''Les migrants dans nos sociétés: Quelles politiques au 21e siècle''- Conférence des ministres responsables des questions de migration - Helsinki (Finlande), 16 - 17 septembre 2002

Déclaration de Tarja Filatov, Ministre finlandais du Travail

16 septembre 2002

 

Le thème de la Septième Conférence des Ministres responsables des Migrations du Conseil de l’Europe, "Les Migrants dans nos sociétés : quelles politiques au 21e", est un grand défi pour l’Europe tout entière et pour la coopération entre les pays européens dont on doit attendre un apport plus grand qu’auparavant en ce qui concerne la politique d’immigration et le développement des relations ethniques dans nos sociétés. Le Conseil de l’Europe est aujourd’hui notre maison commune européenne, car pratiquement tous les pays d’Europe en sont membres. Il est naturel que nous nous efforcions de développer ensemble de bonnes pratiques durables respectueuses de l’homme dans nos pays et dans notre Europe commune. L’Europe doit en outre donner une dimension mondiale à sa participation et à son influence et promouvoir les droits de l’homme, les droits sociaux et les bons rapports ethniques également à l’extérieur de l’Europe.

C’est un grand honneur pour moi de présenter dans cette conférence, en tant que représentante du gouvernement finlandais, nos vues nationales et d’examiner également la politique d’immigration du point de vue européen et mondial. Cette conférence se tient au moment où l’Europe opère une grande transformation à laquelle se rattachent la mondialisation et ses effets actuels et à venir sur les droits de l’homme et sur les flux migratoires. L’internationalisation, la libération des flux de capitaux, le lien croissant de la technologie avec les relations commerciales et autres relations entre les Etats, l’aspect de la politique démographique, les violations des droits de l’homme, la détresse sociale et la distribution inégale des ressources mondiales maintiennent les flux migratoires. Aucun Etat ne pourra seul contrôler la situation. Des mesures européennes en faveur des droits de l’homme, des droits sociaux et des droits culturels globaux seront nécessaires. Les solutions adoptées dans un seul secteur politique ne suffiront pas à couvrir l’étendue des besoins et à construire un meilleur avenir. Le grand défi politique à relever est celui de la maîtrise de l’ensemble des secteurs en considération des besoins de l’homme. Cela nécessite une plus grande prise de responsabilité et un plus grand partage des responsabilités. Les constitutions des pays européens que je connais mettent en lumière non seulement le bien national, mais également une responsabilité plus étendue du pays en tant que partie de l’humanité. Le Conseil de l’Europe a pour mission d’apporter son soutien à ces aspirations.

Il ne suffit pas d’examiner l’immigration au niveau européen. On vient en Europe et on en part et on se déplace à l’intérieur de l’Europe. Il n’est pratiquement aucun pays européen où les personnes ne circulent pas librement. Les deux thèmes principaux de cette conférence sont : Les défis de la politique d’intégration et les défis politiques de la gestion des migrations. La migration est un facteur qui réunit les pays et les cultures, bien que les facteurs de séparation et les perspectives menaçantes dominent le débat et influent sur les mesures à prendre. La migration signifie également la rencontre de différents mondes. On oublie souvent qu’il s’agit de personnes, qu’il s’agisse de main-d’œuvre ou de travailleurs immigrés ou de réfugiés.

L’ensemble des migrations comprend aussi bien les migrations contrôlées et prévues que les migrations forcées provoquées par les sociétés des pays d’origine. Les flux migratoires sont influencés tant par les facteurs d’attraction du pays d’accueil que les conditions sociales du pays d’origine et les différences de niveau de vie entre les pays. Les liens que l’immigrant a dans son nouveau pays ont également une très grande importance. Ces liens peuvent être des proches, des parents, des amis ou des connaissances. Les ponts établis par les réseaux qui lient les personnes ne doivent être ni oubliés ni sous-estimés lorsqu’on traite des flux migratoires.

Le débat récent sur la politique d’immigration a été dominé en Finlande par les questions relatives au vieillissement de notre population et à l’épuisement des ressources de main-d’œuvre ainsi que par la recherche de bonnes mesures. La structure actuelle des âges en ce qui concerne la main-d’œuvre conduira pratiquement dans l’Europe entière à ce que les départs de la vie active excéderont les entrées sur le marché du travail. Le taux des prestations sociales de la population finlandaise tout comme de celles de l’EEE se déséquilibre rapidement. Les grandes classes d’âge qui forment la ressource principale du marché du travail et du développement finlandais seront entièrement à la retraite en 2010. Cela signifie que la moitié des effectifs actuels du secteur public seront alors retraités. Le secteur communal aura besoin avant la fin de cette décennie d’environ 160 000 nouveaux employés. La main-d’œuvre devra également être renouvelée dans l’industrie, les services, le bâtiment et les transports. Cette évolution a-t-elle pu être suffisamment prise en considération dans les prévisions relatives à la formation et la détermination des centres de gravité ? Cette question et ses solutions concernent l’Europe tout entière. La situation actuelle conduira à une lutte de plus en plus dure vis-à-vis de certains groupes professionnels au niveau européen et même au-delà, car les Etats-Unis, le Canada et l’Océanie y sont également impliqués. Une lutte pour le personnel de la santé publique, par exemple, est déjà en cours en Europe. On estime que les personnes de plus de 65 ans auront en moyenne besoin de quatre fois plus de services de santé publique et de soins que la moyenne de la population et les personnes de plus de 75 ans en moyenne de huit fois plus de ces services que la moyenne de la population.

