1ère Conférence du Conseil de l’Europe des Ministres responsables des Médias et des nouveaux Services de la Communication

Discours d’ouverture de M. Philippe Boillat, Directeur Général des droits de l’Homme et des Affaires juridiques

Reykjavik, 28 et 29 mai 2009

Mme la Ministre de l’éducation, de la science et de la culture,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

A l’invitation des autorités islandaises, que je remercie une fois encore de leur chaleureuse hospitalité, vous vous êtes rassemblés ici, au plus haut niveau intergouvernemental pour discuter les questions concernant les médias et les nouveaux services d’information et de communication sur lesquelles le Conseil de l’Europe pourrait être invité à se pencher dans les années à venir. Vous le savez, des sujets tels que l’indépendance des médias, le pluralisme et la diversité des médias, ainsi que les médias en temps de crise, ont été abondamment traités dans le cadre du travail intergouvernemental du Conseil de l’Europe durant les deux dernières décennies.

Cela dit, force est de constater que des changements significatifs sont en train de se produire dans le paysage de l’information et de la communication, et cette évolution soulève de nouvelles questions. La liberté d’expression et d’information, telle que garantie par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, que les Etats membres du Conseil de l’Europe se sont engagés à respecter, pose aujourd’hui de nouveaux défis à dimension transfrontière. Le thème et les sous-thèmes soumis à votre réflexion au cours de cette conférence reflètent bien ces défis. Permettez-moi d’en aborder brièvement quelques-uns.

Juan Luis Cebrián, journaliste et éditeur espagnol réputé [actuellement PDG (Consejero Delegado) de PRISA (groupe espagnol qui détient, entre autres médias, « El País »)] affirmait récemment de manière péremptoire :

Cette réflexion est révélatrice. En effet, quelle que soit la forme que les médias prendront, la diffusion, par des moyens de communication de masse, d’informations fiables, d’analyses ou de commentaires crédibles, d’opinions ou même de divertissements, impliquera le respect des normes éthiques et la responsabilité éditoriale. La participation de professionnels des médias, dotés de la formation et de l’expérience appropriées, sera donc requise.

Diffuser des actualités et des informations fiables est une condition sine qua non pour que les médias puissent continuer à jouer leur rôle crucial dans la démocratie. Il y va de la confiance du public !

Les médias doivent rester un acteur-clé dans l’initiation des débats publics, en animant ces débats et en participant ainsi à la formation de l’opinion publique. Par ailleurs, dans une démocratie, les médias doivent également jouer le rôle de « chien de garde » public, appelant les autorités à rendre des comptes pour leur activité.

Le titre même de cette Conférence ministérielle soulève une première question importante : peut-on parler d’une nouvelle conception des médias ? Existe-t-il véritablement de nouveaux médias ou des services apparentés aux médias ? Nombreux sont ceux aujourd’hui qui répondent par la négative. En réalité, affirment-ils, il n’y a rien de nouveau en termes de médias, il n’y a que de nouvelles formes de distribution.

Cette conclusion reflète-elle vraiment la réalité ? Si l’on considère le nombre croissant de personnes se fiant à la page d’actualités de leur fournisseur de services Internet, en tant que principale source d’informations, on peut en effet en douter.

Ces doutes sont renforcés si l’on considère, pour le divertissement audiovisuel par exemple, que deux vidéos populaires sur YouTube ont été vues quelque 100 millions de fois chacune. La même observation pourrait être faite concernant certains types de blogs.

Sans bien sûr vouloir m’immiscer dans les discussions que vous aurez au cours de cette Conférence et sans préjudice des propositions que vous formulerez pour les actions futures du Conseil de l’Europe, il me semble que cette question d’une nouvelle conception des médias devrait être explorée. Vous pourriez également charger notre organe normatif intergouvernemental dans le domaine des médias et de la liberté d’expression, le Comité directeur sur les médias et les nouveaux services de communication (le CDMC), d’examiner ce thème.

Si nos experts intergouvernementaux devaient arriver à la conclusion que des médias d’un nouveau type ont émergé, il conviendrait alors que le Conseil de l’Europe accorde une attention toute particulière aux conséquences de ces nouveaux médias sous l’angle des valeurs, des normes et des principes fondamentaux de notre Organisation.

Pour mener à bien cette tâche, le CDMC devrait continuer à s’inspirer des principes qui découlent des trois piliers sur lesquels repose notre Organisation : les droits de l’Homme, la démocratie et l’Etat de droit. Il va de soi que la liberté d’expression et d’information ainsi que la liberté des médias, telles que développées dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme et concrétisées dans nos instruments juridiques, devront tout particulièrement être prises en compte. Il en va de même des travaux remarquables du Conseil de l’Europe menés dans le domaine des médias et de l’Internet. Nous ne sommes donc pas démunis pour relever ce défi car nous pouvons nous appuyer sur des résultats tangibles et une expérience considérables.

J’insiste toutefois à nouveau sur le fait que, en toute hypothèse, la liberté d’expression et d’information, sans considération de frontières (selon la formule consacrée par la Convention européenne des droits de l’Homme) devra être garantie. Le rôle fondamental des médias – qu’ils soient traditionnels ou nouveaux, considérés comme de véritables médias ou simplement apparentés aux médias – doit en effet être sauvegardé dans une société véritablement démocratique.

* * *

Parmi les valeurs, les normes et les principes fondamentaux auxquels est attachée le Conseil de l’Europe, permettez-moi de mentionner la sécurité des enfants qui, à mes yeux, est cruciale dans le présent contexte.

