Retour Thorbjørn Jagland : cohérence, cohésion et consolidation – tels sont les objectifs de la réforme

Strasbourg , 

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres de l'Assemblée,

Tout d'abord, je tiens à vous remercier de me donner cette occasion de m'adresser à vous pour la seconde fois depuis mon élection en octobre dernier. Je sais que mes prédécesseurs s'adressaient généralement à l'Assemblée une fois par an, à l'occasion du discours sur l'état du Conseil de l'Europe.

Mon intention, et j'espère que vous y souscrirez, est d'engager avec vous un dialogue plus étroit, substantiel et dynamique.

Je veux aujourd'hui vous tenir informés du progrès de la réforme, mais je souhaite que cela se fasse dans le cadre d'un échange de vues, parce qu'il est très important pour moi d'avoir votre avis et vos réactions sur la réforme qui affecte l'ensemble du Conseil de l'Europe.

Le processus de réforme vise à rendre le Conseil de l'Europe politiquement plus efficace et influant. C'est pourquoi la meilleure façon d'illustrer les avantages de la réforme et des mesures adoptées jusqu'à présent est d'examiner certains événements politiques d'actualité en Europe.

Je reviendrai tout à l'heure plus en détail sur l'ensemble des mesures de réforme.

En termes d'action politique, le début de mon mandat a été marqué par deux situations graves et complexes, les conséquences du conflit en Géorgie et la réforme constitutionnelle en Bosnie-Herzégovine, et le Conseil de l'Europe a dû intensifier ses efforts pour tenter de les régler.

Je n'établis évidemment aucune analogie entre ces deux préoccupations, sauf sur trois points : elles coïncident largement dans le temps, elles ont suscité un engagement important de divers organes et mécanismes du Conseil de l'Europe et l'effet global et cumulé des actions du Conseil de l'Europe en faveur de l'une et l'autre a été inférieur à ce qu'il aurait pu et dû être, du moins jusqu'à présent.

En ce qui concerne la situation en Géorgie, le Conseil de l'Europe n'est certainement pas suffisamment intervenu dans ses domaines de compétence et de responsabilité pour aider les populations touchées par le conflit d'août 2008. Ce n'est pas faute d'avoir essayé, mais cela est dû essentiellement aux obstacles à l'accès de toutes les zones affectées par le conflit et au climat de méfiance résultant des hostilités.

Il y a deux exceptions à cette constatation générale d'impuissance : elles concernent le travail du Commissaire aux droits de l'homme ainsi que les activités de l'Assemblée, notamment le travail de la rapporteuse et présidente de la commission des migrations, Corien Junker.

Le Comité des Ministres, qui devrait être l'élément moteur d'une action intergouvernementale efficace, se trouve bloqué depuis 18 mois dans un débat portant sur la présentation des rapports sur la situation en Géorgie. Oui, cela fait un an et demi que les ministres discutent de la manière de rendre compte d'un problème, au lieu d'essayer de le régler.

Je crois que nous avons eu une amorce de progrès il y a un mois, lorsque le Comité des Ministres a accepté ma proposition d'une présentation innovante des rapports sur la situation après conflit en Géorgie, qui devrait permettre d'intensifier notre action pour améliorer la situation dans toutes les zones touchées par le conflit.

La nouvelle série de rapports – dont le premier sera présenté début mai – ne constitue pas un moyen en soi, mais une base qui facilitera le renforcement mutuel des activités des différents organes et mécanismes du Conseil de l'Europe. Comme je l'ai déjà dit, la plupart des obstacles a une intervention plus importante du Conseil de l'Europe sont extérieurs et hors de notre contrôle, mais cela n'est pas une excuse pour ne pas essayer d'unir nos efforts pour agir dans la même direction.

