Retour Seminaire d’Experts : Renforcer la protection des droits sociaux en Europe pour plus d’unité et d'égalité

Strasbourg , 

Check against delivery / le prononcé faisant foi

 

Bonjour à toutes et à tous,

Avant d’entrer en matière, je voudrais vous dire que je suis particulièrement heureuse d’être parmi vous ce matin, pour l’ouverture de ce séminaire.

Monsieur l’Ambassadeur Mattei, permettez-moi, par votre intermédiaire, de remercier la Présidence française du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe d’avoir choisi, avec cette conférence, de cibler un sujet clé pour nos Etats membres et les individus en Europe.

Plus généralement, je souhaite féliciter la Présidence d’avoir inclus la Charte Sociale parmi ses priorités, en tant que composante pleine et entière du système européen de protection des droits de l’Homme.

Car le renforcement de la protection des droits sociaux est synonyme de protection des « droits de l’homme au quotidien » - au cœur de la construction d’une Europe de progrès qui, ne l’oublions pas, est un modèle pour toutes les populations à travers le monde qui revendiquent la jouissance de leurs droits les plus élémentaires.

Vous le savez, nous célébrons cette année le 70e anniversaire du Conseil de l’Europe.

Quelle meilleure occasion de se rappeler que le Préambule du Statut de notre Organisation définit le progrès social et économique - dans cet ordre là - en tant qu’objectif de « [l’]union plus étroite entre ses Membres », que nous avons pour but de réaliser.

L’instrument qui permet de tenir cet engagement commun, c’est bien sûr la Charte sociale européenne.

Les principes et droits qu’elle consacre incluent - est-il besoin de le rappeler - le logement, la santé, l’éducation et la formation, la libre-circulation des personnes, la non-discrimination, la protection juridique et sociale, la protection contre la pauvreté et l’exclusion - mais aussi l’emploi, la sécurité sur le lieu de travail et l’égalité professionnelle, y compris salariale.

Il s’agit de droits fondamentaux, que chaque individu devrait pouvoir exercer.

Au fil des ans, les Etats parties à la Charte sociale ont fait des progrès notables dans ces domaines pour se mettre en conformité avec leurs engagements européens.

Mais assurer la pérennité de ces avancées et en faire de nouvelles, dans l’intérêt de nos concitoyens, implique de répondre aux défis contemporains, qui sont hélas nombreux et sérieux – tels que les inégalités croissantes, j’y reviendrai, et les changements dans le monde du travail.

Ces problématiques ne sont pas nouvelles et cette conférence n’est pas la première à s’y intéresser.

Sans remonter aux origines, je rappellerai qu’en 2014, le Secrétaire Général sortant, Thorbjørn Jagland, a lancé, en pleine crise économique, un processus politique, le « processus de Turin », destiné à renforcer le système de la Charte pour le rendre plus apte à répondre à ces défis.

Beaucoup de questions étaient déjà posées à l’époque, mais c’est aujourd’hui que nous arrivons à trouver des analyses et propositions mûres et convaincantes, grâce aux travaux menés par le CDDH, dans un articuliation cohérente, complète et prometteuse.

Permettez-moi de saisir l’occasion pour remercier le CDDH de son excellent travail qui, non seulement fournit une analyse solide de notre cadre juridique actuel de protection des droits sociaux, mais aussi propose des améliorations possibles dans leur mise en oeuvre.

Le premier volet de ce travail souligne à juste titre le contexte difficile qui prévaut, depuis plus d’une décennie.

Les mesures d’austérité prises en réponse à la crise économique ont conduit, dans un certain nombre d’États membres, à une aggravation du chômage et de l’insécurité de l’emploi, ainsi qu’à des coupes dans les systèmes de sécurité et de prestations sociales.

Le fossé entre les plus riches et les plus démunis s’est creusé en Europe, augmentant la méfiance voire le rejet entre les uns et les autres, ce qui fragilise nos sociétés et nourrit le populisme – le Secrétaire Général sortant l’a souligné régulièrement.

