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Conférence à haut niveau
sur l'avenir de la Cour européenne des droits de l'homme
Brighton, Royaume-Uni, 19 avril 2012

Discours de Thorbjørn Jagland
Secrétaire Général du Conseil de l'Europe

 

Embargo jusqu'au prononcé /Seul le prononcé fait foi

 

Mesdames et Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs,

C'est la troisième fois en trois ans que nous nous retrouvons pour évoquer l'avenir de la Cour européenne des droits de l'homme. Le Comité des Ministres, la Cour, nos comités d'experts et bien d'autres ont été très actifs pendant cette période de réforme. Ce travail et le projet de déclaration dont nous disposons aujourd'hui débouchent sur un certain nombre de constats :

-                      tous les Etats membres reconnaissent la contribution extraordinaire de la Cour à la protection des droits de l'homme en Europe ;

-                      tous les Etats membres acceptent la compétence ultime de la Cour en matière d'interprétation de la Convention ;

-                      tous les Etats membres ont réaffirmé à l'unanimité leur attachement au droit de recours individuel ;

-                      tous les Etats membres acceptent l'obligation de mettre pleinement en œuvre les arrêts de la Cour. 

Le projet de déclaration met aussi l'accent sur le principe de subsidiarité qui sous-tend les travaux de la Cour depuis le tout début et sur la doctrine de la marge d'appréciation élaborée et développée par la Cour elle-même.

J'en déduis donc que le processus engagé à Interlaken a mis en évidence le rôle et l'autorité de la Cour et les a renforcés.

Il nous reste néanmoins deux points sur lesquels il importe d'apporter des améliorations.

Premièrement, l'application de la Convention au niveau national de manière que les violations soient moins nombreuses, que les problèmes structurels et systémiques soient réglés et que les arrêts de la Cour soient exécutés pleinement et rapidement. Des voies de recours effectives existent déjà pour réduire le nombre de requêtes ou tout du moins celui des requêtes recevables.

Deuxièmement, la capacité de la Cour à répondre aux requêtes dont elle est saisie, que ces dernières soient ou non recevables. La Cour devrait pouvoir donner une réponse appropriée à toutes les requêtes dans un délai raisonnable.

[Application au niveau national]

S'agissant du premier point, il va sans dire que l'efficacité de la protection des droits de l'homme commence et finit au niveau national. La Cour n'a jamais eu pour vocation de se substituer aux juridictions nationales. Je me félicite donc que la Déclaration mette l'accent sur les responsabilités partagées des Etats et de la Cour en ce qui concerne l'application effective de la Convention.

Je sais que modifier les institutions, la législation et les pratiques administratives nationales requiert souvent du temps et parfois des moyens financiers. Mais les Etats parties ont l'obligation en vertu de la Convention de faire les efforts nécessaires, lesquels doivent être compris comme un investissement et non comme un coût.

Il en est tout particulièrement ainsi lorsque les problèmes structurels et systémiques donnent lieu à des requêtes répétitives et notamment lorsque ces problèmes sont connus depuis longtemps. Les requêtes, par définition presque toujours fondées, touchent souvent au cœur des institutions essentielles de la démocratie et sont extrêmement importantes pour le respect des droits de l'homme et de l'Etat de droit.

Il est très important de prendre conscience de la force des liens institutionnels qui unissent la Convention européenne des droits de l'homme et les différents organes et activités du Conseil de l'Europe. La Cour n'est pas une institution isolée et ne peut fonctionner dans un vide institutionnel ou politique.

Pendant de nombreuses années, le Conseil de l'Europe a aidé les Etats membres à appliquer la Convention européenne des droits de l'homme au niveau national. Ses activités se déploient dans les domaines de l'expertise législative, de la formation et du renforcement des capacités ainsi que de la diffusion de supports de formation. Les réformes institutionnelles que j'ai entreprises ont pour objet d'améliorer ces services. 

Nous pouvons aller plus loin, et ce malgré les contraintes institutionnelles et les ressources limitées actuelles. Je tiens personnellement à améliorer la coordination de toutes les activités de coopération. Nous devons aujourd'hui concentrer nos activités sur les domaines dans lesquels la Cour européenne des droits de l'homme, le Service de l'exécution, le Commissaire aux droits de l'homme et les mécanismes de suivi ont relevé des insuffisances.

Comme dans de nombreux secteurs, la coopération avec l'Union européenne sera essentielle. Les programmes conjoints représentent déjà la principale source de financement des projets d'assistance et de coopération technique du Conseil de l'Europe. Par l'intermédiaire de notre nouvelle Direction générale des programmes et par le renforcement de notre présence sur le terrain, nous veillerons à ce que les programmes conjoints soient consolidés, coordonnés et mieux ciblés. Notre objectif est d'éviter les doubles emplois et de s'assurer qu'aucune des questions importantes relevées par la Cour de Strasbourg ou par les mécanismes de suivi des droits de l'homme ne soit négligée.

