CONSEIL DE L’EUROPE
COMITE DES MINISTRES

Recommandation Rec(2004)15 du Comité des Ministres aux Etats membres
sur la gouvernance électronique (« e-gouvernance »)

(adoptée par le Comité des Ministres le 15 décembre 2004,
lors de leur 909e réunion des Délégués des Ministres)

Le Comité des Ministres, conformément à l’article 15 b du Statut du Conseil de l’Europe,

Considérant que le but du Conseil de l’Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres ;

Conscient du rôle unique que joue le Conseil de l’Europe dans la promotion et la protection de la démocratie ;

Soulignant l’importance du maintien et du renforcement des institutions et des processus démocratiques dans le contexte des opportunités et des défis inhérents à l’émergence rapide de la Société de l’Information ;

Convaincu que les pouvoirs publics nationaux, régionaux et locaux doivent assumer un rôle prépondérant dans l’identification de ces opportunités et défis, et dans la réponse à y apporter, rôle qui implique la mise en œuvre de stratégies globales de gouvernance électronique ;

Reconnaissant les diverses initiatives lancées au sein des Etats membres en matière de gouvernance électronique aux niveaux national, régional et local ;

Notant que le développement et la mise en œuvre de ces initiatives en matière de gouvernance électronique devraient à l’avenir davantage renforcer les droits de l’homme et notamment le droit de chacun d’exprimer, de rechercher, d’obtenir et de communiquer des informations et des idées ;

Convaincu que ces initiatives pourraient contribuer à améliorer les relations entre les pouvoirs publics et les autres acteurs de la société civile, à renforcer la qualité des services publics et à accroître l’efficacité des autorités publiques ;

Conscient des risques potentiels liés, en particulier, à l’usage abusif de données à caractère personnel, au manque d’accès aux technologies de l’information et de la communication (TIC) et aux insuffisances de compétences en informatique de certaines catégories de la population ;

Notant que la gouvernance électronique soulève avant tout des questions relatives à l’exercice démocratique du pouvoir et non pas des questions purement techniques et convaincu par conséquent que les possibilités qu’elle offre ne seront pleinement exploitées que si l’introduction des nouvelles technologies s’accompagne de changements affectant les structures, les méthodes et l’organisation du travail des pouvoirs publics ;

Soulignant que l’élaboration et la diffusion de règles communes de bonne pratique en matière de gouvernance électronique sont indispensables pour partager les savoir-faire acquis dans et entre les différents Etats, pour tirer des enseignements des succès et des difficultés de chacun, ainsi que pour éviter les doubles emplois et les gaspillages de ressources ;

Tenant compte des travaux antérieurs effectués par le Conseil de l’Europe et d’autres organisations intergouvernementales, notamment ceux qui sont énumérés dans l’Exposé des motifs de la présente Recommandation,

Recommande que les Etats membres :

1. Dressent un bilan de leurs politiques, législations et pratiques en matière de gouvernance électronique à la lumière des principes énoncés en annexe à la présente Recommandation.

2. Collaborent avec les acteurs concernés aux niveaux international, national, régional et local, afin d’élaborer une vision commune de la gouvernance électronique qui renforce les droits de l’homme, la démocratie et la prééminence du droit :

– en consolidant les institutions démocratiques à tous les niveaux et en les rendant plus accessibles, transparentes, responsables et attentives ;
– en donnant à tous l’occasion de participer à la prise de décisions, et en contribuant ainsi à rendre la démocratie plus dynamique et plus accessible au plus grand nombre ;
– en améliorant l’administration et les services publics, c’est-à-dire en les rendant plus accessibles, axés sur les usagers, transparents, efficaces et rentables, et en contribuant ainsi à la vitalité économique et culturelle de la société.

3. Elaborent une stratégie de gouvernance électronique qui:

– respecte pleinement les principes et l’organisation interne d’un gouvernement démocratique ;
– améliore l’efficacité des processus démocratiques ;
– élargit la gamme des possibilités offertes aux usagers pour communiquer et pour effectuer des transactions avec le gouvernement, en proposant des modes d’interaction supplémentaires ;
– se fonde sur une approche inclusive et non discriminatoire ;
– associe les usagers aux choix stratégiques et respecte leurs besoins et leurs priorités ;
– offre des garanties de transparence et de durabilité ;
– favorise une approche cohérente et coordonnée, entre les différents secteurs et niveaux de gouvernement ;
– fournit un cadre de partenariat entre les pouvoirs publics, le secteur privé et les autres organisations de la société civile ;
– maintient et renforce la confiance des citoyens dans les processus démocratiques, les pouvoirs publics et les services publics, y compris en protégeant les données à caractère personnel ;
– inclut une évaluation et une gestion sérieuses des risques ;
– permet et améliore l’accès à des infrastructures et à des services appropriés en matière de TIC, qui sont simples et faciles à utiliser ;
– garantit la disponibilité, la sécurité, l’intégrité et l’interopérabilité des systèmes ;
– met en place une politique de TIC fondée sur la neutralité technologique, des normes ouvertes et l’évaluation des possibilités offertes par différents modèles de logiciels, y compris des modèles à code source ouvert ;
– comporte des dispositions favorisant l’éducation et la formation du plus grand nombre, ainsi que des mesures appropriées d’information du public ;
– tient compte des innovations intéressantes au niveau international ;
– prévoit des mécanismes permettant une évaluation et une évolution constantes.

