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QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE Y.F. c. TURQUIE

(Requête no 24209/94)

ARRÊT

STRASBOURG

22 juillet 2003

DÉFINITIF

22/10/2003

En l'affaire Y.F. c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

    Sir Nicolas Bratza, président,
    M. M. Pellonpää,
    Mme V. Strážnická,
    MM. R. Maruste,
    S. Pavlovschi,
    L. Garlicki, juges,
    F. Gölcüklü, juge ad hoc,
    et de M. M. O'Boyle, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er juillet 2003,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 24209/94) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Y.F. (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme le 13 mai 1994 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant, qui avait été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, était représenté par Me S. Tanrıkulu, avocat au barreau de Diyarbakır. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n'a pas désigné d'agent aux fins de la procédure devant la Cour. Le président de la chambre a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 3 du règlement).
3.  Invoquant l'article 8 de la Convention, le requérant alléguait la violation du droit de son épouse au respect de sa vie privée à raison de l'examen gynécologique auquel elle avait été contrainte de se soumettre.
4.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 dudit Protocole).
5.  Elle a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement. A la suite du déport de M. R. Türmen, juge élu au titre de la Turquie (article 28 du règlement), le Gouvernement a désigné M. F. Gölcüklü pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement).
6.  Par une décision du 29 février 2000, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.
7.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement). Après consultation des parties, la chambre a décidé qu'il n'y avait pas lieu de tenir une audience consacrée au fond de l'affaire (article 59 § 2 in fine du règlement).
8.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête est ainsi échue à la quatrième section telle que remaniée.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
9.  Le requérant est né en 1951 et réside à Bingöl.
10.  Le 15 octobre 1993, l'intéressé et, deux jours plus tard, sa femme, Mme N.F., furent placés en garde à vue à Bingöl, au motif qu'ils étaient soupçonnés d'aide et d'assistance au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), une organisation terroriste illégale.
11.  Mme F. fut maintenue en garde à vue durant quatre jours, pendant lesquels on l'aurait laissée les yeux bandés. Les policiers l'auraient frappée avec des matraques, insultée et menacée de viol.
12.  Le 20 octobre 1993, après sa garde à vue, Mme F. fut examinée par un médecin, qui indiqua qu'elle ne présentait sur le corps aucune trace de mauvais traitements. Le même jour, elle fut emmenée chez un gynécologue pour un autre examen. La police demanda au médecin de préciser dans son rapport si l'intéressée avait eu des rapports sexuels avec pénétration vaginale ou anale durant sa garde à vue. Malgré le refus de Mme F., les policiers la contraignirent à subir un examen gynécologique. Ils restèrent sur place pendant qu'elle était examinée derrière un rideau. Le médecin rapporta qu'elle n'avait pas eu de rapports sexuels les jours précédant l'examen.
13.  Le même jour, Mme F. fut conduite au parquet de Bingöl, où elle se plaignit de son examen gynécologique forcé. Le procureur ne consigna pas sa plainte et ordonna sa libération.
14.  Le 28 octobre 1993, le procureur près la cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakır inculpa le requérant et son épouse d'aide et d'assistance à des membres du PKK.
15.  Le 23 mars 1994, la cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakır relaxa les intéressés, faute de preuves.
16.  Le 9 février 1995, le requérant et sa femme se plaignirent au procureur de Bingöl des mauvais traitements subis au cours de leur garde à vue et du fait que Mme F. avait dû se soumettre à un examen gynécologique contre son gré.
17.  Les policiers réfutèrent les allégations dans leurs dépositions devant le procureur de Bingöl. Ils déclarèrent que l'examen gynécologique avait été nécessaire pour déterminer si Mme F. avait fait l'objet de violences sexuelles durant sa garde à vue. Ils soutinrent en outre que l'examen avait été pratiqué avec le consentement de l'intéressée.
18.  Le 5 octobre 1995, le procureur de Bingöl décida de ne pas poursuivre les policiers, faute de preuves. Le requérant et sa femme interjetèrent appel.
19.  Le 29 novembre 1995, la cour d'assises de Muş infirma la décision du procureur au motif que les pièces du dossier d'enquête n'avaient pas fait l'objet d'un examen suffisant.
20.  Le 19 décembre 1995, le procureur de Bingöl inculpa trois policiers, notamment pour avoir porté atteinte à la vie privée de Mme F. en la forçant à se soumettre à un examen gynécologique.
21.  Le 16 mai 1996, la cour d'assises de Bingöl acquitta les policiers au motif que les plaignants n'avaient pas fourni de preuves convaincantes et suffisantes à l'appui de leurs allégations. Elle déclara que les policiers n'avaient nullement eu l'intention de soumettre l'épouse du requérant à un traitement dégradant et humiliant en lui faisant subir un examen gynécologique, mais avaient tenté de se protéger contre une éventuelle accusation de viol. Le requérant et sa femme formèrent un recours.
22.  Le 7 mai 1997, la Cour de cassation confirma l'arrêt de la cour d'assises de Bingöl.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
23.  Le droit à l'intégrité physique est protégé par la Constitution. L'article 17 § 2 est ainsi libellé :

