaptables aux spécificités locales.

Deuxièmement, les rapports de pouvoir orientent au fil du temps l’évolution des institutions. Celles-ci présentent un caractère politique qui leur est inhérent ; car la présence de règles génère des schémas de répartition des avantages135. Les modifications institutionnelles ne se résument en aucun cas à un simple problème d’ordre technique, puisque toute remise en cause des accords institutionnels en vigueur est susceptible de rencontrer une résistance. De fait, la réforme des institutions peut avoir pour but de modifier les rapports de pouvoir (par exemple renforcer les compétences du corps législatif au détriment de l’exécutif, des collectivités locales au détriment du gouvernement national, des ONG face aux groupes de pression des grandes entreprises ou, enfin, des simples citoyens face aux bureaucrates et aux responsables politiques). L’intérêt porté par l’Assemblée parlementaire aux autres formes d’engagement des citoyens, associé à son affirmation constante de la primauté des parlements, illustre sa conscience de la possible évolution des rapports de pouvoir sous l’effet de nouvelles pratiques démocratiques. Les efforts délibérés de réforme institutionnelle aboutissent difficilement. Les nouvelles règles peuvent être détournées au profit d’acteurs puissants et adaptées de manière à préserver leurs intérêts. Elles peuvent également n’avoir qu’une existence purement théorique, tandis que les anciennes règles conservent leur emprise d’une manière certes informelle, mais qui n’en est pas moins efficace136. Pour les réformateurs, la désinstitutionalisation peut s’avérer plus complexe encore que l’élaboration de nouvelles règles, bien que cette question soit rarement traitée. Il est intéressant de noter que Paul Kirby, ancien haut fonctionnaire de la Cour des comptes britannique, a récemment fait valoir qu’il fallait davantage songer à abandonner les pratiques et les usages anciens. Il résume cette idée en une formule : « le progrès, aujourd’hui, c’est l’arrêt »137.

Troisièmement, le fonctionnement des institutions démocratiques est également marqué par l’histoire. Cet argument tient à une idée simple : les institutions démocratiques sont influencées par « l’environnement dont elles héritent »138. Les pratiques actuelles et la perception des possibilités futures sont limitées par les traditions, qui s’expriment à la fois sous forme de règles formelles (constitutions et mandats, par exemple) et d’usages informels (paternalisme ou déférence, par exemple). L’histoire est autant source de diversité que d’uniformité au sein des institutions démocratiques, car les traditions varient d’un lieu à l’autre. De fait, l’extrême diversité des structures démocratiques en place dans l’Europe entière peut être analysée au regard de cette dimension historique, qui explique non seulement l’existence de mécanismes différents, mais encore leur adéquation et leur efficacité dans chaque contexte.

Mais cet argument repose également sur l’idée plus complexe de la « dépendance à l’égard de la voie suivie ». L’idée maîtresse est que, dès lors que les auteurs des institutions se sont engagés dans une voie particulière (quelque soit le caractère arbitraire du choix initial), le coût d’un changement de direction serait élevé. La dépendance à l’égard de la voie suivie repose sur l’assurance d’une contrepartie de plus en plus importante ou d’une rétroaction positive : comparé à l’adoption d’une autre option, le relatif avantage procuré par la fidélité à un modèle institutionnel s’accroît avec le temps, tandis que le coût de son abandon augmente139. La dépendance à l’égard de la voie suivie engendre une spirale entraînante, dont l’activité se renforce d’elle-même. Il peut cependant s’agir d’un cercle vertueux ou vicieux. Rien ne permet en effet de présumer de la supériorité du choix arrêté et maintenu sur les alternatives auxquelles on renonce. Mais cette possibilité devient au fil du temps de moins en moins probable, compte tenu des obstacles qui se dressent en travers de l’innovation et de l’adaptation à l’évolution du contexte. Les effets rétroactifs positifs sont particulièrement puissants au sein des institutions politiques, étant donné le caractère juridiquement contraignant des règles qui délimitent la voie empruntée et l’absence de mécanismes concurrentiels susceptibles de stimuler l’apprentissage et une prise de risque bénéfique140.

Comme une bonne part de l’action menée par le Conseil vise à modifier les institutions démocratiques, à renforcer leur efficacité ou, de façon plus radicale, à introduire de nouveaux modèles institutionnels, la compréhension des contraintes institutionnelles s’impose. Seul l’examen de ces problèmes permettra au Conseil d’espérer améliorer le fonctionnement des institutions démocratiques.

Principes élémentaires d’une conception réussie des institutions

Compte tenu de ces contraintes, quels principes vaut-il mieux suivre pour influer sur le fonctionnement des institutions démocratiques ?

Pour réaliser cette modification, les interventions doivent davantage prendre le caractère d’une redéfinition que celui d’une conception ; elles doivent être par ailleurs être conçues comme un instrument indirect, plutôt que comme un mécanisme direct141. L’idée de redéfinition est primordiale car les réformateurs subissent inévitablement la contrainte de l’héritage du passé, ainsi que la force de la dépendance à l’égard de la voie suivie. L’approche indirecte s’avère importante, car il est préférable que ces mêmes réformateurs guident ou canalisent les interventions d’acteurs politiques dispersés, au lieu de chercher à imposer un ensemble unique de règles. Goodin préconise l’abandon du « mythe du concepteur d’un modèle délibéré » et soutient que l’objectif devrait être « de concevoir des schémas de conception des institutions »142, c’est-à-dire de fixer les limites à l’intérieur desquelles les « créateurs moyens » des institutions politiques pourront opérer143. Le fonctionnement des institutions démocratiques doit être recherché uniquement en influençant, sur le fond, le comportement d’acteurs politiques réfléchis. Toute intervention dans la conception des institutions se doit d’exploiter, et non de frustrer, les efforts de création de ceux qui pratiquent la démocratie au quotidien.