Je souhaiterais tout particulièrement mettre en exergue le travail effectué jusqu’à présent par nos experts intergouvernementaux dans le domaine de la sécurité en ligne des enfants. Nous le savons hélas fort bien, même les réponses juridiques les plus vigoureuses, associées à une coopération la plus efficace pour combattre l’abus à l’égard des enfants, ne peuvent pas, à elles seules, être absolument efficaces. C’est la raison pour laquelle nous devrons également travailler sur l’autoprotection des jeunes utilisateurs, en les rendant responsables et habilités à utiliser ces nouveaux médias de manière appropriée.

J’espère ainsi que le CDMC aura la possibilité de poursuivre son travail dans ce domaine et que le Conseil de l’Europe, en coopération avec d’autres parties prenantes, contribuera à la création d’un environnement sûr et sécurisé pour nos enfants sur Internet. A cette fin, nous pourrions par exemple développer des certifications, ou des systèmes de labelling paneuropéens, destinés aux fournisseurs ou aux agrégateurs de contenus.

Par ailleurs, je rappelle la proposition de la Secrétaire générale adjointe du Conseil de l’Europe d’explorer les possibilités de suppression, dans un délai raisonnablement bref, du contenu créé et des traces identifiables laissées par des enfants, ou relatives à ces enfants, sur Internet. Ce contenu et ces traces pourraient en effet porter atteinte à leur dignité, à leur sécurité, à leur vie privée ou encore à les rendre vulnérables aujourd’hui ou à un stade ultérieur de leur vie.

Nos enfants devraient pouvoir exercer leurs droits et profiter des avantages du nouvel environnement de l’information et de la communication en toute sécurité.

* * *

Votre conférence abordera, selon toute vraisemblance, non seulement la question des nouveaux médias, mais également deux autres sujets de première importance.

Premier sujet, les médias et le terrorisme. M. Terry Davis, Secrétaire général du Conseil de l’Europe, à l’occasion de la journée de la liberté de la presse, le 3 mai dernier, a déclaré : « Dans une société démocratique, le droit de recevoir et de distribuer des informations est essentiel à tout instant, mais en temps de crise tel que lors d’une éventuelle attaque terroriste, ce droit est encore plus important. Il est possible de combattre le terrorisme de manière robuste et efficace, tout en respectant la liberté d’expression et d’information. C’est pourquoi, les Etats membres devraient assurer que leurs lois et pratiques antiterroristes soient en conformité avec les normes du Conseil de l’Europe ». Cette déclaration du Secrétaire général pourrait servir de toile de fond aux discussions qui auront lieu sur ce thème.
* * *

Second sujet, la gouvernance de l’Internet. A cet égard, je vous encouragerais à être audacieux. Il me semble en effet qu’il y a un espace considérable pour l’action et le leadership du Conseil de l’Europe dans ce domaine.

Il a récemment été affirmé que la réponse inadéquate des autorités nationales aux attaques cybernétiques est la menace la plus importante pour la sécurité et la stabilité de l’Internet.

A l’instar des traités de non-agression, de limitation ou de non-prolifération des armements, ou des accords internationaux concernant l’utilisation et la préservation de ressources naturelles, il n’est peut-être pas utopique d’imaginer un instrument juridique international du Conseil de l’Europe, à vocation globale, par lequel les Etats reconnaîtraient leurs responsabilités mutuelles et leur solidarité réciproque à l’égard des ressources critiques pour le fonctionnement continu et la nature universelle de l’Internet.

Dans ses contributions au Forum sur la Gouvernance de l’Internet, ces dernières années, le Conseil de l’Europe a insisté sur la nécessité d’une responsabilité, d’une légitimité et d’une supervision internationales accrues des organes qui s’occupent des ressources qui sont critiques pour le fonctionnement continu et la nature universelle de l’Internet. A cet égard, la Secrétaire générale adjointe du Conseil de l’Europe a suggéré d’établir un organe international consultatif dans le domaine des droits de l’Homme et du droit international pour l’un des acteurs-clés dans ce domaine – ICANN. Cette idée devrait-elle être poursuivie dans un contexte de coopération intergouvernementale ? Il vous appartient d’y répondre.

Pourquoi ne pas utiliser notre expérience de la télévision transfrontière pour renforcer la protection du flux transfrontalier du trafic sur Internet en droit international ? Sur cette question également, nous attendons avec beaucoup d’intérêt vos observations et propositions.

Notre Convention sur la cybercriminalité, reconnue bien au-delà du Conseil de l’Europe en tant que convention universelle, aujourd’hui utilisée par plus de 100 pays en tant que point de référence lors de l’élaboration de la législation en la matière, nous a permis, elle aussi, d’acquérir une expérience considérable dans ce domaine.

La force collective des 47 Etats de notre Organisation pourrait être décisive pour que l’Europe trouve la place qu’elle mérite dans le domaine de la gouvernance de l’Internet. Est-ce que le Conseil de l’Europe devrait jouer un rôle encore plus actif dans ce domaine en concluant des arrangements formels en vue de fournir le secrétariat d’un Forum de la Gouvernance de l’Internet au niveau européen ? – Il s’agit là d’une question délicate qui mérite, elle aussi, sans aucun doute toute votre attention.

Je souhaite enfin à toutes et à tous une excellente Conférence. Je suis convaincu que le résultat de vos réflexions et les documents que vous allez adopter au terme de la Conférence vont donner une impulsion politico-juridique déterminante aux travaux que le Conseil de l’Europe mènera au cours de ses prochaines années dans le domaine des médias et des nouveaux services de communication.

Je vous remercie de votre attention.