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Colloque : « Culture européenne : identité et diversité »
Strasbourg, France
8-9 septembre 2005

Pour une raison subversive : au-delà du dialogue et des quêtes identitaires

Mohammed ARKOUN

1) Observations introductives.
2) Du dialogue protocolaire à la pensée subversive.
3) Les tâches de la raison subversive

1) Observations introductives.  

Les 20-21/9/2001, le Conseil de l’Europe a organisé un colloque sur Le défi des identités religieuses, spirituelles et culturelles. J’ai eu le privilège de participer à la rencontre et de présenter une communication sur Dialogue interreligieux et interculturalité. C’était une des premières réactions aux attentats du 11/9/2001 ; plusieurs participants exprimaient leurs émotions et des experts analysaient avec assurance les tenants et aboutissants de la tragédie qui a ébranlé la conscience mondiale. Nous voici réunis à nouveau par le même Conseil de l’Europe pour débattre du même sujet lancinant, toujours posé, mais guère renouvelé, encore moins dépassé non seulement dans les approches analytiques, mais sur le terrain des solutions pratiques, notamment dans les domaines de la recherche et de l’enseignement des cultures et des religions qui coexistent désormais dans l’espace politique et culturel européen. Je peux remonter au-delà de septembre 2001 et rappeler que les 28-30/5/1991, j’avais été le rapporteur d’un grand colloque organisé par le Conseil de l’Europe et l’UNESCO sur un thème très voisin du nôtre aujourd’hui. Il s’a -gissait notamment d’examiner « La contribution de la civilisation islamique à la culture européenne ». En tant que rapporteur général du colloque, j’avais formulé 6 propositions d’action concrète qui ont inspiré la Recommandation 1162 et la Directive 465 de l’Assemblée parlementaire. On peut lire l’ensemble du rapport dans le document 6497 publié Lluis Maria de Puig. Non seulement ce qui a été dit dans cette rencontre conserve son actualité, mais les événements qui se sont déroulés de 1991 soulignent la responsabilité de toutes les instances européennes qui dépensent tant d’argent et mobilisent tant de ressources humaines sans que des diagnostics pertinents, des visions porteuses d’une grande histoire de paix et de progrès aient trouvé des volontés politiques pour les faire aboutir.

On comprendra dans ces conditions que des chercheurs, des enseignants, des experts de divers domaines qui donnent leur temps et investissent leur engagement citoyen et humaniste finissent par se décourager. Tout va aux archives, si tant est qu’on conserve des traces des événements intellectuels et cul -turels les plus importants. L’autre enseignement qu’on doit tirer de cette expérience, c’est que les nouvelles personnalités invitées pour la première fois enfoncent des portes ouvertes depuis bien longtemps et se font applaudir pour des banalités qui avaient été accueillies très favorablement dans de nombreux colloques précédents. Pour honorer les invitations que je continue de recevoir, je me sens le devoir de répéter ces appels à une action plus cohérente avec des modes de pensée et des programmes d’interven -tion adaptés aux défis de notre histoire.

Ma longue expérience des colloques sur les dialogues euro-arabes, islamo-chrétiens, judéo-islamo-chrétiens, le clash des civilisations, l’interculturalité… m’ont amené à radicaliser mes positions tant à l’égard des thèses, protestations et prétentions des partenaires musulmans que vis-à-vis de ce que le regretté Pierre Bourdieu a tant stigmatisé dans son œuvre sous des titres éloquents comme Les héritiers, La La Reproduction, Les Méditations pascaliennes. Celles-ci s’ouvrent avec un chapitre sur la critique de la raison scolastique qui conclue sur la nécessité de radicaliser le doute radical. Cet apparent pléonasme traduit les démissions, les omissions, les renoncements, les redondances ennuyeuses, les oublis et les éliminations systématiques, les arrogances du discours euro-occidental à l’égard de tout ce qui est relégué dans le reste du monde depuis la proclamation à partir des Etats-Unis de la fin de l’histoire et du clash des civilisation. Ce fut immédiatement après l’effondrement de l’un des deux Grands qui ont redessiné la carte géopolitique du monde à Yalta. Nominalement il y avait 4 grands ; en fait, les Etats-Unis ont tiré les plus avantages de l’affaiblissement et de l’échec final de l’URSS. La première guerre du Golfe consacre l’avènement d’un monde unipolaire. On sait ce qu’il est advenu de la résistance allemande et française à la deuxième guerre contre l’Irak.

