1ère Conférence du Conseil de l’Europe des Ministres responsables des Médias et des nouveaux Services de la Communication

Allocution de clôture par Philippe Boillat, Directeur général des droits de l’Homme et des affaires juridiques

Madame la Présidente, Excellences, Mesdames et Messieurs,

A l’issue de nos travaux, je souhaite tout d’abord vous dire ma satisfaction - notre satisfaction - d’avoir pu tenir cette Conférence ministérielle en Islande. Des événements récents intervenus dans certains de nos Etats sont préoccupants. Ils illustrent, s’il en était besoin, la pertinence des normes du Conseil de l’Europe en matière de droits de l’Homme dans leur application la plus récente : celle des nouveaux moyens de communication et, particulièrement, de leurs enjeux au travers des frontières.

Hier et aujourd’hui, les ministres et les chefs de délégation ont prononcé des interventions qui inspireront, j’en suis certain, nos travaux futurs. Je me plais tout particulièrement à relever, comme nombreux d’entre vous au cours de la Conférence, la participation active et constructive de la société civile et des organisations de jeunes, mais aussi celle de l’industrie des médias. Cette participation a enrichi les débats et nous a rappelé que nous œuvrons pour la société dans son ensemble.

Permettez-moi de m’arrêter un instant sur les participants non gouvernementaux à cette conférence ministérielle. Le Comité directeur sur les médias et les nouveaux services de communication, le CDMC, insiste depuis quelques temps déjà sur la nécessité de développer, pour ses travaux, une dimension multisectorielle plus importante. Il n’est en effet pas possible d’élaborer des normes adéquates qui s’adressent à une large variété d’acteurs sans leur participation active.

Cette nouvelle méthode de travail, associant tous les partenaires, a déjà débouché sur des résultats très satisfaisants. Je pense, en particulier, aux Lignes directrices en matière de droits de l’Homme destinées aux fournisseurs de services Internet et aux fournisseurs de jeux en ligne.

Les débats qui ont eu lieu récemment sur la mise en œuvre de ces Lignes directrices ont d’ailleurs montré le grand intérêt que ces textes suscitent auprès des professionnels concernés. Ces derniers constituent un vecteur important, je dirais même, à certains égards, sine qua non, pour promouvoir les normes et les valeurs du Conseil de l’Europe.

Je citerai enfin notre contribution à l’organisation de l’EuroDIG, le Dialogue européen sur la gouvernance de l’Internet, qui, lui aussi, associe toutes les parties prenantes à cet exercice.
Si nous voulons être fidèles à notre but, qui est de placer l’intérêt des populations au cœur de nos travaux sur la société de l’information et la gouvernance de l’Internet, il est impératif d’écouter la voix de toutes les parties concernées.

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Il appartiendra à présent au Comité des Ministres d’adopter les mandats nécessaires afin de concrétiser les tâches que vous souhaiteriez voir confier, pour les prochaines années, au CDMC et aux autres Comités directeurs tels le CDCJ, le Comité européen de coopération juridique, qui traite notamment de la protection des données et du profilage sur Internet.

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Quelles sont les principales tâches découlant des documents que vous venez d’adopter et que vous souhaitez voir mener à bien par le Conseil de l’Europe ? Ces tâches portent, en premier lieu, sur l’adoption de normes. Ces normes pourraient par exemple prendre la forme de Recommandations du Comité des Ministres à nos 47 Etats membres. Ces Recommandations pourraient notamment développer la notion de médias et les conséquences qui pourraient en découler pour garantir le respect des valeurs et des principes du Conseil de l’Europe.

Ces activités normatives pourraient porter également sur les moyens de protéger les médias et, si nécessaire, les services de communication apparentés aux médias contre des ingérences non justifiées des Etats. Aussi s’agira-t-il de mettre en place les conditions pour que les médias bénéficient des valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe, en les protégeant de toute ingérence indue. Et nous savons que les sources potentielles d’ingérences sont nombreuses.

