Actualités 2011

Retour Seule une justice véritable peut garantir une paix durable dans les Balkans

Le carnet des droits de l'homme
Photo : Des réfugiés du Kosovo s'installent de façon spontanée dans un camp improvisé à la frontière entre l' « ex-République yougoslave de Macédoine » et le Kosovo, près de Blace. / Arrivée / UNHCR / H.J. Davies/ avril 1999

Photo : Des réfugiés du Kosovo s'installent de façon spontanée dans un camp improvisé à la frontière entre l' « ex-République yougoslave de Macédoine » et le Kosovo, près de Blace. / Arrivée / UNHCR / H.J. Davies/ avril 1999

Les institutions européennes n'ont pas su protéger la population de l'ex-Yougoslavie contre le nettoyage ethnique et contre les autres atrocités de la guerre dans les années 90. Le retour à la normalité a pris beaucoup de temps et des obstacles majeurs subsistent encore. Il y a toutefois de nouvelles raisons d'espérer, ce qui donne à l'Europe une deuxième chance de proposer une aide constructive.

Des responsables politiques clés de la région ont fait preuve d’autorité morale en engageant un processus de réconciliation et d’instauration de la paix. La prochaine étape sera l’organisation, la semaine prochaine, d’une rencontre à Belgrade des ministres de la Bosnie-Herzégovine, de la Croatie, du Monténégro et de la Serbie, qui discuteront de solutions durables pour les réfugiés et les personnes déplacées à l'intérieur de leur pays.

Réfugiés et autres personnes déplacées

Si la majorité des personnes qui avaient dû quitter leurs foyers ont pu retourner chez elles ou se sont vu proposer d’autres options raisonnables, il reste cependant – selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) – environ 438 000 réfugiés et autres personnes déplacées dont les demandes légitimes n’ont pas encore été satisfaites et pour qui aucune solution durable n’a été trouvée.

Lors de mes visites dans la région, j’ai rencontré des familles qui attendent toujours de pouvoir retourner chez elles dans des conditions assurant leur sécurité et respectant leur dignité, ou qui ont renoncé à ce retour mais espèrent une autre solution permanente.

Récemment, en Bosnie, je me suis rendu dans des centres collectifs, où les résidents - dont certains sont des personnes âgées ou handicapées – restent soumis, après toutes ces années, à des conditions de logement inacceptables. De nombreux Roms de la région sont dans une situation extrêmement précaire; ils craignent dans le même temps d’être renvoyés au Kosovo*, où ils estiment que leur sécurité serait menacée.

La réunion qui aura lieu prochainement à Belgrade se prépare depuis un an et demi. Les quatre gouvernements ont travaillé ensemble à l’élaboration d’un programme commun, dont l’un des objectifs est de trouver une solution de logement pour les personnes les plus vulnérables et celles qui en ont le plus besoin. Les gouvernements ont aussi décidé de régler la question des documents d’état civil pour les réfugiés et les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays; un problème grave pour certains, et surtout pour de nombreux Roms déplacés.

Ces mesures ont un coût, qui est estimé à environ 500 millions d’euros sur une période de cinq ans. Les institutions européennes devraient saisir cette chance de réparer les dégâts causés par la guerre et d’investir dans la paix.

Il faut aussi remédier à la situation des personnes qui ont été déplacées du Kosovo. Toute décision en la matière doit être prise dans l’intérêt des personnes concernées et respecter le principe du retour volontaire.

Personnes disparues

Autre lourd héritage du conflit : la « disparition » de près de 40 000 personnes. Cette situation a conduit la Croatie et la Serbie à créer, dans les années 90, des commissions sur les personnes disparues. Il y a quelques années, des structures analogues ont été mises en place à Sarajevo et à Pristina. La Commission internationale pour les personnes disparues a joué un rôle important dans ce processus. Il a ainsi été possible de retrouver des corps et de les identifier grâce aux tests ADN.

Environ 26 000 cas ont été élucidés, c'est-à-dire que les corps ont été retrouvés et identifiés et que les familles ont pu enterrer leurs êtres chers dans la dignité. Mais d’autres familles souffrent du traumatisme de l’incertitude. Environ 14 000 personnes sont toujours portées disparues.