L’après 11/9/01 a dévoilé clairement la mise en crise de la raison moderne et des « valeurs » brandies par l’Occident pour appeler à la « guerre juste» avec un vocabulaire qui résonne encore comme celui des papes qui soutenaient les croisades contre un islam pourtant encore rayonnant intellectuellement et cult -urellement dans l’espace méditerranéen. J’utilise ce rapprochement historique tout en dénonçant depuis longtemps l’usage apologétique et idéologique qu’en font rituellement bien des intellectuels arabo-mus -ulmans. Ce que je vise ici c’est la persistance d’une raison scolastique dans la pensée euro-occidentale qui a parlé de façon éphémère dans les années 1970, de la fin des grands Récits et du passage à la postmodernité. Oser parler de postmodernité, c’est souligner précisément que la modernité continue de penser et d’agir dans le cadre du grand Récit qu’elle a construit pour fonder sa double souveraineté intellectuelle et politique substituée à celle du théologico-politique repensé par Spinoza. Le grand Récit amplifié par les grandes découvertes scientifiques et les empires coloniaux, a nourri l’imaginaire du Salut de la condition humaine par le progrès de la connaissance scientifique. Comme avec les grands Récits fondateurs des traditions religieuses, la raison moderne comme la raison scolastique, a changé en profondeur les conditions de déploiement historique de l’existence humaine. Cependant, dans les deux moments de l’histoire de la raison, les Récits mythohistoriques ont parlé de valeurs éternelles parce que « divines », puis laïques et universelles, alors que l’universalité concrète de la condition humaine sur terre était et demeure ignorée, écrasée en bien des lieux de la terre, maintenue dans l’asservissement même dans les pays inventeurs de la modernité en ce qui concerne notamment les femmes, les enfants et les «étrangers».

Les « intellectuels » qui ont fait le plus de bruit médiatique après le 11/9/01 sont en Amérique com -me en Europe, les partisans convaincus de la guerre juste poursuivie en Proche-Orient et dans le reste du monde depuis 1945. Il faut remonter jusqu’à cette date en effet, pour mieux mesurer au moins dans la moyenne durée, les démissions successives de la raison qu’on continue à qualifier de moderne, alors que la modernité intellectuelle attend toujours les historiens de la pensée capables de la resituer dans une anthropologie historique critique des systèmes de pensée et des constructions sociales de la réalité dans toutes les cultures sans exception. Des philosophes et essayistes médiatisés ont beau attirer l’attention sur la défaite de la pensée, la pensée et la culture jetables, la société de spectacle permanent, de consommation forcée, la marchandisation du corps et de l’esprit, la tyrannie du marché ne continue pas moins à s’imposer dans les pays les plus dépossédés de leurs biens, leurs libertés et la dignité élémentaire de la personne. Là, des élites enclavées tissent des solidarités avec leurs homologues d’Occident dans un environnement social, économique et culturel abandonné au jeu implacable des mécanismes de la violence structurelle. Il faut à tout prix soutenir le rythme de la consommation pour éviter l’effondrement du marché à l’échelle mondiale. Cette loi simple dans son énoncé annule tous les efforts que peut déployer la pensée la plus inventive pour restaurer la primauté de la personne humaine, pas seulement dans un discours formel servant d’alibi idéologique aux volontés prioritaires de la Machtpolitik, mais dans des institutions nationales et internationales dûment contrôlées par des instances démocratiques qui restent à définir.

C’est là que la raison instrumentale gestionnaire et pragmatique des ingénieurs, des experts des Ressources Humaines de plus en plus indispensables, révèle ses limites et les contraintes qu’elle exerce sur ce que j’appelle les droits et les obligations de la raison subversive. Je parle de raison subversive parce que le concept de raison moderne a perdu toute prégnance conceptuelle, tous les liens avec l’euphorie in -tellectuelle de la raison des Lumières, toute capacité de rebondir devant l’expansion irrésistible de la pensée jetable et de la culture de plaisir, de loisir qui seule fait monter l’audimat des médias et génère les profits nécessaires pour créer des emplois. A cet égard, j’observe depuis les dix dernières années la montée des magazines féminins francophones dans les pays maghrébins. Ils sont dans les moindres détails des clones de leurs modèles parisiens. La publicité à trouvé là un canal idéal pour conquérir la très importante clientèle féminine ; d’où un succès rapide et durable, alors que l’information et la pensée diffusées dans des sociétés où la condition féminine a tant de progrès à réaliser, est aussi superficielle, rapide, fragmentaire et conformiste que partout dans le monde. L’élite enclavée que ciblent ces publications est néanmoins fière d’avoir un magazine national aussi luxueusement présenté que ses modèles occidentaux. Et ce luxe qui permettrait d’éditer bien des thèses et ouvrages scientifiques enrichissants pour un public plus large, fait partie de la « culture » jetable dans des pays par ailleurs en essai de développement.

Ainsi, « l’exception euro-occidentale » est à la fois banalisée et toujours un thème d’affirmation identitaire. Historiquement, les révolutions politiques et juridiques préparées par des ruptures épistémiques et épistémologiques dans l’exercice de la raison, sont indéniablement une grande exception européenne. La révolution industrielle et urbaine, puis les bouleversements de notre âge informatique s’inscrivent également dans cette exception historique qui ne connaît pas d’équivalent dans le reste du monde. Le Japon est entré dans la compétition industrielle par la voie du clonage, de la diversification et de la sophistication des produits pour le marché, mais toujours pas par la mise en œuvre d’une nouvelle rupture par rapport à l’exception euro-occidentale qui est en train de montrer ses limites et ses dangers pour le futur de notre espèce et de la planète elle-même. La Chine et l’Inde sont puissantes par leurs immenses ressources humaines ; mais on attend de l’une et l’autre l’émergence d’un Modèle alternatif de production de l’histoire mondiale qui aille au-delà d’une compétition sur les coûts des objets de consommation courante. Il reste que la peur de l’effondrement des marchés peut paralyser la créativité intellectuelle et artistique sans laquelle le clonage des êtres humains eux-mêmes deviendra la Règle commune d’une autre humanité que celle qui survit encore dans des conditions bien incertaines.