On considère généralement que l’assurance d’une conception réussie découle de la combinaison de sa compatibilité interne et de sa bonne insertion dans l’environnement extérieur. Il serait toutefois utile de considérer que le succès d’une conception est davantage assuré par la présence de principes clairement énoncés, que par des nécessités fonctionnelles ; et tout autant par sa faculté à tirer profit des enseignements pratiques et sa capacité d’adaptation, plutôt que par son ajustement environnemental. Comme les institutions concrétisent inévitablement des valeurs et des rapports de pouvoir, leur conception tient nécessairement du projet normatif. Les valeurs prônées et contestées dans le cadre d’une réforme institutionnelle doivent être parfaitement précisées. L’abandon de valeurs « anciennes » peut expliquer la difficulté que présente une modification institutionnelle ; en même temps, c’est précisément sa dimension normative qui rend la conception des institutions si importante – et si séduisante pour chaque génération de femmes et d’hommes politiques144. En matière de conception des institutions, les valeurs phares ne doivent pas seulement être clairement proclamées, mais également se révéler « publiquement défendables », c’est-à-dire légitimes aux yeux de l’ensemble des citoyens145. Il est nécessaire que les valeurs qui éclairent la conception institutionnelle soient comprises et sérieusement débattues par les citoyens. Comme l’affirme John Dryzek : « aucune institution  ne saurait fonctionner sans être secondée et soutenue par le discours»146.

La conception institutionnelle doit échapper au « réflexe de la perfection immédiate » ; au lieu de rechercher l’application universelle d’un type particulier d’institutions ou la diffusion maximale de « bons usages », il est important de maintenir un « moteur de diversité » au sein du modèle institutionnel147. Tolérer, voire promouvoir la variabilité au sein de cette conception institutionnelle est un moyen de forger une capacité d’innovation et d’adaptation à l’évolution du cadre environnant. Il est indispensable que les institutions démocratiques soient souples, sans être fragiles : il leur faut pouvoir s’adapter à des circonstances nouvelles, sans que celles-ci ne les détruisent. Comme le fait observer Goodin : « nous voulons être en mesure, quelquefois, de nous plier au cours particulier des événements et être assurés que nous (ou nos successeurs) résisterons à toute tentation de nous en écarter »148.

De fait, la caractéristique fondamentale de toute institution est de fonctionner en « triade », ce qui signifie que « leur création et leur respect est assuré par des « tiers » qui ne prennent aucune part à l’interaction institutionnalisée »149. Le rôle de ces garants consiste à « exposer les raisons qui fondent la validité d’un ordre institutionnalisé, qui mérite de ce fait d’être respecté »150. La subtilité de ces arguments contribue pour beaucoup à la solidité des institutions. Goodin soutient que le modèle institutionnel doit être « sensible à la complexité des motifs ». Les mécanismes les plus efficaces pour assurer le respect des institutions sont peut être ceux qui cultivent la confiance et font « directement appel aux valeurs morales » ; ils sont préférables à ceux qui visent uniquement à contrôler le comportement d’acteurs supposés privilégier leur intérêt personnel et enclins à la « défection »151. Le succès d’un modèle institutionnel dépend autant du « logiciel institutionnel » que constituent les arguments convaincants et les discours persuasifs, que du « matériel » que représentent les règles, les droits et les procédures de fonctionnement152. Ce message est particulièrement important pour les activités de suivi du Conseil, dont l’incidence peut être la plus forte dans ce domaine.

C’est pourquoi un modèle institutionnel devient satisfaisant lorsqu’il s’avère à la fois solide et remaniable153.

La solidité des institutions tient à la présence de deux critères : premièrement, la clarté des valeurs qui éclairent le modèle institutionnel et, deuxièmement, la nature et l’efficacité de « l’application garantie par les tiers ».

Comme l’institutionnalisation est un processus en constante évolution (les institutions ne sont pas créées une fois pour toutes), il ne suffit pas d’examiner les valeurs et les mécanismes d’application consacrés par le modèle initial. Il convient également de déterminer dans quelle mesure la netteté de ces valeurs résiste au temps et d’observer l’évolution en cours des stratégies d’application des institutions. Par « application », il faut entendre la garantie que les nouveaux modèles institutionnels se maintiennent, qu’ils façonnent le comportement des acteurs concernés de la manière souhaitée et génèrent une nouvelle « logique d’applicabilité » spécifique. Leur application peut plus ou moins reposer sur un dispositif de contrôle direct ou sur des engagements pris par lesdits acteurs.

Le caractère remaniable des institutions peut être obtenu en fonction de deux autres critères : tout d’abord leur souplesse, c’est-à-dire la capacité d’adaptation au fil du temps des éléments du modèle institutionnel et leur faculté de tirer des enseignements de la pratique ; et, deuxièmement, la variabilité, c’est-à-dire le degré de tolérance (et même d’encouragement) des différentes variantes du modèle à différents endroits.

En bref, ce caractère remaniable vise à garantir le fonctionnement des mécanismes institutionnels dans les différents environnements locaux, au gré de l’évolution des circonstances, ainsi que l’existence d’une capacité d’innover et de tirer des enseignements de la pratique.

Conclusions

Une bonne part des thèses avancées dans ce chapitre est déjà admise implicitement par les diverses activités du Conseil. Ses conventions officielles laissent aux différents Etats membres une certaine latitude pour l’établissement de la démocratie. Les textes qu’il adopte visent à renforcer les principes, tout en permettant un degré de réflexion sur diverses questions. Le suivi des évolutions démocratiques ajoute encore à la fois aux possibilités de remaniement et à la solidité des diverses institutions nationales et locales. Mais à trop vouloir solutionner les problèmes contemporains, relever des défis démocratiques précis et saisir les opportunités qui pourraient se présenter, le Conseil risque de négliger la force d’inertie des institutions et la nécessité d’un modèle institutionnel réactif.

Soucieux d’améliorer l’efficacité du fonctionnement des institutions démocratiques, le Conseil doit avant tout déterminer les valeurs qu’il entend exprimer au moyen de formes institutionnelles particulières. Les principes énoncés plus haut représentent une première étape dans cette démarche, puisqu’ils permettent de clarifier les différents principes constitutifs de l’acquis et de mettre en lumière les éventuelles tensions au sein de ces principes ou entre eux. La clarification des « règles du jeu » actuelles et la compréhension des fonctions attribuées aux différents acteurs passent nécessairement par l’émergence de ces valeurs. Deuxièmement, lorsqu’il formule des recommandations de réforme institutionnelle, le Conseil doit garder à l’esprit les complexités de la démocratie propres à chaque Etat membre, les rapports de pouvoir inhérents aux différents modèles institutionnels et l’influence de l’histoire sur le façonnement des structures institutionnelles en place. Recommander ou s’engager en faveur de pratiques institutionnelles qui ne refléteraient pas ces questions et n’offriraient par conséquent aucune latitude ne présenterait guère d’intérêt. Troisièmement, l’approche retenue par le Conseil en matière de modèle institutionnel ne devrait pas viser la perfection ou le « modèle idéal type », mais plutôt chercher à incarner ses valeurs et ses ambitions démocratiques par la combinaison de différentes formes institutionnelles, susceptibles de s’adapter aux divers contextes politiques et culturels.

