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40 ans de coopération culturelle européenne 1954-1994 par Etienne GROSJEAN
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Colloque : « Culture européenne : identité et diversité »

Strasbourg, France
8-9 septembre 2005

Inclusion, participation et rôle de la culture

Gvozden Flego

Préférant une discussion animée à un exposé monotone sous forme de long monologue, je serai bref et, plutôt que de me lancer dans une argumentation détaillée, je présenterai une thèse en plusieurs points. Néanmoins, je ne me limiterai pas aux thèmes mentionnés dans le titre car je souhaite aborder quatre points relatifs à la culture : sa véritable nature, la culture de la paix, l’éducation et les projections humaines.

(1)

Je prends la notion de culture dans un sens très large: celui d’une invention de l’homme qui lui permet de croire qu’il s’est créé ses propres règles de vie. Cette conditio humana très particulière est le point de départ de l’existence artificielle, non naturelle - c’est-à-dire culturelle - des hommes. Nous, humains, sommes tels que notre culture nous définit.

La culture, comprise comme une somme de règles, d’actes, de pensées, de créations matérielles et d’institutions sociales, tous dus à l’homme, est le fruit des nombreux efforts et apports individuels qui ont cherché à humaniser la nature. Ces apports et ces efforts individuels doivent avoir l’aval de la collectivité. C’est pourquoi, dans son essence même, la culture doit être envisagée comme une œuvre collective, une coopération entre les individus et une manière de cultiver une qualité de vie.

On attribue souvent la culture à la faculté humaine de raisonnement qui se traduit par une communication orale porteuse de sens. Or, cette transformation magique des choses, des processus et des sentiments en mots s’est faite grâce à la symbolisation. Et la création de symboles ne s’appuie pas exclusivement sur la raison mais fait appel aux composantes tant conscientes qu’inconscientes de l’être humain.

Ainsi présentée, la culture peut être considérée comme universelle, comme une richesse pour tous les êtres humains, car elle est à l’œuvre dans toutes les communautés humaines. Cependant, si l’on étudie d’un 'point de vue systémique' les méthodes concrètes de symbolisation, l’attribution arbitraire d’un symbole à un sens devient le point de divergence entre les communautés ou cultures linguistiques. Selon la Bible, c’est lors de la construction de la tour de Babel que les individus ont commencé à parler différentes langues qui les ont à la fois socialisés et personnalisés; les êtres humains partagent, du moins au début de leur existence, la plupart des idées et valeurs – la culture - de leur communauté; ils fondent des communautés politiques – des nations - sur ces idées et valeurs, créent des œuvres artistiques et littéraires, s’instruisent. C’est guidés par leur culture que les hommes s’interrogent sur le sens de la vie, sur la finalité de l’existence et sur les moyens de parvenir au bonheur. Notre conscience de l’existence de caractéristiques collectives des peuples et d’identités dites collectives ne cesse de se renforcer.

La culture est tout à la fois individuelle et collective. Elle montre d’emblée que nous sommes des êtres humains vivant ensemble et qu’il faut que cela continue. Comme le dit Hegel dans “La philosophie du droit”, les êtres humains sont liés au sein d’une société civile (bürgerliche Gesellschaft) par le "système de besoins", c’est-à-dire une interdépendance forte et inévitable. C’est là une raison supplémentaire pour laquelle la culture en général et les cultures en particulier, doivent être considérées comme des tentatives de réflexion sur la manière dont nous vivons ensemble. Et sur la manière dont nous pouvons vivre ensemble.
C’était là mon premier point.

(2)

Il est impossible de faire abstraction de ses propres expériences théoriques et immédiates. Originaire de Croatie, j’ai connu durant près de la moitié des 15 dernières années la guerre, la destruction, les massacres, la souffrance et la misère qui sont venus s’ajouter aux doutes existentiels que connaît tout un chacun. Ayant observé deux modes de vie diamétralement opposés - en temps de paix et en temps de guerre - je suis enclin à diviser la culture en deux grands groupes: la culture de la guerre et celle de la paix, la culture de l’hostilité et celle de la coopération, la culture de l’élimination et celle de l’intégration, la culture du déchirement et celle du rassemblement. La guerre est un procédé violent et primitif pour résoudre des problèmes ou imposer sa volonté à autrui ; qui établit des rapports plus animaux qu’humains et plus naturels que culturels. Toutefois, quand je vois les efforts innombrables que l’homme a consacrés à faire et à gagner des guerres, je considère que cette tendance fait partie de la culture. De nos jours, en effet, la recherche et l’industrie investissent de gros moyens dans l’armement pour répondre aux besoins de guerres potentielles ou déclarées.

Je suis, nous sommes sans équivoque partisans de la paix. Il n’en demeure pas moins que beaucoup d’hommes sont encore partisans de la guerre. Certains pourraient citer le philosophe grec Héraclite dont les écrits remontent à l’aube de la culture occidentale, pour qui la lutte engendre toutes choses. Ils pourraient invoquer une théorie politique et des modèles économiques modernes pour montrer que la concurrence est le meilleur garant du progrès, pour les individus comme pour la collectivité. Ils pourraient également se référer aux économistes et à leur conception du marché moderne comme une arène où nous luttons pour obtenir une qualité et une quantité maximales pour une dépense minimale, ou rappeler qu’il n’y a pas de sport sans volonté de gagner, pas d’effort sans espoir d’en tirer un avantage.