On nous a habitués à penser que la modernité comme accompagnement intellectuel, scientifique, cul -turel, juridique, économique du parcours historique européen depuis le 16e siècle, a pour ressource spécifique de mettre périodiquement la raison en crise pour dépasser ses postulats, ses principes, ses procédures dès qu’ils révèlent leur insuffisance, leur dérive idéologique ou la perte totale de leur portée opératoire. L’accélération et la complexification des forces de production de notre histoire rendent les crises plus fréquentes et la coexistence de plusieurs rationalités hétérogènes plus génératrice de violence politique et sociale. Ainsi, le principe de falsification de toute vérité articulée ou hypothèse heuristique pour tester continuellement leur pertinence scientifique ne peut, faute de temps suffisant, produire tous ses effets féconds notamment dans les sciences de l’homme et de la société. Cela aussi est une contrainte spécifique de notre histoire dominée par le temps d’une technologie omniprésente et toute puissante. Dès la deuxième moitié du 19e siècle, des penseurs subversifs ont dénoncé une philosophie idéaliste, mythoidéologique et prisonnière des rêveries métaphysiques et des pesanteurs sociologiques perpétuées par un Magistère théologique toujours présent. La philosophie faisait marcher l’homme sur la tête ; Marx vint pour la faire marcher sur les pieds. Ce fut un geste de sortie de la raison des Lumières dont les connaissances sur l’histoire et l’anthropologie des sociétés et des cultures étaient trop rudimentaires et imaginaires pour maîtriser les mécanismes réels de l’institution sociale de l’esprit1 lui-même. Nietzsche s’attaque au domaine des valeurs et imposa son enquête généalogique limitée cependant au parcours gréco-latin et chrétien de quelques sociétés européennes. C’est lui cependant qui a explicité la nécessité de passer aux secondes Lumières. Second geste de sortie mal reçu, mal continué, mais récurrent dans les métamorphoses de la modernité jusqu’à nos jours. Freud vient renforcer la philosophie du soupçon en explorant le continent inconnu de la psyché et de ses rapports avec la conscience.

Il y a d’autres lignes de force de la modernité que je ne puis énumérer ici. Mon objectif est de différencier les tâches de la raison subversive face aux autres postures et fonctions assignées à cette faculté toujours nommée raison malgré la grande diversité des rationalités subsumées sous ce concept. Subvertir c’est renverser l’ordre établi soit dans le domaine politique, soit dans celui des modes, voies et contenus de connaissance. Il y a une différence cruciale entre subvertir un régime politique par la colère de la rue et subvertir un système de pensée en montrant les dangers qu’il fait courir à l’hygiène élémentaire de la vie de l’esprit, je veux dire le fonctionnement optimal de toutes les facultés qui définissent l’esprit hum -ain. La subversion par la rue a l’avantage de ramener l’attention au désordre mental, au piétinement des légitimités, à l’oppression sauvage des droits élémentaires de la personne humaine. Les acteurs qui descendent dans la rue expriment des revendications, mais ne sont pas tous préparés à expliciter les conditions du succès et les enjeux immédiats et à long terme des réponses données aux exigences les plus légitimes. Le terme subversion est connoté négativement parce que l’Etat responsable du maintien de l’ordre réprime la violence illégale de la rue par la violence légale du régime en place. Jusqu’au 11/9/2001, la subversion obéit aux mêmes ressorts socio-politiques, mais elle demeure limitée aux frontières de chaque Etat-Nation, royaume ou empire. Les attentats de Manhattan changent l’échelle de la subversion : c’est la subversion de Jihâd versus McWorld selon le titre très pertinent du livre de Benjamin Barber.

Ce changement d’échelle est d’une importance cruciale pour notre recherche qui se veut subversive pour les deux Figures de l’histoire mondiale désignées par deux métonymies d’une grande richesse historique, anthropologique et philosophique : Jihâd versus McWorld. Les terroristes du 11/9/01 qui continuent à cibler leurs attaques sur des capitales stratégiques déclarent vouloir subvertir non un régime local, mais un ordre mondial. Assurément, cette visée n’a pas plus de fondements explicites que celles des diverses manifestations de rue vite étouffées par les forces de l’ordre. Plus équitablement, il faut dire plu -tôt que les fondements implicites de toute subversion violente par la rue et l’attentat demeurent refoulés dans l’implicite vécu des dominés tant que les dominants contrôlent les espaces de débat libre sur les questions en amont de tous les affrontements entre ordre établi et désordre, insoumission, rébellion, violence dans la rue. C’est un fait historique constant que les questions en amont sont toujours contrôlées (censure, poursuites judiciaires, exécutions…) par l’alliance fonctionnelle entre le Magistère doctrinal comme instance de légitimation et le régime légal en place. Toutes les questions en amont dont traitent les théologies et les philosophies sont soumises à deux limitations jamais dépassées et sans doute indépassables : 1) l’impensable et les impensés inhérents à tout système de pensée avant toute intervention du Magistère doctrinal et de son bras séculier ; 2) le régime politique responsable de l’ordre établi qui ajoute les interdits de ses codes légaux pour réprimer les transgressions du pensable défini et strictement surveillé par le Magistère doctrinal. Celui-ci a été libéré malgré lui des obligations et des soucis de l’Etat pour le catholicisme et le protestantisme ; mais pour l’islam, l’Etat contrôle directement la gestion du religieux, tandis que le judaïsme demeure en tension forte avec les courants orthodoxes.