4. Veillent à ce que les principes énoncés dans la présente Recommandation soient appliqués aux autres organisations participant à la prestation de services publics.

5. Diffusent largement la présente Recommandation et son annexe, en les accompagnant si nécessaire d’une traduction.
 

Charge le Secrétariat d’intégrer, lorsque cela se justifie, des aspects de la gouvernance électronique notamment dans les projets du Conseil de l’Europe en faveur de la démocratie et dans les activités de ses bureaux sur le terrain.

Décide de revenir sur la question de la gouvernance électronique deux ans après l’adoption de la présente Recommandation.

Annexe à la Recommandation Rec(2004)15

La présente Recommandation vise à aider les Etats membres à élaborer des stratégies de gouvernance électronique qui permettent d’utiliser efficacement les technologies de l’information et de la communication (TIC) dans les relations entre les pouvoirs publics et la société civile, ainsi qu’au sein des pouvoirs publics, et dans le fonctionnement des pouvoirs publics, dans le cadre de processus démocratiques et de la prestation de services publics.

Aux fins de la présente Recommandation, on entend par « usagers » les individus et les organisations, du secteur public ou du secteur privé, qui utilisent ou souhaitent utiliser des services relevant de la gouvernance électronique.

I. Démocratie électronique

1. Le recours aux TIC dans les processus démocratiques devrait être rendu possible lorsqu’il est considéré comme un moyen efficace :

– de renforcer la participation, l’intervention et l’engagement des citoyens dans la vie publique nationale, régionale et locale ;

– d’améliorer la transparence du processus décisionnel démocratique et le contrôle des institutions démocratiques ;

– d’améliorer la réactivité des pouvoirs publics ;

– de favoriser le débat public et le contrôle du processus décisionnel.

2. Il conviendrait d’utiliser les TIC pour améliorer l’accessibilité des fonctionnaires et des élus et la communication avec eux, et pour favoriser la communication au sein des administrations et entre elles, à tous les échelons.

3. La mise en place de procédures de vote électronique lors des élections et des référendums, à tous les niveaux de gouvernement, en plus des modes de scrutin classiques non électroniques, devrait être envisagée, conformément à la Recommandation Rec(2004)11 du Comité des Ministres.

4. La volonté et la capacité des citoyens à participer en toute confiance aux processus démocratiques par le biais des technologies électroniques devraient être renforcées par une information adéquate et des activités éducatives et d’assistance à tous les niveaux, ainsi que dans le cadre de l’apprentissage de la citoyenneté démocratique. Les médias devraient être encouragés à contribuer de manière active et indépendante à sensibiliser le public et à promouvoir la participation démocratique.

II. Services publics électroniques

5. Le recours aux TIC pour la prestation de services publics devrait être rendu possible lorsqu’il est considéré comme un moyen efficace :

– d’améliorer l’accessibilité générale et pour tous, ainsi que la facilité d’utilisation des services publics ;
– de renforcer la réactivité des services publics aux besoins des usagers ;
– de garantir un accès égal pour tous aux services publics, afin de favoriser la cohesion sociale.

6. Chaque fois que les pouvoirs publics fournissent des informations et des services au public par le biais des TIC,

– il conviendrait de définir clairement les services et les informations disponibles et les modalités de leur obtention ;

– la conception des services électroniques devrait permettre aux usagers de les adapter eux-mêmes à leurs besoins ;

– ils devraient garantir l’exactitude, l’authenticité et la mise à jour des informations, ainsi que la sécurité des services ;

– les informations et les services devraient être aussi intelligibles que possible sous l’angle du contenu, du contexte et de la présentation ;

– les différentes administrations devraient harmoniser l’interface des services et la présentation des informations ;

– il conviendrait de garantir une qualité constante des services et une prestation efficace et ininterrompue, quels que soient le type de services et le mode d’accès (mode traditionnel ou électronique) ;

– les usagers de services électroniques devraient pouvoir bénéficier d’une assistance compétente adaptée à leurs besoins spécifiques.

III. Stratégies de gouvernance électronique

Principales caractéristiques des stratégies de gouvernance électronique
 

7. Les TIC devraient être utilisées, comme support des processus démocratiques et comme moyen de prestation de services publics, parallèlement à d’autres méthodes (accès par divers canaux).