Tout en tentant d’éradiquer la guerre, je n’entends pas, malgré ma déformation professionnelle – je suis professeur de philosophie - ignorer la diversité et rechercher une unité absolue dans un monde de diversité. En tant que pacifiste culturel, je ne plaiderai pour aucune sorte d’harmonie absolue entre les hommes. Je ne tenterai pas davantage de tirer un enseignement moral de la croyance chrétienne qui veut que nous soyons tous frères (il conviendrait de dire: frères et sœurs) et que nous devions à priori nous aimer les uns les autres en Dieu. Je me contente d’essayer de tirer des leçons de nos réussites culturelles. Cessons de nous polariser sur le conflit ouvert et intéressons-nous davantage à la coopération constructive! Insistons moins sur nos différences et plus sur nos traits communs!

Le plaidoyer pour une culture de la paix était ma seconde proposition à débattre.

(3)

Je crois donc que la culture, de manière générale, œuvre pour la paix. Elle fait reculer les guerres et vise à instaurer une coexistence pacifique et coopérative. Il faut se souvenir que la philosophie moderne a vu le jour avec la campagne anti-guerre menée par Hobbes. Malgré cela, la question demeure: comment servir et renforcer la cause de la paix ?

La culture et ses réalisations ont ouvert de nouveaux horizons ou, tout du moins, élargi les anciens. Le processus de symbolisation et de communication signifiante a constitué une véritable révolution dans notre longue évolution. L’invention de l’apprentissage et de l’enseignement en a été le prolongement logique. L’instruction structurée et institutionnalisée est devenue une autre differentia specifica de l’homo erectus.

Je n’ai pas l’intention de choquer, mais il me faut être clair: l’enseignement, en particulier à l’école, suppose une méta-physique ; il fait découvrir aux élèves quelque chose qui est derrière ou au-delà de ce que l’on peut voir, toucher, sentir. Il met les élèves en relation avec autrui et les initie à ce qui est différent. Les connaissances acquises ouvrent de nouvelles possibilités. Autrement dit, l’altérité est vécue comme une richesse souhaitable. Savoir signifie comprendre mais également pratiquer. Aussi, pour apprendre à connaître les autres, il faut coopérer avec eux.

Le système scolaire est une composante très sophistiquée et technicisée de notre culture. Pour autant, l’apprentissage est devenu plus informel, l’auto-apprentissage ou l’apprentissage tout au long de la vie sont désormais chose courante. L’utilisation de l’Internet, la lecture, les voyages, les rencontres et l’altérité – tout ceci enrichit notre vision et élargit notre horizon. Cet apprentissage se fait en continu. Nous, êtres humains, apprenons en permanence.

C’est là mon troisième point qui nécessite néanmoins un addendum. Tout pays considère son système éducatif officiel comme primordial et, par conséquent, comme politiquement très important. Qui plus est, les qualités de ce système conditionnent grandement le bien-être individuel et social. Toutefois, la manière dont il prépare les élèves à assurer leur avenir et les moyens dont il se dote pour ce faire se décident au niveau national. Il me semble que les systèmes éducatifs européens exigent certains changements. Il pourrait être très utile d’essayer d’appliquer dans l’enseignement secondaire une sorte de “Processus de Bologne”, au moins pour dégager certaines conceptions communes sur notre avenir commun.

(4)

Ce sont probablement les capacités humaines de mémorisation, de représentation, de symbolisation, de raisonnement et d’imagination qui ont permis la naissance et l’évolution des cultures. La combinaison de ces capacités donne des résultats stupéfiants dans le domaine des religions, des arts, de l’architecture et de l’urbanisme, des techniques et des technologies, de la philosophie et de la science, mais elle permet également d’effectuer des projections pour concevoir des mondes et des relations humaines meilleurs. Pas à pas, les êtres humains ont découvert la temporalité, qui se divise en présent, passé et futur.

Concernant ce dernier point, je voudrais vous faire part d’une brève réflexion sur l’identité. Le terme d’identité signifie l’égalité à soi-même, la similitude et, selon Aristote, l’essence d’une chose ou sa quiddité (TO TI ÊN EINAI). Analysant les dimensions historiques, c’est-à-dire temporelles, Maurice Merleau-Ponty disait que le passé est ce qui a été et, qu’il est en tant que tel déterminé; le présent n’existe pas parce qu’il n’est que la relation ténue entre le passé et le futur et que chaque fois que je dis "maintenant", ce moment précis est désormais du passé. La seule temporalité indéterminée, ouverte, riche de possibilités et de liberté, est le futur.

Nous avons pleinement conscience que nos cultures, nos traditions et, avant tout, notre histoire personnelle, nous déterminent. Ces facteurs influent fortement sur notre manière de penser et de décider, de prévoir et d’agir. Mais nous devons surtout prendre conscience que le monde – à l’époque moderne et tout particulièrement à la fin du XXème siècle – est entré dans une dynamique spectaculaire, où « tout coule », comme le disait Héraclite. Voilà où nous en sommes. Nous, êtres humains, utopistes, en essayant de donner corps à nos rêves, nous faisons avec nous-mêmes du neuf ; nous sommes donc "en devenir". Nous sommes pétris de nos projets au moins autant que de notre identité et de notre passé. Nous explorons bien plus notre avenir que notre passé. Et s’il nous faut conserver le concept d’"identité", je préfèrerais l’appeler "identité projective" ou "identité en devenir".

Si tel est le cas, l’occasion nous est donnée de repenser la manière dont nous pouvons vivre ensemble. Ou mieux: La manière dont nous devrions vivre ensemble. Car, nous le savons pertinemment, quoique les hommes fassent, cela n’est jamais assez bien que l’on ne puisse l’améliorer, surtout si la possibilité de créer du nouveau est mue par une synergie pacifique et coopérative.