''Les migrants dans nos sociétés: Quelles politiques au 21e siècle''- Conférence des ministres responsables des questions de migration - Helsinki (Finlande), 16 - 17 septembre 2002

«Plaçons les pièces du puzzle des migrations à leur place »  

Walter Schwimmer, Secrétaire Général du Conseil de l'Europe

 

Vos Excellences,

Mesdames et Messieurs,

J'ai eu le plaisir de rencontrer certains d'entre vous il y a quelques mois, le 22 mai à Bratislava, lors de la Conférence ministérielle sur la Sécurité sociale. Cette conférence avait pour thème, vous vous en souvenez, les "Incidences des migrations de main-d'œuvre sur les régimes de sécurité sociale des pays européens". Mais pouvait-on discuter de quoi que ce soit d'autre à un moment où les gros titres de la presse, voire l'ordre du jour politique de la plupart des pays européens étaient dominés par la ‘question des migrations’ ?

Nous sommes à Helsinki aujourd'hui pour discuter d'un sujet étroitement lié aux résultats de la Conférence de Bratislava et figurant en bonne place à l'ordre du jour du Conseil de l'Europe : Les migrants dans nos sociétés : quels choix politiques sommes-nous prêts à faire au vingt-et-unième siècle?

Il ressort des données rassemblées par le Conseil de l'Europe et Eurostat que dans l'Union européenne, le solde migratoire représente environ les trois quarts de l'accroissement démographique enregistré en 2001 et dans nos sociétés vieillissantes, un accroissement démographique s'impose. D'autre part, tout indique que l'immigration massive parfois décrite comme un "fléau" est purement et simplement un mythe.

Les flux migratoires en direction de l'Europe ne se renverseront sûrement pas, et il existe un consensus - réitéré à Bratislava - pour dire que les pays concernés trouvent dans l'immigration un avantage économique et culturel.

Cela étant dit,

Quelques jours après le Sommet de Johannesburg, au cours duquel nous avons déclaré avec force que le développement durable et la lutte contre la pauvreté sont une question de droits de l'homme, êtes-vous en mesure de refuser aux immigrés les droits de l'homme dont jouissent vos concitoyens ? Je suis certain que non. Au contraire, aujourd'hui plus que jamais, ce sont les principes de tolérance et de non-discrimination et les dispositions des Conventions de Genève qui doivent guider notre action dans le domaine de l'immigration.

Notre force, et ce qui caractérise le Conseil de l'Europe, c'est de nous assurer que les droits de l'homme et la dignité des immigrés soient respectés. Essayons de consacrer notre attention à la personne, à l'individu qui est si souvent oublié dans le débat sur l'"immigration". En ce qui concerne l'immigré, les mots-clés ne sont pas la "préservation de l'État-providence", ce sont la détresse socio-économique et, trop souvent, la persécution, la guerre, la violation des droits de l'homme ainsi que les conflits politiques, ethniques et religieux. Dans un monde dominé par l'inégalité, tous les murs, tous les barbelés, tous les moyens de surveillance électronique n'ont qu'une utilité restreinte, comme on peut le voir à Sangatte. Jamais un mur n'a empêché quelqu'un d'aspirer à une vie meilleure et d'émigrer pour tenter de réaliser son rêve.

Quelles mesures sommes-nous décidés à prendre pour faire de l'Europe une région d'immigration respectueuse des droits de l'homme de chaque personne vivant sur son sol ? Comment régler la situation schizophrène de ces pays qui cherchent désespérément à l'étranger des professionnels hautement qualifiés tout en renforçant les contrôles à leurs frontières et les mesures de sécurité qui y sont prises ?

La gestion des migrations, régulières ou irrégulières, est un défi politique. Je suis persuadé qu'une mise en œuvre réfléchie et concertée - au niveau national - de la stratégie du Conseil de l'Europe pour la gestion des migrations, adoptée en 2000, aurait pour effet non seulement d'apporter une contribution positive au Processus de Barcelone dans le domaine des migrations, mais aussi de prévenir d'éventuelles difficultés aux frontières orientales, facilitant ainsi l'adhésion à l'Union européenne de certains États membres du Conseil.