La plus importante contribution du Conseil de l’Europe au développement de la démocratie dans ses Etats membres consiste peut-être en son rôle de garant du respect de cette même démocratie. Comme il n’est pas partie prenante dans « l’interaction institutionnalisée », le Conseil est en mesure de proposer des réformes qui traduisent une conscience des rapports de pouvoir concurrents, mais qui n’y prennent pas part. Ses pouvoirs d’initiative de réformes institutionnelles (traités, recommandations, etc.) et ses activités de suivi et de soutien permettent aux différents organes du Conseil de favoriser et de renforcer des institutions à la fois solides et remaniables. Solides, car elles reflètent les valeurs fondamentales de la démocratie européenne et sont l’expression d’un consensus propre à l’ensemble du continent. Remaniables, dans la mesure où leur souplesse les autorise à s’inspirer d’autres institutions et de l’expérience acquise par d’autres pays, ainsi qu’à varier les formes et les pratiques institutionnelles. Enfin, grâce à la place unique qu’il occupe, le Conseil est en mesure d’étendre les institutions démocratiques à d’autres niveaux et à d’autres domaines politiques. Seule une attention soutenue portée à l’élaboration des institutions permettra au Conseil de conserver son influence sur le développement institutionnel de la démocratie en Europe.

Chapitre 5 : Les conflits générés par l’établissement de la démocratie 

La présente publication a procédé à une analyse de la conception de la démocratie défendue par le Conseil de l’Europe, telle qu’elle s’exprime au travers de son acquis. Dans le cadre de cette étude, elle s’est efforcée de comprendre non seulement les diverses valeurs sur lesquelles se fonde l’acquis, mais encore les qualités et les défauts de ses textes actuels au regard du soutien et du développement de la démocratie. L’une des conclusions essentielles à laquelle conduit notre analyse est que l’acquis ne peut être considéré comme corpus définitif et parfaitement établi, dont le Conseil n’aurait plus désormais à se soucier. Nous sommes en effet loin de cette situation, puisque nous avons constaté le caractère intemporel de la démocratie et la nécessité de renouveler sans cesse ses institutions pour prévenir toute atrophie ou tout excès de la démocratie. L’évolution de la démocratie est parvenue à un stade où le Conseil et les autres organisations paneuropéennes et nationales se trouvent dans l’obligation de prendre une série de décisions importantes au sujet de l’orientation qui devra à présent lui être donnée. Ce chapitre abordera quelques questions et conflits auxquels il conviendra de réfléchir avant toute prise de décision.

Comme nous l’avons constaté dans les chapitres précédents, l’acquis présente à l’évidence un certain nombre de conflits et de contradictions. Ces dernières sont d’ailleurs inévitables, compte tenu de l’expansion considérable qu’il a connue et du caractère évolutif de la pratique démocratique au sein d’Etats membres dont le nombre a rapidement augmenté. Cependant, malgré la présence d’éléments litigieux et contradictoires au sein de l’acquis, il existe un incontestable consensus général à propos des principes fondamentaux sur lesquels repose l’action du Conseil dans le domaine des normes démocratiques. Une forte proportion de conventions, chartes, recommandations, résolutions et autres textes adoptés débutent par la réaffirmation de la foi du Conseil en un patrimoine commun, partagé par l’ensemble des Etats membres. Les difficultés surviennent dès lors que le débat sur la démocratie passe de ces principes fondamentaux à la question de leur application par l’intermédiaire de divers instruments. Deux catégories de problèmes peuvent ainsi se présenter.

En premier lieu, chacun des divers organes du Conseil de l’Europe, des différentes conventions et chartes, ainsi que des divers groupes de travail, cherche à définir le « problème démocratique » et à le traiter à sa manière. Il s’agit pour les uns d’une question de légitimité, qui tient à la représentation des citoyens. Les autres considèrent qu’il existe une crise de la citoyenneté, liée aux possibilités institutionnelles à l’échelon local. D’autres encore évoquent l’exclusion sociale ou politique de catégories particulières de la population et l’absence de possibilités d’engagement adéquates. Les solutions préconisées sont tout aussi variées et s’étendent de l’application de normes éthiques aux agents de la fonction publique, jusqu’à l’éducation des citoyens et au renforcement de leur participation à l’aide des nouvelles technologies. Aucune de ces définitions du problème ni des solutions qui lui sont apportées ne menace l’évolution de la démocratie en Europe. De fait, le large éventail d’initiatives prises démontre clairement l’importance du renforcement de la démocratie dans l’action menée par le Conseil. Il est cependant indispensable de déterminer avec précision les différentes définitions de la démocratie employées au sein du Conseil, pour pouvoir décider de la future orientation qu’il conviendra de donner à la démocratie en Europe. L’émergence des valeurs de la démocratie européenne passe d’abord par la compréhension des problèmes rencontrés par les diverses institutions démocratiques.

En deuxième lieu, l’interprétation des différents instruments démocratiques du Conseil de l’Europe par chacun de ses Etats membres représente une autre source éventuelle de difficultés. La diversité des cultures politiques et des attentes de chaque Etat peut les conduire à privilégier certains instruments et certaines interprétations de l’une ou l’autre résolution. L’acquis du Conseil comporte énormément d’informations sur le respect des conventions et des chartes ou des pratiques démocratiques en général. Mais cette documentation ne présente aucune exploration globale ou thématique des différences d’interprétations susceptibles de générer des pratiques très diverses dans chacune des démocraties. De fait, les rapports posent souvent en principe l’existence d’un modèle type idéal auquel les Etats ne se conforment pas, alors même que ce modèle idéal n’a jamais été, à l’évidence, clairement énoncé ni examiné en détail.

Ce deuxième problème est, à bien des égards, la conséquence de l’acceptation réaliste d’une « géométrie variable ». Elle apparaît, par exemple, dans l’élaboration de la charte régionale de l’autonomie locale. Les documents de référence utilisés pour la rédaction du projet de charte admettent l’existence de formes de collectivités régionales différentes d’un Etat à l’autre ; certains d’entre eux présentent d’ailleurs une diversité de systèmes sur leur propre territoire national. Cependant, on assiste désormais, sous les auspices du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe, à un mouvement croissant en faveur des « régions dotées d’assemblées législatives », qui demandent à disposer de droits et de compétences propres dans le cadre du Conseil de l’Europe. Bien qu’elles ne remettent pas en questions les autres pratiques démocratiques promues par le Conseil, ces régions bénéficieront de possibilités particulières, ce qui ne sera pas le cas des régions dépourvues de pouvoirs législatifs et pourrait à l’avenir devenir une source de clivages.