Un troisième domaine qui pourrait nécessiter l’adoption de nouvelles normes a trait à la protection des utilisateurs des nouveaux environnements de l’information et de la communication. Il en va ainsi du droit de chacun de jouir du droit fondamental à la liberté d’expression et d’information, sans ingérence et sans considération de frontières.

Il n’en demeure pas moins que certaines personnes particulièrement vulnérables ne pourront exercer librement ces droits fondamentaux sans une protection adéquate. A cette fin, des mesures de « discrimination positive » s’imposeront sans doute. Il s’agira ainsi probablement de renforcer la protection contre une utilisation abusive des données personnelles et contre la cybercriminalité.

Ces prochaines années, nos experts seront aussi, selon toute vraisemblance, invités à entreprendre de nouvelles activités relatives aux médias de service public. Un document politique majeur du Conseil de l’Europe pourrait ainsi être élaboré pour aider nos Etats membres à préserver les services publics et à les promouvoir dans un environnement très difficile, parfois même, hostile. Nous le savons fort bien, des pressions financières de la part d’acteurs du marché peuvent empêcher que les médias de service public s’adaptent aux changements, ce qui peut mettre en danger jusqu’à leur existence.

La sauvegarde de la démocratie exige que l’on combatte ce phénomène. Des médias de service public réellement indépendants sont essentiels pour lutter contre les risques qui menacent la pluralité et la diversité et, par conséquent, la démocratie et les processus démocratiques.

J’en viens à présent aux actions que vous proposez dans le cadre de la gouvernance de l’Internet et de ses ressources critiques. Ces mesures, vous avez été clairs à cet égard, devraient aller au-delà de l’élaboration de normes non contraignantes, au-delà d’un simple « soft law ».

Vous souhaitez tout d’abord que la possibilité d’un instrument destiné à préserver ou renforcer la protection du trafic transfrontière de l’Internet soit explorée.

Vous souhaitez ensuite que l’on examine la possibilité d’élaborer une Convention du Conseil de l’Europe qui permettrait que les ressources critiques de l’Internet soient gérées dans l’intérêt commun de manière à garantir la valeur de service public de l’Internet, son fonctionnement continu, sa stabilité et son universalité.

Nos experts devraient enfin être invités à envisager de nouvelles activités normatives afin de déterminer les moyens de conseiller les entreprises, les agences et les entités qui gèrent les ressources critiques de l’Internet.

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En ce qui concerne plus précisément la gouvernance de l’Internet, comme je l’ai dit hier, il s’agit là probablement de l’un des sujets les plus porteurs et prometteurs pour le Conseil de l’Europe. Certaines de vos propositions sur la gouvernance de l’Internet et ses ressources critiques impliquent non seulement la consolidation et l’élargissement d’une collaboration au sein du Conseil de l’Europe, mais également entre ses Etats membres et toutes les autres parties prenantes. Dans ce domaine, il faudra ainsi renforcer la coopération paneuropéenne, mettre en place un environnement durable pour permettre un véritable dialogue paneuropéen calqué sur le forum sur la gouvernance de l’Internet, l’IGF. Le moment venu, faudra-t-il peut-être même envisager les façons qui pourraient permettre de conseiller les diverses entreprises, agences et entités gestionnaires des ressources critiques de l’Internet pour que leurs décisions prennent pleinement en compte le droit international, tout particulièrement les droits de l’Homme. Nous sommes tous bien conscients qu’il s’agit là de questions transversales et multidisciplinaires.

Voilà pour les activités normatives proposées. Je voudrais à présent aborder un deuxième secteur d’activités privilégié du Conseil de l’Europe, celui de la coopération et de l’assistance techniques avec nos Etats membres. Au-delà de nos activités traditionnelles de coopération et d’assistance techniques dans le domaine des médias, le temps est probablement venu de nous pencher sur des stratégies d’assistance liées à nos normes les plus récentes sur les nouveaux médias et les nouveaux environnements de l’information et de la communication. Dans la situation budgétaire précaire qui est celle du Conseil de l’Europe aujourd’hui, la mise en œuvre de ces activités exigera sans doute des financements extrabudgétaires, par exemple, des contributions volontaires d’Etats membres ou, comme cela est le cas pour certaines activités liées à la Convention contre la cybercriminalité par des contributions financières d’entreprises multinationales.

