Retour Il est urgent d’agir pour réunir les enfants ukrainiens transférés en Russie et dans les territoires occupés par la Russie avec leurs familles

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Children evacuated from the then Russian-controlled city of Kherson, wait in a bus heading to Crimea, in the town of Oleshky, Kherson region, Ukraine October 23, 2022. REUTERS/Alexander Ermochenko

Children evacuated from the then Russian-controlled city of Kherson, wait in a bus heading to Crimea, in the town of Oleshky, Kherson region, Ukraine October 23, 2022. REUTERS/Alexander Ermochenko

« Le fait pour la Russie de ne pas assurer le retour des enfants ukrainiens séparés de leurs familles et de leurs tuteurs légaux constitue une grave violation de leurs droits humains. Des mécanismes et des solutions concrètes doivent être identifiés et mis en œuvre de toute urgence pour réunir ces enfants avec leurs familles », a déclaré aujourd'hui la Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Dunja Mijatović, à l'issue d'une visite en Ukraine axée sur la situation des droits humains des enfants ukrainiens transférés en Fédération de Russie et dans les territoires de l'Ukraine sous occupation russe.

Comme la Commissaire l'a déjà indiqué dans son mémorandum sur les conséquences de la guerre en Ukraine en matière de droits humains, qui faisait suite à une précédente visite en mai 2022, l'agression de la Russie a entraîné la violation des droits humains d'innombrables enfants ukrainiens. Des centaines d'enfants ont été tués ou blessés, et des millions ont été privés de la possibilité de jouir de leurs droits fondamentaux, notamment en matière de soins de santé et d'éducation. La guerre a également entraîné le déplacement interne et externe de millions de personnes, faisant courir à de nombreux enfants un risque accru d'être séparés de leurs parents ou des personnes qui en ont la charge. Des milliers d'enfants ukrainiens, y compris des orphelinats et des établissements de soins entiers, ont été évacués vers d'autres lieux en Ukraine, ainsi que vers d'autres États membres du Conseil de l'Europe et au-delà. La Commissaire a déjà attiré l'attention sur le sort des enfants ukrainiens victimes de la guerre et a souligné la nécessité de renforcer l'identification et l'enregistrement des enfants non accompagnés et séparés en Europe et de mettre en œuvre des procédures de recherche et de regroupement familial à leur intention.

De nombreux autres enfants ukrainiens touchés par la guerre ont été emmenés ou se sont retrouvés en Fédération de Russie ou dans les territoires ukrainiens occupés par la Russie. Les circonstances particulières de ces cas varient considérablement. Une première catégorie est constituée d'orphelins et d'enfants placés en institution qui résidaient dans les régions d'Ukraine occupées par la Russie et qui ont été emmenés en Russie avant l'agression de l'année dernière, depuis 2014. D'autres ont été emmenés en Russie depuis des établissements de soins situés dans les régions d'Ukraine qui sont passées sous l'occupation ou le contrôle temporaire des forces russes après le 24 février 2022. Selon de nombreux interlocuteurs de la Commissaire à Kiev, les autorités russes soutiennent fréquemment que les enfants sont soit orphelins, soit privés de soins parentaux, et modifient régulièrement leurs dispositions de tutelle légale ou les placent dans des familles d'accueil. Cela se produit souvent sans que les autorités fournissent des efforts suffisants pour établir ou contacter les parents des enfants ou les tuteurs légaux existants en Ukraine. Toutefois, bien que des données précises sur l'identité et la localisation des enfants et de leurs proches ne soient pas disponibles dans tous les cas, la Commissaire a été informée par les autorités ukrainiennes que les enfants ukrainiens qui ont été emmenés en Russie ont actuellement des tuteurs légaux désignés en Ukraine.

Une autre catégorie est celle des enfants non accompagnés dont les parents ou les personnes qui en ont la charge ont été tués, blessés, détenus ou ont disparu pendant les hostilités, par exemple à la suite du bombardement russe de Marioupol et des zones environnantes. Certains enfants auraient été séparés de leur famille lors du processus dit de « filtration » ou lors de leur transfert vers la Fédération de Russie. En outre, dans les zones qui sont passées sous le contrôle temporaire des forces russes, certains enfants ont été envoyés dans des camps de loisirs dans diverses parties de la Russie ou dans des territoires de l'Ukraine occupés par la Russie, comme la Crimée. Nombre d'entre eux n'ont pas été renvoyés vers leurs parents à la fin de la période de séjour stipulée, car les autorités du camp refuseraient de les remettre à moins que leurs parents ne viennent les chercher en personne. Il est rapporté que les enfants détenus dans ces camps sont soumis à un endoctrinement visant à inculquer une vision du monde pro-russe et un récit historique rabaissant l'identité ukrainienne, et que le sentiment anti-ukrainien y est courant.