Il s’agit en somme d’un véritable problème d’interprétation et d’application. Dans quelle mesure la démocratie doit-elle présenter une évidente similitude dans l’ensemble des Etats membres européens, dans quelle proportion les retardataires ou les chefs de file de la démocratie doivent-ils modifier leur action et jusqu’où le Conseil doit-il repousser les limites de la démocratie ? Ces questions peuvent être examinées au travers de deux conflits sous-jacents dans les travaux du Conseil : la convergence ou la divergence à l’égard de normes et de pratiques démocratiques précises ; la stabilité ou le changement face à l’incidence d’innovations particulières et à leurs conséquences sur les valeurs démocratiques. Ces conflits ne s’inscrivent pas nécessairement dans une dichotomie, bien qu’ils soient exposés ici sous cette forme, qui représente l’alternative à laquelle se résume la décision des bâtisseurs des institutions démocratiques en Europe.

Convergence ou divergence ?

Bien que la création du Conseil de l’Europe remonte à plus de cinquante ans, l’adhésion de plus de la moitié de ses Etats membres ne s’est faite qu’au cours de ces deux dernières décennies. Il existe une distinction importante, mais souvent implicite, entre, d’une part, les démocraties anciennes et bien établies qui constituent des Etats membres de longue date et influents du Conseil et, d’autre part, les jeunes démocraties dont l’adhésion est plus récente. Cette distinction soulève une série de questions sur l’orientation choisie par le Conseil en matière de démocratie. L’objet des diverses chartes, résolutions et recommandations adoptées par les organes du Conseil est-il d’appliquer une norme commune dans l’ensemble des démocraties européennes (le plus petit dénominateur commun) ou de façonner la direction dans laquelle évolue la démocratie ?

Ces deux scénarios ne sont bien entendu pas nécessairement concurrents. Il est parfaitement envisageable que certains pays établissent un socle minimal de pratiques démocratiques, tandis que les autres élargissent rapidement leurs possibilités démocratiques. De fait, à certains égards, il est indispensable que les nouvelles démocraties passent par ce processus, afin de mettre en place les infrastructures civiles informelles et les normes institutionnelles sur lesquelles s’appuient les démocraties établies. En outre, les problèmes rencontrés par les différents pays ne sont pas identiques et n’exigent pas les mêmes réponses. Certaines démocraties solidement établies peuvent être amenées à prendre des mesures différentes de celles des démocraties plus récentes. Des conflits d’intérêts peuvent cependant se produire, dans la mesure ou les divers pays européens tirent des enseignements de la pratique des autres Etats et s’inspirent des expériences qui leur paraissent judicieuses. L’un des exemples de cette situation concerne le principe du scrutin secret, garanti dans l’article 3 du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des Droits de l’Homme. Les expériences de vote à distance menées (soit par voie postale, soit sous forme électronique) risquent de compromettre la capacité des individus à voter en privé, qui protège le secret du vote. Bien que ce problème se pose théoriquement dans les même termes pour l’ensemble des communautés, il peut entraîner en pratique des conséquences très diverses selon la culture sociopolitique dans laquelle le vote à distance est introduit. En l’espèce, et dans de nombreux autres cas similaires, le conflit entre convergence et divergence peut être profond.

Un problème inverse, lié à cette question, se pose : les normes applicables aux démocraties récentes sont-elles respectées par les démocraties plus anciennes ? Les pratiques électorales de nombreuses démocraties établies, par exemple, ne sont pas conformes aux normes définies par le Conseil de l’Europe et dont elles sont pourtant signataires. Ainsi, la législation électorale du Royaume-Uni ne permet pas le suivi indépendant des élections par des instances externes, sauf consentement du président du bureau de vote de la circonscription électorale concernée. Mais ce consentement est accordé de manière discrétionnaire. Cette pratique du secret serait jugée illégale et extrêmement suspecte dans bon nombre de jeunes démocraties. Les attentes à l’égard d’une convergence autour de normes ou de pratiques particulières vont ainsi dans les deux sens. Il convient également que les démocraties anciennes procèdent à l’évaluation de leurs activités et en déterminent la conformité avec les normes qu’elles prescrivent à l’intention des démocraties nouvelles.

En réalité, cette tension entre convergence et divergence représente une fausse dichotomie. Lorsqu’ils définissent les normes démocratiques, le Conseil et les autres instances à l’échelle européenne encouragent inévitablement un certain degré de convergence. Dans le même temps, une relative divergence est non seulement acceptée, mais encore escomptée dans le développement de véritables institutions démocratiques. Mais ce qui compte ici c’est que ceux qui interprètent l’acquis ou élaborent d’autres réformes institutionnelles soient attentifs à ces éventuelles contradictions et conscients à la fois des limites de la convergence et des dangers d’une trop grande divergence.

Stabilité ou changement ?

L’attention portée à la convergence et à la divergence impose en même temps d’avoir conscience du rapport entre stabilité et changement dans le développement des institutions démocratiques. Les institutions, et surtout celles qui, comme la démocratie, ont connu une longue évolution historique, sont souvent considérées comme des entités relativement stables. Le changement, dans ce cas, est progressif et marginal. Cette perception des institutions démocratiques a cependant un défaut : elle ignore l’incidence des événements extérieurs sur les institutions de la démocratie. Ce conflit tient notamment à la proportion dans laquelle la pratique de la démocratie et les normes qui permettent son appréciation sont soumises à un changement institutionnel ou délibéré.

Il s’agit ici d’un problème en rapport avec celui de la convergence et de la divergence, dans la mesure où il est lié à la proportion que devrait prendre la promotion, par le Conseil et les autres instances paneuropéennes, d’une vision bien établie de la démocratie et de ses institutions. Les pratiques politiques et démocratiques varient considérablement entre les quarante-cinq Etats membres et reflètent la diversité des caractéristiques socioéconomiques, politiques, démographiques, culturelles et géographiques européennes. Ces différents pays sont confrontés à un certain nombre de problèmes démocratiques, dont plusieurs leur sont communs, mais qui tous varient localement et se présentent conséquemment sous des formes diverses. Imposer la stabilité à un tel environnement représenterait une tâche complexe, à déconseiller, car elle méconnaîtrait le caractère intemporel de la démocratie et la nécessité de revigorer périodiquement les institutions démocratiques.

