Colloque : « Culture européenne : identité et diversité »
Strasbourg, France
8-9 septembre 2005

L’identité, un défi pour la cohésion et la liberté

Simon Mundy

L’identité est devenue un mot aux connotations dangereuses et opposées entre elles. L’individu est plus libre que jamais d’adopter tout ce qui renforce la notion qu’il a de son identité ; de leur côté, les groupes sociaux et ethniques se servent du concept d’identité pour justifier le traitement spécial dont ils bénéficient. Quant aux États, ils sont obsédés par l’identité – la leur (d’où l’importance qu’ils accordent à leurs drapeaux, à leurs hymnes et aux symboles de leur dignité) comme celle des personnes vivant sur leur territoire. Les États veulent désespérément pouvoir répondre à la question « Qui es-tu ? » Ils s’y efforcent à l’aide de tous les moyens de contrôle qu’offre la technologie : cartes et photos d’identité, empreintes digitales, empreintes ADN, empreintes rétiniennes ou codes barres. Si les pouvoirs publics pouvaient réduire chacun de nous à un code barre et nous scanner comme à une caisse d’hypermarché, ils seraient trop heureux de le faire.

Les méthodes d’identification physique ont certes beaucoup à apprendre aux services de sécurité, mais elles deviennent extrêmement trompeuses lorsqu’il s’agit de savoir comment réagissent les gens, où va leur allégeance et de quelle manière ils construisent l’identité propre à leur univers personnel. Au grand dam des États, l’identité n’est souvent ni territoriale, ni géographique. Elle est davantage liée à une communauté d’intérêts (dans les domaines professionnel, social, sexuel, récréatif) qu’à l’endroit où vivent les gens et à ce qui est écrit sur leur passeport. Un surfeur ou un philatéliste a plus de choses à dire à d’autres surfeurs ou philatélistes qu’à son voisin de pallier. Une véritable identité est toujours multiple : en elle se combinent l’ascendance, le lieu d’habitation, la profession, le vécu personnel, les croyances, les goûts, les relations amoureuses et les inclinations. Elle ne peut ni se réglementer, ni se définir avec exactitude, et elle évolue au cours de l’existence, souvent rejetée, souvent ressuscitée.

Plus que la variété des entreprises et du commerce, la vraie mondialisation permet à chacun de devenir cosmopolite, de sélectionner les éléments de son identité qu’il veut mettre en valeur et explorer. On peut se sentir intégré à l’endroit où l’on a choisi de vivre et posséder plusieurs identités à la fois sans menacer pour autant ses voisins, l’etat ou la cohésion de la société, et même en jouissant de leur respect. Cela crée en quelque sorte une sécurité culturelle – qui est propre à l’intéressé, c’est-à-dire non conditionnée par l’appartenance à une tribu officielle, et qui est aussi mobile.

N’en déplaise aux bureaucraties, la cohésion n’est pas la conformité et ne peut s’obtenir en votant une loi ou en restreignant la liberté de mouvement des contestataires. On ne calme pas les mécontents et les exclus en niant leur identité, de même qu’un État aux idées arrêtées ne rassure pas longtemps les paisibles citoyens. À long terme, le protectionnisme vis-à-vis des autres n’est pas meilleur pour la société que le protectionnisme commercial pour les échanges. Il engendre la stagnation, l’insularité et la paranoïa. La sécurité est toujours relative et n’a rien à voir avec le confort. En définitive, il n’existe pas plus de sécurité absolue que de sûreté ou de santé absolue.

Si l’on veut permettre aux gens d’exploiter à fond leur identité et d’en utiliser tous les éléments de manière créative, il faut bien voir que dans la société comme en musique, le contrepoint est toujours plus gratifiant que l’harmonie statique. Quelque parfaite qu’elle soit, l’harmonie d’un accord n’est, en l’absence de contrepoint, qu’un élément d’une progression dénuée de mouvement. Il faut dispenser une éducation axée sur l’âge de la mondialité, conférer aux gens – dès qu’ils accèdent à la citoyenneté – la faculté d’argumenter, l’agilité d’esprit nécessaire pour glaner des idées et la capacité d’ajouter de nouvelles pièces à leur mobilier intellectuel. Il faut que chacun puisse concevoir son propre drapeau sans croire que celui de la nation, de la région ou de la ville sous lequel il se range fournit davantage qu’un indice de sa véritable identité.