Après des luttes violentes et bien des exécutions sommaires dans les régimes monarchiques et religieux, puis dans les régimes totalitaires issus de la « modernité », la raison a rendu progressivement possible la transgression des limites du pensable dans les deux définitions déjà indiquées ; mais ses contibutions les plus subversives n’ont pas encore permis la sortie irréversible de toutes les formes d’alliance entre Magistère doctrinal et ordres établis. Ici, on est en droit d’être plus sévère à l’égard de la raison moderne qui s’est éloignée de sa fonction critique pour exercer une impossible souveraineté intellectuelle dans l’alliance contrainte ou calculée avec les divers ordres établis. Les réélections récentes du président Bush junior et du premier ministre Tony Blair ont dévoilé les démissions de la raison politique quand elle asservit la légitimité démocratique aux manipulations électoralistes. Ce ne sont pas seulement les citoyens de deux grandes démocraties qui se trouvent réduits au scepticisme dissolvant ; ce sont tous les peuples soumis aux « Etats voyous » qui perdent l’espérance soulevée par les luttes mondiales pour les libertés démocratiques. En rappelant ces faits, je témoigne de ce qui se dit et se vit avec un sentiment de désespoir chez tous les peuples où les éclaireurs de l’espérance démocratique sont allés jusqu’à recourir à une guerre de conquête pour introduire justement le régime démocratique. Où donc trouver des témoins crédibles de l’autonomie nécessaire pour repenser les conditions d’une nouvelle articulation de la l’auctoritas et de la potestas et garantir ainsi la légitimité des Etats au regard des peuples souverains ? Les anthropologues enseignent que seule l’instance de l’autorité crée et nourrit les dettes de sens entre les citoyens comme personnes et pas seulement comme individus abstraits et entre la société civile et l’Etat de droit dépositaire de la souveraineté politique. Ces principes de philosophie politique se désintègrent et laissent place partout au zapping électoral, à la démagogie électoraliste, à l’inculture de bien des élus du suffrage universel, aux mises en scène d’un pouvoir de plus en plus assailli par la rue et mis en échec par la violence structurelle.

Les trois grandes révolutions anglaise, américaine et française ont substitué à l’espérance eschatologique dans le Salut éternel, l’imaginaire du Bonheur immédiat et de la paix par le progrès scientifique et la solution démocratique. Que reste-t-il de cette nouvelle espérance après les guerres intra européennes devenues mondiales et après la guerre froide, les guerres dites de libération et les guerres civiles en cours depuis l’émergence des Partis-Etats postcoloniaux ? Immense question éludée, refoulée, contournée, transformée par les gestionnaires de la mondialisation en une version aussi illusoire du droit des citoyens et des peuples à disposer d’eux-mêmes. L’alliance du philosophico-politique laïc et du régime démocratique a remplacé celle du théologico-politique des religions monothéistes et des monarchies ou théocraties qui survivent encore dans certains pays. Or les sciences sociales et politiques montrent que dans les deux modèles de production de l’histoire des hommes en société, on retrouve la persistance, voire l’intensification de ce que j’appelle la dialectique des puissances et des résidus2.

2) Du dialogue protocolaire à la pensée subversive. 

Tous les types et les niveaux de dialogue pratiqués jusqu’ici ont été limités dans leur déroulement, les expressions des participants, les objets inscrits dans les ordres du jour, les conclusions et les finalités par des règles protocolaires vécues comme des impératifs catégoriques. Règles d’écoute, de «tolér- ance », de retenue, d’autoprotection, de silence à propos de tout ce qui pourrait blesser, transgresser un tabou, compromettre la poursuite sereine de la rencontre. La langue de bois est de règle dès qu’il s’agit d’un enjeu religieux ou politique trop brûlant. Il y a même de savants érudits qui étendent l’im -pératif de la « tolérance » à l’obligation de taire les conséquences de leurs investigations scientifiques quand elles pourraient déstabiliser la foi des fidèles d’une autre religion que la leur. Autrement dit, ils appliqueront en tant que savants, toutes les règles de la recherche critique à leur propre religion, mais ils laisseront aux autres croyants le soin de faire le même travail pour leurs religions respectives. Déontologie intellectuelle ou démission de la raison devant la tâche primordiale d’universalisation de la connaissance scientifique évidemment soumise aux débats indispensables ? En fait, cette attitude re -vient à laisser un champ de ruines à ces croyants qui ne disposent pas des outils de pensée et des conditions matérielles indispensables à toute recherche scientifique fondamentale. C’est ce qui est arrivé dans le cas d’un grand nombre d’islamologues occidentaux à l’égard de l’islam et des sociétés travaillées par le fait islamique.