Le second problème qui inquiète et occupe depuis longtemps différents organes du Conseil de l'Europe, et notamment l'Assemblée, est la réforme de la Constitution de Bosnie-Herzégovine. En dehors du travail de l'Assemblée, qui réclame depuis un certain temps une révision globale des dispositions constitutionnelles adoptées à Dayton, il y a eu également une contribution très dynamique de la Commission de Venise. Celle-ci a produit une série d'avis largement acceptés par la communauté internationale qui devraient servir de modèle à la réforme de la Constitution.

Cependant, tous les efforts internationaux n'ont pas réussi jusqu'à présent à surmonter les résistances à une modification des accords fondés sur des considérations ethniques établis pour mettre fin à la guerre, et qui se sont avérés insuffisants pour assurer durablement la paix, la stabilité et la prospérité dans le pays.

La situation s'est modifiée en décembre dernier, où la Cour européenne des droits de l'homme a jugé que les dispositions constitutionnelles actuelles violaient la Convention européenne des droits de l'homme.

Depuis, la réforme de la Constitution de Bosnie-Herzégovine n'est plus seulement une mesure attendue par la communauté internationale, mais constitue une obligation juridique de la Bosnie-Herzégovine en tant qu'Etat membre du Conseil de l'Europe. Cela donne à notre organisation une responsabilité et un rôle spécifiques, et c'est pourquoi nous discuterons de ce problème lors de la prochaine session du Comité des Ministres le 11 mai.

Les prochaines élections législatives prévues en octobre prochain rendent encore plus urgente la nécessité d'avoir une position claire, coordonnée et consolidée – au Conseil de l'Europe et au sein de la communauté internationale – sur tous les aspects de l'exécution de l'arrêt de la Cour et ses implications pour la réforme constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine.

Je pourrais peut-être ajouter un troisième exemple, un peu différent parce qu'il concerne un Etat non membre, le Bélarus. Mais nos relations avec ce pays fournissent aussi des arguments en faveur d'une approche plus coordonnée et consolidée de tous les organes et mécanismes du Conseil de l'Europe chargés de traiter les problèmes politiques et juridiques essentiels qui relèvent du mandat de notre organisation.

Pour ce qui est des relations avec le Bélarus, l'Assemblée a toujours joué et continue de jouer un rôle essentiel. Ce fut le cas par le passé quand elle a octroyé au Parlement du Bélarus le statut d'invité spécial, puis quand elle a suspendu ce statut, et encore quand elle a décidé en juin dernier que ce statut ne serait pas rétabli tant que les autorités du Bélarus n'auraient pas mis en place un moratoire sur les exécutions.

Dans ce contexte, plusieurs initiatives des présidences successives du Comité des Ministres et du Secrétariat ont tenté de développer les relations avec le Bélarus pour maintenir la pression sur les autorités de Minsk afin de faire progresser la démocratie et des droits de l'homme et de rapprocher ainsi ce pays européen de nos normes et valeurs.

Ces efforts ont eu des résultats contrastés. Nous avons enregistré quelques progrès, comme l'ouverture du point d'information du Conseil de l'Europe à Minsk, l'adhésion imminente du Bélarus au GRECO et sa demande d'adhésion à la Convention de lutte contre la traite des êtres humains.

Mais nous avons également connu des revers, le plus dramatique étant évidemment les deux exécutions qui ont eu lieu en mars dernier.

Ces revers ont apporté un amer démenti à ceux qui espéraient une amélioration des relations avec le Bélarus et œuvraient dans ce sens. J'ai décidé après les exécutions de revoir toutes les activités du Conseil de l'Europe prévues avec le Gouvernement du Bélarus qui étaient placées sous mon autorité et de les reporter ou de les supprimer tant que je n'aurai pas obtenu de Minsk un signal clair indiquant l'intention sincère des autorités de se rapprocher du Conseil de l'Europe et de modifier de manière substantielle leur approche des valeurs et des principes fondamentaux du Conseil de l'Europe.