La Finlande aura comme l’Europe besoin d’une politique d’immigration globale et de dirigeants qui s’y engagent. Le centre de gravité de la politique active d’immigration devra porter sur les mesures qui permettront d’assurer les besoins de main-d’œuvre pour la seconde partie de cette décennie et les années 2010. Ces mesures ont toutefois un effet lent. La main-d’œuvre dont nous aurons besoin en 2010 est déjà à l’école et la main-d’œuvre dont nous aurons besoin en 2020 est déjà née. C’est un grand défi pour la formation et l’orientation professionnelle. De nouveaux modèles permettant de remplacer l’immigration traditionnelle sont également créés sur le marché du travail. Parmi ces modèles, le travail transfrontalier s’accroît. Il en est beaucoup d’exemples en Europe. Les détroits danois sont quotidiennement traversés par des personnes qui vont travailler dans un pays voisin, mais qui ne s’y établissent pas. De tels systèmes de travail sont très pratiqués entre l’Autriche et la Hongrie. Le mouvement pendulaire hebdomadaire est habituel entre la région d’Oslo et la Suède.

En planifiant et en élaborant la politique d’immigration, nous ne devons pas oublier les immigrés et les minorités ethniques défavorisées qui se trouvent déjà dans nos pays. Il est possible de faire entrer ces ressources humaines dans la vie active à l’aide de mesures de formation et d’autres ensembles de mesures et ainsi de les sortir de l’exclusion dont ils souffrent dans nos sociétés. Une bonne politique d’immigration demande également des mesures actives et ininterrompues visant à améliorer les rapports ethniques et à combattre efficacement la discrimination ethnique. La politique d’intégration s’y implique également. Pour que l’intégration des immigrés réussisse, la population de souche doit également s’intégrer à une société plus diversifiée. Les immigrés doivent avoir non seulement des droits mais également des devoirs. Nous devons trouver un équilibre entre les droits et les devoirs pour pouvoir faire de la diversité de nos sociétés une valeur ajoutée. L’intégration des immigrés et des minorités ethniques dans nos sociétés peut-elle réussir s’ils ne sont pas en interaction dans leur milieu et au niveau local avec la population de souche et avec les organisations et les collectivités de celle-ci ? C’est une des questions auxquelles nous devons pouvoir donner une bonne réponse.

Il est indispensable pour l’avenir commun de l’Europe de créer les conditions requises par une bonne politique d’immigration en vue des besoins nationaux et communs de la seconde partie de cette décennie et de la décennie suivante. La capacité d’utiliser efficacement les réserves de main-d’œuvre nationales existantes fait partie intégrante d’une bonne politique d’immigration. L’orientation des jeunes immigrés de la deuxième ou de la troisième génération vers une formation qui leur donne accès à des professions et des tâches nécessitant un savoir-faire multiculturel en fait partie. Outre les immigrés et les minorités défavorisées, un grand nombre de handicapés sont exclus du marché du travail bien qu’ils puissent pour la plupart être intégrés dans la vie professionnelle par de petites mesures. Nous ne pouvons pas non plus accepter l’âgisme qui apparaît dans la vie active. Si les pays commencent à rechercher activement de la main-d’œuvre à l’étranger et laissent des immigrés qui se trouvent déjà dans le pays sans travail, le racisme et la discrimination ethnique pourraient augmenter. Cela pourrait se refléter dans le comportement politique des électeurs et renforcer les tendances racistes, comme nous avons pu le constater en Europe.

L’une des conditions essentielles d’une bonne politique est de favoriser de bonnes relations ethniques et l’interaction entre la population de souche et les immigrés ainsi que les minorités traditionnelles. Ne pas prendre ou repousser sine die les mesures dont la nécessité est connue réduit nos possibilités de trouver un bon équilibre entre les emplois et le main-d’œuvre dans un proche avenir. Nous devons également souligner la nécessité d’assurer le contrôle des emplois et de respecter les conditions d’emploi approuvées et la législation du travail. Nous devons pouvoir empêcher, dès le début, l’apparition d’un marché de travail double qui exploite les immigrés illégaux. La Finlande est une société hautement syndiquée. Plus la politique d’immigration et le marché du travail se rapprochent, plus l’importance de la position des partenaires sociaux à l’égard de la politique d’immigration augmente. L’engagement des partenaires sociaux dans le développement de la politique d’immigration en coopération avec l’Etat est important.

Le flux migratoire dirigé notamment vers l’Europe occidentale tend depuis les années 1970 à être dû à des raisons humanitaires tandis qu’il était dû auparavant à des raisons professionnelles. Les migrations pour des raisons professionnelles sont actuellement en augmentation. Cela ne devrait toutefois pas se traduire par la diminution des mesures humanitaires. L’Europe peut, au moyen de mesures et de manifestations communes, influer sur le reste du monde et renforcer le respect des droits de l’homme là où ils sont piétinés. Je crois que ce nouveau millénaire pourra être le millénaire des droits de l’homme et je pense que l’Europe pourra agir en ce sens avec une volonté et des forces communes. Cette action serait alignée sur les objectifs du Conseil de l’Europe.

Nous savons que les programmes et les déclarations sont souvent très éloignés des bonnes pratiques. Nous savons aussi que nous pouvons réduire cette distance et qu’un bon développement est possible, mais que le processus sera long. Cette Conférence des Ministres responsables des Migrations du Conseil de l’Europe adoptera demain un acte final et rédigera une déclaration importante qui permettra, je le pense, de renforcer nos aspirations communes et de nous guider au niveau tant national qu’européen pour parvenir à cultiver de bons et durables rapports ethniques et à établir une interaction. L’Europe est une partie diversifiée du monde. En tenant compte de son passé, l’Europe doit assurer la réussite de son avenir commun.