Je voudrais rappeler ceci. La stratégie que vous avez demandé au Comité européen des migrations d'élaborer à votre intention souligne que la protection des droits de l'homme individuels est à la base même de toute gestion des migrations. Elle soutient vivement les mesures visant à intégrer les populations étrangères, tout en reconnaissant que l'intégration est un processus à double sens. Au cœur de cette stratégie se trouve la conviction que beaucoup des problèmes de migration qui se posent aux gouvernements tiennent à une approche au coup par coup de certaines questions telles que l'économie, l'asile, l'illégalité ou le retour. Or, cette approche n'est plus tenable. La stratégie de gestion doit être perçue comme un tout et s'appliquer sur le long terme. Les mesures nécessaires sont à prendre toutes ensemble, faute de quoi l'on se bornera à répéter les erreurs du passé, et une action prise dans un sens ne servira qu'à créer de nouveaux problèmes dans un autre sens. On ne peut plus éviter de se demander si les pays sont capables ou non d'élaborer leurs propres politiques intégrées et de les harmoniser avec celles d'autres pays. La nouvelle méthode de gestion que propose cette stratégie profitera aux pays de départ, de transit ou d'accueil ainsi qu'à leurs ressortissants.

Nous sommes tous conscients que les migrations internationales ont une incidence sur la qualité des relations internationales. C'est pourquoi il importe au plus haut point de les inscrire à l'ordre du jour politique commun des États d'origine, de transit et de destination. Vous devez vous occuper ensemble de questions telles que les droits de l'homme, la coopération technique bilatérale, l'immigration irrégulière et les obstacles au retour. Ce dialogue débouchera sur la mise en place de structures de coopération efficaces. Dès lors, un climat de confiance mutuelle et de compréhension permettra aux parties de négocier sur un pied d'égalité. J'ai personnellement une grande confiance dans la cogestion pour ce qui est des migrations.

Vous avez chargé vos experts d'élaborer cette stratégie. Vous l'avez adoptée au sein du CDMG. Ne croyez-vous pas qu'il est grand temps de la mettre en œuvre ?

À mon avis, le moment est venu de créer, en liaison étroite avec le Comité des Ministres, l'Assemblée parlementaire et le Congrès, une structure qui facilitera ou, au besoin, suscitera le dialogue entre les pays de départ, les pays de transit et les pays d'accueil. Cette structure promouvrait activement la coordination avec les ministères et les organisations non gouvernementales des pays concernés et instaurerait une coopération visant à lutter contre les causes économiques, politiques et sociologiques de l'immigration (irrégulière). Elle analyserait des questions présentant un intérêt pour les États membres en vue d'assister ceux-ci dans leurs décisions politiques et préconiserait des mesures et une législation novatrices. Elle aurait pour tâche également d'aider à mettre en œuvre la stratégie au niveau national, puis de suivre les progrès accomplis.

Les éléments de cette nouvelle structure existent déjà, mais agissent séparément ; or, je suis certain que le fait de les y rassembler créerait un synergie entre eux et jetterait un nouvel éclairage sur chacun, comme si l'on achevait de mettre en place les pièces du puzzle des migrations. Passons ces éléments en revue :

Il existe un puissant motif de croire que la coopération intergouvernementale sera beaucoup plus efficace si l'on accorde une attention soutenue à la collecte et à l'échange de données et de statistiques sur les flux migratoires internationaux. La communauté internationale ne peut guère se contenter plus longtemps d'estimations et d'ordres de grandeur généralement vagues, et elle aura grand avantage à élaborer des bases de données fiables. Au sein de cette nouvelle structure, et en coopération avec Eurostat ainsi que d'autres institutions internationales, le Conseil de l'Europe concevra de nouveaux outils pour améliorer la collecte et l'analyse des données relatives aux migrations.

Maintenant que nous devrions, semble-t-il, consacrer tous nos efforts à écarter la menace d'une immigration irrégulière massive, puis-je vous demander si vous êtes encore disposés à élaborer de meilleures politiques d'intégration à l'intention des immigrés résidant légalement sur vos territoires ?

Je vous suggère de répondre : oui, assurément, et aujourd'hui plus que jamais. Comme je l'ai dit tout à l'heure, l'intégration est l'un des piliers d'une politique de gestion exhaustive. Elle ajoute une pièce essentielle à notre puzzle. On doit la percevoir comme un processus interactif basé sur une volonté d'adaptation mutuelle des immigrés et de la société qui les accueille. Tout au long de ce processus et dans chaque domaine de la vie en société, la diversité doit s'apprécier comme étant une source d'enrichissement mutuel. Là est l'essence même de la nouvelle et rafraîchissante notion exposée dans notre rapport sur la Diversité et la Cohésion, qui suggère comment élaborer des politiques d'intégration novatrices au niveau national. Ce rapport a été traduit dans de nombreuses langues, grâce à l'intérêt que lui ont témoigné vos autorités ; je vous recommande vivement de lui donner la plus large diffusion possible et d'en suivre de près l'application au moyen de la liste de vérification qui figure dans le "Cadre pour les politiques d'intégration" publié en même temps.

