Retour Le nouveau gouvernement arménien devrait placer les droits de l'homme au centre de ses politiques

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Commissioner Mijatović meets with the residents of a community centre care home for persons with disabilities in Spitak, Armenia. ©CoE/2018/Mancewicz

Commissioner Mijatović meets with the residents of a community centre care home for persons with disabilities in Spitak, Armenia. ©CoE/2018/Mancewicz

"La transition politique pacifique de mai 2018 en Arménie a été tout à fait remarquable. La population attend maintenant des autorités qu’elles améliorent concrètement les conditions de vie. Le nouveau gouvernement devrait s’attacher à faire respecter les droits des plus vulnérables, qui ont longtemps été négligés", a déclaré Dunja Mijatović, Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, après la visite qu’elle a effectuée en Arménie du 15 au 20 septembre. Cette visite était notamment consacrée aux droits des femmes, à l’égalité de genre et à la violence domestique, aux droits de différents groupes défavorisés ou vulnérables, ainsi qu’aux questions liées à la justice pour les violations des droits de l'homme commises dans le passé.

La Commissaire s’est intéressée aux droits des femmes et à leur participation à la vie politique: "Il faut promouvoir plus efficacement la participation des femmes à la vie publique en Arménie, notamment aux plus hauts niveaux de décision et au niveau local, où elles sont peu représentées". Il peut être utile d’appliquer des mesures temporaires spéciales, telles que des quotas obligatoires, pour favoriser l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. La Commissaire recommande de fixer des objectifs concrets et ambitieux en matière de participation des femmes, y compris aux élections locales. "Les autorités devraient aussi intensifier leurs efforts pour encourager les femmes et les jeunes filles à s’engager activement dans la vie politique ; pour mettre en avant des personnalités – hommes et femmes – qui incarnent et défendent l’égalité de genre, et enfin pour développer un environnement éducatif sans stéréotypes discriminatoires et favorable à l’égalité de genre", a précisé Dunja Mijatović.

S’agissant de l’égalité dans l’emploi, la Commissaire estime que les autorités arméniennes devraient agir avec détermination pour garantir aux femmes l’égalité de rémunération et l’égalité d’accès au marché du travail, en réduisant l’important écart salarial entre hommes et femmes et en supprimant la liste des professions déclarées dangereuses pour les femmes. L’Arménie devrait aussi faciliter le retour des femmes à l’emploi après un congé de maternité et renforcer les activités du conseil chargé de l’égalité des droits et de l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, qui est placé sous l’autorité du Premier ministre.

La Commissaire a salué l’adoption, en décembre 2017, de la "loi sur la prévention de la violence au sein de la famille, sur la protection des victimes de violences au sein de la famille et sur le rétablissement de la paix dans la famille", suivie de la signature de la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. "Alors que l’Arménie progresse vers la ratification de cette convention, elle ne devrait pas se cantonner à mettre en place de nouvelles normes mais veiller à ce que la nouvelle législation nationale soit effectivement appliquée dès son entrée en vigueur, en janvier 2019", a indiqué la Commissaire. A cette fin, Dunja Mijatović a souligné la nécessité de renforcer les capacités et la sensibilisation des forces de l’ordre, des enquêteurs, des travailleurs sociaux et des magistrats, pour que ces professionnels soient plus aptes à protéger les victimes de violence domestique et à prévenir la revictimisation.

La Commissaire a visité le seul foyer destiné aux victimes de violence domestique en Arménie, qui héberge actuellement cinq femmes et leurs enfants, ce qui est évidemment très insuffisant pour répondre aux besoins. "J’ai appris avec satisfaction que le gouvernement avait l’intention d’ouvrir de nouveaux foyers en 2019. À mon avis, il est important que ces foyers existent à Erevan, mais aussi dans d’autres régions et dans des zones reculées", a dit la Commissaire, qui a aussi demandé instamment aux autorités arméniennes de veiller tout particulièrement à garantir le droit à l’éducation des enfants hébergés dans ces structures.

