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40 ans de coopération culturelle européenne 1954-1994 par Etienne GROSJEAN
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Colloque : « Culture européenne : identité et diversité »

Strasbourg, France
8-9 septembre 2005

« Protéger et gérer la diversité culturelle »

Intervention de M. Mikhaïl CHVYDKOÏ
(transcrite en anglais d'après l'enregistrement sur bande. Version corrigée)

Merci.

Monsieur le Ministre,
Chers collègues,

Veuillez excuser mes connaissances de la langue de Shakespeare, qui sont loin d'égaler l'anglais d'Oxbridge, mais je vais tenter de me faire néanmoins comprendre. Comme mon anglais n'est pas très élaboré, il m'arrivera de temps en temps de manquer de la rondeur en usage au Conseil de l'Europe et d'être parfois un peu trop direct.

Veuillez m'en excuser. Il s'agit-là d'un problème d'éducation et non de tolérance.

Je parlais hier avec mon collègue, Vladimir Filippov - qui était Ministre de l'Education dans le gouvernement où j'étais moi-même Ministre de la Culture – et nous avons fait une simple observation. Près de quinze pays et au moins une dizaine de langues sont représentés dans l'assistance de ce colloque. Cependant, nous ne parlons que français et anglais. Quand nous avons parlé d'identité européenne, c'était normal, mais qu'en disent nos collègues allemands ou italiens ?

Alors que nous nous intéressons aujourd'hui à la diversité culturelle, nous continuons pourtant de parler français et anglais. Ce n'est pas une observation critique, c'est une remarque pratique. C'est la réalité. En effet, si l'on parle de la gestion technique de la diversité culturelle, il faut bien comprendre que la gestion de la diversité culturelle n'a rien à voir avec la protection de celle-ci. En parlant de gestion, nous utiliserons deux langues. Tout le monde comprendra que c'est-là quelque chose de pratique et de fort simple pour tout le monde. Il s'agit de gestion banale et d'un fait de la vie quotidienne.

En Russie, nous avons exactement le même problème. L'un des problèmes de la Russie au début des années 1990, après l'effondrement de l'URSS, c'était une question très simple, mais fondamentale : "Qui sommes-nous ?" A l'époque soviétique, la réponse était très simple, elle était idéologique et absolument totalitaire : nous étions "soviétiques" et ensuite seulement russes, tatars, juifs etc.

Mais depuis l'effondrement de l'URSS, qui nous a privés de ce parapluie, de ce toit soviétique, "qui sommes-nous ?" Même si l'on parle de traduction, un grave problème se pose pour nous. Le mot "russe" est un terme ethnique. Mais dans le même temps, être "russe", c'est être ressortissant de la Fédération de Russie. Ainsi, le peuple tatar ne veut pas être russe, pas plus que le peuple tchétchène. La question est essentielle pour l'ensemble de l'Europe.

Hier, nous avons parlé de ce que signifie être "européen". C'est la même chose : qu'est-ce que cela signifie aujourd'hui être ressortissant de la Russie ? Quelles sont nos valeurs communes ? Quel est le cadre qui nous est commun à nous tous ?

Quand on parle de protection et de gestion, la réponse est très simple. Qu'est-ce qui est nécessaire pour protéger la diversité culturelle ? Un bon cadre juridique ; une véritable politique sociale ; la démocratie ; la liberté ; et de l'argent. Et encore un point essentiel : l'activité de chaque groupe ethnique, son activité autonome. C'est-là que l'on retrouve le même problème : quand on parle de la situation actuelle dans le monde, bien des gens ne veulent pas faire partie d'une grande nation. Ils préfèrent appartenir à un petit groupe ethnique.

En 1994, il y avait 130 groupes ethniques en Russie. Tous les cinq ans, le nombre de groupes ethniques augmente. En 2004, il y en avait 190.

Il faut comprendre les préoccupations de la population. En Ukraine, les gens craignent d'être russes, en Russie, on craint d'être tatar ou juif ; en France, on ne veut pas être allemand ; aux Pays-Bas, on craint d'être éthiopien ou originaire du monde arabe. Les gens essaient de s'adapter. C'était sans doute la principale tendance du 20e siècle. Si l'on considère en général la première moitié du 20e siècle, on constate que les gens qui vivaient sur un autre territoire ou dans un autre Etat s'efforçaient de s'adapter. Ils ne voulaient pas s'en détacher.

