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Retour L’Europe s’oriente vers une interdiction totale de la violence domestique à l’égard des enfants

Point de vue

Une majorité d’Etats membres du Conseil de l’Europe se sont à présent engagés à mettre un terme à tous les châtiments corporels infligés aux enfants. A ce jour, dix-huit Etats membres ont proclamé une interdiction juridique générale et au moins six autres ont publiquement annoncé qu’ils feraient de même dans un proche avenir. Si ces gouvernements respectent leur engagement, l’Europe aura fait plus de la moitié du chemin qui mène à l’interdiction universelle. C’est un progrès dont on ne peut que se féliciter.

Certaines mesures positives ont également été prises dans d’autres régions du monde. L’année dernière, la Nouvelle-Zélande est devenue le premier pays anglophone à interdire les châtiments corporels, y compris au sein de la famille. Trois pays d’Amérique latine ont fait de même : l’Uruguay, le Vénézuela et le Chili.

Ils ont réagi aux recommandations énoncées dans le rapport de l’étude du Secrétaire général de l’Onu sur la violence contre les enfants, soumis à l’Assemblée générale en octobre 2006. Le principal message véhiculé par cette étude est qu’aucune violence faite aux enfants n’est justifiable et que toute violence à leur égard est évitable. L’étude recommande à tous les Etats d’agir rapidement pour interdire toutes les formes de violence à l’égard des enfants, y compris tous les châtiments corporels, avant la fin de 2009.

Il faut combattre, et c’est une autre tâche ardue, l’opinion encore largement répandue selon laquelle les relations familiales ne concernent en rien les étrangers à la famille. La Convention de 1989 de l’Onu sur les droits de l’Enfant, adoptée et ratifiée par presque tous les Etats membres des Nations Unies, a déjà indiqué clairement que, dans certains cas, les autorités doivent protéger les enfants de toute forme de violence perpétrée dans l’intimité du foyer familial.

C’est un jeu gagnant-gagnant entre les enfants et les parents. La Convention est très respectueuse de la famille ; elle souligne l’importance majeure d’un bon environnement familial et la nécessité, dans certains cas, d’offrir aux parents en crise une aide sociale. La violence à l’égard des enfants traduit la désintégration de la famille et exige une protection de la vie, du bien-être et de la dignité de l’enfant. C’est l’une des raisons essentielles pour laquelle la prévention de la violence domestique à l’égard des enfants est aujourd’hui reconnue comme une préoccupation relevant des droits de l’homme.

L’interdiction des châtiments corporels infligés aux enfants a précisément pour but d’assurer la prévention. L’idée est d’encourager un changement d’attitude et de pratique et de promouvoir des méthodes non violentes pour élever les enfants. Il est extrêmement important de faire comprendre sans ambiguïté ce qui est inadmissible. Les adultes responsables d’enfants ne savent pas parfois comment maîtriser des situations difficiles. Il faut simplement établir une ligne de démarcation claire entre la violence physique ou psychologique, d’une part, et la non-violence, d’autre part.

Le problème est persistant et grave. Dans le cadre de leur vie quotidienne, de nombreux enfants en Europe et dans le monde continuent de recevoir des fessées, des claques, des coups de pied, de poing, de trique, des gifles, d’être secoués, pincés, fouettés, soumis, en un mot, à toutes sortes de corrections, principalement par des adultes dont ils dépendent et ce, au nom de la « discipline ».

Cette violence peut traduire la volonté délibérée de punir ou être une simple réaction impulsive d’un parent ou d’un enseignant irrité. L’un et l’autre cas constituent une violation des droits de l’homme. Le respect de la dignité humaine et le droit à l’intégrité physique sont des principes universels. Pourtant, la société et la justice continuent de tolérer que les adultes battent les enfants, et leur infligent d’autres traitements humiliants.