Si la convivialité et les échanges interpersonnels sont des enrichissements précieux que favorisent les rencontres de dialogue, il reste qu’on peut bénéficier de ces bienfaits et obtenir plus d’efficacité en encourageant les apports de ce que j’appelle la pensée subversive. Je n’ai rien dit jusqu’ici de l’attitu -de des Etats, des sociétés civiles, des partis politiques, des catégories professionnelles en contextes is -lamiques devant l’événement du 11/9/01 et les actes terroristes qui ont suivi en réponse à la guerre punitive engagée par la Nouvelle alliance formée autour des Etats-Unis. Alors que ces derniers et l’Europe ont fait du dialogue interculturel un travail nécessaire d’accompagnement d’une guerre tragiquement inégale et mal légitimée, les musulmans ont continué à clamer leur innocence, leur statut d’éternelle victime et donc la nécessité de se « défendre » par tous les moyens. Beaucoup ont suivi cependant la solution illusoire d’un dialogue formel, répétant de bons sentiments et inondant les médiats de bons sentiments et de condamnation sans restrictions de tout acte terroriste. On rejette aussi avec véhémence tous les faux musulmans perdus qui ont pris en otage le « vrai » islam. Islam authentique, musulmans modernes sont devenus les interlocuteurs valables de protagonistes occidentaux convaincus en leur for intérieur que cette religion nourrit la violence depuis qu’elle est instrumentalisée concurremment par des Etats légaux, mais en déficit de légitimité et des masses populistes abandonnées aux mécanismes aveugles d’un libéralisme mondial étendu aux sociétés les plus démunies. Inviter au dialogue des cultures et des religions dans ces conditions d’inégalité radicale à tous les niveaux d’existence humaine, c’est continuer à donner un alibi scandaleux au triomphe de la Machtpolitik et de la Réalpolitik habillées des atours du discours humanitariste. On est alors dans la rupture systémique avec le souci de l’âme que cultivent encore des spiritualités ahistoriques et désincarnées et cet humanisme concret que continuent d’évoquer des voix européennes de plus en plus isolées.

Il serait facile d’illustrer ces analyses rapides par de nombreux faits et exemples tirés de l’histoire en cours depuis 1945. On se perdrait cependant dans les forêts inexplorées des données et des pratiques dans la mesure où l’on garde sous le même regard critique et exigeant l’immense diversité du monde travaillé par le fait islamique et celui de « l’Occident » foisonnant d’activités créatrices, mais de moins en moins habilité à contrôler les excès de ses volontés de puissance. On retiendra surtout que la polarisation idéologique du couple d’opposés « Islam » et « Occident » connaît un tel durcissement depuis le 11/9/01 que l’analyse sereine, impartiale, soucieuse d’exhaustivité et de pertinence scientifique et philosophique est refoulée dans l’érudition lourde, obstruée par l’ampleur et la priorité de fait dont bénéficient la pensée et l’information jetables. Oserai-je dire qu’une grande partie de la production orale et écrite dans le cadre des dialogues divers, s’inscrit dans cette catégorie du jetable ?

La solidarité historique est un des thèmes féconds qui n’apparaît guère dans la production pléthorique sur le couple d’opposés. On prêche la tolérance, la paix, la compréhension, l’écoute mutuelle, le respect des valeurs de l’autre, les gloires des uns et des autres… dans la rhétorique du sermon ; mais on ne s’attache guère à montrer comment passer enfin des solidarités mécaniques dites « naturelles » des familles patriarcales, des clans et tributs, des corporations, des partis, des syndicats, des sectes, des communautés religieuses et/ou nationales dans les limites territoriales d’un Etat, d’un Empire, d’un Royaume… à des solidarités élargies et pensées progressivement d’un terroir natal jusqu’à la condition humaine. Il ne s’agit nullement de ces « valeurs » universelles rituellement célébrées dans les dialogues interreligieux nécessairement hantés par les enseignements éternels de la Parole de Dieu ; ou, dans le registre de la culture laïque, par les servants des « Eglises » rationalistes modernes. Je pense aux solidarités historiques concrète que présuppose dans la construction de l’Union européenne le passage de l’égoïsme sacré des Etats-Nations ou Nations-Etats sécularisés à la solidarité transnationale, transconfessionnelle, culturelle et ethnique telle que nous la vivons dans l’Union européenne. On connaît les résistances des souverainistes à cette mutation de la solidarité. Il y a aussi la résistance du patriotisme des « valeurs » imaginées plus que vécues et revisitées dans la perspective de la généalogie critique de toutes les formes et niveaux de valeurs héritées. On appelle cela des pesanteurs sociologiques qui retardent des mutations fécondes ou même les font échouer quand l’ima -gination créatrice et la pensée critique font simultanément défaut. La réussite de l’Union européenne ouvre des horizons de sens et d’espérance pour l’émancipation de la condition humaine plus fondés historiquement et culturellement que ceux qu’offre le parcours historique des Etats-Unis. Dans le cas européen, plusieurs mémoires collectives préservées dans les cadres de mémoires historiques anciennes viennent enrichir une vision et des expérimentations inédites de la solidarité historique mondia -le ; elles bénéficient toutes de possibilités réelles de sortir des codes et des pratiques épuisés et régressifs par rapport aux défis éducatifs et aux acquits décisifs de l’Union européenne après les tragiques leçons des guerres intra européennes et plus spécialement celle de 1940-45.