Or, c’est en redonnant aux droits sociaux la place qui leur revient et en arrêtant de les considérer comme secondaires que nous parviendrons à traiter ces problèmes. Les sociétés les plus solides sont celles qui encouragent la cohésion sociale, fondée sur un réelle jouissance des droits sociaux et sur la justice sociale !

La Charte sociale nous donne les clés pour agir en ce sens, en se concentrant sur la dignité humaine et en définissant ce que signifie « vivre en dignité » et les moyens d’y parvenir.

La Charte n’est pas la limite, mais bien la base de la construction d’une Europe démocratique dont les droits de l’homme, à la fois les droits civils et politiques et les droits sociaux, sont le socle.

Nous devons donc percevoir la Charte sociale et ses mécanismes de suivi, non pas comme un système destiné à créer un carcan de contraintes pour les Etats, mais bien comme un moteur d’avancées pour tous.

C’est pour cela qu’à Helsinki, au mois de mai, comme le Président des Délégués des Ministres nous l’a rappelé il y a un instant, nos Ministres des Affaires Etrangères ont « réaffirmé l’importance des droits sociaux à travers le continent, et invit[é] les États membres qui ne l'ont pas encore fait à envisager de signer et / ou de ratifier la Charte (…) et son Protocole additionnel prévoyant un système de réclamations collectives ».

C’est aussi dans cet esprit que, sous l’impulsion de la Présidence française du Comité des Ministres, les Délégués des Ministres ont déjà donné le coup d’envoi de leur réflexion sur de possibles mesures inspirées par le rapport du CDDH, afin d’améliorer la protection des droits sociaux en Europe et permettre un meilleur fonctionnement du système de la Charte.

La France et le Portugal, qui selon mes informations pourraient être bientôt rejoints par deux autres Etats membres, ont montré l’exemple en ayant accepté toutes les dispositions de la Charte révisée.

Il faut poursuivre dans cette voie :

En acceptant plus largement la procédure de réclamations collectives qui permet de mieux protéger les droits de tous, en mettant l’accent sur la responsabilité partagée avec les partenaires sociaux et la société civile, pour remédier aux effets pervers des crises et des inégalités.

Mais aussi en travaillant à une mise en œuvre des droits sociaux qui soit plus effective et plus cohérente.

Une mise en œuvre plus effective, c’est le thème de votre deuxième table ronde, qui traitera de trois points qui me semblent absolument essentiels : la formation des juges ; l’amélioration du mécanisme de contrôle de la Charte ; et, enfin, l’appropriation de la Charte par les autorités nationales. Sur le dernier point, la Cour européenne des droits de l’homme appelle cela « bringing the Convention home » ; ici nous pouvons dire : « bringing the Charter home ».

Une mise en œuvre plus cohérente : il s’agit de la question des relations avec d’autres organisations internationales et tout particulièrement de l’Union européenne, dont il est très important que le Socle européen des droits sociaux soit appliqué à la lumière de la Charte. Je suis heureuse que cette question soit aussi à l’ordre du jour de ce séminaire, dans la troisième table ronde.

Mesdames, Messieurs,

Je voudrais conclure sur une note d’optimisme.

N’oublions pas que les bonnes pratiques développées dans tel ou tel pays peuvent, comme l’indique le rapport du CDDH, être une source d’inspiration pour d’autres.

Les bons exemples sont nombreux.

Je citerai notamment les mesures prises dans certains Etats membres pour améliorer les conditions d’accueil des mineurs étrangers non accompagnés et leur traitement juridique.

Ou les réformes menées en vue de faciliter la reconnaissance du changement de l’état civil des transsexuels.

Ou encore l’utilisation de la Charte au niveau de cours constitutionnelles, pour écarter des législations non respectueuses des droits sociaux.

Autant de succès qui peuvent tous nous inspirer pour une mise en œuvre plus effective des droits sociaux, pour plus d’unité et d’égalité dans nos sociétés.

Une ambition qui dépasse les frontières nationales et transcende les divisions partisanes.

Je remercie vivement chacune et chacun d'entre vous d’avoir répondu présent à l’invitation de participer à cette conférence, pour faire en sorte que cette ambition devienne réalité.

Je vous souhaite beaucoup de succès dans vos travaux.