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Le droit à l’objection de conscience au service militaire devrait être garanti partout en Europe
Il ne faudrait pas emprisonner les personnes qui ne peuvent pas accomplir leur service militaire en raison de leurs convictions religieuses ou autres, mais leur proposer une solution de remplacement, sous la forme d’un service véritablement civil. C’est désormais la norme en Europe. Si elle est respectée dans la plupart des pays, il y a malheureusement quelques exceptions.
 
Le Conseil de l’Europe défend le droit à l’objection de conscience depuis 1967, date à laquelle une première résolution sur ce sujet a été adoptée par l’Assemblée parlementaire. La reconnaissance de ce droit est par la suite devenue une condition pour les Etats souhaitant adhérer à l’Organisation.
 
Récemment, la Cour européenne des droits de l’homme a reconnu, dans l’affaire Bayatyan c. Arménie, que le droit à l’objection de conscience était garanti par l’article 9 de la Convention européenne, qui protège la liberté de pensée, de conscience et de religion. Cet arrêt représente une autre étape importante pour les nombreux objecteurs de conscience qui sont encore persécutés en Europe à cause de leur refus d’effectuer leur service militaire.
 
Certes, le droit de refuser le service militaire pour des motifs de conscience est désormais reconnu dans la grande majorité des 47 Etats membres. Des problèmes subsistent toutefois dans certains pays, lorsque le service militaire reste une obligation absolue (du moins pour les hommes) ou lorsque le service de remplacement est sous contrôle militaire ou a un caractère discriminatoire ou punitif, qui tient, par exemple, à sa durée beaucoup plus longue.
 
Persécutions, emprisonnements et mauvais traitements
 
Sur les 15 Etats membres du Conseil de l’Europe qui conservent le système de conscription, pas moins de sept ont mis des objecteurs en prison ces dernières années.
 
En Arménie, par exemple, des objecteurs de conscience continuent d’être poursuivis, condamnés et emprisonnés à cause de leur refus d’accomplir leur service militaire.
 
Lorsque je me suis rendu dans une prison arménienne l’an dernier, j’ai pu discuter de cette situation avec quelques jeunes membres de la communauté des Témoins de Jéhovah. Ils m’ont expliqué qu’ils avaient été condamnés parce qu’ils ne pouvaient pas accepter le service de remplacement proposé, qui était géré par l’armée. Ce problème a d’ailleurs été soulevé par la Commission de Venise dans l’avis qu’elle a formulé récemment sur les propositions d’amendements à la loi sur le service de remplacement.
 
Lors de son adhésion au Conseil de l’Europe, en 2001, l’Azerbaïdjan s’est engagé à adopter une loi sur le service de remplacement. Si la Constitution garantit le droit à l’objection de conscience, le cadre législatif correspondant n’a cependant pas encore été adopté.
 
Aucun service de remplacement n’a donc été mis en place. Des objecteurs de conscience continuent d’être emprisonnés pour avoir demandé à accomplir un service civil de remplacement qui ne soit pas soumis au contrôle de l’armée.
 
C’est ce qui est arrivé à Bakhtiyar Hajiyev, jeune militant qui s’était présenté aux élections législatives de 2010. Il a été condamné l’année dernière à deux ans d’emprisonnement pour s’être soustrait à ses obligations militaires, alors qu’il avait demandé à effectuer un service de remplacement.
 
La Turquie est le seul Etat membre du Conseil de l’Europe à ne pas reconnaître le droit des appelés à l’objection de conscience ; des objecteurs de conscience sont poursuivis et emprisonnés parce qu’ils refusent d’effectuer leur service militaire. Plusieurs ont fait l’objet d’emprisonnements répétés jusqu’à ce qu’ils accomplissent leur service militaire. Des objecteurs de conscience auraient également subi des mauvais traitements en détention.
 
Dans l’affaire Ülke, la Cour de Strasbourg a estimé que les condamnations successives du requérant et les nombreuses peines qu’il avait dû purger pour avoir refusé d’accomplir le service militaire obligatoire en raison de ses convictions de pacifiste devaient être considérées comme des traitements dégradants (violation de l’article 3 de la Convention européenne).
 
Limitation du droit à la liberté d’expression
 
En Turquie, le problème est encore aggravé par les restrictions à la liberté d’expression. Le Code pénal turc (article 318, qui a remplacé l’article 155) a été utilisé pour engager des poursuites contre des personnes qui exprimaient de manière non violente leur soutien à des objecteurs de conscience. Cette pratique a donné lieu à plusieurs arrêts de la Cour de Strasbourg, qui a constaté des violations de l’article 10 de la Convention européenne, consacré à la liberté d’expression.
 
La Cour a estimé qu’un article de presse favorable à l’objection de conscience ne peut pas être considéré comme une incitation à la désertion immédiate. Pourtant, dans le Code pénal turc, la diffusion par voie de presse constitue une circonstance aggravante. Comme beaucoup d’autres, Halil Savda, lui-même objecteur de conscience, a été condamné plusieurs fois au titre de l’article 318 pour avoir défendu publiquement le droit à l’objection de conscience.
 
Les normes adoptées devraient être appliquées
 
Dans une Recommandation sur les droits de l’homme des membres des forces armées, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a souligné en 2010 que les appelés devraient avoir le droit d’être enregistrés comme objecteur de conscience et qu’un service alternatif de nature civile devrait leur être proposé.
 
Le message qui se dégage de cette recommandation et de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg est très clair : les Etats membres qui ne l’ont pas encore fait devraient instaurer un véritable service civil, qui ne soit pas sous le contrôle de l’armée et qui, par sa durée et sa nature, ne vise pas à punir les personnes refusant d’accomplir un service militaire.
 
L’objection de conscience est un droit de l’homme. Il est donc grand temps que tous les Etats membres respectent leurs engagements et reconnaissent ce droit de manière effective.
 
Thomas Hammarberg
Strasbourg 02/02/2012
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