C’est dans cette perspective d’un combat subversif de transgression et dépassement des oppositions binaires entre Eglise et Etat, spirituel et temporel, foi et raison, culture de la croyance et culture de l’incroyance, tradition et modernité, conservatisme et progrès, sous-développement et développe -ment, fondamentalisme et tolérance, etc. Ces oppositions continuent de peser lourdement sur les dialogues interreligieux et interculturel parce que la pensée européenne elle-même qui a produit et géré la modernité jusqu’ici est bien loin d’être sortie des contraintes psycho-linguistiques et idéologiques de cette pensée binaire pourtant largement étudiée et critiquée dans l’étape éphémère de la postmodernité. L’écriture subversive d’un Michel Houellebecq3 dissout les valeurs jetables de notre temps, disqualifie les retours trompeurs à de fausses différences et à des « identités meurtrières » sans parvenir à ouvrir des voies alternatives à l’imagination créatrice et à la pensée plurielle obstinément innovante et systématiquement subversive. Dans l’ordre de la recherche philosophique, on observe la même inconséquence entre les interventions bruyantes des auteurs lus et valorisés par les médias et des penseurs moins accessibles aux larges publics, plus classiques et surtout enfermés dans la logosphère et les parcours européens et américains. C’est le cas de J. Habermas, de P. Ricoeur, d’E. Lévinas. Je cite ces noms en particulier parce qu’ils ont travaillé et pensé dans la ligne chronologique arbitrairement tracée de l’héritage gréco-latin et biblique jusqu’à nos jours sans jeter le moindre coup d’œil au rôle médiateur de la pensée d’expression arabe du 7e au 13e siècle. Médiatisés ou classiques, beaucoup de penseurs corroborent par leur silence et leur indifférence la ligne de partage idéologique tracée naguère par l’historien belge Henri Pirenne dans son Mahomet et Charlemagne publié en 1936 et qui retrouve un regain d’actualité avec l’amplification de l’imaginaire occidental sur l’opposition Islam/ Occident.

Les grandes vagues d’immigrés qui ont répondu d’abord aux besoins de main d’œuvre de l’Euro -pe industrielle des années 1960-70, contraints ensuite de fuir des régimes autoritaristes, commencent à alimenter les solidarités historiques nouvelles que je viens d’évoquer. On ne faire guère mention de ces immigrés qui réfutent par leur style d’insertion non dans les moules d’intégration imaginés plus que pensés par les Hauts conseils de l’intégration, mais dans la dynamique historique déployées dans les processus de construction de l’Union européenne. Même les partis politiques les plus ouverts à l’accueil des immigrés ont échoué à remarquer et surtout à soutenir ces itinéraires personnels que certains écrivains, artistes, chercheurs, intellectuels se risquent à faire connaître. Les essais et les oeuvres qui circulent depuis longtemps m’encouragent à résumer brièvement mon propre itinéraire qui, comme on le verra, est représentatif d’un grand nombre d’autres4.

J’appartiens à cette lignée de nouveaux citoyens qui cultivent indivisément avec les mêmes convictions, les mêmes engagements et les mêmes impératifs critiques, plusieurs solidarités historiques imbriquées les unes dans les autres. Au point de départ se trouve le modeste village de Taouririt-Mimoun perché à 1100 mètres sur une colline du Djurdjura. C’est la solidarité avec le terroir physique, la mémoire collective d’un groupe humain réduit à la condition de minoritaire et lié de ce fait par une forte identité. A partir de là sont venus s’ajouter des élargissements successifs à l’ensemble de l’Algérie, du Maghreb, de la logosphère arabo-islamique et simultanément dès ma 6e année, à la logosphère francophone, puis anglophone. Ces élargissements successifs ou simultanés, sont autant de parcours linguistiques, culturels et intellectuels à travers la dialectique des puissances que représentent l’Etat, l’écriture, la culture savante et les orthodoxies religieuse et politiques et les résidus générés par ces puissance dans les sociétés sans Etat central, sans écriture, sans culture savante et sans orthodoxie centralisatrice (culture orale ou orature et croyances animistes, polythéistes nommées hérésies par les gestionnaires des orthodoxies). C’est là que le passage des solidarités mécaniques incon -ditionnelles aux solidarités historiques pensées, librement acceptées et renforcées comme points d’appui à des conquêtes nouvelles de la condition humaine prend des significations attractives et nourrit des espérances concrètes.

