1ere Conférence des ministres des Etats membres du Conseil de l'Europe responsables de la cohésion sociale

Discours de Terry Davis, Secrétaire Général du Conseil de l'Europe

Moscou, 26 février 2009

(seul le prononcé fait foi)

Pour le Conseil de l'Europe, la cohésion sociale est la capacité d’une société à assurer le bien-être de tous ses membres, en réduisant autant que possible les disparités et en évitant la marginalisation, à gérer les différences et les divisions et à assurer la prospérité de tous.

La cohésion sociale n’est pas un concept juridique que l’on peut faire valoir devant les tribunaux. C’est un concept politique qui souligne les relations étroites entre les valeurs clés du Conseil de l'Europe que sont les droits de l'homme, la démocratie et la primauté du droit. La cohésion sociale est une condition essentielle de la sécurité démocratique et du développement durable car des sociétés divisées et inégalitaires sont non seulement injustes mais aussi instables à long terme.

C’est pourquoi les droits sociaux, la sécurité sociale, la santé publique et d’autres questions sociales figurent au nombre des domaines d’action du Conseil de l'Europe depuis sa création ou presque. Ce n’est que depuis dix ans, cependant, que le Conseil de l'Europe axe ses efforts sur la cohésion sociale en tant que telle puisque l’élaboration de sa stratégie en la matière date de l’an 2000. Cette stratégie est à présent régulièrement actualisée en fonction de l’évolution de la société et des changements de priorités.

En 2005, les chefs d’Etat et de gouvernement du Conseil de l'Europe ont créé une task force de haut niveau et commandé un rapport sur le thème « Vers une Europe active, juste et cohésive sur le plan social ». Le rapport, présenté en 2007, recense quatre domaines d’action prioritaires sur lesquels doivent se concentrer les pouvoirs publics à tous les niveaux, la société civile et d’autres parties prenantes.

Ces propositions sont à la base de votre conférence, la toute première à réunir les ministres des Etats membres du Conseil de l'Europe responsables de la cohésion sociale.

Premièrement, vous vous pencherez sur la détermination à investir dans les droits sociaux dont doivent nécessairement faire preuve les gouvernements. Je me réjouis notamment que la Fédération de Russie s’apprête à ratifier la Charte sociale européenne révisée, instrument du Conseil de l'Europe qui non seulement énonce des droits et libertés dans les domaines social et économique mais aussi veille à ce que les gouvernements continuent de respecter leurs engagements grâce à un système de rapports nationaux.

La Charte sociale européenne, assortie de son mécanisme de contrôle assuré par le Comité européen des droits sociaux qui supervise la conformité des législations nationales avec les obligations de la Charte, s’accompagne d’autres instruments, dont le Code européen de sécurité sociale qui définit des normes minimales de protection sociale. Vu la crise économique mondiale, la question de la protection sociale revient sur le devant de la scène avec une pertinence nouvelle, en Europe tout autant qu’ailleurs.

Le Conseil de l'Europe n’est pas un salon où l’on cause ; c’est une agora où l’on décide et agit. C’est pourquoi la Banque de développement du Conseil de l'Europe aide activement les Etats membres à lever les fonds nécessaires pour investir dans des projets qui réduisent les disparités et l’exclusion et rendent les sociétés plus cohésives sur le plan social.

Deuxièmement, le rapport a aussi conclu que la cohésion sociale n’était pas le domaine exclusif des pouvoirs publics, ni de la Banque de développement du Conseil de l'Europe. La task force de haut niveau a souligné que le partage des responsabilités était essentiel.

Les gouvernements doivent intégrer la cohésion sociale dans les processus de prise de décisions économiques, tant aux niveaux national que régional et local. Parallèlement, ils doivent encourager les citoyens à agir de manière responsable, s’agissant non seulement de leurs droits et devoirs civiques mais aussi de leur rapport à l’emploi, à la consommation et au mode de vie, et leur donner, pour ce faire, les moyens nécessaires. Les partenaires sociaux et les ONG, ainsi que le secteur privé et les médias, ont eux aussi leur rôle à jouer.