Cependant, comme l’a démontré le chapitre précédent, il n’est pas facile de procéder délibérément à un changement institutionnel. Bien que certains principes de conception puissent atténuer les difficultés de l’élaboration des institutions, ils n’en assurent pas le succès. Se concentrer sur une réforme délibérée, qui admet les ressorts du changement et bâtit des institutions fondées sur l’énoncé conscient de valeurs et d’objectifs, s’avère néanmoins préférable à un changement qui serait uniquement dicté par des forces extérieures et par le souci d’y faire face. Un changement institutionnel involontaire risquerait d’entraîner l’émergence de structures institutionnelles passagères et éphémères. On peut parler d’institutions démocratiques réussies lorsqu’elles renforcent les principes fondamentaux de la démocratie et perdurent dans le temps. Toute évaluation à long terme de la démocratie doit reposer sur de semblables critères.

Conclusions

La démocratie est, à bien des égards, la raison d’être du Conseil de l’Europe. De fait, l’un des critères essentiels de l’adhésion des Etats membres est qu’ils souscrivent à des valeurs démocratiques fondamentales et reposent sur de solides institutions démocratiques. Le Conseil est par ailleurs la seule instance à l’échelon paneuropéen consacrée explicitement à la démocratie : bien que d’autres organisations soutiennent également les évolutions démocratiques, elles portent davantage sur la sécurité ou la coopération économique et politique entre les Etats. Aussi le Conseil occupe-t-il une place unique en tant que vecteur principal du soutien, du maintien et du développement des institutions démocratiques, à la fois entre ses Etats membres et au sein de chacun d’eux.

Bien qu’il n’ait par le passé jamais pris le temps de réfléchir directement à sa contribution à la démocratie, le Conseil de l’Europe a constitué un impressionnant acquis, qui contribue de manière importante à la pratique quotidienne de la démocratie dans l’ensemble de ses quarante-cinq Etats membres. Cet acquis établit à la fois les principes fondamentaux que les différents instruments visent à appliquer et l’orientation des réformes qu’il adopte. Bien qu’il subsiste des conflits et des contradictions dans divers aspects de cet acquis, ses idées maîtresses et son importante contribution ne doivent pas être négligées. Par sa synthèse et son analyse de l’acquis, le présent document offre au Conseil la possibilité de réfléchir à l’étendue de ses réalisations et de songer plus attentivement au fonctionnement de la démocratie qu’il souhaite pour l’Europe.

Autres publications dans cette série

Vers l’équilibre entre les femmes et les hommes (2002)
ISBN 92-871-4900-3

Le droit de vote individuel des femmes – Une exigence démocratique (2002)
ISBN 92-871-5039-7

Le chemin de la démocratie– Le Conseil de l’Europe et la société de l’information (2003)
ISBN 92-871-5136-9

Sous protection rapprochée – Le Conseil de l’Europe et les médias (2003)
ISBN 92-871-5248-9

Financement des parties politiques et des campagnes électorales – Lignes directrices (2003)
ISBN 92-871-5355-8

Parité – Le Conseil de l’Europe et la participation des femmes à la vie politique (2004)
ISBN 92-876- 5407-4

Les structures consultatives locales pour résidents étrangers – Manuel (2004)
ISBN 92-871-5454-6

Pour plus de renseignements sur le projet intégré « Les institutions démocratiques en action » voir : http://www.coe.int/democracy

Pour commander :
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La plupart des textes du Conseil de l’Europe sont disponibles via le site internet http://www.coe.int. Pour accéder aux textes du Comité des Ministres, de l’Assemblée parlementaire, du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, cliquez sur « Institutions », puis sur l’organe correspondant. Pour accéder aux conventions, cliquez sur « Affaires juridiques », puis « Bureau des traités ». Les textes de la Commission de Venise sont également disponibles sur le lien « Affaires juridiques ».


1 . L’avenir de la démocratie en Europe – Etats des lieux et propositions de réformes (cette publication est prévue pour novembre 2004) Strasbourg : Editions du Conseil de l’Europe.

2 . Assemblée parlementaire, Avis 221 (2000) sur la demande d’adhésion de l’Arménie au Conseil de l’Europe.

3 . Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe, Avis 12 (1999) sur le projet initial de Charte mondiale de l’autonomie locale (partie III).

4 . Voir en particulier le document 9951 de l’Assemblée parlementaire sur l’avenir de la démocratie : renforcer les institutions démocratiques.

5 . Résolution 1353 (2003) de l’Assemblée parlementaire sur l’avenir de la démocratie : renforcer les institutions démocratiques, paragraphe 8.

6 . Voir P. Norris, Democratic phoenix: reinventing political activism, Cambridge : Cambridge University Press, 2002.

7 . Recommandation du Comité des Ministres R(97)3 sur la participation des jeunes et l’avenir de la société civile.

8 . Recommandation du Comité des Ministres R(98)8 sur la participation des enfants à la vie familiale et sociale.

9 . Recommandation du Comité des Ministres R(2003)3 sur la participation équilibrée des femmes et des hommes à la prise de décision politique et publique.

10 . La Recommandation 1629 (2003) de l’Assemblée parlementaire sur l’avenir de la démocratie : renforcer les institutions démocratiques, paragraphe vi, énumère la liste complète des pays qui ne remplissent pas les critères de conformité.

11 . Par exemple la Résolution 1264 (2001) de l’Assemblée parlementaire sur le code de bonne conduite en matière électorale ; Comité des Ministres Déclaration sur le Code de bonne conduite en matière électorale, 13 mai 2004.

12 . Voir par exemple la Recommandation du Comité des Ministres 2000 (10) sur les codes de conduite pour les agents publics ; Recommandation 60 (1999) du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe sur l’intégrité politique des élus locaux et régionaux.

13 . Sous protection rapprochée – le Conseil de l’Europe et les médias, Strasbourg : Editions du Conseil de l’Europe, 2003.

14 . Voir Le droit de vote individuel des femmes : une exigence démocratique, Strasbourg: Editions du Conseil de l’Europe, 2002 ; document 8916 (2000) de l’Assemblée parlementaire, rapport sur la participation des immigrés et des résidents étrangers à la vie politique dans les Etats membres du Conseil de l'Europe.

15 . Document 9951 (2000) de l’Assemblée parlementaire, rapport sur l’avenir de la démocratie : renforcer les institutions démocratiques, paragraphe 6.