 [Exécution des arrêts]

L'application rapide et efficace des arrêts de la Cour est essentielle pour l'autorité et la crédibilité du système de la Convention.

Le rapport annuel sur les activités de surveillance de l'exécution des arrêts du Comité des Ministres reconnaît que malgré l'évolution positive des chiffres de l'année dernière, de nombreux problèmes structurels complexes demeurent dans les Etats membres. Je souscris donc à l'idée de réfléchir aux mesures plus efficaces qui pourraient être prises par rapport aux Etats qui ne mettent jamais en œuvre les arrêts de la Cour, notamment ceux relatifs aux affaires répétitives et aux violations graves des droits de l'homme.

Le deuxième grand défi a trait comme je l'ai dit à la capacité de la Cour à répondre aux requêtes.

Il est indispensable, si l'on veut que le système de la Convention demeure efficace, que la Cour joue pleinement son rôle, et ce avec efficacité et indépendance.

Tout donne à penser que le problème récurent du nombre d'affaires en suspens manifestement irrecevables sera bientôt réglé grâce à de nouvelles méthodes de travail qui donnent pleinement effet au système du juge unique mis en place par le Protocole n° 14. Je ne peux que rendre hommage au Président, M. Bratza, au Greffier et à la Cour pour leurs efforts, me féliciter de leurs résultats et recommander d'autres mesures novatrices. Je note avec satisfaction que la Cour entend traiter les nouvelles requêtes dès qu'elle en est saisie et supprimer progressivement son arriéré. Je me félicite aussi de la modification des critères existants de recevabilité prévue par le Protocole n° 14. La Cour devrait ainsi pouvoir plus facilement déclarer des affaires irrecevables.

Face aux implications budgétaires possibles de certaines des propositions qui ont été examinées lors des travaux préparatoires de cette Conférence capitale, nous nous devons de faire preuve d'honnêteté et de réalisme. Je suis extrêmement sensible à la situation budgétaire de nos Etats membres. Mais si l'on veut que nos paroles se traduisent en actes, nous devons reconnaître que certains efforts budgétaires sont inévitables. Une possibilité serait de créer un fonds spécial, en particulier pour l'arriéré d'affaires, auquel les Etats membres contribueraient sur une base volontaire.

Le Statut du Conseil de l'Europe et la Convention européenne des droits de l'homme chargent le Secrétaire Général de missions qui ont trait à la fois à l'application effective de la Convention et au fonctionnement efficace de ses institutions. Je réaffirme ma détermination absolue à m'acquitter de ces obligations. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour veiller à ce que le Conseil de l'Europe soit et demeure le partenaire le plus pertinent et le plus efficace de nos Etats membres qui s'efforcent de remplir les obligations qui sont les leur en vertu de la Convention.

Je reviens à ce que je disais au début : le processus engagé à Interlaken, poursuivi à Izmir et aujourd'hui à Brighton ne fait que confirmer l'importance que nous accordons au système de la Convention et de la Cour.

Je félicite la Présidence britannique du Comité des Ministres des initiatives qu'elle a prises pour réformer et renforcer la Cour.

La paix et l'unité de l'Europe passent inévitablement par le plein respect des droits de l'homme et de l'Etat de droit. Les Etats membres ont choisi librement de se soumettre à un mécanisme de contrôle judiciaire international, fermement convaincus qu'ils sont que ce mécanisme est une garantie essentielle de la démocratie, de la liberté et de la paix sur tout le continent. Ils se doivent en conséquence de respecter le statut, l'indépendance et l'autorité de la Cour de la même manière qu'ils respectent leurs propres juridictions.

En notre qualité de responsables politiques, nous nous devons de montrer à nos citoyens qu'un système conventionnel international qui accorde les mêmes droits à tous peut déboucher sur des arrêts de la Cour qui ne font pas forcément l'unanimité.

N'oublions pas que les droits de l'homme signifient très souvent protéger les droits des plus faibles, ce qui ne va pas obligatoirement dans le sens des opinions majoritaires. Qui plus est, ces droits ne doivent pas être soumis aux aléas de la politique.

Le nationalisme et les guerres qui ont dévasté le monde au 20e siècle ont débouché sur une vision internationaliste avec notamment la création de l'ONU et l'adoption de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Or cette vision est fondée sur la conviction que les droits fondamentaux de l'homme ne sont pas l'émanation d'une majorité ou d'une autorité quelle qu'elle soit. Ces droits reposent sur l'égalité de tous et sur l'obligation de tous les pays de les faire respecter.

La Convention européenne des droits de l'homme, qui est la seule réalisation concrète de la Déclaration universelle des droits de l'homme, mérite que l'on travaille à sa consolidation.

Je vous remercie de votre attention.

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