Le carnet des droits humains de la Commissaire

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Le carnet des droits de l'homme
Il est grand temps que les États investissent dans des alternatives à la détention des migrants

Partout en Europe, le recours à la détention des migrants que ce soit pour empêcher les demandeurs d’asile et les autres migrants d’entrer dans un pays ou pour les renvoyer, suscite depuis longtemps de graves préoccupations en matière de droits de l’homme. Je n’ai cessé de dénoncer cette tendance paneuropéenne à assimiler les demandeurs d’asile et les migrants à des délinquants, qui se traduit notamment par leur placement en détention. La détention est une atteinte considérable au droit des migrants à la liberté. Des experts ont confirmé ses effets néfastes sur leur santé mentale, et tout particulièrement celle des enfants qui vivent souvent la détention comme une expérience choquante, voire traumatisante.

C’est pourquoi il est impératif que les États prennent des mesures en vue de supprimer la détention des migrants. Cela ne veut pas dire renoncer à la gestion des frontières, qui inclut la possibilité de décider qui est autorisé à entrer et à séjourner dans le pays. Il s’agit d’investir dans des solutions de remplacement qui permettront une gestion efficace de l’immigration tout en étant moins radicales que la détention et en ayant des conséquences moins lourdes. Grâce aux importants efforts déployés par les organisations de la société civile, les structures nationales des droits de l’homme, l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Organisation des Nations Unies et le Conseil de l’Europe, ces dernières années ont vu une multiplication des débats sur la recherche d’alternatives à la détention.

Cependant, les réactions des États face aux arrivées croissantes de migrants en Europe menacent les progrès accomplis. L’une des premières mesures prises en vertu de la déclaration UE-Turquie de 2016 a été d’ériger une clôture autour de plusieurs centres d’accueil (« hotspots ») des îles grecques – ce qui les transformait de fait en centres de détention –, même si cette pratique a depuis lors été partiellement abandonnée. Ce mois-ci, le Gouvernement hongrois a déclaré qu’il se préparait à rétablir dans les meilleurs délais la détention obligatoire des migrants. En Italie, il serait envisagé d’ouvrir 16 nouveaux centres de détention. Alors que les États européens ressentent de plus en plus la nécessité de contrôler leurs frontières – et de montrer qu’ils exercent un contrôle –, il importe de ne pas réagir de façon impulsive en recourant à nouveau à la détention.

Alternatives à la détention : un impératif juridique et politique

La Cour européenne des droits de l’homme a déclaré à maintes reprises que tout recours à la détention des migrants par un État doit non seulement avoir une base légale en droit interne, mais encore être nécessaire dans les circonstances particulières de l’espèce. La Cour a récemment souligné, dans l’affaire Khlaifia et autres c. Italie, que la détention est une mesure si grave qu’elle ne se justifie que lorsque d’autres mesures, moins sévères, ont été envisagées et jugées insuffisantes. En 2010, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté une Résolution appelant les États à veiller à ce que « la rétention des demandeurs d’asile et des migrants en situation irrégulière [soit] une mesure exceptionnelle qui [ne soit] applicable que lorsque l’on a examiné toutes les autres alternatives et qu’aucune ne s’est avérée probante ».

Les gouvernements eux-mêmes, il est important de le noter, ont admis la nécessité de solutions de remplacement. Conformément aux Vingt principes directeurs sur le retour forcé du Comité des Ministres, la détention n’est autorisée que s’il a été conclu à l’inefficacité de « mesures non privatives de liberté telles que la surveillance, l’obligation de se signaler régulièrement auprès des autorités, la liberté sous caution ou d’autres moyens de contrôle ». En vertu de la Déclaration de New York  pour les réfugiés et les migrants, adoptée en 2016 par les chefs d’État et de gouvernement, les États s’engagent également à rechercher des mesures de substitution. Au cours de mes propres visites dans de nombreux pays dont la Belgique, la Bulgarie, la Croatie, Chypre, le Danemark, la France, l’Allemagne, la Hongrie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, j’ai exhorté les gouvernements à incorporer des alternatives claires à la détention dans leurs cadres juridique et politique.

S’il est nécessaire de développer et d’améliorer les alternatives à la détention pour toutes les personnes concernées par des procédures d’immigration, cela est encore plus indispensable pour les personnes vulnérables, comme les enfants. La détention des migrants mineurs est soumise non seulement aux conditions susmentionnées, mais aussi à une appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant, tel qu’énoncé dans la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. Ma position, cependant, a toujours été qu’il n’existe aucune circonstance dans laquelle la détention d’un enfant du fait de son statut de migrant, qu’il soit isolé ou accompagné de sa famille, pourrait être décidée dans son intérêt supérieur. La suppression totale de la détention des migrants mineurs devrait être une priorité pour tous les États.

Les alternatives à la détention ne sont pas uniquement un outil essentiel pour protéger les droits fondamentaux des migrants. Elles sont aussi avantageuses pour les États. Bien mises en œuvre, elles peuvent contribuer à créer la confiance et à favoriser la communication et les engagements réciproques entre le migrant et l’État dans le cadre des procédures de retour, ce qui peut, de fait, améliorer leur efficacité. La détention est par ailleurs très onéreuse. Des solutions alternatives peuvent être sources d’économies considérables, a fortiori à l’heure où certains États sont confrontés à un nombre croissant d’arrivées. Les sommes requises pour pourvoir à un surcroît de places en détention pourraient être affectées plus utilement à l’amélioration des dispositifs de protection et des conditions d’accueil et, surtout, à l’intégration à long terme des personnes autorisées à rester.

