Retour Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (STCE n° 210) - portée des obligations

Avis juridique sur la Convention d'Istanbul
Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (STCE n° 210) - portée des obligations
  1. Cet aide-mémoire contient une analyse juridique visant à clarifier les obligations découlant de la ratification de la "Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique" (STCE 210, 2011 - ci-après "Convention d'Istanbul" ou "Convention"), en particulier en ce qui concerne la reconnaissance juridique du mariage entre personnes de "troisième sexe" et du mariage entre personnes de même sexe, et à identifier les réserves et déclarations autorisées.
  2. Il convient de souligner d'emblée que l'interprétation d'un traité international relève avant tout de la responsabilité des parties et des organes conventionnels. La présente analyse vise à fournir des conseils et des orientations dans le cadre des tâches d'assistance juridique de la Direction du Conseil juridique et du Droit international public (DLAPIL) en relation avec un instrument du Conseil de l'Europe.
  3. L'analyse décrit d'abord l'objectif de la Convention et les obligations découlant de sa ratification (1.). Quant à sa signification centrale pour la Convention, l'analyse s'appuie sur la signification du terme "genre" (2.). L'analyse se concentre ensuite sur la question de savoir si la Convention d'Istanbul implique une obligation légale de reconnaître un troisième sexe (parfois appelé à tort "troisième genre") (3.) et d'autoriser les mariages entre personnes du même sexe (4.). 

 

  1. Objectifs de la Convention et obligations découlant de sa ratification
  2. Les objectifs de la Convention sont énoncés dans son article 1 :

"Article 1 - Objectifs de la Convention

  1. La présente Convention a pour objet

a) protéger les femmes contre toutes les formes de violence, et prévenir, poursuivre et éliminer la violence à l'égard des femmes et la violence domestique ;

b) contribuer à l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et promouvoir l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, notamment en renforçant le pouvoir des femmes ;

c) concevoir un cadre global, des politiques et des mesures pour la protection et l'assistance à toutes les victimes de la violence contre les femmes et de la violence domestique ;

d) promouvoir la coopération internationale en vue d'éliminer la violence à l'égard des femmes et la violence domestique ;

e) fournir un soutien et une assistance aux organisations et aux services répressifs afin qu'ils coopèrent efficacement en vue d'adopter une approche intégrée de l'élimination de la violence à l'égard des femmes et de la violence domestique.

2) Afin d' assurer la mise en œuvre effective de ses dispositions par les Parties, la présente Convention établit un mécanisme de suivi spécifique.

  1. D'un point de vue matériel, la Convention contient à la fois des dispositions relatives aux droits de l'homme et des dispositions de droit pénal. Elle exige des États parties qu'ils criminalisent plusieurs comportements qui constituent des actes de violence à l'égard des femmes et de violence domestique. Ces comportements comprennent le mariage forcé, les mutilations génitales féminines, l'avortement forcé, la traque, le harcèlement sexuel, la violence physique et psychologique et la violence sexuelle. Les infractions établies dans la Convention doivent être punies par des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives (article 45), compte tenu de leur gravité et des circonstances aggravantes.
  2. En ce qui concerne les mesures de prévention et de protection, les États doivent "prendre les mesures nécessaires pour promouvoir l'évolution des schémas et modèles de comportement socioculturel de la femme et de l'homme en vue d'éliminer les coutumes, traditions et toutes autres pratiques qui sont fondées sur l'idée de l'infériorité de la femme ou sur des rôles stéréotypés pour les femmes et les hommes" (article 12, paragraphe 1, de la Convention), et fournir des services de soutien aux victimes de violence, notamment des conseils juridiques et psychologiques, une aide financière, un logement, une éducation, une formation et une aide à la recherche d'emploi (article 20), des services de soutien spécialisés (article 22), des refuges (article 23) et des lignes d'assistance téléphonique (article 24). Afin de mettre en œuvre les obligations énoncées dans la Convention, les États doivent allouer "des ressources financières et humaines appropriées" (article 8).

 

