Retour La Pologne devrait rétablir les garanties nécessaires à l’indépendance des juges et des procureurs, empêcher la régression des droits des femmes et combattre les stéréotypes sexistes

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Bâtiment de la Court Suprême de la Pologne, Varsovie, Pologne - Copyright Shutterstock.com

Bâtiment de la Court Suprême de la Pologne, Varsovie, Pologne - Copyright Shutterstock.com

« Une démocratie européenne moderne ne peut pas fonctionner sans un système judiciaire véritablement indépendant. Les autorités polonaises devraient prendre des mesures supplémentaires pour rétablir la pleine indépendance de la justice et mettre fin aux dissensions et blocages qui continuent de nuire au fonctionnement et à la crédibilité de certaines institutions judiciaires. Les juges et les procureurs doivent être protégés contre les pressions indues », a déclaré la Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Dunja Mijatović, à l’issue d’une visite de cinq jours en Pologne, qui portait essentiellement sur l’indépendance des juges et des procureurs, ainsi que sur les droits des femmes, l’égalité entre les femmes et les hommes, et la violence domestique. « La Pologne devrait aussi protéger et promouvoir plus activement les droits des femmes en mettant pleinement en œuvre la Convention d’Istanbul et en empêchant tout recul de leurs droits reproductifs, tels que l’accès à un avortement sûr et légal et à la contraception », a ajouté la Commissaire.

La Commissaire constate avec satisfaction que, l’an dernier, en réponse aux mesures provisoires ordonnées par la Cour de justice de l’Union européenne, la Pologne a pris des dispositions pour que les juges de la Cour suprême (y compris sa première présidente) qui avaient été contraints à partir à la retraite puissent continuer à exercer leurs fonctions. Toutefois, des inquiétudes subsistent quant à l’indépendance de la Cour constitutionnelle et du Conseil national de la justice. En application de nouvelles règles, les juges membres de ce conseil sont élus par le parlement et non plus par leurs pairs, comme cela est recommandé par le Conseil de l'Europe et requis par la Constitution polonaise. La Commissaire observe que le Conseil national de la justice polonais a d’ailleurs été suspendu du Réseau européen des Conseils de la Justice. Soulignant que « l’indépendance et l’efficacité des juges et des procureurs sont intimement liées », la Commissaire s’est également déclarée préoccupée par le fait que le ministre de la Justice a révoqué ou remplacé des centaines de présidents de juridiction et de procureurs ces dernières années. En outre, plusieurs centaines de postes restent vacants dans le système judiciaire. La Commissaire s’associe aux conclusions des avis adoptés en 2016 et 2017 par la Commission de Venise, qui critiquaient notamment les pouvoirs étendus résultant de la fusion des fonctions de ministre de la Justice et de procureur général, ainsi que l’insuffisance des contre-pouvoirs. Elle demande instamment à la Pologne de mettre en œuvre l’ensemble des recommandations de la Commission de Venise.

Dunja Mijatović a été informée de plusieurs cas de procédures disciplinaires initiées à l’encontre de juges et de procureurs qui s’étaient exprimés en public, avaient consulté la Cour de justice de l’Union européenne à titre préjudiciel, avaient participé à des activités éducatives ou (dans un cas) reçu une distinction de l’ancien maire de Gdańsk. « Les juges et les procureurs doivent être libres de donner leur point de vue sur des questions d’intérêt public, y compris sur les réformes de la justice et du ministère public. Cette liberté doit être préservée. Les procédures disciplinaires peuvent avoir un effet dissuasif sur les juges et les procureurs. Vu la manière dont certaines de ces procédures sont menées, elles peuvent être considérées comme intimidantes. Les procédures disciplinaires ne devraient pas être instrumentalisées et il est impératif de garantir à toute personne soumise à une telle procédure les droits à un procès équitable », souligne la Commissaire.