J'ai reçu récemment en réponse une lettre du ministre des Affaires étrangères du Bélarus Sergei Martynov. Il y réaffirme le souhait des autorités d'améliorer les relations ainsi que leur engagement à poursuivre l'examen d'un moratoire sur l'exécution de la peine de mort, y compris en coopération avec le Conseil de l'Europe.

Les autorités du Bélarus ont également décidé récemment de prolonger d'une année les activités du Point d'information du Conseil de l'Europe. La présence de ce bureau du Conseil de l'Europe est utile non seulement pour maintenir les contacts avec les autorités, mais plus encore pour nos activités permanentes et bien établies avec les représentants de la société civile.

Evidemment, cela ne suffit pas, mais c'est déjà quelque chose. Je crois donc que notre approche doit consister à maintenir des contacts permanents, afin de parvenir à des progrès sur le moratoire, mais aussi sur tous les autres aspects critiques concernant le respect – ou plutôt le non-respect – des normes du Conseil de l'Europe en matière de démocratie, de droits de l'homme et de prééminence du droit.

J'espère que nous pourrons nous mettre d'accord sur une politique et des méthodes communes permettant de renforcer mutuellement nos activités dans ce domaine.

Comme je l'ai dit précédemment, j'évoque ces questions non seulement parce qu'elles sont très importantes, mais aussi parce qu'elles nous permettent de tirer des conclusions importantes sur les forces et les faiblesses de l'action du Conseil de l'Europe aujourd'hui. Elles montrent pourquoi les mesures de réforme sont indispensables.

Lorsque j'ai pris mes fonctions de Secrétaire Général, ma première impression du Conseil de l'Europe a été qu'il s'agissait d'une organisation fragmentée.

Nous tous, c'est-à-dire tous les organes du Conseil de l'Europe – le Comité des Ministres, l'Assemblée, la Cour, le Commissaire aux droits de l'homme, les accords partiels, les mécanisme de suivi, toutes les directions opérationnelles – avons un puissant intérêt commun à améliorer la cohésion, la coordination et l'établissement des priorités de nos travaux.

La cohésion ne signifie pas – et j'insiste beaucoup sur ce point – qu'il n'y aura aucune ingérence dans l'autonomie et les prérogatives des organes indépendants tels que l'Assemblée, la Cour ou le Commissaire aux droits de l'homme.

Personne ne peut ni n'a l'intention de vous dire ce dont vous devez discuter ni comment voter. Personne ne peut ni n'a l'intention de dire à la Cour européenne des droits de l'homme comment juger les affaires qui lui sont présentées. Personne ne portera atteinte à l'autonomie de la fonction du Commissaire aux droits de l'homme, qui est absolument indispensable à sa mission.

Mais je crois qu'il est de l'intérêt de l'Assemblée que vos rapports importants soient suivis et complétés par les activités intergouvernementales. Il est de l'intérêt de la Cour européenne des droits de l'homme que ses arrêts soient complétés par des mesures, des activités de normalisation et de coopération systématiques nationales et européennes. Notre but ultime commun doit être de prévenir des violations des droits de l'homme à l'avenir, et pas seulement de sanctionner les violations commises ! Si nous n'y parvenons pas, nous perdrons une grande partie de notre influence.

Mais l'opposé est également vrai. Nos activités de normalisation et de suivi ne seront vraiment efficaces qu'avec le soutien politique et juridique de l'Assemblée, de la Cour, du Commissaire aux droits de l'homme et du Congrès.

Selon moi le Conseil de l'Europe est une équipe composée de joueurs excellents, mais qui n'ont pas suffisamment accordé d'importance au jeu d'équipe.

C'est pourquoi nous jouons en Europe en-dessous de nos moyens. C'est pourquoi notre influence n'est pas ce qu'elle devrait être et nous sommes peut-être entendus mais pas toujours écoutés.

La réforme devrait changer tout cela, en consolidant nos équipes et nos activités et en leur apportant plus de cohérence et de cohésion.

Très brièvement, voici les points essentiels des mesures de réforme.