Un autre élément du puzzle est la Convention du Conseil de l'Europe relative au statut juridique du travailleur migrant. Cet instrument, qui a pour but de compléter la protection offerte par la Convention européenne des Droits de l'Homme et la Charte sociale européenne, repose sur le principe d'égalité de traitement entre les travailleurs immigrés et les ressortissants du pays d'accueil. Après quelques années où il n'était guère question d'elle, la situation des travailleurs migrants originaires de pays d'Europe centrale et orientale pourrait jeter une lumière nouvelle sur ce texte et le rendre intéressant pour certains de vos pays. La convention dont je parle représente en effet un pas en avant dans l'intégration européenne, puisqu'elle facilite les négociations avec les pays membres de l'Union européenne.

Avec la Convention de sécurité sociale (STE N° 78), elle constitue un "paquet" de dispositions juridiques couvrant les droits sociaux des immigrés : permis de séjour et de travail, regroupement familial, logement, conditions de travail, transfert des économies, sécurité sociale, assistance sociale et médicale, expiration du contrat de travail, licenciement et ré-emploi, préparation du retour dans le pays d'origine. Je suis heureux de vous informer que la Moldova l'a signée en juillet, et j'adresse un pressant appel aux États membres qui ne l'ont pas encore fait - notamment ceux dont l'adhésion à l'Union européenne n'est pas à l'ordre du jour - pour qu'ils suivent l'exemple de la Moldova en signant et ratifiant cet instrument juridique. Mon appel prend appui sur les engagements de la rencontre d'Athènes, durant laquelle l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe se sont entendus pour lancer une campagne de promotion de ladite convention.

Je compte beaucoup aussi sur le partenariat établi entre la Banque de développement du Conseil de l'Europe et la Direction générale de la cohésion sociale pour permettre d'élaborer des projets tendant à promouvoir l'intégration des immigrés, de fournir une assistance d'urgence au titre des droits de l'homme dans les centres de transit réservés aux personnes attendant leur expulsion, enfin - dans le droit fil des priorités statutaires de la Banque - de réaliser des projets visant à aider les immigrés qui le souhaitent à rentrer dans leur pays et à s'y réinstaller. M. Güvenen, continuons à travailler ensemble !

J'ai gardé pour la fin l'évocation d'un élément crucial de toute stratégie pilotée à partir de Strasbourg : la coopération étroite et fructueuse avec l'Union européenne. Nous sommes décidés à renforcer notre action commune avec celle-ci afin de transmettre notre message commun par l'intermédiaire des programmes MEDA pour le Sud et TACIS pour l'Est. Je me tourne à présent vers le représentant du Commissaire Vitorino pour lui dire que je suis prêt à discuter d'actions communes dans le cadre des réunions quadripartites.

Bien entendu, ce qui sera dit ici jettera les bases de nos travaux des années à venir. On s'y référera particulièrement dans les travaux préparatoires d'une convention contre le trafic et l'exploitation d'êtres humains. C'est l'une des raisons pour lesquelles j'attache tant d'importance à cette conférence ; j'en suivrai la rédaction pour veiller à ce qu'il soit dûment tenu compte, dans son texte, de la situation des immigrés en situation irrégulière, et je compte sur vous - par l'intermédiaire du Comité européen des migrations - pour prendre une part active à cette tâche.

Avant que la parole ne soit donnée à nos éminents invités, je voudrais rappeler les éléments importants de mon projet de plan d'action pour les années à venir :

Nous avons une stratégie pour la cogestion ordonnée des migrations, nous voulons l'appliquer et nous en avons les moyens :

grâce à l'orientation donnée par notre politique d'intégration des immigrés et des minorités, ainsi qu'à nos conventions ;

à l'aide des outils statistiques et des instruments de mesure que nous sommes en mesure de concevoir ;

avec le soutien de la Banque de développement ;

par le renforcement de nos actions communes avec l'Union européenne.

Toutes les pièces du puzzle en main, relevons le défi de la cohérence et appliquons la Stratégie pour la cogestion ordonnée des migrations.

Pour finir, je vous annonce que nous sommes en train d’examiner la tenue d’un Troisième Sommet du Conseil de l’Europe et que j’ai déjà proposé que les migrations soient un des grands thèmes de ce Sommet.

J'ai la conviction que vous profiterez de cette conférence organisée sur le sol finlandais pour vous remémorer l'esprit qui régnait à Tampere en 1999, et je vous souhaite beaucoup de succès pendant votre séjour à Helsinki !