Back Discours lors de la rencontre d’Ombudsmans, Médiateurs et défenseurs des droits de l’enfant organisée par l’ENOC et le Défenseur des Droits

Mesdames et Messieurs,

Je commencerai ma présentation en vous rappelant certains chiffres que vous connaissez tous : un tiers des 220.000 demandeurs d’asile et migrants qui ont traversé la mer Méditerranée en 2016 sont des enfants. Beaucoup d’entre eux étaient des mineurs non-accompagnés. Plus de 130 enfants ont perdu la vie cette année au cours du périlleux voyage.

L'augmentation du nombre d'enfants qui tombent entre les mains des trafiquants d'êtres humains est l'une des tendances les plus fortes et elle a été aggravée par la crise migratoire.

C’est pourquoi la question de la migration, et en particulier de la protection des droits et libertés fondamentaux des enfants affectés par la migration, est au cœur des priorités du Conseil de l’Europe. Il ne peut pas être autrement.

La protection internationale des enfants qui fuient la guerre et les persécutions doit également rester une priorité pour tous les gouvernements européens. Il est plus qu’évident que nous avons une obligation de faire face, ensemble, à ce défi pour faire en sorte que ces enfants soient protégés et pour garantir leurs droits fondamentaux. Alors que faire ?

En réponse au flux migratoire sans précédent en Europe, le Secrétaire Général Thorbjørn Jagland a tenu à rappeler aux Etats leurs principales obligations juridiques concernant l’accueil et les conditions de réception (même si celle-ci s’effectue sur une base provisoire) des migrants et des demandeurs d’asile.

En particulier, le 4 mars 2016, il a publié des propositions pour des actions prioritaires pour protéger les enfants touchés par la crise des réfugiés, en soulignant notre responsabilité partagée.

La nouvelle Stratégie du Conseil de l’Europe pour les droits de l’enfant 2016-2021, également adoptée en mars 2016, énonce clairement que les droits des enfants en déplacement ou concernés d’une autre manière par les migrations seront protégés et défendus.

Mon mandat, en tant que Représentant Spécial du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, est d’aider les Etats membres à procéder aux ajustements - rendus  nécessaires par l’emergence de nouvelles réalités liées à la migration - de leurs lois et de leurs politiques dans le respect des droits de l’Homme, et cela surtout en ce qui concerne les enfants.

Je recueille également des informations sur la situation des droits fondamentaux des réfugiés et des migrants, notamment en effectuant des missions d’information – telles que mes dernières missions en Grèce, en « l’ex-République yougoslave de Macédoine » et en Turquie. Je coordonne les activités en la matière au sein du Conseil de l’Europe tout en assurant la liaison avec les partenaires internationaux de l’Organisation.

Lors de mes missions, j’ai accordé et je vais continuer à accorder une attention particulière à la situation des enfants.

Qu’ai-je vu jusqu´à présent? Des enfants en détention, des enfants qui vivent dans des conditions pitoyables, des enfants qui n’ont pas accés aux services médicaux, des enfants forcés de travailler pour nourrir leur famille, des enfants sans accès à l´education, des enfants pour lequel le risque d’exploitation sexuelle et de traite des êtres humains est très élevé.

Mon rôle est d´identifier la meilleure manière de déployer les ressources du Conseil de l’Europe pour aider à résoudre ce problème.

Au sein du Conseil de l’Europe ont été élaborés  de nombreux instruments juridiques qui pourraient apporter de l’aide aux autorités nationales dans les efforts qu’ils mènent pour protéger les droits de l’Homme des migrants et réfugiés, et surtout des enfants :

La Convention européenne des droits de l’Homme, telle qu’interprétée par la Cour, impose des obligations importantes quant aux conditions de vie des migrants dans les pays d’accueil, quant au placement des enfants dans des centres de rétention pour migrants et quant à la réunification familiale. La Charte sociale européenne contient elle aussi une série d’obligations contractées par les Etats dans de domaines différents (par exemple, le droit au logement ou à la protection de la santé), comme on peut le constater à travers les conclusions du Comité européen des droits sociaux (CEDS).

D´autres acteurs au sein du Conseil de l´Europe ont developpé des principes qui servent comme source d’inspiration pour les Etats en la matière : entre autres le  Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), le  Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) et la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI). Ces normes et ces principes doivent rester au cœur de la politique migratoire en Europe, et dans chaque Etat.

Mesdames et Messieurs les Ombudsmans, les Médiateurs et les défenseurs des droits de l’enfant, je vous remercie par avance pour votre action visant à le rappeler constamment, lorsque cela est nécessaire au niveau national et de contribuer à leur respect.

