Retour Soirée de gala de l'Association "Plaider les droits de l'homme (PLDH) " « Russie, Turquie, Brexit, migrants : un avenir pour le Conseil de l’Europe ? »

Strasbourg , 

Tel que prononcé

 

Le Conseil de l’Europe et ses 47 Etats membres sont aujourd’hui confrontés à de multiples défis.

Le conflit en Ukraine, la protection des citoyens contre le terrorisme, l’accueil des réfugiés et des migrants, l’accroissement constant des inégalités économiques et sociales, l’incertitude économique qui persiste dans plusieurs pays, des faits de corruption de grande ampleur, ne sont que quelques exemples de ces défis…

Permettez-moi toutefois de souligner un phénomène plus récent et insidieux, celui du populisme par lequel le soi-disant « vrai peuple » s’arroge une autorité morale exclusive d’agir au nom du peuple entier en s’attaquant aux institutions, en remaniant les constitutions, en neutralisant l’opposition et en ayant la mainmise sur le judiciaire et les médias.

Face à ces réalités, il appartient à notre Organisation et ses Etats membres d’apporter des réponses concrètes.

Il en va de notre stabilité commune, de nos valeurs et de la paix.

Le Conseil de l’Europe doit, aujourd’hui plus que jamais, démontrer aux 820 millions de citoyens de nos Etats membres que la démocratie, les droits de l’homme et l’Etat de droit sont des valeurs auxquelles il ne faut surtout pas renoncer.

Nous ne pouvons laisser les discours populistes, extrémistes, xénophobes et haineux se développer sans agir. Ces discours attisent la défiance et l’hostilité des citoyens vis-à-vis de l’establishment et, au plan international, vis-à-vis des  institutions européennes et internationales, des juridictions internationales, des réfugiés et des migrants…

C’est cette défiance vis-à-vis des institutions européennes qui a conduit au Brexit…

Tout ceci, Mesdames, Messieurs, est source de grave préoccupation pour le Conseil de l’Europe. Pourquoi ?

Parce que ces phénomènes qui ne cessent de grandir sont l’antithèse de la paix fondée sur une sécurité démocratique – le concept sur lequel le Conseil de l’Europe est bâti.  N’oublions pas que le Conseil de l’Europe est la principale organisation de défense des droits de l’homme, de la démocratie et de la primauté du droit, du continent.

Tous ses Etats Membres ont signé la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui vise à protéger les droits de l’homme, la démocratie et l’Etat de droit.

A cette convention majeure, se sont ajoutées au fil des années environ 230 Conventions et de nombreuses Recommandations adoptées sous son égide, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la quasi jurisprudence du Comité européen des Droits sociaux, un ensemble très riche de mécanismes de suivi et nos programmes de coopération : autant de moyens d’accompagner nos Etats membres dans leurs efforts pour respecter leurs obligations.

Le Conseil de l'Europe travaille également en partenariat étroit avec l'Union européenne et coopère avec l'Organisation des Nations Unies, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et avec de nombreux pays partenaires voisins et dans le monde entier.

C’est un système intergouvernemental qui puise sa force dans deux sources d’égale importance : le dialogue et le droit.

Lorsque l’Europe traverse des temps de crises, l’espace de rencontres, de dialogue et de coopération entre les Etats qu’offre le Conseil de l’Europe est sans équivalent et révèle toute son importance.

Pour ne citer que quelques exemples de l’importance de cet espace aujourd’hui :

-           prenons la défense des droits des migrants et des réfugiés sujet sur lequel le Secrétaire Général rappelle par ailleurs régulièrement l’importance de ces droits à ses interlocuteurs politiques au plus haut niveau. Dernièrement, il a écrit au Premier Ministre slovène. Il a clairement demandé la révision, à la lumière de la jurisprudence de la Cour des Droits de l’Homme, du projet de loi permettant à la police de refuser l’entrée en Slovénie, d’arrêter et de renvoyer de manière sommaire des demandeurs d’asile. Le Premier Ministre a aussitôt répondu en acceptant de revoir le texte en coopération avec le Conseil de l’Europe et le Représentant Spécial du Secrétaire Général pour les migrants et les réfugiés, s’est en conséquence immédiatement rendu en Slovénie.

