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Retour Après le déclin des droits de l’homme dû à la guerre contre la terreur, il est temps de faire le point et de redresser la situation

Point de vue

L’Administration Obama a interdit la torture pendant les interrogatoires de terroristes présumés et affirmé que la CIA ne pourrait plus utiliser de prisons secrètes aux Etats-Unis ou à l’étranger. Le camp de Guantánamo sera fermé d’ici un an. C’est maintenant au tour des gouvernements européens de faire le bilan de leurs propres pratiques pendant les années Bush et de prendre des mesures pour y remédier.

Un comité international indépendant d’éminents juristes a publié récemment un rapport complet1 sur les dommages causés par la « guerre contre la terreur » depuis 2001. Ses constats sont alarmants : il faut donc corriger le tir.

Le comité, mis en place par la Commission internationale de juristes (CIJ) et présidé par Arthur Chaskalson, ancien président de la Haute Cour de justice de l’Afrique du Sud, a tenu 16 auditions concernant plus de 40 pays du monde entier.

Le rapport décrit des pratiques antiterroristes telles que la torture, les disparitions, les détentions arbitraires et secrètes, les procès inéquitables et une impunité persistante des auteurs de violations graves des droits de l’homme. Beaucoup de gouvernements se sont autorisés à réagir avec précipitation au terrorisme, en apportant des réponses portant atteinte aux valeurs fondamentales et aux droits de l’homme. L’intégrité du cadre juridique international des droits de l’homme s’en trouve fortement menacée.

Lors de la publication du rapport, Mary Robinson, ancienne Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme et membre du comité, a déclaré que tous les Etats doivent maintenant redonner leur place aux droits de l’homme. Et d’insister : si nous n’agissons pas immédiatement, nous nous exposons à ce que le droit international reste durablement endommagé.

Certains services de sécurité européens ont coopéré étroitement avec la CIA dans le cadre de programmes de restitution qui consistaient à emmener les suspects à Guantánamo et dans d’autres lieux pour leur faire subir des interrogatoires illicites.

Dans certains cas, les services de renseignement européens ont littéralement remis des prisonniers aux agents de la CIA. Ainsi en a-t-il été pour Ahmed Agiza et Mohammed El Zary, livrés par les autorités suédoises. Dans d’autres cas, ils ont fourni des informations ayant abouti au même résultat ou fermé les yeux sur les opérations menées par des collègues étrangers sur leur territoire. Selon le rapport2 du sénateur Dick Marty pour l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, les vols de la CIA n’auraient pas été possibles sans cette coopération.

Selon certaines informations, des agents de services de sécurité européens auraient coopéré avec des tortionnaires et interrogé eux-mêmes des détenus préalablement « rendus plus coopératifs » par la police locale. Par ailleurs, des agents britanniques, français, allemands et suédois auraient interrogé des compatriotes détenus par la CIA. Ces allégations de coopération doivent être tirées au clair.

Des prisonniers libérés ont également affirmé avoir été interrogés lors d’interrogatoires illicites – menés par des agents locaux ou de la CIA – dont l’initiative reviendrait aux services de renseignement de leur pays d’origine. De plus, certains éléments indiquent que des informations obtenues par ces moyens illégaux ont ensuite été échangées entre services.

Toute la lumière sur cette coopération entre les services doit être faite pour que les mesures qui s’imposent puissent être prises. Il est décevant que certains gouvernements européens aient mis aussi longtemps à reconnaître cette nécessité.

Certains avancent l’argument que ces enquêtes pourraient nuire à leurs « relations spéciales » avec les Etats-Unis. Ce fut le cas récemment, lors du procès de Binyam Mohamed, qui aurait été torturé au Pakistan et au Maroc avant d’être transféré en Afghanistan, puis à Guantánamo. La question du rôle des services de renseignement britannique dans cette affaire a été soulevée. Le ministre des Affaires étrangères a soutenu que le secret sur les informations relatives à la manière dont Binyam Mohamed a été traité ne pouvait être levé, même à la demande d’un tribunal, car cela risquait de susciter des réactions négatives à Washington.

Il est compréhensible que les services de sécurité européens tiennent à leurs bonnes relations de travail avec la CIA, l’échange de renseignements étant essentiel pour mener à bien des opérations de sécurité efficaces. Cependant, ces rapports sont maintenant utilisés pour couvrir des faits auxquels sont associées des violations des droits de l’homme, ce qui est inacceptable.

Il faut approfondir la question. Le travail de renseignement permettant d’obtenir des informations fiables indiscutablement nécessaires pour prévenir les actes terroristes exige un certain niveau de confidentialité. En effet, la diffusion d’informations sur les méthodes de renseignement peut anéantir des mesures de sécurité essentielles.

Pour le comité d’éminents juristes, ces arguments sont recevables. Il met néanmoins en garde contre le fait que le secret peut aussi être utilisé pour se soustraire aux exigences de transparence dans des cas où il n’y a pas d’intérêts de sécurité légitimes en jeu. Les experts, qui ont eu connaissance de nombreux exemples d’abus de cet ordre, soulignent que des garanties appropriées sont indispensables.

Par ailleurs, il faut bien faire la différence entre les bonnes raisons de garder le secret sur certaines informations et la préservation de relations internationales amicales. La situation politique ayant changé à Washington, il devrait maintenant être possible d’entamer un dialogue constructif sur les moyens de garantir que la coopération entre les services ne donne pas lieu à des violations des droits de l’homme.

Cela nécessite une volonté ferme de faire la vérité sur le passé récent.

Le Gouvernement canadien a ouvert une enquête poussée sur le cas de Maher Arar, un citoyen canadien arrêté dans un aéroport des Etats-Unis, puis transporté en Syrie où il a été soumis à la torture et à des traitements cruels, inhumains et dégradants. Cette enquête pourrait servir d’exemple aux gouvernements européens.

Le temps est venu pour les commissions d’établir les faits. Il est possible, si nécessaire, de protéger le secret mais en démocratie, nul ne doit être au-dessus des lois.

L’établissement des faits est important non seulement en soi mais aussi pour préparer une politique saine dans ce domaine. Ces dernières années, les services de renseignement ont acquis de nouveaux pouvoirs et de nouvelles ressources sans exigence de transparence politique et juridique en contrepartie.3  Le travail des services de renseignement, y compris leur coopération au niveau international, doit être encadré par des règles conformes aux normes des droits de l’homme.

Thomas Hammarberg

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Notes :

1. « Assessing Damage, Urging Action », février 2009, Commission internationale de juristes (CIJ), www.icj.org

2. « Détentions secrètes et transferts illégaux de détenus impliquant des Etats membres du Conseil de l’Europe : second rapport », 11 juin 2007.

3. Voir aussi : a) le rapport du Rapporteur spécial de l’ONU sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste sur le rôle des agences de renseignement dans la lutte contre le terrorisme, 4 février 2009, b) les propositions du Secrétaire Général, 30 juin 2007, SG(2006)01 et c) l’avis n° 363/2005 de la Commission de Venise du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 17 mars 2006.

Strasbourg 16/03/2009
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