Concernant les droits des personnes handicapées, Dunja Mijatović salue les efforts de l’Arménie en matière de désinstitutionalisation. Elle insiste toutefois sur la nécessité de réviser le cadre juridique régissant l’aide de l’État aux personnes handicapées. "L’Arménie devrait supprimer la tutelle complète pour les personnes ayant des déficiences psychosociales et la remplacer par un dispositif d’aide à la prise de décisions. Placer ces personnes dans de grandes institutions publiques n’est vraiment pas la bonne solution", a déclaré la Commissaire. Selon elle, la structure d’accueil de Spitak, d’une capacité réduite, constitue un environnement plus favorable au développement de l’autonomie des résidents.

Concernant l’éducation inclusive des enfants handicapés, la Commissaire se réjouit de la volonté du gouvernement de rendre le système éducatif complètement inclusif d’ici à 2025; et l’encourage à persister dans ses efforts pour atteindre ce but. Dunja Mijatović recommande de veiller tout particulièrement à garantir une éducation inclusive dès le niveau préscolaire (jardin d’enfants) et à appliquer le processus de désinstitutionalisation à tous les enfants concernés, handicapés ou pas.

Lors de sa visite du foyer pour enfants du quartier de Nork, à Erevan, la Commissaire a observé la qualité des soins et le dévouement du personnel. Elle a cependant constaté avec inquiétude la présence de nombreux enfants – handicapés ou non – placés temporairement dans ce foyer (voire abandonnés) par leurs parents, souvent parce que ceux-ci n’avaient pas les moyens de les élever. "Tous les enfants ont le droit de grandir dans une famille et ni le handicap ni la pauvreté ne sauraient justifier leur placement en institution", a affirmé la Commissaire. "Le gouvernement devrait – d’abord et avant tout – allouer des ressources suffisantes au développement de services de proximité qui aideraient les parents biologiques à reprendre leurs enfants chez eux, et continuer parallèlement à promouvoir le dispositif des familles d’accueil", a-t-elle ajouté. De plus, en ratifiant la Convention du Conseil de l'Europe sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels (ou Convention de Lanzarote), qu’elle a signée en 2010, l’Arménie ferait un pas de plus pour assurer une protection adéquate des enfants contre toutes les formes d’exploitation sexuelle.

La Commissaire a malheureusement constaté que le niveau de protection sociale des personnes âgées en Arménie était nettement insuffisant. "J’encourage les autorités arméniennes à faire en sorte que les personnes âgées puissent mener une vie digne et à établir à cette fin une stratégie complète, qui devrait viser en priorité à augmenter les prestations de vieillesse et à garantir aux personnes âgées le droit de vivre dans la collectivité et de recevoir des soins à un prix abordable, y compris lorsqu’elles choisissent de vivre en maison de retraite", a déclaré Dunja Mijatović.

Pour que personne ne subisse de discrimination en Arménie, ni dans la sphère publique ni dans la sphère privée, les autorités devraient adopter rapidement une loi exhaustive contre la discrimination. Le gouvernement devrait aussi prendre fermement position contre le discours de haine et les infractions motivées par la haine dont les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) sont la cible, et veiller à ce que tous ces incidents soient clairement dénoncés publiquement, et qu’ils donnent lieu à des enquêtes et des poursuites.

Concernant les violences de mars 2008, la Commissaire se réjouit des dispositions prises par l’Arménie pour faire enfin toute la lumière sur la mort des 10 personnes tuées lors de ces événements et pour clore ce chapitre douloureux de l’histoire récente du pays. Elle souligne toutefois qu’il faut mener ce processus "avec prudence et dans le strict respect des principes de l’état de droit, de l’indépendance et de la transparence de la justice, ainsi que des garanties à un procès équitable, afin d’écarter tout soupçon de vengeance politique ou de justice sélective".

"En cette période où l’Arménie traverse une importante transition, j’encourage tous les responsables politiques et leaders d’opinion à contribuer à bâtir une société cohésive et à prendre tout particulièrement soin d’éviter de tenir des propos stigmatisants, incendiaires ou destinés à créer des divisions", a conclu Dunja Mijatović.

La Commissaire publiera prochainement un rapport sur sa visite en Arménie.

Strasbourg 24/09/18
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