2011 - Carnet des droits de l'homme

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Le carnet des droits de l'homme
Le recours excessif au mandat d’arrêt européen menace les droits de l’homme

La demande faite par la Suède au Royaume-Uni de lui remettre le fondateur de Wikileaks, Julian Assange, a placé le mandat d’arrêt européen (MAE) sous les feux de l’actualité. Le MAE a été créé en 2002, en réponse au risque de nouveaux actes terroristes après les attentats de septembre 2001 aux Etats-Unis.

Cette « procédure d’extradition accélérée » vise à faire en sorte qu’une personne puisse être remise plus facilement par un Etat membre de l’Union européenne à un autre Etat membre, en vue d’être jugée ou de purger une peine d’emprisonnement. Fondé sur le principe de la confiance mutuelle, ce dispositif devait renforcer la lutte contre la criminalité transfrontalière.

Certes, de puissants arguments plaident en faveur de l’application d’un tel dispositif lorsqu’il permet d’éviter que restent impunies des personnes soupçonnées de participation à une organisation criminelle qui s’enfuient à l’étranger. La manière dont le MAE a fonctionné concrètement a cependant été critiquée dans bien des cas.

Ces critiques doivent être prises au sérieux. Des organisations de défense des droits de l’homme ont dénoncé l’emprisonnement de personnes innocentes, des arrestations disproportionnées, des violations des droits procéduraux et l’impossibilité, dans certains pays, pour une personne innocente de contester la décision de la remettre à un autre Etat. Les problèmes semblent s’être aggravés avec l’augmentation du nombre des MAE : on en compte en moyenne plus d’un millier par mois et ils concernent dans leur écrasante majorité des infractions mineures.

Abus et dérives du système

L’organisation non gouvernementale Fair Trials International a réuni des informations sur plusieurs affaires dans lesquelles l’application de ces procédures a entraîné des violations des droits de l’homme. Certaines de ces affaires sont actuellement pendantes devant la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg.

Les principaux problèmes constatés concernent les aspects suivants : l’absence d’un recours effectif contre la décision d’extrader une personne faisant l’objet d’un MAE ; le délai considérable qui sépare la date de l’infraction alléguée et la délivrance d’un MAE ; et l’impossibilité qui est faite dans certains pays à une personne contre qui un MAE a été délivré d’obtenir l’annulation de ce mandat, même lorsque son innocence a été établie ou qu’un Etat membre a décidé de ne pas la remettre à l’Etat requérant.

Parfois, le problème tient à la manière dont les preuves sont obtenues ou les enquêtes menées dans l’Etat requérant. Par exemple, un MAE a été émis à l’encontre d’un étudiant britannique un an après son retour de Grèce, où il avait passé des vacances. Il a ainsi appris qu’il était recherché pour meurtre en Grèce, sur la base de déclarations recueillies lors d’un interrogatoire au cours duquel la police aurait brutalisé les témoins. Le Royaume-Uni a remis le jeune homme à la Grèce en juillet 2009 ; il y est resté détenu avant d’être libéré sous caution.

Dans le cadre d’une procédure de MAE, il peut aussi arriver qu’une personne soit envoyée dans un pays aux fins d’exécution d’une peine infligée à l’issue d’un procès inéquitable. Ainsi, un supporter de football anglais a été condamné à deux ans d’emprisonnement parce qu’il aurait été impliqué dans des actes de violence en 2004, lors du championnat d’Europe de football organisé au Portugal. Le Royaume-Uni a remis cette personne au Portugal en mai 2010 pour qu’elle y purge sa peine, alors qu’elle affirmait n’avoir pas eu droit à un procès équitable au Portugal ; elle se plaignait de n’avoir pas disposé du temps nécessaire à la préparation de sa défense et de n’avoir pas bénéficié de services d’interprétation satisfaisants pendant le procès.

Nécessité de renforcer les garanties

Il est nécessaire de renforcer la protection des droits de l’homme dans les procédures de MAE. A cet égard, l’adoption par l’UE, en 2010, de la directive relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales est une initiative qui va dans le bon sens. Selon le programme de Stockholm de l’UE, il est également envisagé de revoir le système du MAE afin de présenter, s’il y a lieu, des propositions visant à « accroître l’efficacité de cet instrument et la protection juridique des personnes dans le cadre de la procédure de remise ». Il est urgent de procéder à ce réexamen.

Le MAE a été utilisé dans des cas pour lesquels il n’était pas prévu, ce qui a parfois eu de graves conséquences sur la vie des personnes concernées. Il est donc grand temps de réformer un système qui touche des milliers de personnes chaque année.

Thomas Hammarberg

Strasbourg 15/03/2011
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