Proposer de réelles alternatives

Même lorsque les États ont mis en place des alternatives, il s’agit souvent de solutions ad hoc ou qui ne sont proposées que dans des circonstances limitées et rigoureusement définies. Il est important que les États s’efforcent d’ouvrir ces possibilités à un groupe de migrants le plus large possible. En outre, ne proposer qu’un seul type d’alternative, comme la liberté sous caution, n’est pas suffisant. Il convient de prendre en compte jusqu’à un certain point les circonstances pertinentes et les besoins propres à chaque personne pour faire en sorte que la détention ne soit pas nécessaire. Plusieurs rapports détaillés sur les diverses mesures de substitution appliquées dans les États membres, leur efficacité et leurs inconvénients potentiels ont été publiés ces deux dernières années, notamment par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, des universitaires et des réseaux de la société civile. Les États disposent donc de beaucoup d’informations pour élaborer une boîte à outils bien fournie proposant diverses alternatives plus ou moins restrictives, au cas où des restrictions seraient nécessaires.

Des dispositifs d’accompagnement et de gestion individualisée des dossiers devraient toujours faire partie de ces outils. Cela suffit parfois à assurer le suivi des migrants et à rendre la détention inutile. Mais ils devraient aussi faire partie intégrante des mesures non privatives de liberté assorties de contraintes, comme l’obligation de se présenter régulièrement, des garanties financières ou des restrictions à la liberté de circulation. Les États devraient en outre veiller à ce que le fait d’appliquer une mesure de substitution n’ait pas pour effet d’abandonner les migrants à eux-mêmes. Ils doivent faire en sorte que les personnes concernées aient les moyens de subvenir à leurs besoins élémentaires. Une telle démarche préserve la dignité humaine tout en encourageant des relations positives avec les autorités.

Il convient également de veiller à ce que les États ne se bornent pas à effectuer un arbitrage entre conditions de détention et alternatives à la détention. Malgré la nécessité impérieuse d’améliorer les conditions de vie dans les centres de détention de nombreux pays européens, les gouvernements ne doivent pas simplement faire taire les appels à éviter tout recours à la détention en invoquant les améliorations des conditions de détention. Cela est particulièrement important dans le cas des enfants. Les gouvernements belge et néerlandais, par exemple, se sont engagés à créer des centres de détention plus « adaptés aux enfants », offrant de meilleures conditions matérielles. Cette mesure contribuera peut-être à réduire certaines des difficultés rencontrées par les enfants en détention, mais elle ne saurait être considérée comme un substitut à l’interdiction catégorique de la détention des mineurs.

Enfin, les États doivent veiller à ce que les solutions alternatives soient appliquées à toutes les formes de détention. En France, par exemple, j’ai découvert que les adultes privés de liberté en zone d’attente dans les aéroports ne pouvaient pas en bénéficier. Par ailleurs, partout en Europe, la différence entre « accueil » et « détention » devient de plus en plus floue. J’ai déjà évoqué les « hotspots » en Grèce. Dans l’affaire Khlaifia c. Italie susmentionnée, la Cour a affirmé très clairement que l’élément déterminant d’une « détention » est la privation de liberté, quelle que soit la dénomination du lieu où elle se déroule.

La voie à suivre

Les États européens doivent au plus vite intensifier leurs travaux sur les moyens de réduire le recours à la détention des migrants et de développer de réelles alternatives.

S’ouvre désormais une première étape décisive : l’ensemble des États doivent faire en sorte que leur droit interne et leurs politiques nationales prévoient clairement et effectivement l’obligation de mettre en place une offre suffisante de solutions de remplacement, et veiller à ce que le recours à des mesures alternatives soit toujours envisagé avant toute décision de placement en détention.

Deuxièmement, cette démarche doit être complétée par l’élaboration de programmes complets afin de proposer une palette d’alternatives viables et accessibles au regard des différents besoins et situations – la boîte à outils bien fournie que j’ai mentionnée. Chacune des solutions proposées devra toujours comporter un volet accompagnement et prévoir un traitement individualisé de chaque dossier. Il faudra aussi des assurances quant à la satisfaction des besoins élémentaires.

Troisièmement, il faut s’orienter clairement vers la suppression de la détention des mineurs. Jusqu’à présent, peu de gouvernements ont voulu s’engager dans cette voie. Dès lors, il est de la plus haute importance que toutes les parties intéressées – parlementaires, structures nationales des droits de l’homme et organisations de la société civile en particulier – appellent leur gouvernement à présenter une feuille de route assortie d’échéances fermes pour mettre fin à la détention des mineurs.

Quatrièmement, les États européens devraient échanger des bonnes pratiques entre eux et avec d’autres acteurs de manière beaucoup plus systématique. Il est incontestable que les États se concertent souvent pour définir des orientations concernant la modification de leurs politiques migratoires. Les États membres devraient tirer pleinement parti des possibilités offertes par les forums internationaux comme le Conseil de l’Europe pour rassembler les connaissances, apprendre les uns des autres ainsi que de la société civile, et améliorer la protection des demandeurs d’asile et des migrants.

Dernier point, mais non le moindre, on constate un manque criant de données, auquel il importe de remédier. Un rapport d’expert datant de 2015 montre que l’on ne collecte pas suffisamment de données cohérentes sur les pratiques de détention. Si nous voulons débattre en toute honnêteté de ce qui fonctionne, pour les migrants comme pour les États, des données suffisantes doivent être disponibles concernant les personnes privées de liberté, les situations dans lesquelles des alternatives leur sont proposées, et les résultats de ces dispositifs. Cela améliorerait l’élaboration des politiques et renforcerait le nécessaire contrôle du respect des droits de l’homme.

Nils Muižnieks

 

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Strasbourg 31/01/2017
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