Il a fallu évaluer en cours de route les enjeux humanistes de chaque niveau de solidarité. C’est pour cette raison que j’ai décidé de conjoindre à ma formation française la maîtrise intellectuelle et scientifique de ce que j’ai appelé la logosphère arabo-islamique où survit à titre de résidu des puissances qui se sont succédées dans l’espace maghrébin, cette langue et culture dites « berbères » depuis les Romains et depuis peu amazigh. C’est pour cela aussi que la question humaniste est demeurée au centre de mes recherches et de mes interrogations pour pouvoir situer dans cette perspective universalisable, jamais proclamée prématurément universelle, mes solidarités sans cesse élargies. Ce souci d’élargissement critique des horizons de solidarité oriente mes Combats et Propositions dans l’espace européen et dans les divers parcours plus ou moins marqués par le fait islamique et le destin de la pensée d’expression arabe. J’ai consacré ma thèse de doctorat à la Sorbonne à l’Humanisme arabe au 4e/10e siècle (1e éd. Vrin 1970 ; 3e éd. 2005) et je viens de reprendre mes combats et propositions pour l’humanisme dans Humanisme et islam, Vrin 2005.

Ce raccourci autobiographique me semble indispensable pour éviter tout contre sens au sujet de ce que je pratique sous l’expression volontairement provocante de pensée subversive. Pourquoi subversive et pour subvertir quoi au nom de qui et de quoi ? Ce n’est pas ici le lieu d’exposer une philosophie et une pratique ou agir personnel et citoyen. La pensée subversive est d’abord une volonté de repenser et réécrire avec un travail constant de reconceptualisation, l’histoire de tous les systèmes de pensée et de culture dans l’espace méditerranéen. Je n’accorde à cet espace aucun privilège a priori par rapport aux autres grands lieux de pensée et de culture dans le monde. Il se trouve qu’historique -ment les racines intellectuelles, spirituelles, juridiques, culturelles de cette Europe devenue Occident plongent dans cet espace historique méditerranéen. Il se trouve aussi que c’est dans ce même espace que s’affrontent aujourd’hui encore les deux grands pôles déjà nommés de la très longue histoire que nous réduisons dangereusement aux luttes sans merci de « Jihâd versus McWorld » selon un heureux titre de Benjamin Barber. Islam et Occident sont devenus des mots valises remplies de bombes, de violences, d’ignorances mutuelles, d’exclusions réciproques empilées depuis le passage de la Pax Romana dans la Mare Nostrum jusqu’à la fracture dont je refuse de fixer la date avant les parcours non encore effectués par l’historien de métier. Pour l’heure, les opinions se nourrissent encore des constats d’huissier, des actes notariés eux-mêmes simplifiés à outrance par des magazines et des bulletins quotidiens dits d’information. On ne peut parler d’une grande fracture originelle comme le veulent les systèmes théologiques monothéistes pour réserver à chaque Communauté le privilège éternel de l’élection divine ; ou, à partir du 19e siècle, les défenseurs du système colonial qui devait rendre les espaces méditerranéens conquis par l’islam à la seule vraie religion du Salut et à la nouvelle espéran -ce offerte par la modernité5.

Comment retenir l’attention des divers publics euro-occidentaux et musulmans à la fois sur une histoire de très longue durée en un moment où la pensée jetable et la culture de passe-temps, du plaisir et du désir puissamment diffusée par les médias, ont quasi aboli la mémoire historique des parcours nationaux eux-mêmes ? On nous convie à parler de dialogue interculturel et interreligieux alors que l’oubli du passé tel que les historiographies nationales l’ont représenté depuis le 19e siècle, est soit difficilement réversible, soit constitutif pour longtemps du regard euro-occidental sur ce qu’il se présente désormais à soi-même comme l’identité européenne. Qui construit cette représentation d’u -ne identité distincte de toutes celles qui se disputent une reconnaissance « universelle » ? La « Nouvelle histoire » proclamée et pratiquée dans les années 1970-80 a annoncé des volontés d’ouverture à d’autres mémoires collectives pour les inclure dans une conscience historique critique unie dans la quête d’une connaissance partagée des passés. Les échecs politiques, les fracas de la violence meurtrière et dévastatrice, les errances de la pensée économique, les arbitraires des grands monopoles, le poids grandissant d’un libéralisme sauvage compromettent depuis la fin proclamée de l’histoire et l’entrée dans le clash des civilisations, les marches esquissées vers des libérations plus effectives et plus durables.

Pour compléter cette esquisse d’une défense et illustration de la raison subversive, il reste à réfléchir sur ses stratégies cognitives d’intervention dans les divers contextes historiques jusqu’ici confiés à des spécialistes comme les « orientalistes », les « islamisants », les « Africanistes », etc. Ce n’est ni le lieu, ni le moment d’engager ici de tels débats. Je me contenter de proposer une articulation possibles des thèmes et des parcours qui permettraient de repenser l’histoire de l’espace méditerranéen.

3) Les tâches de la raison subversive 

A) Questions de méthode: Probématiser le fait religieux. Pourquoi partir du fait islamique ?

A-1) L’amont et l’aval de la connaissance en sciences de l’homme et de la sociétés ; combiner le parcours linéaire de « l’origine à nos jours » et l’histoire à rebours du temps présent. Repenser l’articu lation longue, moyenne et courte durée à la lumière des débats récents sur la connaissance journalistique en expansion et la connaissance historique et anthropologique reconnue, pratiquée, mais guère diffusée. Exemples : de la Bible hébraïque à l’Etat d’Israël ; du Coran aux Partis-Etats nationalistes ; du discours prophétique à la culture de l'incroyance ; à rebours des vicissitudes en cours de l’Etat d’Israël à la Bible hébraïque ; des Partis-Etats postconiaux aux fait coranique et au fait islamique. Les tâches d’une islamologie appliquée subversive 6.