Concernant la question de la violence domestique et de la violence à l’égard des femmes, la Commissaire a félicité la Pologne d’avoir ratifié la Convention d’Istanbul en 2015. « Les autorités polonaises devraient maintenant agir avec détermination pour que l’application effective de la Convention d’Istanbul devienne une réalité », a affirmé la Commissaire, en soulignant que « la loi sur la violence domestique devrait être appliquée de manière cohérente dans l’ensemble du pays ». Dunja Mijatović a recommandé en particulier au gouvernement de veiller à ce qu’il y ait suffisamment de refuges pouvant accueillir des femmes victimes de violences et leurs enfants, notamment dans les villes autres que Varsovie. Ayant remarqué que les dispositions en vigueur ne prévoient pas la possibilité d’éloigner rapidement du domicile les auteurs de violence domestique de manière qui permettrait d’éviter que les victimes subissent de nouvelles violences, la Commissaire a jugé encourageantes les informations reçues du Ministère de la justice selon lesquelles il est envisagé de modifier le Code de procédure pénale à cet égard.

Au cours de la visite, la Commissaire et sa délégation ont rencontré des représentants d’organisations ayant une grande expérience dans l’assistance aux victimes de violence domestique. Elle a de plus visité une structure de conseil pour victimes de violence domestique à Gdańsk et un refuge pour femmes à Varsovie. Plusieurs organisations ont indiqué ne plus recevoir de fonds du gouvernement, ou en recevoir beaucoup moins depuis quelques années. La Commissaire constate que, parfois (à Gdańsk et à Varsovie, par exemple), les municipalités viennent combler ce manque. « Les organisations de la société civile sont souvent les principaux prestataires de services d’assistance juridique et psychologique aux victimes de violences. Il faudrait protéger et encourager leurs activités, ce qui suppose de leur permettre de bénéficier de fonds publics durablement et sans entraves. Les autorités devraient aussi affirmer publiquement leur appui au travail de ces organisations », note la Commissaire.

Lors de sa visite, la Commissaire s’est aussi intéressée aux droits reproductifs des femmes. « Je suis très préoccupée par les tentatives répétées visant à rendre plus stricte encore la législation polonaise relative à l’avortement, qui est déjà l’une des plus restrictives d’Europe », a-t-elle déclaré. La Commissaire souligne que la Pologne n’a toujours pas mis en œuvre trois arrêts importants rendus par la Cour européenne des droits de l'homme il y a plusieurs années déjà, dans des affaires concernant l’accès à un avortement légal et aux soins correspondants. La Commissaire était particulièrement préoccupée d’apprendre que de nombreuses femmes ont recours à des avortements clandestins ou se rendent à l’étranger pour obtenir de l’aide, car les professionnels de santé invoquent de plus en plus souvent la « clause de conscience » pour justifier leur refus de pratiquer des avortements ou des tests prénatals ou de prescrire une contraception d’urgence. Notant avec préoccupation qu’il y a des régions de Pologne où l’accès aux services d’avortement est très limité, la Commissaire fait remarquer que « les femmes et les jeunes filles qui ont légalement le droit d’avorter ne devraient être empêchées d’aucune manière d’avoir accès à ces services et aux soins qui y sont associés dans leur propre pays. Parfois, l’inaction ou un retard créent un risque réel et grave pour la vie et la santé des femmes et peuvent avoir des effets préjudiciables à la société tout entière dans l’avenir », ajoute la Commissaire.

Concernant l’égalité entre les femmes et les hommes, la Commissaire remarque que l’écart salarial moyen entre hommes et femmes en Pologne est l’un des plus faibles d’Europe. Toutefois, elle demande instamment aux autorités de veiller à ce que l’égalité de genre se traduise par des mesures concrètes, telles que, par exemple, l’adoption d’un plan d’action national spécialement consacré à l’égalité entre les femmes et les hommes, ou des programmes visant à favoriser le développement professionnel des femmes, y compris leur accès à des postes à responsabilité dans le secteur public. Lors de sa visite à Gdańsk, la Commissaire a pris note avec une vive satisfaction du « modèle pour l’égalité de traitement » établi par la ville et de ses mesures en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. « Le modèle pour l’égalité de traitement mis en place à Gdańsk, qui a été élaboré de manière participative, constitue une bonne pratique dont d’autres pourraient s’inspirer », a conclu la Commissaire.

Enfin, au cours de la visite, l’attention de la Commissaire a été attirée sur des propos incendiaires et dénigrants dirigés contre les personnes LGBTI, tenus par certains hauts responsables polonais. La Commissaire réaffirme que de tels propos sont inacceptables et appelle à favoriser l’inclusion et à respecter les droits de l’homme de tous.

La Commissaire publiera prochainement un rapport sur sa visite en Pologne.

Varsovie 15/03/2019
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