La mise en œuvre et la consolidation de nos normes ne s’arrêtent toutefois pas là. Le Conseil de l’Europe s’efforce également de faciliter l’application des normes récentes sur l’éducation aux médias et l’autonomisation des enfants dans l’environnement électronique. Il reste encore beaucoup à faire pour la sécurité des enfants en ligne. La capacité bien connue du Conseil de l’Europe à innover, qui a fait de la protection de l’enfance l’une de ses priorités politiques absolues, lui permettra de jouer un rôle clé dans ce domaine.

Autre thème sensible : la lutte contre le terrorisme et la liberté d’expression. Nous avons une expérience significative dans l’assistance aux Etats membres pour la mise en conformité de leur législation avec les normes du Conseil de l’Europe ainsi que dans la formation des autorités judiciaires et des autorités responsables de l’application des lois. Comme vous le suggérez dans votre Résolution sur les développements en matière de législation contre le terrorisme, nous sommes bien évidemment disposés à coopérer avec chaque Etat membre qui nous le demandera.

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Après vos propositions touchant d’une part nos activités normatives et, d’autre part, la coopération et l’assistance techniques apportées à nos Etats membres, j’en viens à un troisième domaine spécifique d’activités du Conseil de l’Europe, le monitoring.
La liberté d’expression et de l’information est l’une des pierres angulaires de toute démocratie véritable. On ne saurait tolérer l’inaction lorsqu’elle est violée.
Les recours existants prennent du temps, y compris la saisine de la Cour européenne des droits de l’Homme. Et même si elles peuvent apporter réparation aux victimes, ces voies de recours n’ont pas forcément d’effet immédiat sur la situation générale à l’origine de ces violations. La surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe prend aussi du temps, surtout lorsque cette exécution implique des mesures générales, notamment de nature législative.
Le Conseil de l’Europe ne dispose pas d’un mécanisme spécifique pour suivre comment les Etats membres font face à leurs obligations telles qu’elles découlent de l’article 10 de la Convention européennes des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour.
Seuls deux mécanismes d’alerte précoce existent au sein du Conseil de l’Europe : le rapporteur de l’Assemblée parlementaire sur la liberté des médias et le Commissaire aux droits de l’Homme.

Il est vrai que d’autres dispositifs existent en dehors de notre Organisation, en particulier le Représentant de l’OSCE pour la liberté des médias et les organisations de la société civile qui défendent la liberté d’expression et des médias.

Néanmoins, avec d’autres, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a souhaité que l’on se donne des moyens plus performants pour observer si la liberté d’expression et d’information est pleinement respectée dans nos Etats membres afin de promouvoir un plus grand respect de l’article 10 de la CEDH. Il s’agira donc, si le soutien politique est suffisant, de revenir sur cette question.

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Pour conclure, je souhaite remercier vivement toutes celles et tous ceux, du côté islandais comme du côté du Conseil de l’Europe, qui ont organisé avec une très grande compétence cette Conférence. J’adresse également mes vifs remerciements à tous les participants à cette Conférence : les délégations qui ont accepté de présenter des rapports ou pris l’initiative de contributions écrites, ainsi que toutes les autres qui ont pris une part active aux débats. Une mention spéciale doit être faite de l’apport enrichissant des organisations non gouvernementales et des organisations de jeunes. Grâce à vous tous, cette rencontre est un réel succès.
J’associe bien évidemment à ces remerciements nos interprètes.

Enfin, vous me permettrez – et je suis sûr que je serai votre porte-parole – de remercier plus particulièrement les autorités islandaises. Leur chaleureuse hospitalité à été déterminante pour le succès de la Conférence. Madame la Ministre, merci de votre accueil et de la parfaite organisation de cette Conférence et d’avoir donné à nombre d’entre nous, j’en suis certain, l’occasion de découvrir votre fascinant pays.