●         Examinons le cas de la Turquie : après la tentative de coup d’état survenu l’été dernier et alors que les relations entre l’Union européenne et la Turquie se sont rapidement dégradées, notre Organisation s’est engagée dans le dialogue au plus haut niveau. Très vite, les différents organes du Conseil de l’Europe sont intervenus. Le Secrétaire Général s’est rendu sur place. Un groupe de travail s’est vite mis en place pour assurer un dialogue entre experts juridiques de la Turquie et du Conseil de l’Europe. L’examen de nombreux décrets-lois a donné lieu à des recommandations envoyées aux autorités, et s’inspirant de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme. Ce dialogue se poursuit semaine après semaine et nous espérons que les autorités turques prendront en considération ces recommandations.

Le Commissaire aux Droits de l’Homme a, quant à lui, publié un mémorandum sur « les conséquences pour les droits de l’Homme des mesures prises dans le cadre de l’Etat d’urgence en Turquie ; l’Assemblée parlementaire a mené un débat sur la situation de la Turquie et la Commission de suivi de l’Assemblée s’est rendue sur place pour examiner les développements récents survenus dans le pays ; le Comité européen pour la prévention de la torture a examiné le traitement et les conditions de détention des personnes qui ont été arrêtées en relation avec la récente tentative de coup d’Etat militaire ; la Commission de Venise a adopté une opinion sur les décrets-lois promulgués dans le cadre de l’état d’urgence en Turquie…celle-ci est une liste non exhaustive de l’engagement profond et du dialogue entre la Turquie et notre Organisation.

●         Nous allons également continuer de travailler avec la Fédération de Russie. Le Secrétaire Général revient d’une visite à Moscou où il s’est entretenu au plus haut niveau de l’Etat sur le fonctionnement des mécanismes juridiques et judiciaires russes et du Conseil de l’Europe, notamment avec les présidents des juridictions russes. Il existe certes des points de désaccord (adoption de la loi en décembre 2015 qui accorde une suprématie à la Cour Constitutionnelle russe vis-à-vis de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’exécution des arrêts de notre Cour en Russie. Nous attendons de vérifier comment et quelles conséquences aura cette loi). Toutefois, ceci ne doit pas nous faire ignorer la forte demande des milieux juridiques et judiciaires russes pour une coopération accrue sur la base notamment de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme. 

Par exemple vendredi prochain, dans les locaux de la Cour européenne des droits de l’homme, aura lieu le lancement de l’ouvrage majeur sur le droit de la Convention européenne des droits de l’homme de Michael O’Boyle, en langue russe. L’édition russe est préfacée par le Président de la Cour suprême russe, M. Lebedev, et le Président de la Cour européenne des droits de l’homme, M. Raimondi.

 

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Ces trois exemples me permettent de souligner que l’efficacité du Conseil de l’Europe reflète l’engagement politique de ses Etats membres et dépend de celui-ci. Notre Organisation ne peut avoir un impact que si les gouvernements respectent leurs obligations, exécutent les arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme et développent de nouvelles normes lorsqu’elles sont nécessaires.

Lorsque les Etats ne donnent pas suite aux arrêts de la Cour, lorsqu’ils s’engagent dans une critique virulente de la Convention, même si ce n’est que pure rhétorique, ils sapent les fondements même du système.

A l’inverse, lorsque nous agissons de concert pour répondre aux défis auxquels nous sommes confrontés en promouvant la démocratie, les droits de l’homme et l’Etat de droit, nous montrons le meilleur de l’Europe. Nous agissons concrètement pour les citoyens que nous servons, nous conservons leur confiance et leur apportons les réponses qu’ils sont en droit d’attendre.

Telle est notre mission. Et c’est avec un immense plaisir que je suis venue ici pour vous la présenter. Mais nous pouvons – et nous devons – aller plus loin. Dans les circonstances actuelles, il est important de faire mieux connaître le Conseil de l’Europe et les valeurs qu’il défend et qu’il promeut. Je me réjouis, en présence du professeur Florence Benoît-Rohmer qui y a activement contribué, de vous annoncer que le Conseil de l’Europe et l’Unistra ont récemment posé les jalons d’une future « formation en ligne ouverte à tous ». Ce « MOOC », comme on dit plus familièrement selon l’acronyme anglais, permettra aux étudiants en droit, en relations internationales, en sciences politiques ou en histoire, d’acquérir une connaissance approfondie du Conseil de l’Europe, de son fonctionnement et de ses réalisations ainsi que de son rôle dans le projet européen, non seulement à Strasbourg mais aussi un peu partout en Europe et dans le monde.

Je tiens à remercier très chaleureusement le Professeur Benoît-Rohmer pour son implication dans ce projet, et j’ai toute confiance que notre coopération, entamée depuis six mois, se poursuivra de la manière la plus fructueuse et aboutira au résultat que nous souhaitons tous.