Nous sommes tous concernés, en effet, car la société nous concerne tous. Les individus comme les institutions doivent être conscients des changements sociaux qui influent sur les relations humaines, familiales, professionnelles et communautaires en Europe.

Conformément au programme fixé par le rapport 2007, vous devrez aussi étudier les moyens d’aider les personnes qui risquent de tomber dans la pauvreté et l’exclusion. Par « aider », j’entends leur permettre d’être leur propre représentant et de subvenir à leurs besoins de manière appropriée et constructive. Au sein du Conseil de l'Europe, c’est l’affaire du Groupe de liaison des OING dont la mission est de s’assurer que sont entendues les personnes qui, autrement, n’auraient pas voix au chapitre.

La liste des personnes à risque est longue. Je me contenterai d’attirer votre attention sur un seul groupe de personnes qui existe au sein de tous les autres groupes potentiellement marginalisés ou exclus, à savoir les personnes handicapées. Les droits et la dignité de ces personnes, qui sont si facilement laissées pour compte, doivent être respectés, indépendamment du groupe auquel elles appartiennent par ailleurs, et les pouvoirs publics doivent prendre des mesures pour leur garantir l’égalité des chances, la non- discrimination et une citoyenneté pleine et entière.

Afin de promouvoir un dialogue fructueux entre les autorités publiques et d’autres partenaires, la task force de haut niveau suggère de consacrer une prochaine réunion du Forum du Conseil de l'Europe pour l’avenir de la démocratie à un thème majeur, la cohésion sociale, et d’analyser l’interdépendance entre la démocratie et les droits sociaux. C’est une excellente idée que j’approuve sans réserve. La démocratie est un processus qui ne fonctionne que si chacun peut y participer. Si les citoyens estiment, à tort ou à raison, qu’ils sont exclus du mécanisme de prise de décision démocratique, la cohésion sociale et le fonctionnement de la démocratie elle-même en subissent alors le contrecoup.

Enfin, vous vous pencherez sur la nécessité de construire un avenir sûr pour tous. C’est peut-être là le défi majeur qui ressemble presque à une provocation. Les marchés s’effondrent, ce qui paraissait sûr n’est plus garanti et les citoyens européens commencent à comprendre que ce qu’ils croyaient depuis la fin de la seconde guerre mondiale, à savoir que chaque génération vivrait un peu mieux que la précédente, n’est plus forcément vrai.

Certes, les gouvernements prennent des mesures ; ils investissent des milliards dans les secteurs tant financier qu’industriel afin de stabiliser l’économie et d’éviter des conséquences impensables pour la majorité de la population ; c’est essentiel mais ce n’est pas suffisant.

Je le redis : faire en sorte que l’économie fonctionne ne suffit pas ; les gouvernements doivent aussi faire en sorte que la société fonctionne.

La cohésion sociale est un concept transversal qui exige et suscite des actions complémentaires. Le large éventail de politiques et d’activités conçues et mises en œuvre par le Conseil de l'Europe le prouve. Tous les secteurs de notre Organisation ont leur rôle à jouer en la matière. Certains de nos collègues étudient les solutions juridiques aux problèmes de la dette. D’autres se consacrent à l’éducation des enfants de migrants, au devenir des jeunes dans les quartiers défavorisés des centres urbains ou à l’élaboration d’indicateurs du bien-être social, pour ne citer que quelques-uns de nos domaines d’action.

Il est important que les travaux menés par le Conseil de l'Europe reflètent la réalité et les besoins de nos Etats membres. C’est à cette préoccupation qu’entend répondre le Plan d’action proposé qui fractionnera les recommandations de la task force de haut niveau en autant de mesures que les Etats membres pourront mettre en œuvre en fonction de leurs besoins et de leurs priorités.

La réalité économique qui nous entoure nous oblige à agir avec détermination et à agir maintenant. Bien sûr, l’action visant à protéger et à promouvoir la cohésion sociale a un coût mais le coût de l’inaction est infiniment supérieur. C’est un coût que nos sociétés ne peuvent supporter.