Retour “Nouvelles formes de pauvreté – Nouvelles formes de solidarité ” Rencontre européenne avec la Communauté œcuménique de Taizé

Strasbourg , 

Chers amis,

J'espère que vous avez passé de bonnes fêtes et que vous êtes bien reposés et ressourcés en famille et entre amis.

Je voudrais remercier le Parlement européen et la Communauté œcuménique de Taizé d'avoir organisé cette rencontre qui me donne l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui.

Cette rencontre porte sur les "Nouvelles formes de pauvreté – Nouvelles formes de solidarité" –, un thème d'actualité s'il en est.

Dans toute l'Europe, la pauvreté et les inégalités augmentent.

Dans certains pays, la crise économique a plongé les gens dans le dénuement.

Les inégalités se creusent, non seulement pour ce qui est des salaires et de la richesse, mais aussi en matière d'accès au logement, à la protection sociale, à une éducation de qualité.

Selon certains chiffres, plus de 80 millions d'Européens vivent dans la pauvreté.

Comme bon nombre d'entre vous ici aujourd'hui en avez fait personnellement l'expérience, ce sont les jeunes qui sont particulièrement touchés par ce phénomène.

De plus en plus de jeunes tombent entre les mailles du filet de sécurité sociale européen.

Ceux qui réussissent à trouver du travail sont souvent piégés dans des emplois peu rémunérés ou temporaires.

Il n'est donc pas surprenant que bon nombre de jeunes se sentent trahis par la classe politique.

Il n'est pas surprenant qu'ils se sentent désenchantés face à un système qui ne garantit pas leur dignité.

Que ce soit clair : la pauvreté est une violation des droits de l'homme.

Et ne l'oublions pas un seul instant : les droits de l'homme sont universels.

Chers amis,

C'est précisément parce que ces défis sont considérables que nous devons protéger et préserver un système qui assure l'équité.

Un système qui assure la dignité.

Un système qui assure la solidarité.

Il est donc grand temps que l'Europe s'inspire de l'exemple de Frère Roger.

L'histoire de Frère Roger est une très belle histoire de solidarité.

Il y a plus de soixante-dix ans, en pleine guerre mondiale, le Frère Roger est arrivé dans le petit village de Taizé.

Il a risqué sa vie pour créer un centre où pourraient se réfugier les personnes persécutées, alors même que la haine et la destruction déchiraient la société.

À Taizé, il a établi une communauté ne reposant pas sur une religion commune.

Ne reposant pas sur une nationalité commune.

Une communauté fondée sur des valeurs communes et l'humanisme en partage.

C'est ce sens de la communauté, ce type de solidarité et d'altruisme que nous avons besoin, de toute urgence, de raviver aujourd'hui.

Une solidarité qui rassemble fidèles de diverses confessions autant que croyants et non-croyants.

Une solidarité entre jeunes et vieux.

Mais aussi une solidarité entre riches et pauvres. Les frères de Taizé sont en cela exemplaires par leur action en Afrique, en Asie et en Amérique latine, où ils ont fait le choix de partager la vie - et les souffrances – des populations.

Leur mission est d'être présents avec amour parmi les plus pauvres.

Être une lueur d'espoir pour qui a été abandonné et exploité.

Leur engagement envers la justice sociale fait chaud au cœur et nous inspire tous.

Chers amis,

L'histoire de Frère Roger et de Taizé est également une histoire de tolérance.

Ainsi, par discrétion, Frère Roger allait prier à l'écart dans les bois afin de ne pas déranger certains réfugiés juifs et non-croyants qu'il hébergeait.

Il ne voulait pas qu'un seul des réfugiés se sente mal à l'aise.

Aujourd'hui, l'engagement de Taizé en faveur de la réconciliation, du respect et de l'unité entre les hommes est plus que jamais d'actualité.

Le Conseil de l'Europe partage cet engagement.

La quête d'égalité, de justice sociale et de tolérance est le fondement même de son existence.

L'Europe est aujourd'hui confrontée à un certain nombre de crises.

Nous devons faire face à une crise économique, mais aussi à une crise des institutions.

Les gouvernements de nos pays, mais aussi les institutions européennes, qui luttent pourtant pour juguler la crise économique, sont souvent perçus comme démunis ou incapables d'apporter des réponses immédiates, concrètes et efficaces aux problèmes qui nous assaillent.

