Gros plan
 

Communiquer contre le racisme

''Nous vivons une période de censure'', annonçait un éditorial du Guardian britannique daté de février 2009.

''Le député hollandais Geert Wilders a été refoulé à l'aéroport de Heathrow, le prince Harry suit un cours de sensibilisation à la question raciale, Carol Thatcher s'interroge encore sur le caractère insultant du terme ''golliwog '' et, dans une décision au caractère indéniablement oiseux, le Synode général de l'Eglise anglicane interdit à son clergé d'adhérer au British National Party.

''Cela fait aussi vingt ans que l'ayatollah Khomeiny a prononcé la tristement célèbre fatwa à l'encontre de Salman Rushdie pour ses Versets sataniques . L'équilibre est toujours aussi fragile entre liberté d'expression et respect des sensibilités raciales et religieuses''.

C'est dans ce contexte que les militants qui luttent contre les préjugés et la discrimination doivent travailler avec les médias. Les conditions et la mise en œuvre de ce ''travail'' ont constitué le fil conducteur du séminaire organisé par la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance les 26 et 27 février à Strasbourg.

Kamal Ahmed, président de l'Equalities and Human Rights Commission (Commission britannique de l'égalité et des droits de l'homme), conseille aux délégués de ne pas considérer les médias comme un groupe d'opposants hostiles armés de mégaphones et de stylos empoisonnés, mais comme des ''parties prenantes'' au projet qui permettra de vivre dans une société plus juste. Ancien chroniqueur politique du journal The Observer ayant quinze ans d'expérience du journalisme, il se prononce en faveur d'un partenariat constructif avec les médias sous toutes leurs formes.

''Nous devons considérer les médias comme une partie prenante essentielle'', affirme-t-il.''Nous avons parfois l'impression qu'ils forment une entité distincte, constituée d'être humains génétiquement différents, qui ne sont pas proches de nous. Cependant, nous devons les approcher comme nous approchons n'importe quelle autre partie prenante, en établissant avec eux une relation de confiance.

''Il existe certes des problèmes liés au traitement de certains sujets par les médias, mais nous devons réfléchir à la façon d'établir des liens avec ces derniers.

''Nous considérons certains médias comme nos ennemis. Or notre démarche doit être de nouer le dialogue, de débattre et d'être inventif de façon qu'ils comprennent que les questions relatives à l'égalité et aux droits de l'homme relèvent aussi de leur responsabilité.

''Si vous nouez le dialogue avec les médias en utilisant un langage qu'ils comprennent, vous obtiendrez une réaction positive''.

Mariëtte de Heide, présidente de l'association Art. 1 à Rotterdam, aux Pays-Bas, partage ce point de vue mais les risques qu'il comporte l'inquiètent.

''Nous devons éviter de nous retrouver acculés à prendre parti alors que nous voulons simplement souligner notre position en faveur d'une société globalement plus juste'', indique-t-elle.

Jozef De Witte, président du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme (CECLR) à Bruxelles, en Belgique, rebondit sur cette idée en insistant sur le dilemme rencontré par les militants anti-discrimination lorsqu'ils sont sollicités par les médias pour apporter leur commentaire.

Il craint qu'une réponse automatique à ces demandes ne fasse de la publicité à des extrémistes dont les ambitions se nourrissent déjà de la querelle publique sur certaines questions sensibles.

''Il est très facile d'affirmer qu'un acte est illégal'', fait-il remarquer. ''Il suffit de terminer sa phrase par : ''Ceci est illégal, vous n'avez pas le droit de le dire et c'est tout.

''En revanche, nous ne devons pas oublier qu'il faut aussi communiquer sur des faits et des chiffres. Le fait de dire qu'un acte est illégal ne suffit pas, dans une démocratie. On peut expliquer très rapidement que telle ou telle déclaration est illégale, mais il faut beaucoup plus de temps pour faire comprendre pourquoi elle l'est et pourquoi elle nuit à la société''.

Lesley Abdela, associée de l'agence de communication britannique Shevolution, approuve. Elle conseille aux militants de rester vigilants et de se préparer soigneusement aux rencontres éventuelles avec les médias.

Mme Abdela présente une stratégie de travail avec les médias qui a porté ses fruits en Grande-Bretagne. Une entreprise avait été traduite en justice pour avoir fait travailler des ouvriers italiens dans une zone connaissant un taux de chômage important dans le secteur du bâtiment.

L'entreprise a évité d'être attaquée par les médias en expliquant qu'elle avait remporté un contrat à la dernière minute et qu'elle s'était du même coup trouvée contrainte de faire intervenir une équipe déjà constituée d'ouvriers qualifiés dont le hasard a voulu qu'ils ne soient pas britanniques. Des recherches ont également montré que cette entreprise avait, par le passé, souvent employé des ouvriers britanniques dans d'autres régions d'Europe.

Selon Mme  Abdela, une communication rapide, des recherches rigoureuses et la divulgation de faits nouveaux et incontestables se sont révélées utiles pour orienter le débat dans les médias et lui trouver une issue favorable.

Kamal Ahmed et Tim Williams, directeur de Projects Direct, font partie des intervenants qui ont vu dans les médias un allié capable de faire passer le débat d'une discussion sur le racisme à un échange plus exhaustif, centré sur la menace que représente la discrimination pour chaque citoyen.

''Un message positif et des échanges suscitent des changements bien plus importants que l'attaque et la victimisation'', ajoute Kamal Ahmed.''Il ne faut pas oublier qu'il y a des victimes et des personnes qui souffrent de la discrimination, mais cette vulnérabilité vient seulement du regard des autres. Elle n'est en aucun cas un caractère génétique''.

''Il est important de trouver une argumentation positive sur les avantages qu'offrent la diversité, l'équité et l'égalité des chances pour tous, mais il faut aussi intégrer ces facteurs dans notre discours et dans notre façon de communiquer.

''Cela fait longtemps que nous disposons, en Grande-Bretagne, d'organisations qui défendent le principe de l'égalité. Ces dernières en sont très naturellement venues à occuper une position précise sur l'échiquier politique. Il faut aujourd'hui sortir de cette situation. C'est en effet à cause de cette position qu'une grande majorité de la population s'est sentie autorisée à ne pas participer au débat. Cela doit changer''.

 

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