  1. L'utilisation du terme "genre" et ses conséquences sur la mise en œuvre de la Convention au niveau national
  2. La Convention part du principe que la violence à l'égard des femmes ne peut être éradiquée sans investir dans l'égalité entre les femmes et les hommes Comme l'explique le rapport explicatif, "les recherches ont montré que certains rôles ou stéréotypes [de genre] reproduisent des pratiques non désirées et préjudiciables et contribuent à rendre la violence à l'égard des femmes acceptable" (paragraphe 43). Seule une égalité effective entre les femmes et les hommes et un changement d'attitude peuvent réellement prévenir cette violence.
  3. Le "genre" est donc un terme central utilisé dans toute la Convention d'Istanbul. Selon l'article 3, alinéa (c) de la Convention, le terme "genre", basé sur les deux sexes, masculin et féminin, signifie "les rôles, comportements, activités et attributs socialement construits qu'une société donnée considère comme appropriés pour les femmes et les hommes".[1] La Convention d'Istanbul considère les définitions de "genre" et de "sexe" comme deux concepts différents et distincts, comme le confirment à la fois le principe de non-discrimination énoncé à l'article 4, paragraphe 3, de la Convention et le rapport explicatif de la Convention qui souligne, au paragraphe 43, que le "terme "genre" dans cette définition ne vise pas à remplacer les termes "femmes" et "hommes" utilisés dans la Convention.
  4. Compte tenu de la corrélation entre l'inégalité entre les sexes et les stéréotypes sexistes, d'une part, et la fréquence de la violence à l'égard des femmes, d'autre part, l'article 6 de la Convention demande aux parties "d'intégrer une perspective de genre dans la mise en œuvre et l'évaluation de l'impact des dispositions de la présente Convention et de promouvoir et appliquer effectivement des politiques d'égalité entre les femmes et les hommes et d'autonomisation des femmes". Dans cet esprit, l'article 12, paragraphe 1, de la Convention demande aux parties de prendre les mesures nécessaires pour éliminer les préjugés, coutumes, traditions et autres pratiques préjudiciables qui sont fondés sur l'idée que les femmes sont inférieures aux hommes ou sur des stéréotypes sexistes néfastes.[2] Par exemple, l'article 14 (1) de la Convention exige des États qu'ils incluent dans les programmes scolaires officiels du matériel pédagogique sur les rôles non stéréotypés des hommes et des femmes. Cette disposition vise à donner aux filles et aux garçons, dès leur plus jeune âge, les moyens de poursuivre des options de vie et des relations qui ne se limitent pas aux rôles traditionnels des hommes (par exemple comme soutien de famille) et des femmes (comme mères et soignantes). Toutefois, compte tenu de la définition du "genre" mentionnée ci-dessus, cette obligation n'implique pas que les États membres doivent inclure dans les programmes scolaires officiels du matériel pédagogique portant spécifiquement sur l'homosexualité et/ou le transgenre.
  5. Dans le même ordre d'idées, il convient de noter que la Convention n'oblige pas les États parties à reconnaître le statut de réfugié aux personnes transgenres ou intersexuelles en vertu de l'article 1er de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés (Convention sur les réfugiés). Selon l'article 60, paragraphe 2, de la Convention d'Istanbul, les États parties doivent "veiller à ce que chacun des motifs énoncés dans la Convention [relative aux réfugiés] soit interprété de manière à tenir compte des différences entre les sexes et que, lorsqu'il est établi que la persécution redoutée est fondée sur un ou plusieurs de ces motifs, les demandeurs se voient accorder le statut de réfugié conformément aux instruments pertinents applicables". Comme le précise le rapport explicatif au paragraphe 312,

"[l]a présente disposition comporte une double obligation. D'une part, elle exige des Parties qu'elles veillent à ce que chacun des motifs de la Convention de 1951 soit interprété en tenant compte de l'égalité des sexes. La crainte fondée de persécution doit être liée à un ou plusieurs des motifs de la Convention de 1951. Lors de l'examen des motifs de persécution, la violence fondée sur le sexe est souvent considérée comme relevant du motif de "l'appartenance à un groupe social particulier", sans tenir compte des autres motifs. Garantir une interprétation sensible au genre implique de reconnaître et de comprendre comment le genre peut avoir un impact sur les raisons qui sous-tendent le type de persécution ou de préjudice subi. D'autre part, le paragraphe 2 exige des Parties qu'elles prévoient la possibilité d'accorder le statut de réfugié s'il est établi que la persécution redoutée est fondée sur l'un de ces motifs. Il est important de noter que l'adoption d'une interprétation sensible au genre ne signifie pas que toutes les femmes auront automatiquement droit au statut de réfugié. Ce qui constitue une crainte fondée de persécution dépendra des circonstances particulières de chaque cas individuel. Il est particulièrement important de noter que le statut de réfugié devrait être accordé "conformément aux instruments pertinents applicables", c'est-à-dire dans les conditions expressément prévues par ces instruments, comme, par exemple, par l'article 1er de la Convention de 1951.

  1. Il s'ensuit que les rédacteurs n'avaient nullement l'intention d'établir un nouveau statut de réfugié pour les personnes transgenres ou intersexuelles. Au contraire, en vue de surmonter "l'aveuglement sur les questions de genre dans l'établissement du statut de réfugié et de la protection internationale",[3] la Convention d'Istanbul exige des parties qu'elles introduisent une perspective de genre dans l'examen des demandes d'asile, en particulier des femmes.
  2. En conclusion, la Convention appelle les États parties à appliquer une perspective de genre lorsqu'ils s'acquittent de leur obligation de prendre des mesures de protection et de soutien aux victimes de la violence contre les femmes et de la violence domestique. La portée précise des mesures prises reste dans la marge d'appréciation des Etats parties.