Tout d'abord, les mesures structurelles et administratives, qui comprennent la mise en place d'une cellule de planification politique et de la direction de l'audit interne ainsi qu'une refonte du document présentant le programme et le budget, qui est plus court, plus clair et transparent. Il montre bien ce que nous avons l'intention de faire et quels sont les moyens dont nous disposons pour cela.

Ensuite, il y a l'établissement de nos priorités. Par le passé, nous avons trop dispersé nos moyens sur un trop grand nombre d'activités. Ces activités étaient peut-être toutes dignes d'intérêt, mais ne disposaient pas des moyens financiers et en personnel suffisants pour avoir l'efficacité requise.

Avec le nouveau budget, nous centrons nos activités sur ce que nous faisons le mieux, dans les domaines dans lesquels nous sommes chef de file et où nous pouvons avoir un véritable impact. C'est pourquoi un certain nombre de projets devront être suspendus ou supprimés, alors que certaines activités se poursuivront avec des mécanismes différents, par exemple grâce à la création d'accords partiels ou en s'appuyant davantage sur des contributions volontaires.

Les économies réalisées permettront de renforcer nos mécanismes de suivi, de fournir des ressources supplémentaires au Commissaire aux droits de l'homme, de renforcer la coopération ciblée avec nos Etats membres et de développer nos activités prioritaires comme notre travail en faveur des Roms.

La réforme comprend aussi une refonte de notre présence extérieure. Je sais que cette question est aussi suivie de très près par les membres de l'Assemblée, qui s'appuient régulièrement sur l'aide et le soutien de nos bureaux extérieurs lors de leurs missions dans les Etats membres du Conseil de l'Europe.

Le réseau comprend aujourd'hui six types de bureaux différents ayant des mandats, des structures, des personnels et des moyens logistiques extrêmement différents. Certains de ces bureaux ne sont visiblement plus adaptés à nos priorités.

L'objectif de la réforme est de rationaliser le réseau existant des bureaux du Conseil de l'Europe, de renforcer nos capacités de gestion de projets et d'améliorer nos liaisons avec nos partenaires internationaux. Nous avons besoin d'un réseau plus restreint mais plus efficace.

Le volet suivant de la réforme concerne le renforcement de nos activités avec les organisations non gouvernementales et la société civile.

Enfin, la réforme comprend également un certain nombre de mesures concernant le personnel du Conseil de l'Europe. L'objectif global est de maintenir la qualité et la motivation du personnel, tout en introduisant des mesures visant à limiter les dépenses globales de personnel. Cela est absolument nécessaire étant donné la situation économique actuelle de tous nos Etats membres.

Toutes ces mesures sont destinées à renforcer notre impact, à transformer nos activités en résultats concrets, à veiller à ce que tous vos rapports et décisions soient suivis d'effet et soient véritablement source de progrès pour les Européens. Nous y parviendrons en en faisant moins, mais en le faisant mieux. En travaillant ensemble, nous mettrons en commun nos ressources et notre influence et cumulerons notre impact. Nous serons plus utiles en Europe, parce que nous travaillerons tous dans une seule direction.

Cette démarche ne sera pas facile, mais le résultat en vaut bien la peine. Un tel bouleversement des méthodes et des esprits ne sera possible qu'avec l'engagement responsable et ouvert de toutes les parties prenantes – gouvernements, parlementaires et agents du Conseil de l'Europe.

Nous n'arriverons pas à nous mettre tous d'accord sur tous les aspects de la réforme, mais je m'efforce d'obtenir et de conserver le soutien nécessaire à l'objectif global de la réforme. Je pense que nous avons tous fortement intérêt à ce qu'elle réussisse.

Il ne s'agit pas de l'influence ou du statut des uns et des autres, il s'agit de la mission qui nous a été donnée il y 60 ans de défendre et promouvoir les droits de l'homme, la démocratie et la prééminence du droit en Europe, pour l'Europe et pour tous ceux qui vivent sur notre continent.

Je vous remercie de votre attention.