    « Toute atteinte à l'intégrité physique est interdite, sauf en cas de nécessité médicale et dans les circonstances prévues par la loi ; les êtres humains ne peuvent être soumis à des expériences scientifiques ou médicales. »

24.  L'article 66 du code de procédure pénale, qui prévoit une exception à cette disposition, énonce :

    « (...)
    Au cours de l'instruction préliminaire, des examens médicaux peuvent être effectués à la demande du procureur. »

25.  L'article 1 du règlement du 13 août 1999, qui porte modification de l'article 8 du règlement du 1er octobre 1998 sur l'arrestation, la garde à vue et l'interrogatoire de suspects, dispose que les personnes en état d'arrestation sont soumises à une fouille à corps avant d'être placées en garde à vue. Les fouilles corporelles sur les personnes de sexe féminin doivent être pratiquées par une femme policier ou une autre femme chargée de ces investigations.
26.  D'après la circulaire no 2000/93, qui a été émise par le ministère de la Justice le 20 septembre 2000 et a abrogé les circulaires nos 6058, 6065, 6068, 6070 et 6090, le personnel médical doit respecter les droits et libertés fondamentaux de l'homme ainsi que les règles relatives à la protection de la vie privée lorsqu'il procède à des examens et contrôles médicaux. Le médecin doit voir le patient en personne et l'ausculter, et ne pas s'appuyer sur les déclarations de tiers dans son rapport.
Les examens médicaux doivent être effectués dans des conditions appropriées, hors de l'écoute et de la vue des membres des forces de l'ordre. Les personnes tenues de se soumettre à un examen médical doivent être auscultées dans des locaux où seul le personnel médical est admis et se déshabiller pour se préparer à l'examen après avoir reçu les informations nécessaires.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
27.  Le requérant allègue que l'examen gynécologique auquel sa femme a été contrainte de se soumettre a emporté violation de l'article 8 de la Convention, dont le passage pertinent est ainsi libellé :

    « 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...)
    2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

28.  Le Gouvernement conteste cette allégation.

    A.  Sur l'existence d'une ingérence dans l'exercice par l'épouse du requérant des droits garantis par l'article 8

      1.  Arguments des parties
      a)  Le requérant

29.  Le requérant allègue que sa femme a fait l'objet d'un examen gynécologique contre sa volonté. Il dénonce une ingérence injustifiée dans l'exercice par l'intéressée de son droit au respect de sa vie privée, au sens de l'article 8 de la Convention.

      b)  Le Gouvernement

30.  Le Gouvernement soutient que l'examen gynécologique a été pratiqué avec le consentement du requérant et de son épouse. Selon lui, celle-ci a reçu les explications voulues avant l'examen et elle aurait pu refuser de s'y soumettre. Etant donné qu'elle ne s'est pas opposée à l'examen et que celui-ci n'a pas pu être effectué sans son accord, il y a lieu de considérer qu'elle y a consenti.