 

  1. Aucune obligation, en vertu de la Convention d'Istanbul, de prévoir la reconnaissance légale d'un tiers sexe en droit interne
  2. Le terme troisième sexe (parfois aussi appelé troisième genre ou intersexué ou divers) désigne une catégorie de personnes qui ne s'identifient pas comme étant de sexe masculin ou féminin. Un transsexuel est une personne dont l'identité de genre ne correspond pas au sexe biologique qui lui a été attribué à la naissance. Les personnes transgenres sont parfois appelées transsexuelles si elles souhaitent recevoir une assistance médicale pour passer d'un sexe à l'autre.
  3. La Convention ne mentionne pas explicitement ces termes et ne contient aucune obligation de fond ou de procédure concernant le statut juridique des personnes du troisième sexe, transsexuelles ou transgenres. Elle n'exige pas des États parties qu'ils attribuent un statut juridique particulier aux personnes intersexuées et transsexuelles.
  4. Cela découle à la fois du champ d'application général et des objectifs de la Convention et des dispositions spécifiques mentionnant le "genre", que les parties sont simplement tenues d'éviter, dans le cadre du champ d'application de la Convention, toute discrimination fondée sur le genre ou l'identité sexuelle. Selon l'article 4, paragraphe 3, de la Convention, la mise en œuvre des dispositions de la Convention par les parties, en particulier les mesures visant à protéger les droits des victimes, "doit être assurée sans discrimination aucune fondée notamment sur le sexe, le genre, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, l'orientation sexuelle, l'identité sexuelle, l'âge, l'état de santé, le handicap, la situation matrimoniale, le statut de migrant ou de réfugié ou toute autre situation.
  5. Dans ce contexte uniquement, le rapport explicatif fait référence aux "personnes transgenres ou transsexuelles", en précisant que "certains groupes d'individus peuvent également faire l'objet d'une discrimination fondée sur leur identité de genre, ce qui, en termes simples, signifie que le genre auquel ils s'identifient n'est pas conforme au sexe qui leur a été attribué à la naissance. Cela inclut des catégories d'individus telles que les personnes transgenres ou transsexuelles, les travestis, les travestis et autres groupes de personnes qui ne correspondent pas à ce que la société a établi comme appartenant aux catégories "masculine" ou "féminine" (paragraphe. 53 in fine ; voir également les paragraphes 87 et 313 du rapport explicatif).

 

  1. Aucune obligation au titre de la Convention d'Istanbul d'autoriser le mariage entre personnes du même sexe
  2. Comme pour la reconnaissance d'un troisième sexe, aucune référence n'est faite à la reconnaissance légale du mariage entre personnes de même sexe, sujet qui n'est pas couvert par le champ d'application de la Convention. Dans ce contexte, il convient de noter que dans son récent arrêt Orlandi et autres contre Italie, la Cour européenne des droits de l'homme a constaté un mouvement vers la reconnaissance légale qui a continué à se développer rapidement en Europe et au-delà.[4] Toutefois, la Cour a souligné en même temps qu'un législateur national restait libre, en vertu de la CEDH, de ne pas autoriser les mariages homosexuels ("un choix non condamnable en vertu de la Convention"). La Cour a reconnu "qu'il existe également un intérêt légitime pour un État de veiller à ce que ses prérogatives législatives soient respectées et donc que les choix des gouvernements démocratiquement élus ne soient pas contournés". [5]

 

Conclusion

18. En conclusion, la Convention d'Istanbul appelle à une compréhension sexospécifique de la violence contre les femmes et de la violence domestique comme base de toutes les mesures de protection et de soutien des victimes. Cependant, toute mesure positive à cet égard est clairement circonscrite par le champ d'application et les objectifs de la Convention. En particulier, la Convention d'Istanbul n'implique pas l'obligation de reconnaître légalement un troisième sexe ou de prévoir la reconnaissance légale des mariages entre personnes du même sexe. Des déclarations interprétatives à cet effet sont autorisées par la Convention.
 

[1] Voir également la définition du "genre" par le Comité CEDAW. A savoir que le "terme genre fait référence aux identités, attributs et rôles socialement construits pour les femmes et les hommes et à la signification sociale et culturelle de ces différences biologiques dans la société, qui se traduisent par des relations hiérarchiques entre les femmes et les hommes et par une répartition du pouvoir et des droits favorisant les hommes et désavantageant les femmes. Ce positionnement social des femmes et des hommes est influencé par des facteurs politiques, économiques, culturels, sociaux, religieux, idéologiques et environnementaux et peut être modifié par la culture, la société et la communauté" (paragraphe 5).

[2] Voir également l'article 5 de la CEDAW.

[3] Rapport explicatif, paragraphe 310.

[4] Arrêt du 14 décembre 2017. Au moment du prononcé de l'arrêt (décembre 2017), 27 pays sur les 47 États membres du Conseil de l'Europe avaient adopté une législation permettant aux couples de même sexe de faire reconnaître leur relation (soit sous forme de mariage, soit sous forme d'union civile ou de partenariat enregistré), voir § 204 de l'arrêt.

[5] Ibid., § 207.

11 January 2018
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