Dans ce qui semble être une exploitation délibérée de la vulnérabilité des enfants, certains enfants ukrainiens emmenés en Russie ont reçu la citoyenneté russe. Comme cela a été rapporté, certains de ces enfants ont pu être adoptés par la suite. Cette pratique semble être soutenue par des officiels russes à tous les niveaux d'autorité. Cela est clairement illustré, par exemple, par le décret présidentiel adopté en mai 2022 pour accélérer l'octroi de la citoyenneté russe aux enfants ukrainiens considérés comme orphelins ou laissés sans protection parentale. C’est également mis en évidence par l'adoption très médiatisée d'un enfant ukrainien par la Commissaire aux droits de l'enfant de la Fédération de Russie, qui a été annoncée en direct à la télévision et largement partagée sur les médias sociaux d'une manière qui a exposé l'identité de l'enfant au public. La Commissaire rappelle que les États parties à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant (CDE), que la Fédération de Russie a ratifiée, s'engagent à respecter l'intérêt supérieur de l'enfant et le droit de l'enfant à préserver son identité, y compris sa nationalité, son nom et ses relations familiales tels que reconnus par la loi, sans ingérence illégale. La modification du statut personnel des enfants, y compris leur nationalité, par une force d'occupation est en outre interdite par les articles 49 et 50 de la Quatrième Convention de Genève. La Commissaire souligne que les enfants séparés de leurs parents pendant une urgence humanitaire ne peuvent pas être présumés orphelins et ne sont pas disponibles pour l'adoption, qui ne devrait jamais avoir lieu pendant ou immédiatement après une situation d’urgence.

La réunification des enfants ukrainiens qui ont été emmenés en Russie et séparés de leur famille ou de leur tuteur légal en Ukraine ou dans d'autres pays est une entreprise extrêmement complexe entachée de différents obstacles. La situation est rendue particulièrement difficile par l'absence d'un mécanisme spécial en vue de réunir les enfants avec leurs familles et leurs tuteurs légaux. En outre, les organisations internationales et les mécanismes de suivi des droits humains ne bénéficient pas actuellement d'un accès adéquat à ces enfants en Fédération de Russie en raison de la réticence et du refus des autorités russes d'accorder cet accès et de coopérer pour faciliter leur retour. Dans ce contexte, le retour des enfants est organisé individuellement, au cas par cas et par de multiples acteurs, dont plusieurs autorités de l'État ukrainien, des défenseurs des droits humains ukrainiens et russes, des bénévoles et d'autres membres de la société civile. Cette méthode exige souvent que les parents et les tuteurs légaux des enfants s'engagent dans des voyages périlleux et coûteux à travers les territoires russes ou occupés par la Russie - une entreprise risquée pour laquelle beaucoup d'entre eux ne sont pas prêts ou mal équipés.

Il est très difficile d'établir des chiffres globaux fiables sur le nombre d'enfants ukrainiens qui ont été emmenés en Russie, notamment ceux des enfants non accompagnés ou ceux qui se trouvent dans des orphelinats ou des établissements de soins. Il existe plusieurs initiatives à cet effet, y compris le site web de recherche "Children of war" créé par les autorités ukrainiennes, qui enregistre également les rapports d'enfants décédés ou disparus. Toutefois, « la rareté des chiffres fiables ne doit pas décourager les initiatives visant à trouver des solutions », a déclaré la Commissaire.

La Commissaire considère que le fait de ne pas assurer le retour des enfants ukrainiens emmenés en Russie vers leurs parents ou leurs tuteurs légaux constitue une violation manifeste des droits humains de ces enfants. Dans la mesure où elle prive les membres de la famille d'une jouissance mutuelle et fait fi de l'unité familiale, cette pratique est en contradiction avec le droit des enfants et de leurs parents au respect de leur vie privée et familiale. En vertu de la CDE, les enfants ne doivent pas être séparés de leurs parents contre leur gré, sauf si les autorités compétentes soumises à un contrôle judiciaire décident que cela est nécessaire dans l'intérêt supérieur de l'enfant (article 9 de la CDE). Les enfants qui sont séparés de leurs parents ont le droit d'entretenir des relations personnelles et des contacts directs avec leurs parents sur une base régulière (article 9 de la CDE). Les demandes d'entrée ou de sortie d'un enfant ou d'un parent dans un État partie aux fins de réunification familiale doivent être traitées dans un esprit positif, avec humanité et diligence (article 10 de la CDE). Les États ont également l'obligation de lutter contre les déplacements et les non-retours illicites d'enfants à l'étranger (article 11 de la CDE). Enfin, en vertu de l'article 38 de la CDE, les Etats s'engagent à faire respecter les règles du droit international humanitaire qui leur sont applicables en cas de conflits armés et qui concernent l'enfant, et à prendre toutes les mesures possibles dans la pratique pour que les enfants qui sont touchés par un conflit armé bénéficient d'une protection et de soins.