Cependant, au cours de la seconde moitié du 20e siècle, surtout ces trente dernières années, la diversité culturelle est devenue un problème. C'est un problème social que les Turcs d'Allemagne veuillent être turcs et non allemands. Ils façonnent une communauté qui est plus conservatrice que la population turque de Turquie, car au sein de l'Etat turc, c'est la nation tutélaire qui se développe, alors qu'en Allemagne, les Turcs s'efforcent de rester un groupe ethnique à part entière et s'accrochent à de grandes valeurs conservatrices. Il en découle une situation compliquée, car on essaie de donner une réponse très simple en disant que toute personne se sentira bien si l'on est en démocratie, si on poursuit une véritable politique des nationalités. Pour la Russie, pourtant, ce n'est pas si simple. Permettez-moi de vous expliquer pourquoi.

La région caucasienne du Daghestan par exemple se compose d'une centaine de groupes ethniques. Dans un petit village, la grand route sépare deux communautés qui parlent chacune une autre langue. Il y a onze grandes langues d'Etat dans cette région autonome ; onze théâtres ethniques ; onze journaux ; onze plages différentes à la télévision et à la radio – comment peut-on gérer la situation ? A bien des égards, cela est lié à l'histoire.

Si l'on regarde les plaques des rues ici, à Strasbourg, on voit deux langues : le français et l'alsacien. Tout le monde s'accorde à penser que cela doit être fait, car le dialecte alsacien est très important. Il en va de même en Bretagne. Dans le même temps, cependant, il faut comprendre que si l'on veut offrir les mêmes possibilités sociales à l'ensemble des habitants, il faut qu'ils apprennent le français, car l'enseignement supérieur, par exemple, est assuré uniquement en français.

L'enseignement supérieur en Russie est assuré en russe et c'est normal. Par ailleurs, on entend de nombreux groupes ethniques radicaux s'écrier qu'ils veulent que la chimie ou les mathématiques soient enseignées dans leur langue. Il faut donc trouver un équilibre délicat entre d'une part, une véritable gestion sociale de l'Etat – car il s'agit de gérer l'Etat et pas seulement la diversité culturelle – et d'autre part, la protection des cultures, de la diversité culturelle. C'est là un problème très sensible, très délicat.

En Russie, au cours du vingtième siècle et même auparavant, dans l'histoire de l'Empire russe, le territoire et la nation étaient la même chose. Les Tatars vivaient au Tatarstan ; les Tchouktches dans un district autonome du Nord-Est de l'Extrême-Orient. Il en allait de même partout, territoires et nationalités allaient de pair.

Pourtant, après l'effondrement de l'Union soviétique, la situation s'est profondément modifiée, car d'importants mouvements migratoires se sont produits en provenance de l'Asie centrale, de l'Azerbaïdjan, de la Géorgie etc. A Moscou, il y a aujourd'hui un million d'Azéris, qui veulent avoir leurs journaux, leurs programmes radio et télévisés, leurs écoles – et c'est normal. C'est pour nous une situation absolument inhabituelle, mais nous avons réussi à adopter une loi sur l'autonomie culturelle, car ceux qui vivent en dehors de leur territoire d'origine doivent bénéficier de toutes les conditions nécessaires à leur développement. Dans le même temps, cependant, les Azéris qui émigrent à Moscou, doivent apprendre le russe, s'ils souhaitent que leurs enfants entrent à l'université.

C'est une situation assez compliquée. Au début des années 1990, il y avait cent communautés culturelles en Russie, mais leur nombre est passé à 420 aujourd'hui. On dit d'ordinaire qu'en Russie, on parle cent langues, mais en réalité on en parle environ 200.

La politique des nationalités repose en Russie sur la loi qui garantit le libre développement des groupes ethniques. Nous n'avons pas assez de moyens, mais c'est la même chose partout. Il serait étrange que je dise que nous avons assez d'argent pour financer la culture. Peut-être que dans la France des années 1970, il y avait assez d'argent pour la culture… Aujourd'hui pourtant, il est normal que l'on ait une culture, sans disposer des moyens nécessaires pour l'encourager. En Russie – et me semble-t-il en Europe – le cadre juridique est satisfaisant.

Le problème de la diversité culturelle est une question de confiance. C'est-là un point capital. Si les gens comprennent que leur identité culturelle, leur identité ethnique ne sera pas utilisée pour limiter leurs droits sociaux, ils créeront un nouveau groupe ethnique dans votre pays. Protéger la diversité culturelle, c'est, me semble-t-il, protéger la liberté. Il s'agit avant tout de protéger la liberté de s'exprimer soi-même.