16 . Voir la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local, Série des traités du Conseil de l’Europe n° 144 ; la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, Série des traités du Conseil de l’Europe n° 148 ; Recommandation R(94)9 du Comité des Ministres concernant les personnes âgées.

17 . P. Hirst, Associative democracy: new forms of economic and social governance Cambridge : Polity Press, 1994.

18 . R. Putnam, Bowling alone: the collapse and revival of American community, New York : Simon and Schuster, 2000.

19 . Projet intégré « Les institutions démocratiques en action », document IP1 (2003)57E, Actes du Forum des citoyens sur « les ONG - acteurs clés de la gouvernance démocratique ».

20 . R. Putnam, op. cit.

21 . Discours de Walter Schwimmer, Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, « Le Conseil de l’Europe à l’aube du XXIe siècle ».

22 . Résolution 1353 (2003) de l’Assemblée parlementaire sur l’avenir de la démocratie : renforcer les institutions démocratiques, paragraphe 6.

23 . Statut du Conseil de l’Europe, Série des traités du Conseil de l’Europe n° 001 (1949) ; la Convention européenne CONV 850/03, Projet de traité établissant une constitution pour l’Europe (2003).

24 . Voir P. Taggart et A. Szczerbiak, « Contemporary euroscepticism in the party systems of the European Union candidate states of Central and Eastern Europe », in European Journal of Political Research 43 :1, 2004, p. 1-28.

25 . P. Norris, « Young people and political activism: from the politics of loyalties to the politics of choice? », document distribué lors du symposium du Conseil de l’Europe sur « Les jeunes et les institutions démocratiques : de la désillusion à la participation » (Strasbourg 27-28 novembre 2003).

26 . Voir C. Pattie, P. Seyd et P. Whiteley, « Citizenship and civic engagement: attitudes and behaviour in Britain », in Political Studies 51:3, 2003, p. 443-468.

27 . P. Norris, op. cit. p. 6.

28 . Ibid, p. 27.

29 . Voir G. Parry, G. Moyser et N. Day, Political participation and democracy in Britain, Cambridge : Cambridge University Press, 1992 ; S. Verba, K. Schlozman et H. Brady, Voice and equality: civic voluntarism in American politics, Cambridge : Harvard University Press, 1995.

30 . Statut du Conseil de l’Europe, op. cit., préambule.

31 . Discours du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, op. cit.

32 . La candidature du Bélarus n’est plus d’actualité, car son régime politique n’est pas considéré comme démocratique.

33 . Pour un exemple de rapport de suivi récent, voir Comité des Ministres, Document d’information des Délégués des Ministres CM/Inf(2003)50 du 18 novembre 2003, Suivi du respect des engagements de la Bosnie-Herzégovine : Rapport de la délégation du GR-EDS sur sa visite du 20-23 octobre 2003.

34 . Recommandation 1589 (2003) de l’Assemblée parlementaire sur la liberté d'expression dans les médias en Europe, paragraphe 11.

35 . Le chemin de la démocr@tie – Le Conseil de l’Europe et la société de l’information, Strasbourg : Editions du Conseil de l’Europe, 2003.

36 . A. Trechsel, R. Kies, F. Mendez, P. Schmitter, « Evaluation of the use of new technologies in order to facilitate democracy in Europe: E-democratising the parliaments and parties in Europe », Parlement européen, STOA, Direction Générale des Etudes.

37 . Le chemin de la démocr@cie, op. cit.

38 . Committee of Ministers Resolution 22 (1973) on the protection of the privacy of individuals vis-à-vis electronic data banks in the private sector; Convention pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (1981) Série des traités du Conseil de l’Europe n° 108 ; Convention sur la cybercriminalité (2001) Série des traités du Conseil de l’Europe n° 185.

39 . Résolution 1120 (1997) de l’Assemblée parlementaire relative aux incidences des nouvelles technologies de communication et d’information sur la démocratie ; Résolution 1121 (1997) de l’Assemblée parlementaire relative aux instruments de la participation des citoyens dans la démocratie représentative.

40 . Déclaration du Comité des Ministres relative à une politique européenne pour les nouvelles technologies de l’information (1999).

41 . Voir A. Trechsel et F. Mendez, The European Union and E-voting: Addressing the European Parliament’s internet voting challenge, Londres : Routledge; N. Kersting et H. Baldersheim (sous la direction de), Electronic voting and democracy. A comparative analysis, Basingstoke : Palgrave Macmillan.

42 . Voir L. Pratchett et S. Birch, S. Candy, N. Fairweather, S. Rogerson, V. Stone, R. Watt et M. Wingfield, The implementation of electronic voting in the UK, Londres : Local Government Association, 2002.

43 . Recommandation du Comité des Ministres n° R (97) 20 sur le « discours de haine ».

44 . N. Kersting, op. cit.

45 . Délibération n° 02-022 de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (demande d’avis n° 796151) www.clic-droit.com.

46 . Luis Guijarro Coloma “E-voting in the region of Valencia (Spain)”, 2004 in A. Trechsel et F. Mendez, The European Union and e-voting: Addressing the European Parliament’s internet voting challenge, Londres : Routledge.

47 . J. Loughlin, Subnational democracy in the European Union, Oxford : Oxford University Press, 2001.

48 . Saward en retient quatre : l’égalité politique, inclusion, la liberté d’expression et la transparence, bien qu’il emploie ces notions davantage à titre d’exemple qu’en guise de principes définitifs. Voir M. Saward, « Enacting democracy », in Political Studies 51/1, 2003, p. 161-179.

49 . Cette expression est employée par Saward (ibid) pour évoquer l’enchaînement des procédures démocratiques.

50 . Statut du Conseil de l’Europe, op. cit., préambule.

51 . J. Loughlin (2001) ibid.

52 . Statut du Conseil de l’Europe, op. cit.

53 . Résolution 800 (1983) de l’Assemblée parlementaire relative aux principes de la démocratie, paragraphe 6Bi (les caractères en italique ont été ajoutés).

54 . Résolution 980 (1992) de l’Assemblée parlementaire relative à la participation des citoyens à la politique, paragraphes 6-7.

55 . Résolution 1121(1997) de l’Assemblée parlementaire relative aux instruments de la participation des citoyens dans la démocratie représentative, paragraphe 6.

56 . Résolution 1154 (1998) de l’Assemblée parlementaire relative au fonctionnement démocratique des parlements nationaux, paragraphe 1.

57 . Résolution 1353 (2003) de l’Assemblée parlementaire sur l’avenir de la démocratie : renforcer les institutions démocratiques, paragraphe 1.