J’ai rencontré des personnes qui attendent depuis des années de savoir ce qui est arrivé à un proche dont on leur a dit un jour qu’il avait « disparu ». Cette idée est toujours présente dans leur vie quotidienne.

Des efforts supplémentaires sont nécessaires pour répondre à cette tragédie. Les opérations de localisation des tombes devraient être intensifiées. Il faudrait attentivement compulser les archives étatiques à la recherche d’informations sur le sort des personnes disparues. Les Etats devraient accepter d’échanger inconditionnellement des renseignements en la matière.

Il faudrait aussi accélérer la procédure d’identification des corps déjà exhumés et allouer des ressources supplémentaires aux commissions nationales et à leurs structures médicolégales.

Les cas de personnes disparues ne pourront peut-être pas tous être élucidés, mais il importe au plus haut point que cela reste l’objectif à atteindre. Les familles qui sont toujours dans l’attente doivent avoir l’assurance que tout est mis en œuvre pour retrouver la trace de leurs proches.

Poursuites des crimes de guerre

L’arrestation et le transfert de Ratko Mladić et de Goran Hadžić ont confirmé l’amélioration de la coopération avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY). Alors que cette juridiction entame les dernières phases de ses travaux, il faudrait insister davantage sur l’importance de procédures nationales relatives aux crimes de guerre. Un certain nombre de criminels de guerre, parmi lesquels figurent des meurtriers et des violeurs, n’ont en effet toujours pas été traduits en justice.

Il est arrivé que des lois d’amnistie servent à éviter de rendre des comptes pour des actes allégués de torture ou d’autres crimes graves.

Jusqu’ici, les procédures nationales ont été trop lentes dans tous les pays de la région. Elles n’ont pas bénéficié d’un soutien politique suffisant ; certains partis politiques les ont même ouvertement entravées. Ce climat a aussi rendu difficile la protection des témoins.

La sécurité des témoins est une préoccupation majeure dans les enquêtes en cours sur les allégations graves selon lesquelles des Kosovars auraient été impliqués dans des transplantations d’organes, des détentions illégales et des assassinats à partir de 1998.

Il est indispensable de contrer toute tendance à l’impunité. En soulignant récemment la nécessité de reconnaître les crimes du passé, le Président de la Serbie, Boris Tadić, et le Président de la Croatie, Ivo Josipović, ont ouvert la voie à des progrès supplémentaires dans le cadre des procédures nationales.

Reconnaître la vérité

Les procès ne servent pas seulement à punir les coupables, mais aussi à déterminer l’indemnisation des victimes et de leurs familles. Ils jouent également un rôle important dans la recherche de la vérité, qui doit permettre de reconstituer ce qui s’est réellement passé durant les années de guerre.

Il faut s’employer plus activement à lutter contre l’ignorance et le déni des violations graves des droits de l'homme et le refus de les reconnaître, qui restent répandus dans l’opinion publique et dans le discours politique. Il n’y a toujours pas de recherche honnête de la vérité. Les médias portent une grande part de responsabilité dans ce domaine.

L’enseignement de l’histoire est crucial pour la continuation du processus de réconciliation. Il faut absolument éviter d’enseigner l’histoire en présentant une interprétation unique des événements.

Une coalition d’organisations non gouvernementales a fait campagne pour l’établissement d’une commission de vérité indépendante, à dimension régionale, qui enquêterait sur toutes les allégations de crimes de guerre et de violations des droits de l'homme en lien avec les guerres des années 90. La commission publierait un rapport qui décrirait les faits établis et formulerait des recommandations concernant les réparations et, surtout, les mesures à prendre pour éviter de nouveaux conflits. Ce rapport servirait aussi de base à un enseignement objectif de l’histoire dans les établissements scolaires.

Cette proposition des ONG représente un défi à relever pour les dirigeants politiques de toute la région. Si un tel processus de recherche de la vérité pouvait être lancé et mené à terme, cela signifierait, pour les Balkans, la fin du cauchemar. Les autres pays d’Europe devraient se montrer prêts à soutenir cette quête d’une justice véritable et d’une paix durable.

Thomas Hammarberg

* Toute référence au Kosovo dans le présent texte doit être entendue dans le plein respect de la Résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, sans préjuger du statut du Kosovo.

Strasbourg 03/11/2011
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