Les châtiments corporels infligés aux enfants sont souvent inhumains ou dégradants ; ils violent invariablement leur intégrité physique, traduisent un irrespect de leur dignité humaine et sapent de leur confiance en eux. Le médecin, écrivain et pédagogue polonais, Janusz Korczak, a exprimé ce sentiment de préjudice grave subi par les enfants en déclarant un jour : « Beaucoup de choses terribles se produisent dans le monde, mais le pire, c’est lorsqu’un enfant a peur de son père, de sa mère ou de son professeur.»

Il est donc particulièrement regrettable que des lois, par ailleurs universellement applicables contre les violences, prévoient certaines dérogations spéciales permettant d’infliger un certain degré de violence aux enfants. Ce faisant, elles violent aussi le principe fondamental des droits de l’homme qui consiste à assurer à chacun une protection égale devant la loi.

L’invention de notions comme celles de « châtiment raisonnable » et de « correction légitime » provient du fait que les parents considèrent leurs enfants comme leur bien propre. De tels « droits » sont fondés sur le pouvoir du plus fort sur le plus faible et maintenus par la violence et l’humiliation.

En 2004, l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe a appelé à une interdiction paneuropéenne du châtiment corporel. Elle a estimé que « tous les châtiments corporels infligés aux enfants violent leur droit fondamentale au respect de leur dignité humaine et de leur intégrité physique. Le maintien de la légalité des châtiments corporels dans certains Etats membres est une violation du droit tout aussi fondamental des enfants à une protection devant la loi à égalité avec les adultes. Dans nos sociétés européennes, frapper un être humain est prohibé et l’enfant est un être humain. Il faut casser l’acceptation sociale et juridique du châtiment corporel des enfants. »

Des progrès ont été faits depuis lors mais certains Etats membres n’ont pas pris de mesures conformes à cette suggestion ou à celles énoncées dans l’étude des Nations Unies. Pour encourager un examen approfondi de la question, j’ai pris contact par écrit avec les chefs de gouvernement des Etats membres qui n’ont pas encore réformé leur législation comme il convient.

Leurs réponses laissent supposer que de nouveaux progrès sont possibles. En fait, aucun Etat n’a défendu le recours aux châtiments corporels. Six d’entres eux ont précisé que des réformes visant à interdire tous les châtiments corporels étaient en cours. Plusieurs autres ont répondu que les lois nationales en vigueur étaient suffisantes, mais ont fait preuve d’une attitude ouverte, s’agissant de réaliser de nouveaux progrès et d’envisager une réforme véritable de la législation.

La suppression du châtiment corporel exige, bien sûr, plus que des réformes juridiques. Une formation permanente du public et une sensibilisation à la législation et au droit de l’enfant à la protection sont nécessaires, ainsi que la promotion de relations positives et non violentes avec les enfants. Le programme du Conseil de l’Europe « construire une Europe pour et avec les enfants » vise à promouvoir la parentalité positive par le biais de réformes législatives et d’une sensibilisation du public.

Ce sont les enfants qui ont dû attendre le plus longtemps pour jouir, à égalité avec les adultes, d’une protection juridique contre les violences délibérées, protection que nous autres considérons comme acquise. Il est extraordinaire que les enfants, pourtant reconnus comme particulièrement vulnérables aux préjudices physiques et psychologiques du fait de leur état de développement et de leur petite taille, bénéficient par rapport aux autres êtres humains d’une moindre protection contre les violences infligées à leur corps et à leur esprit fragiles ainsi qu’à leur dignité.

Battre en brèche l’acceptation sociale et juridique de la violence constitue un élément fondamental de la lutte des femmes pour l’égalité de statut. Il en va de même des enfants : il n’y a pas d’expression plus symbolique de la persistance du statut subalterne des enfants considérés comme un bien que la croyance des adultes, qu’ils ont le « droit » et même le « devoir » de battre les enfants.

Thomas Hammarberg

Strasbourg 21/01/2008
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