La Commissaire est profondément touchée par le sort tragique de nombreux enfants non accompagnés se trouvant en Russie ou sur des territoires occupés par la Russie, échappant au contrôle public et ayant un accès limité à l'aide.  « Les enfants ukrainiens non accompagnés comptent parmi les victimes les plus vulnérables et les plus impuissantes de l'agression russe en cours contre l'Ukraine. Nous devons agir de toute urgence », a déclaré la Commissaire, appelant la communauté internationale à une action résolue. « La réunification des enfants ukrainiens avec leurs familles et leurs tuteurs légaux en Ukraine ou dans des pays tiers ne peut attendre. Des mesures visant à faciliter le regroupement familial doivent être prises le plus rapidement possible. Le passage du temps affaiblira inévitablement les liens de ces enfants avec leur famille et compliquera leur réunification éventuelle », a souligné la Commissaire.

Dans un premier temps, un mécanisme permettant de réunir les enfants ukrainiens avec leur famille et leur tuteur légal devrait être mis en place. Il faut également clarifier les entités et les procédures par lesquelles les parents, les proches, les tuteurs légaux et les enfants peuvent solliciter de l'aide pour le regroupement familial. « Il s'agit d'une question de la plus haute priorité, qui doit être traitée par des efforts conjoints, y compris des organisations internationales, et l'utilisation de toute l'expertise disponible. » Les acteurs concernés doivent pouvoir accéder sans entrave aux dossiers et aux informations concernant tous les enfants ukrainiens emmenés en Russie et dans les territoires occupés par la Russie, afin de permettre leur identification et la recherche de leurs proches, dans le plein respect des normes de protection des données personnelles.

En outre, la Commissaire invite les autorités de tous les Etats membres du Conseil de l'Europe à faire de la poursuite et du soutien aux efforts visant à localiser, rechercher et réunir tous les enfants ukrainiens séparés avec leur famille ou leur tuteur légal une priorité absolue, sur la base d'une approche fondée sur les droits de l'enfant et dans le plein respect du principe de l'intérêt supérieur de l'enfant.  « Les enfants sont l'espoir et l'avenir de l'Ukraine. Aucun effort ne doit être épargné, et toutes les solutions doivent être explorées pour leur permettre de retrouver leurs proches le plus rapidement possible. »

La Commissaire encourage également la communauté internationale à soutenir et à coopérer avec des organisations et des réseaux de la société civile et de défenseurs des droits humains fiables qui s'emploient, en Ukraine et en Russie, à faciliter la réunification des enfants ukrainiens non accompagnés avec leur famille en tenant pleinement compte de l'intérêt supérieur de chaque enfant. Ce soutien devrait inclure un financement et une aide juridique, administrative et pratique aux parents des enfants, à leurs proches et aux organisations et individus leur venant en aide.

Le stress et l'anxiété causés par une séparation prolongée d'avec les familles et les personnes qui en ont la charge peuvent avoir des effets négatifs dévastateurs à long terme sur de nombreux enfants ukrainiens emmenés en Russie. Cela est particulièrement vrai pour les enfants les plus vulnérables, tels que ceux qui ont des besoins spéciaux et/ou ceux qui sont placés dans des institutions. « Tous les enfants qui sont rapatriés de Russie devraient recevoir un soutien pour leur réintégration, y compris un soutien juridique, médical et psychologique, sur la base d’une approche fondée sur les droits de l'enfant », a recommandé la Commissaire. La communauté internationale devrait également aider l'Ukraine à poursuivre ses efforts en vue de la désinstitutionnalisation de la prise en charge des enfants et de la création, dès que la situation le permettra, d'un environnement protecteur dans lequel les enfants sont élevés en famille.

Enfin, la Commissaire note l'importance de garantir la justice pour toutes les victimes de violations des droits de l'enfant. Saluant les efforts déployés à cette fin par les autorités ukrainiennes chargées des enquêtes, elle souligne que « tous ceux qui se livrent sciemment à des violations des droits de l'enfant doivent être tenus pour responsables ».

Au cours de sa visite à Kiev, la Commissaire a rencontré la Vice-Premier ministre et Ministre de la réintégration des territoires temporairement occupés de l'Ukraine, Iryna Vereshchuk ; la Vice-Ministre des Affaires étrangères, Emine Dzhaparova ; la Conseillère - Commissaire du Président de l'Ukraine pour les droits et la réadaptation des enfants, Daria Herasymchuk ; le Représentant permanent adjoint du Président de l'Ukraine en République autonome de Crimée, Denys Chistikov ; le Commissaire parlementaire ukrainien aux droits humains, Dmytro Lubinets ; le Procureur général de l'Ukraine, Andriy Kostin ; et des représentants du Mejlis des Tatars de Crimée. Elle a également rencontré des représentants de la société civile et d'organisations internationales.

Au cours de la visite, la Commissaire a également discuté de la situation des droits humains des Tatars de Crimée en vue de la préparation d'un rapport sur ce sujet qu’elle publiera prochainement.

Kyiv/Strasbourg 06/03/2023
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