A-2) Typologie des régimes de « vérité » et des régimes politiques face à la topologie de la connaissance : magique, religieuse, métaphysique classique, (le théologico/philosophico-politique) ; théorie des champs et de leur articulation théorique et pratique.

A-3) La dialectique des puissances et des résidus ; les trois thèmes de la cognition subversive : l’in -stitution sociale de l’esprit ; la production imaginaire des sociétés et la construction sociale de la réalité; sens et puissance ; Machtpolitik et discours à double critère typifié dans celui de Robert Kagan après le 11/9/01.

A-4) Trois instances de la connaissance critique : 1) Linguistique, sémiologique et sémiotique ; 2) l’histoire « comme anthropologie du passé et archéologie de la vie quotidienne » ; 3) l’anthropologie comme critique des cultures accompagnée par l’interrogation philosophique sur les sciences de l’homme et de la société et l’identification des triangles anthropologiques comme violence, sacré et vérité, langue, histoire, pensée...

A-5) La sortie de l’ignorance structurelle institutionnalisée est-elle possible ? Par delà le travail de « sortie de la religion », il est urgent d’étendre à la modernité les trois opérations subversives : transgresser, déplacer, dépasser.

A-6) La question herméneutique qui surgit à toutes les étapes en amont et en aval ; protocoles de lecture et de la réception ;

A-7) Horizons de « vérité », de justice et d’espérance dans la construction de l’espace européen.

B) L’islam au défi de la raison émergente

 
B-1) Les conditions d’exercice de la raison émergente ; critique de « l’exception islamique » : de l’enquête historico-critique à la subversion des héritages mythohistoriques et mythoidéologiques.

B-2) Les lieux (topoi) de la subversion dans la tradition islamique exhaustive. Le discours religieux et les Corpus Officiels Clos (COC) ; la grande Tradition vivante. Le scandale historique et politique de l’étatisation du religieux et de la cléricalisation du politique.

B-3) La pensée fondationnelle et l’impossibilité de fonder comme contrepartie subversive de la vio -lence fondamentaliste. La genèse destructrice du sens et des valeurs.

B-4) Principes de l’herméneutique archéologique et déconstructive : LangueàßHistoireàß Pensée ; Violence à ßsacré/saint àßVérité

B-5) Du dialogue interreligieux au dépassement des héritages survalorisés, revalorisés par les mythoidéologies contemporaines pour combler les vides culturels et les conduites régressives générés par les stratégies de contrôle géopolitique des ressources matérielles et des libertés dans le monde.

B-6) Extension de la critique de la raison islamique à toutes les raisons qui reproduisent avec la logique de la croyance les idéaux, les significations et les valeurs demeurés à l’abri des vérifications empiriques et de la critique de la connaissance.

On répète comme des évidences indiscutables que la pensée islamique actuelle en est encore au stade réformiste de l’appel à l’autorité des pieux Anciens, ou des bricolages rationalisants du 19e siècle. On ne peut nier l’existence de ces courants représentés par les musulmans dits modérés. Mais il faut prêter plus d’attention à des attitudes plus audacieuses manifestées dans des publications de jeunes chercheurs que minimisent, passent sous silence ou rejettent sans examen les tendances du militantisme politique. Ces voix courageuses et minoritaires méritent un meilleur accueil en contextes européennes en attendant leur succès dans les milieux musulmans.

1 ) Titre d’un essai de Jean de Munck, PUF 1999. Sur ce thème de grande portée cognitive subversive, on lira aussi Christian Roy: Sens commun et monde

commun, L’harmattan 2004-09-21 ; Paul Ricoeur, La mémoire, l’histoire et l’oubli, Seuil 2000 ; Todorov, Tzvetan : Le jardin imparfait, Grasset 1998 ; Max Poty : L’illusion de communiquer. Le compromis de reconnaissance, théâtre de vie, L’Harmattan 2004.


2 ) Sur la portée anthropologique de cette dialectique, voir mon Humanisme et islam, chapitre 3.

3 ) Dernier titre très suggestif La possibilité d’une île, Fayard 2005.

4 ) Parmi les grands témoignages de facture littéraire, je citerai entre beaucoup d’autres, celui de l’écrivain et humaniste égyptien

Taha Hussein dans son autobiographie Al-Ayyâm, Les jours, présentée en son temps par André Gide.

5 ) Pour plus de développements sur la place et l’avenir de l’espace méditerranéen dans la perspective d’une histoire remembrée

et solidaire de tous les protagonistes des luttes dans cet espace, je renvoie à M. Arkoun et J. Maila, De Manhattan à Bagdad. Au-delà

du Bien et du Mal, Desclée de Brouwer, Paris 2003.

6 Pour le concept d’une islamogolie appliquée voir M. Arkoun, The Unthought in Contemprary Islamic thought, London 2003