58 . Résolution 1142 (1997) de l’Assemblée parlementaire relative aux parlements et médias.

59 . Résolution 584 (1975) de l’Assemblée parlementaire relative à la retransmission de débats parlementaires.

60 . Résolution 1121(1997) de l’Assemblée parlementaire relative aux instruments de la participation des citoyens dans la démocratie représentative.

61 . Résolution 980 (1992) de l’Assemblée parlementaire relative à la participation des citoyens à la politique.

62 . Résolution 1353 (2003) de l’Assemblée parlementaire sur l’avenir de la démocratie : renforcer les institutions démocratiques, paragraphes 7 et 9.

63 . B. Barber Strong democracy: participatory politics for a new age, Berkeley : University of California Press, 1984.

64 . J. Schumpeter, Capitalism, socialism and democracy, Londres : Routledge, 1943 (réédition de 2000), p. 295.

65 . Résolution 1142 de l’Assemblée parlementaire, op. cit.

66 . Recommandation 1516 (2001) de l’Assemblée parlementaire sur le financement des partis politiques ; Commission de Venise, Lignes directrices et rapport sur le financement des partis politiques, document CDL-INF (2001) 8.

67 . Commission de Venise, Rapport sur le régime des immunités parlementaires, document CDL-INF (1996) 007e.

68 . Résolution 1353 (2003) de l’Assemblée parlementaire sur l’avenir de la démocratie : renforcer les institutions démocratiques, paragraphe 1.

69 . H. Klingeman, R. Hofferbert et I. Budge, Parties, policy and democracy, Boulder : West View Press, 1994, p.5.

70 . Recommandation 1516 de l’Assemblée parlementaire, op. cit., paragraphes 1 et 3, (les caractères en italique ont été ajoutés).

71 . Commission de Venise, Lignes directrices et rapport sur le financement des partis politiques CDL-INF (2001) 8, section 1A.

72 . Recommandation R(2003)4 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les règles communes contre la corruption dans le financement des partis politiques et des campagnes électorales.

73 . Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, Recommandation 86 (2000) sur la transparence du financement des partis politiques et leur fonctionnement démocratique au niveau régional.

74 . Protocole additionnel à la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et Libertés fondamentales, Séries des Traités européens n° 009, article 3.

75 . Par exemple la Résolution 1264 (2001) de l’Assemblée parlementaire sur le code de bonne conduite en matière électorale ; Comité des Ministres Dec-13.05.2004/1E Déclaration du Comité des Ministres sur le Code de bonne conduite en matière électorale.

76 . Recommandation 1500 (2001) de l’Assemblée parlementaire sur la participation des immigrés et des résidents étrangers à la vie politique dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. Voir également la Recommandation R (81) 18 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe relative à la participation au niveau communal ; Recommandation R (2001) 19 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la participation des citoyens à la vie publique au niveau local.

77 . Résolution 134 (2002) du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe sur le droit de vote individuel des femmes : une exigence démocratique.

78 . Le droit de vote individuel des femmes : une exigence démocratique, Strasbourg : Editions du Conseil de l’Europe, 2003.

79 . Ibid, p.10.

80 . S. Birch et B. Watt, « Remote electronic voting : free fair and secret? », in Political Quarterly 75:1, 2004, p. 60-72.

81 . Le droit de vote individuel des femmes : une exigence démocratique, op. cit., p.10.

82 . Voir D. Judge, Representation: theory and practice in Britain, Londres : Routledge, 1999.

83 . R. Chapman (sous la direction de), Ethics in public service for the new millennium, Aldershot : Ashgate, 2000 ; A. Hondeghem (sous la direction de), Ethics and accountability in a context of governance and new public management, Amsterdam : IOS Press, 1998 ; T. Cooper, Handbook of administrative, ethics, New York : Marcel Dekker, 1994.

84 . A. Lawton, Ethical management for the public services, Buckingham : Open University, 1998.

85 . Recommandation du Comité des Ministres 2000 (10) sur les codes de conduite pour les agents publics.

86 . Model initiative package on public ethics at the local level (ensemble d’initiatives modèles sur l’éthique publique au niveau local), publication en ligne, Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe.

87 . Résolution (97) 24 du Comité des Ministres portant les vingt principes directeurs pour la lutte contre la corruption.

88 . Voir la Convention pénale sur la corruption, Série des traités du Conseil de l’Europe n° 173, 1999 ; Convention civile sur la corruption, Série des traités du Conseil de l’Europe n° 174, 1999.

89 .La Commission européenne pour la démocratie par le droit (la Commission de Venise)

90 . Le Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO).

91 . Recommandation 834 (1978) de l’Assemblée parlementaire relative aux dangers qui menacent la liberté de la presse et de la télévision.

92 . Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales,
telle qu’amendée par Protocole n° 11, article 10, paragraphe 1

93 . Sous protection rapprochée, op. cit.

94 . Recommandation 1589 (2003) de l’Assemblée parlementaire sur la liberté d’expression dans les médias en Europe, paragraphe 2.

95 . Ibid, paragraphe 14.

96 . Recommandation R(99)1 sur des mesures visant à promouvoir le pluralisme des médias.

97 . Voir, par exemple, la Recommandation 1277 (1995) de l’Assemblée parlementaire relative aux migrants, aux minorités ethniques et aux médias.

98 . Recommandation 1215 (1993) de l’Assemblée parlementaire relative à l’éthique du journalisme, paragraphe 5.i.

99 . Pour approfondir le débat, voir G. Stoker, “Introduction: Normative theories of local government and local democracy”, in D. King et G. Stoker (sous la direction de) Rethinking local democracy, Basingstoke : Macmillan, 1996.

100 . J. S. Mill Considerations on representative government, Oxford : Oxford University Press, 1991 (publié pour la première fois en 1861) p. 413.

101 . A. de Tocqueville, Democracy in America, Londres : Fontana, 1968 (publié pour la première fois en 1835).

102 . Voir L. Pratchett, « Local autonomy, local democracy and the “new localism” », in Political Studies, Vol. 52, 2004, p. 358-375.

103 . Charte européenne de l’autonomie locale, Série des traités du Conseil de l’Europe n° 122.

104 . Ibid, article 4.3.

105 . Ibid, article 11.

106 . Andorre, Saint-Marin, Serbie-Monténégro et Suisse – avec une population d’à peine 28 000 habitants, la présence de collectivités territoriales à Saint-Marin ne présentait aucun intérêt.