      2.  Appréciation de la Cour

31.  La Cour note d'emblée que le Gouvernement n'a contesté, à aucun stade de la procédure, la possibilité pour le requérant de se plaindre au nom de sa femme. A cet égard, elle rappelle qu'il est loisible au requérant, en tant que proche de la victime, de soulever un grief concernant les violations alléguées de la Convention formulées par son épouse, compte tenu en particulier de la situation vulnérable dans laquelle elle s'est trouvée dans les circonstances particulières de l'espèce (İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 55, CEDH 2000-VII). En conséquence, la Cour est appelée à examiner s'il y a eu une « ingérence » dans l'exercice par la femme du requérant de ses droits au titre de l'article 8 de la Convention à raison de l'examen gynécologique qu'elle aurait subi contre sa volonté.
32.  Il ne prête pas à controverse entre les parties qu'un médecin a procédé à un examen gynécologique sur la femme du requérant à la suite de sa garde à vue. Toutefois, des versions contradictoires ont été présentées à la Cour sur le point de savoir si cet examen a été pratiqué ou non avec le consentement de l'intéressée.
33.  La Cour observe que l'article 8 s'applique à l'évidence à ces griefs : ils se rapportent à un domaine relevant de la « vie privée », notion qui recouvre l'intégrité physique et morale de la personne (X et Y c. Pays-Bas, arrêt du 26 mars 1985, série A no 91, p. 11, § 22). Elle rappelle à cet égard que le corps d'une personne représente l'aspect le plus intime de la vie privée. Ainsi, une intervention médicale forcée, même mineure, constitue une ingérence dans l'exercice des droits au respect de la vie privée (X c. Autriche, no 8278/78, décision de la Commission du 13 décembre 1979, Décisions et rapports (DR) 18, p. 157, Acmanne et autres c. Belgique, no 10435/83, décision de la Commission du 10 décembre 1984, DR 40, p. 251).
34.  La Cour relève que l'épouse du requérant s'est plainte aux autorités d'avoir été contrainte de se soumettre à un examen gynécologique (paragraphe 16 ci-dessus). Le Gouvernement quant à lui soutient qu'il était impossible d'effectuer un tel examen sans le consentement de Mme F. ; celle-ci aurait pu s'y opposer lorsqu'elle a été amenée dans la salle de consultation du médecin. La Cour estime toutefois que, dans les circonstances de l'espèce, on ne pouvait s'attendre à ce que la femme du requérant résistât à un tel examen, eu égard à sa vulnérabilité alors qu'elle se trouvait aux mains des autorités qui ont exercé un contrôle total sur elle tout au long de sa détention (voir, mutatis mutandis, Tomasi c. France, arrêt du 27 août 1992, série A no 241-A, pp. 41-42, §§ 113-115).
35.  Il y a donc eu une « ingérence d'une autorité publique » dans l'exercice par la femme du requérant de son droit au respect de sa vie privée.
36.  Pareille ingérence enfreint l'article 8 de la Convention, sauf si, « prévue par la loi », elle était dirigée vers un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 de cette disposition, et « nécessaire, dans une société démocratique », pour les atteindre (arrêts Dankevitch c. Ukraine, no 40679/98, § 151, 29 avril 2003, et Silver et autres c. Royaume-Uni, 25 mars 1983, série A no 61, p. 32, § 84).

    B.  Sur l'existence d'une violation de l'article 8

      1.  Arguments des parties
      a)  Le requérant

37.  Le requérant soutient que le droit turc ne prévoit pas d'examen gynécologique des femmes détenues, cette pratique ayant été instaurée par les forces de l'ordre. A son avis, le but déclaré de tels examens – à savoir éviter que de fausses accusations d'abus sexuels ne soient portées contre des policiers – ne saurait passer pour justifier une telle pratique. Dans une société démocratique, il est possible de se prémunir contre de fausses accusations de ce type en raccourcissant la période de détention autorisée en droit interne et en permettant l'accès des détenues à un avocat pendant leur garde à vue. A titre subsidiaire, le requérant fait valoir qu'un tel examen ne devrait être effectué, en cas de nécessité, que sur l'ordre d'un juge ou d'un procureur.

      b)  Le Gouvernement

38.  Le Gouvernement soutient que les examens gynécologiques des femmes détenues sont nécessaires pour éviter que de fausses accusations de violences sexuelles ne soient portées contre les membres des forces de l'ordre. A cette fin, les rapports médicaux consignés après de tels examens constituent des éléments de preuve pouvant servir à combattre les imputations diffamatoires d'abus sexuels. Le Gouvernement rappelle à cet égard les recommandations formulées par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) dans le rapport qu'il a établi à la suite de sa visite en Turquie du 27 février au 3 mars 1999. Le CPT y soulignait que les examens de détenus par un médecin constituaient une garantie importante contre les violences sexuelles. Par conséquent, le CPT a engagé les autorités nationales à prendre les mesures nécessaires, y compris la préparation de rapports médicolégaux, en vue de protéger les détenus contre des violences sexuelles. Aussi le droit et la pratique internes ont-ils été modifiés, notamment avec l'entrée en vigueur le 1er octobre 1998 du règlement sur l'arrestation, la détention et l'interrogatoire et avec l'adoption de nouvelles procédures formelles à suivre pour les examens médicolégaux, notamment ceux effectués en cas d'allégations de violences sexuelles.
39.  S'appuyant sur la jurisprudence de la Cour, le Gouvernement fait valoir en outre que, pour établir si une ingérence est « nécessaire dans une société démocratique », il faut tenir compte de la marge d'appréciation laissée aux Etats contractants (arrêts Olsson c. Suède (no 1), 24 mars 1988, série A no 130, pp. 31-32, § 67, et W. c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987, série A no 121, p. 27, § 60).
40.  Le Gouvernement conclut que l'ingérence alléguée dans l'exercice par l'épouse du requérant de son droit au respect de sa vie privée doit être considérée comme relevant de la marge d'appréciation de l'Etat.

