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Retour Il faut aider les personnes handicapées mentales, pas les priver de leurs droits fondamentaux

Point de vue

Les personnes présentant des troubles psychiques ou des déficiences intellectuelles étaient, encore tout récemment, victimes de discrimination et de stigmatisation et maintenues dans un état de sujétion. On voyait un problème dans le simple fait qu’elles existent. Nombre d’entre elles étaient reléguées dans des établissements de soin ou cachées par leur famille. Elles étaient traitées comme des non-personnes inaptes à prendre des décisions sensées.

Bien que cette situation ait beaucoup évolué avec l’avancée de la cause des droits de l’homme, les personnes présentant des troubles psychiques ou des déficiences intellectuelles rencontrent encore des difficultés pour exercer leur droit de décider par elles-mêmes, y compris sur des questions importantes. Elles ne jouissent que d’une capacité juridique réduite, quand elles n’en sont pas entièrement privées, et sont placées sous la tutelle d’une autre personne chargée de prendre toutes les décisions en leur nom.

Certaines personnes présentant des troubles psychiques ou des déficiences intellectuelles peuvent avoir des difficultés objectives à parler pour elles-mêmes devant les autorités, les banques, les propriétaires et autres institutions analogues – en raison de leurs déficiences réelles ou perçues. Elles peuvent aussi être manipulées et ainsi amenées à des décisions qu’elles n’auraient pas prises autrement.

Un principe élémentaire des droits de l’homme veut que les normes adoptées d’un commun accord s’appliquent à tout être humain, sans distinction aucune. Or, les normes internationales en matière de droits de l’homme n’ont pas été appliquées aux personnes handicapées. C’est cette carence qui a incité les Etats membres de l’Organisation des Nations Unies à adopter la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Ce texte souligne que, quelle que soit la nature de leur déficience, les personnes handicapées doivent jouir de tous les droits de l’homme, à égalité avec les personnes non handicapées.

L’objectif est de promouvoir l’intégration et la pleine participation des personnes handicapées à la société. Lorsque nous privons certaines d’entre elles du droit de parler en leur propre nom, nous agissons en contradiction avec ces normes.

Comment faire concrètement ?

La Convention des Nations Unies traite de cette question dans son article 12, déclarant d’emblée que les gouvernements « reconnaissent que les personnes handicapées jouissent de la capacité juridique dans tous les domaines, sur la base de l’égalité avec les autres ».

La Convention reconnaît que certaines personnes, en raison de leurs déficiences ou d’obstacles extérieurs, sont effectivement dans l’impossibilité de prendre seules des décisions importantes. La Convention demande aux gouvernements de donner à ces personnes accès à l'accompagnement dont elles peuvent avoir besoin pour exercer leur capacité juridique.

La nature de cet accompagnement est un élément crucial. L’aide à la décision est un domaine en développement dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe, tandis que cette pratique est inscrite depuis plusieurs années dans de nombreuses lois provinciales canadiennes. Dans le cadre de ces dispositifs, les personnes handicapées majeures peuvent – uniquement si elles le souhaitent – faire appel à des aidants, reconnus comme tels et regroupés en réseau, qui les informent et leur présentent les différentes options afin de les guider dans leurs choix.

Aux termes de la Convention, des garanties appropriées et effectives doivent être mises en place pour prévenir les abus. Les droits, la volonté et les préférences de la personne concernée doivent être respectés et il ne doit pas y avoir de conflit d’intérêt entre les personnes accompagnant la personne handicapée majeure et cette dernière, ni d’abus d’influence de leur part.

De plus, les mesures d’accompagnement doivent s’appliquer pendant la période la plus brève possible et être soumises à un contrôle périodique effectué par un organe indépendant et impartial ou une instance judiciaire.

Ces dispositions autorisent une variété de solutions autres que la tutelle pour les majeurs handicapés. Le principe de la pleine capacité juridique de la personne, assortie du droit de demander un accompagnement, doit être le point de départ des réformes. Cet accompagnement devrait toujours être encadré par la loi et entouré de garanties afin d’éviter les abus de confiance.

Cette approche marque un tournant par rapport à la pratique en vigueur dans la plupart des pays, y compris européens, où les personnes présentant des troubles psychiques et des déficiences intellectuelles étaient presque systématiquement déclarées juridiquement incapables et placées sous tutelle.

Néanmoins, la Convention des Nations Unies, ainsi que le Plan d’action du Conseil de l’Europe  pour la promotion des droits et de la pleine participation des personnes handicapées à la société 2006-2015, semblent avoir eu un effet positif dans certains pays. Un groupe à haut niveau de l’Union européenne a récemment publié un rapport sur la mise en œuvre de la Convention dans lequel il indique avoir reçu de la République tchèque, de la France, de la Hongrie, de l’Irlande, de la Lettonie, du Portugal et de la Slovaquie l’assurance que cette question était en cours de réexamen1 .