8. Il conviendrait de donner accès aux services de gouvernance électronique par l’intermédiaire de toute une gamme de TIC, chaque fois que cette solution s’avère possible et rentable, à condition que ces TIC soient d’un emploi facile et garantissent l’amélioration de la qualité, de la disponibilité et de l’accessibilité des informations et services.

9. La prestation de services de gouvernance électronique devrait viser à atténuer la fracture numérique en adaptant les technologies afin de les rendre accessibles à toute personne, indépendamment de ses caractéristiques individuelles, sociales ou culturelles et de sa localisation géographique.

10. Il conviendrait de prendre des mesures pour permettre aux personnes handicapées d’utiliser les services électroniques sans que cela représente pour elles un surcoût. Il conviendrait également de mener, auprès des fournisseurs de produits et des prestataires de services, des actions de sensibilisation aux besoins des personnes handicapées.

11. Toute stratégie de gouvernance électronique devrait englober l’étude des dispositions légales applicables, notamment dans des domaines comme l’accès à l’information, l’identification et l’authentification des informations, ainsi que la validité juridique des transactions électroniques.

12. Toute stratégie de gouvernance électronique devrait englober des mesures visant à alléger la charge administrative et réglementaire pesant sur les usagers, en particulier pour le public et l’administration. Il serait aussi envisageable de prévoir des mesures permettant aux usagers de suivre le déroulement des procédures administratives dans lesquelles ils sont engagés.

13. Toute stratégie de gouvernance électronique devrait prévoir des dispositions garantissant l’affectation judicieuse de ressources technologiques, financières et humaines à la mise en place de services de gouvernance électronique et à la création de l’infrastructure technique correspondante, ainsi que la bonne utilisation de ces ressources. Les coûts de la mise en œuvre à court, moyen et long terme devraient être régulièrement évalués.

14. Toute stratégie de gouvernance électronique devrait encourager le lancement d’expériences pilotes et l’essai de prototypes, ainsi que le parrainage des programmes et des projets de gouvernance électronique « de pointe ». Il conviendrait de diffuser les résultats obtenus.

15. Toute stratégie de gouvernance électronique devrait promouvoir la diffusion des bonnes pratiques et des résultats de la recherche aux niveaux national et international.

Principes directeurs relatifs à la mise en œuvre

16. Lors de la conception et de la mise en place de services de gouvernance électronique, il conviendrait d’analyser – et éventuellement de repenser – la prestation de services et les procédures administratives.

17. Il conviendrait d’évaluer régulièrement les risques associés à l’utilisation des TIC dans les processus démocratiques et la prestation de services publics (en particulier les risques liés à des utilisations ou des modifications non autorisées), et de mettre en œuvre des stratégies de prévention et de gestion de ces risques. Les usagers devraient être clairement informés de ces risques et des mesures prises pour les réduire.

18. Dans le but de protéger le droit de toute personne au respect de sa vie privée, tout traitement de données personnelles, en particulier lors de la conception des services segmentés ou adaptables par les usagers, devrait être conforme aux exigences de la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (STE no 108). Il conviendrait de fournir aux usagers toutes les informations nécessaires à leur participation effective et au plein exercice de leurs droits.

19. Toute stratégie de gouvernance électronique devrait comporter un système de gestion de la qualité visant à améliorer les services publics électroniques, à faire augmenter en permanence le degré de satisfaction des usagers, et à remédier aux dysfonctionnements éventuels.

20. Toute stratégie de gouvernance électronique devrait comprendre des campagnes de promotion des programmes et des projets concernés, qui utilisent divers moyens de communication, électroniques et traditionnels.

21. Les méthodes d’authentification utilisées dans les applications de gouvernance électronique devraient correspondre aux niveaux de confidentialité et de sécurité requis.

22. Il conviendrait de mettre en place une infrastructure propre à garantir en toute circonstance le respect de la vie privée, ainsi que la confidentialité et la fiabilité des données à caractère personnel.

Création de conditions propices aux stratégies de gouvernance électronique

23. Il conviendrait de promouvoir la maîtrise des TIC par toutes les catégories de la population dans le cadre de l’apprentissage tout au long de la vie. Les médias devraient être encouragés à contribuer activement au développement de ces compétences.

24. Les fonctionnaires et les élus devraient se voir proposer une formation concernant les aspects pertinents de l’utilisation, de la gestion et de la prestation de services de gouvernance électronique.

25. Il conviendrait de mettre à la disposition du public, à un coût abordable, des bornes d’accès aux services de gouvernance électronique.

26. Les Etats devraient envisager de créer un organisme national spécialement chargé des questions relatives à la gouvernance électronique, ou de confier ces tâches à des organismes existants.
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