      2.  Appréciation de la Cour

41.  La Cour doit d'abord examiner si l'ingérence était « prévue par la loi ». Cette expression veut d'abord que la mesure incriminée ait une base en droit interne (arrêts Kruslin et Huvig c. France, 24 avril 1990, série A no 176-A et 176-B, p. 20, § 27, et p. 52, § 26, respectivement).
42.  A cet égard, la Cour note que le Gouvernement ne soutient pas que l'ingérence litigieuse était « prévue par la loi » à l'époque des faits. Dans ses observations, il mentionne des règlements et circulaires qui ont été émis après l'incident dénoncé (paragraphes 25 et 26 ci-dessus). De plus, en droit turc, toute atteinte à l'intégrité physique d'une personne est interdite, sauf en cas de nécessité médicale et dans les circonstances définies par la loi (paragraphe 23 ci-dessus). Par ailleurs, au cours d'une instruction préliminaire, un détenu ne peut faire l'objet d'un examen médical qu'à la demande d'un procureur (paragraphe 24 ci-dessus).
43.  Or, en l'espèce, le Gouvernement n'a pas démontré l'existence d'une nécessité médicale ou de circonstances prévues par la loi. Il n'a pas non plus laissé entendre qu'un procureur eût requis un examen médical. Enfin, tout en acceptant l'argument du Gouvernement selon lequel l'examen des détenus par un médecin légiste peut constituer une garantie importante contre les fausses accusations de violences sexuelles ou de mauvais traitements, la Cour considère que toute atteinte à l'intégrité physique d'une personne doit être prévue par la loi et requiert le consentement de l'intéressé. Sinon, une personne en situation de vulnérabilité, telle qu'un détenu, serait privée des garanties légales contre les actes arbitraires. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que l'ingérence litigieuse n'était pas « prévue par la loi ».
44.  Ce constat suffit pour que la Cour conclue à la violation de l'article 8 de la Convention. Par conséquent, il n'y a pas lieu d'examiner si l'ingérence en question poursuivait un « but légitime » ou était « nécessaire, dans une société démocratique », pour l'atteindre (M.M. c. Pays-Bas, no 39339/98, § 46, 8 avril 2003).
II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
45.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
    A.  Dommage

46.  Le requérant sollicite 25 000 dollars américains (USD) pour préjudice moral.
47.  Le Gouvernement soutient que la somme réclamée est excessive et susceptible d'aboutir à un enrichissement sans cause.
48.  La Cour estime que l'épouse du requérant peut passer pour avoir éprouvé gêne et anxiété du fait de l'examen gynécologique qu'elle a dû subir contre sa volonté. Statuant en équité, la Cour alloue la somme de 4 000 euros (EUR), à verser au requérant qui la détiendra pour son épouse.

    B.  Frais et dépens

49.  Le requérant demande une somme totale de 5 700 USD pour les frais et dépens exposés pour la présentation de la requête. Cette somme inclut les frais de son représentant, Me S. Tanrıkulu (5 500 USD pour cinquante-cinq heures de travail juridique) et les frais de traduction, de téléphone, de poste, de photocopie et de papeterie (281 millions de livres turques).
50.  Le Gouvernement soutient que les demandes pour frais et dépens ne sont pas justifiées.
51.  Statuant en équité et eu égard à la demande détaillée soumise par le requérant, la Cour alloue à celui-ci la somme de 3 000 EUR, qu'il détiendra pour son épouse, plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée, moins les 4 100 francs français (625 EUR) perçus du Conseil de l'Europe au titre de l'assistance judiciaire, le total devant être converti en livres turques à la date du règlement et versé sur le compte en banque du requérant en Turquie.

    C.  Intérêts moratoires

52.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention ;

2.  Dit

    a)  que l'Etat défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes au requérant, qui les détiendra pour son épouse : 4 000 EUR (quatre mille euros) pour préjudice moral et 3 000 EUR (trois mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, moins 625 EUR (six cent vingt-cinq euros), le total étant à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement et à verser sur le compte en banque du requérant en Turquie ;
    b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, lesdites sommes seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

3.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 22 juillet 2003, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Michael O'Boyle Nicolas Bratza
    Greffier Président