107 . Belgique, France et Géorgie.

108 . Recommandation 39 (1998) du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe sur l’incorporation de la Charte européenne de l’autonomie locale dans les ordonnancements juridiques des Etats l’ayant ratifiée et sur la protection légale de l’autonomie locale.

109 .Recommandation 118 (2002) du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe sur les régions à pouvoirs législatifs (voir également le document CPR (9) 5).

110 . Recommandation 138 (2003) du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe sur les régions durables dans le contexte de la mondialisation (voir également le rapport CPR (10) 5).

111 . Résolution 161 (2003), du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe, CPR (10) 2 - Partie II – Projet de Charte européenne de l’autonomie régionale : état d’avancement des travaux visant à son adoption sous forme de convention internationale.

112 . Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe, Charte urbaine européenne.

113 . Recommandation R (81) 18 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe relative à la participation au niveau communal ; Recommandation R (2001) 19 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur la participation des citoyens à la vie publique au niveau local.

114 . Voir la Recommandation R (92) 5 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur les possibilités d'emprunts des collectivités locales et régionales ; Recommandation R (96) 3 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur les déficits budgétaires et le surendettement des collectivités locales ; Recommandation R (2000) 14 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe concernant la fiscalité locale, la péréquation financière

et les apports financiers aux collectivités locales.

115 . Recommandation R (95) 19 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur la mise en œuvre du principe de subsidiarité.

116 . A. de Tocqueville, op. cit.

117 . R. Putnam, Bowling alone: the collapse and revival of American community, New York : Simon and Schuster, 2000.

118 . P. Norris, « Young people and political activism: from the politics of loyalties to the politics of choice? », document distribué lors du Symposium du Conseil de l’Europe sur « Les jeunes et les institutions démocratiques : de la désillusion à la participation » (Strasbourg 27-28 novembre 2003).

119 . Convention européenne sur la reconnaissance de la personnalité juridique des organisations internationales non gouvernementales, Série des traités du Conseil de l’Europe n° 124, 1986.

120 . Résolution 93(38) du Comité des Ministres sur les relations entre le Conseil de l’Europe et les organisations non gouvernementales internationales.

121 . Commission de Venise, Lignes directrices sur le référendum constitutionnel à l’échelle nationale, document CDL INF (2001) 10.

122 . Voir la Résolution 980 (1992) de l’Assemblée parlementaire relative à la participation des citoyens à la politique ; Résolution 1121 (1997) de l’Assemblée parlementaire relative aux instruments de la participation des citoyens dans la démocratie représentative.

123 . Recommandation (2003)3 du Comité des Ministres sur la participation équilibrée des femmes et des hommes à la prise de décision politique et publique.

124 . Document 7781 de l’Assemblée parlementaire, Rapport sur les instruments de la participation des citoyens dans la démocratie représentative.

125 . Résolution 1121 (1997) de l’Assemblée parlementaire relative aux instruments de la participation des citoyens dans la démocratie représentative, paragraphes 6 et 13.

126 . Recommandation R(2000)5 du Comité des Ministres sur le développement de structures permettant la participation des citoyens et des patients au processus décisionnel concernant les soins de santé.

127 . Résolution 141 (2002) du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux sur la participation des résidents étrangers à la vie publique locale : les conseils consultatifs.

128 . Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local, Série des traités du Conseil de l’Europe n° 144.

129 . Voir les Recommandations de l’Assemblée parlementaire 1428 (1999) sur l’avenir des seniors : protection, participation, promotion ; et 1492 (2001) sur les droits des minorités nationales.

130 . Voir L’avenir de la démocratie en Europe – Etats des lieux et propositions de réformes cette publication est prévue pour novembre 2004) Strasbourg : Editions du Conseil de l’Europe.

131 . M. Saward, « Enacting democracy », in Political Studies 51/1, 2003, p. 161-179.

132 . E. Ostrom, « An agenda for the study of institutions », in Public Choice, Vol. 48, 1986, p. 3-25.

133 . A. Giddens, « Elements of a theory of structuration » in A. Elliot (sous la direction de) Contemporary social theory, Oxford : Blackwell, 1999.

134 . V. Lowndes et D. Wilson, « Balancing revisability and robustness? A new institutionalist perspective on local government modernisation », in Public Administration, Vol. 81, n° 2, 2003.

135 . J. Knight, Institutions and social conflict, Cambridge : CUP, 1992.

136 . V. Lowndes et D. Wilson, « Social capital and local governance: exploring the international design variable », in Political Studies, Vol. 49, 2001, p. 629-647

137 . Local Government Chronicle, 30 mai 2003, Emap Publications, Royaume-Uni.

138 . J. Stewart, The nature of British local government, Basingstoke : Palgrave, 2000.

139 . Pour un examen succinct mais néanmoins approfondi et critique de l’application des modèles de dépendance à l’égard de la voie suivie aux processus politiques, voir P. Pierson, « Increasing returns, path dependence, and the study of politics », in American Political Science Review, Vol. 94, n° 2, 2000, p. 251-261.

140 . Ibid, p. 257.

141 . L’analyse retenue ici est fortement influencée par l’essai riche et original de Goodin sur la conception des institutions ; voir R Goodin, « Institutions and their design » in R. Goodin (sous la direction de), The theory of institutional design, Cambridge : CUP, 1996.

142 . Ibid, p. 28.

143 . Sur la notion de « créateur moyen », voir M. Bevir et R. Rhodes, Interpreting British governance, Londres : Routledge, 2003.

144 . Bo Rothstein s’est magnifiquement exprimé sur ce point dans B. Rothstein « Political institutions: an overview » in R. Goodin et H. Klingemann (sous la direction de) A new handbook of political science, Oxford : OUP, 1996, p.133-166.

145 . R. Goodin op cit, p. 41-42.

146 . J. Dryzek, « The informal logic of institutional design » in R. Goodin (sous la direction de) The theory of institutional design, Cambridge: CUP, 1996.

147 . C. Hood, the art of the state, Oxford : Clarendon Press, 1998, p. 69.

148 . Goodin, op. cit., p. 40.

149 . C. Offe, « Designing institutions in East European transitions » in R. Goodin (sous la direction de) The theory of institutional design, Cambridge : CUP, 1996, p. 199. 203.

150 . ibid, p. 204.

151 . Goodin op. cit., p. 41.

152 . Dryzek op. cit. p. 204.

153 . Pour une présentation plus complète des critères de solidité et de remaniabilité, voir Lowndes et Wilson, op. cit.