Il en va de même pour des peuples autochtones. Dans le Nord, il y a des groupes ethniques qui ne font pas plus de cent personnes, mais ils ne veulent pas être identifiés aux Russes. Ainsi, les Vodes (ou Vojanes) ne veulent pas être de quelconques Khounts ou Mountses, bien qu'ils ne soient que 89. Pour eux, c'est très important. Ils n'ont rien à craindre maintenant. On voit ainsi réapparaître de nombreuses nationalités nouvelles, qui avaient disparu auparavant.

La protection est une question de cadre juridique, un problème de garanties et de sécurité sociale pour les gens. L'essentiel pour eux, c'est de pouvoir exprimer leur sentiment national, leur culture nationale. Naturellement, ce problème se révèle dans la rue, avec ses voisins, et non dans les bureaux du Conseil de l'Europe ou entre responsables politiques qui ont un débat au Parlement européen. C'est-là un problème que l'on retrouve en France, comme il se pose en Russie. On s'intéresse à une communauté arabe ou juive et on essaie d'assurer la sécurité de tous ceux qui vivent là.

En ce 21e siècle, la situation a profondément changé. Je me trompais profondément en pensant qu'au 21e siècle, ce serait la même chose qu'au 20e. Aujourd'hui, au début du 21e siècle, je comprends que nous réexaminons l'ensemble des valeurs bourgeoises traditionnelles, des valeurs - les valeurs de liberté et de justice - qui constituaient l'essence de notre vie, qui paraissaient aussi indispensables qu'un verre d'eau. Nous avons grandi avec ces valeurs qui remontent au 18e, voire au 17e siècle. Maintenant, on peut pourtant dire que nous avons déjà limité la liberté et la justice, car nous voulons la sécurité. La sécurité est le maître – mot du 21e siècle. Cela constitue un grave problème pour la diversité ethnique et même pour la diversité culturelle. Les gens ont peur, ils ne veulent pas être musulmans, mais ils veulent être comme tout le monde.

Quand on parle de mondialisation, il s'agit naturellement d'un problème de bonne gestion économique et sociale. Quand on parle de sécurité, la valeur essentielle, ce n'est pas la liberté ou la justice, mais la vie des hommes. Pour le 20e siècle, la réponse était très simple. Albert Camus a écrit un jour que "les gens dont on a limité la liberté au profit de la sécurité n'auront jamais ni l'une, ni l'autre." C'était là une position très importante au 20e siècle, mais au 21e siècle, on réagit de manière toute différente. Nous disons que nous avons seulement besoin de sécurité.

La culture n'est pas distincte des questions soulevées par la vie politique moderne. C'est un problème… Hier, quand nous parlions de l'identité européenne, il s'agissait naturellement des valeurs fondamentales de l'Europe. Mais les valeurs fondamentales de l'Europe ne sont pas seulement chrétiennes, bien que les civilisations européennes soient issues des valeurs chrétiennes. Si l'on veut être européen, on doit dire qu'on fait partie de cette civilisation. Aujourd'hui, pourtant, cela ne suffit pas.

L'équilibre à trouver entre démocratie et sécurité reflète les questions soulevées par la protection et la gestion de la diversité.

Que recherche-t-on ? Pourquoi la diversité culturelle est-elle nécessaire ? Est-ce parce que nous sommes libéraux et démocratiques et que nous souhaitons donner à toute personne une chance de s'épanouir ? Non. Il y a, me semble-t-il une raison pratique. Personne ne sait de quelles expériences l'humanité aura besoin à l'avenir. Personne. Sera-ce l'expérience de notre civilisation, et pourquoi pas celle des Chinois ou des groupes ethniques du Grand Nord ? Qui sait ? Le problème sera évident au 31e siècle.

La mondialisation soulève un problème de simplification. Tout est simple. La civilisation de la consommation est une civilisation d'utilisateurs et non de "losers". Parfois, "utilisateurs" et "losers" désignent la même chose, car nous y perdons en matière de diversité et de multiplicité de perspectives sur notre monde. La diversité culturelle est nécessaire pour tous, même pour nous. C'est pourquoi, quand nous réfléchissons avec d'autres peuples, nous allons plus en profondeur en considérant le monde, ce qui suppose des approches plus variées et plus sophistiquées.

La diversité culturelle est un but pratique, un sujet très pratique, car personne ne sait de quelles expériences nous aurons besoin à l'avenir.

Je vous remercie.