La crise des institutions nourrit la troisième crise, une crise de confiance.

La confiance dans les institutions publiques est fortement entamée, on le voit bien dans les comportements des gens à l'égard de leurs institutions de gouvernement nationales et de leur classe politique.

L'effet cumulé de ces trois crises en entraîne une quatrième – la crise des valeurs. Nous n'avons pas forcément cessé d'y croire, mais plusieurs signes amènent à penser que nous n'avons plus l'énergie de nous maintenir à la hauteur de ces valeurs.

On le voit bien dans l'essor de l'extrémisme et du discours de haine, le renouveau du nationalisme, le dénigrement de l'immigration et de toute autre forme d'altérité.

Tous les gouvernements d'Europe ont comme grande priorité de lutter contre ces tendances préoccupantes. Le Conseil de l'Europe, en tout cas, en a fait la sienne. Notre Organisation a reçu pour mandat de protéger et de promouvoir les droits de l'homme – y compris les droits sociaux, qui en sont une composante indissociable. Notre principal instrument, ce que j'appellerais notre instrument constitutionnel, à savoir la Convention européenne des droits de l'homme, a pour pendant la Charte sociale européenne pour ce qui est des droits sociaux.

Ces deux traités internationaux sont juridiquement contraignants. Ils ont force de loi et, en tant que tels, ils sont très importants. Ils posent des limites à ce que les gouvernements peuvent, et ne peuvent pas, faire. Martin Luther King disait que la morale ne se décrète pas, et que si la loi ne peut changer ce qui relève du cœur, elle peut néanmoins  contenir ceux qui n'ont pas de cœur. Bien entendu, nos États ne sont pas sans cœur, même si à l'occasion ils souffrent d'arythmie, et nous devons donc être là pour les aider à calmer les éventuelles fluctuations de rythme en matière de droits de l'homme et de démocratie.

Mais nous voulons aussi changer les cœurs. Nous travaillons avec et pour les jeunes. Nous agissons par la culture et l'éducation. Nous montons des programmes ciblant les communautés et groupes les plus vulnérables, comme les Roms et les migrants. Et nous travaillons avec la société civile. C'est pourquoi j'ai été si heureuse d'être invitée à m'adresser à vous à l'occasion de votre rencontre européenne. Pour réfléchir ensemble à la manière de forger de nouvelles alliances et de chercher des solutions nouvelles, une solidarité nouvelle.

Je suis heureuse d'apprendre que les participants de ces Rencontres participeront à des ateliers au sein de notre Centre Européen de la Jeunesse pour discuter des thèmes de… et pour expérimenter en avant-première nos méthodes de travail innovantes avec les jeunes.

Si nous ne renforçons pas la solidarité, les crises perdureront, et leurs effets seront dévastateurs. Les économies finiront par se redresser mais, si nous ne réagissons pas, la confiance des gens et nos valeurs communes risquent fort de périr.

Il est encourageant d'être parmi des gens qui partagent ces préoccupations et sont eux-aussi déterminés à agir.

Taizé est maintenant connu comme un centre de paix et de respect. De la même manière, Strasbourg – où le Conseil de l'Europe est établi – représente désormais la réconciliation au cœur de l'Europe.

Cette ville, carrefour de cultures, est devenue le symbole important de l'espoir de parvenir à bâtir une Europe fondée sur la solidarité.

Pour le Conseil de l'Europe, il est important que nous restions fidèles à cet héritage historique.

À une époque ponctuée par les "j'aime" de Facebook, les posts sur Instagram et les smartphones, il y a bien des raisons d'être distraits.

C'est pourquoi il est plus important que jamais que, jeunes ou vieux, nous ne nous laissions pas distraire de ce qui importe vraiment, de ce qui compte réellement.

Chers amis,

Pour conclure, je tiens à vous encourager à continuer sur votre voie qui est celle de l'humanité et des valeurs communes. Taizé ne fait pas que nous rappeler jusqu'où nous pouvons aller quand nous mettons nos différences de côté et travaillons pour atteindre un but commun. Votre mouvement est un véritable  modèle de solidarité. Sa contribution aux sociétés dans lesquelles nous vivons est considérable. Je ne peux dire qu'une chose : poursuivez cet excellent travail!

Merci