Ce rapport souligne également que ces pays et d’autres « se sont tous déclarés désireux d’échanger des informations dans le cadre de conférences, de réunions d’experts et de séminaires sur le sujet, associant la société civile et tous les acteurs concernés, y compris le système judiciaire, et de réfléchir aux aspects juridiques en vue de développer les législations, les politiques et les pratiques dans ce domaine ».

Ces échanges de vues sont indispensables pour concrétiser le changement de cap dans les  législations et les politiques dont le principe avait été accepté au moment de l’élaboration et de l’adoption de la Convention des Nations Unies et du Plan d’action du Conseil l’Europe. Bien évidemment, la jurisprudence de la Cour de Strasbourg sera étudiée en détail au cours de ce processus ; d’autres actions devant cette Cour seront nécessaires pour mieux intégrer l’approche de la Convention dans la jurisprudence européenne.

Dans un arrêt rendu l’an dernier (affaire Chtoukatourov c. Russie), la Cour s’est penchée sur un cas de privation de la capacité juridique, d’hospitalisation d’office et de traitement sans consentement. M. Chtoukatourov, une personne majeure atteinte de schizophrénie, avait fait l’objet d’une décision d’incapacité prise à son insu à la demande de sa mère, qui avait été désignée comme tutrice. La loi lui interdisait de contester cette décision devant les tribunaux russes. Par la suite, il avait été interné dans un hôpital psychiatrique.

Après examen de l’affaire, la Cour européenne des droits de l’homme a souligné que « l’existence d’un trouble mental, même grave, ne peut à elle seule justifier une déclaration d’incapacité totale ». Selon la Cour, la législation interne doit permettre une « réponse sur mesure ».  Elle a estimé que le processus de décision ayant abouti à priver le requérant de sa capacité juridique constituait une ingérence disproportionnée dans sa vie privée et relevé diverses violations de la Convention européenne des droits de l’homme2.

Cet arrêt doit être interprété comme favorable à une approche conforme à la Convention des Nations Unies. Toute restriction des droits de l’individu doit être adaptée à ses besoins, réellement justifiée et établie à l’issue de procédures fondées sur les droits et assorties de garanties effectives.

Notons que la Convention des Nations Unies insiste particulièrement sur la protection du droit qu’ont les personnes handicapées de posséder des biens, de contrôler leurs finances et d’avoir accès aux mêmes conditions que les autres personnes aux prêts bancaires et hypothécaires3 . Cette disposition semble inspirée par le constat que, dans ce domaine, les décisions d’incapacité vont parfois à l’encontre de l’esprit des droits de l’homme.

J’ajouterai que les personnes présentant des troubles psychiques ou des déficiences intellectuelles devraient avoir le droit de voter et de se présenter aux élections. Bien que cela soit énoncé expressément dans la Convention des Nations Unies (article 29), certaines personnes sont, à cet égard, victimes d’exclusion dans plusieurs pays européens. Etant privées entièrement ou partiellement de leur capacité juridique, elles sont également privées de ces droits, ce qui ajoute encore à leur invisibilité politique.

Il y a une grande différence, ne l’oublions pas, entre priver une personne du droit de décider comment conduire sa vie et lui donner « accès à l’accompagnement ». Dans le premier cas, la personne handicapée est considérée comme un objet – objet de traitement, objet de charité, objet de crainte. Dans le second cas, elle est placée au centre de la prise de décision et considérée comme un sujet pouvant se prévaloir de la totalité des droits de l’homme.

Thomas Hammarberg

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Notes:

1. Note d’information accompagnant le deuxième rapport du groupe à haut niveau chargé des questions concernant les personnes handicapées sur la mise en œuvre de la Convention des Nations Unies (second Disability High Level Group Report on the UN Convention) (2009). 4 juin 2009, p. 5. Traduction non officielle.

2. Chtoukatourov c. Russie, 27 mars 2008. Voir aussi l’affaire pendante D.D. c. Lituanie (requête n° 13469/06, introduite le 28 mars 2006). L’exposé des faits a été publié sur le site internet de la Cour le 10 décembre 2007.

3. Convention des Nations Unies, article 12, par. 5. Voir aussi à cet égard l’affaire Winterwerp c. Pays-Bas dans laquelle la Cour européenne a estimé que la capacité de gérer en personne son patrimoine était un « droit de caractère civil » protégé par la Convention européenne.

Strasbourg 21/09/2009
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