Les actions prioritaires immédiates par les Etats membres et le Conseil de l’Europe, annoncées en mars 2016, recouvrent plusieurs aspects pour la protection des enfants dans le cadre de la migration :

Eviter que les enfants migrants et demandeurs d’asile ne deviennent victimes de la violence, des abus, de l’exploitation, des trafics et de la traite. Il est inacceptable que ces enfants soient abusés, violentés, exploités, qu’ils fassent l’objet d’un trafic en Europe et que les mesures prises au niveau national ne permettent pas d’assurer leur protection. 

Une attention particulière sera accordée dans nos travaux à la situation des enfants migrants non accompagnés et à la relation entre migration et traite des enfants. Votre rôle et votre engagement sur cette question au niveau national sont primordiaux, et vous pouvez compter sur notre soutien.

Les organes de monitoring du Conseil de l’Europe tels que le Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA), le Comité des parties à la convention sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (Comité de Lanzarote), le Groupe d’experts sur la lute contre la violence àl’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO), le CPT, portent aussi une attention toute particulière à cette question, dans le cadre de leurs différentes procédures de monitoring.

Il faudrait tout faire pour que le placement d’enfants dans des centres de rétention pour migrants cesse.

Permettez-moi d’insister sur ce point car il répond à nos préoccupations à propos de la tendance de plus en plus marquée à recourir à la privation de liberté, y compris pour les enfants.

Or la privation de liberté d’un enfant fondée exclusivement sur des considérations migratoires ne peut jamais être interprétée comme une mesure conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant.

Le Comité européen de coopération juridique (CDCJ) et le Comité directeur pour les droits de l’homme (CDDH), chacun dans leur domaine de compétences, apportent des réponses dans le cadre de leur travail intergouvernemental pour favoriser une application uniforme des règles européennes relatives à la rétention administrative des migrants et promouvoir des mesures de substitution efficaces à la rétention des migrants en situation irrégulière.

Une campagne active est en cours avec l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe pour mettre fin au placement en rétention d’enfants migrants.

Il est nécessaire d´améliorer les procédures d’évaluation de l’âge et de développer un nouvel instrument par rapport au système de tutelles des enfants. Ces travaux seront menés entre autre dans le contexte du Comité ad hoc pour les droits de l’enfant (CAHENF) nouvellement créé, et à titre bilatéral pour les pays qui le demandent.

Il faudrait également prendre en compte la dimension du genre dans le traitement des enfants migrants et demandeurs d’asile et assurer un accès effectif à l’éducation pour ces enfants, indépendamment de leur statut au regard des lois d’immigration. Nous ne devons pas accepter que cette génération d’enfants arrivant en Europe soit une génération perdue. Car nous serions tous perdants.

De plus, es Etats devraient prendre toutes les mesures appropriées pour prévenir l’apatridie.

Afin d’éviter que ces droits ne restent lettre morte, nous offrons des formations pour les professionnels du droit sur l’asile et la Convention européenne des droits de l’Homme, et nous allons développer une formation spécifique sur les droits des enfants dans le cadre du programme européen de formation aux droits de l’homme pour les professionnels du droit (HELP). Ces formations pourront certainement vous intéresser, vous et vos collaborateurs.

L’action menée par la Banque de développement du Conseil de l’Europe, dans le cadre du Fonds pour les migrants et les réfugiés, vise à soutenir financièrement ses Etats membres pour mettre en place des lieux supplémentaires pour héberger les réfugiés et les migrants de manière adéquate.

Mis à part l’action en réponse à l’urgence, il convient d’ores et déjà de se poser la question des implications à moyen et long terme. Les enfants constituent la génération de demain ; nous devons agir aujourd’hui pour garantir leur accès à l’éducation, pour lutter contre la discrimination et pour assurer leur intégration effective dans les sociétés qui les accueillent.

Le Conseil de l’ Europe travaillera avec les États membres pour adopter une approche coordonnée fondée sur les droits de l’enfant, en ayant à l’esprit les recommandations relatives aux projets de vie en faveur des mineurs migrants non accompagnés, à la promotion de l’intégration des enfants de migrants ou issus de l’immigration et à la nationalité des enfants.

Enfin, le Secrétaire Général m’a récemment chargé de coordonner un plan d’action pour la protection des enfants touchés par la crise des refugiés.

J’ai donc déjà lancé des discussions au sein de notre Organisation pour la récolte des idées et des propositions concrètes pour inclusion dans le plan d’action. J’espère pouvoir communiquer le plan d’action proposé au Secrétaire General avant la fin de l’année.   

En conclusion, permettez-moi d’exprimer ma conviction que ces échanges seront fructueux, et qu’ils ouvriront la voie à des actions que les défenseurs des enfants sauront mener à bien ensemble, pour une meilleure protection de ces enfants, et pour trouver des solutions afin d’améliorer les procédures légales de migration et pouvoir envisager des solutions durables, leur permettant de s’épanouir et construire leur vie.

Paris, France 28 juin 2016
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