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Le carnet des droits de l'homme
Strasbourg 16/07/2015
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Il est temps de déconstruire les mythes et les préjugés sur les migrants roms en Europe

Les débats politiques et médiatiques sur les migrations des Roms sont récurrents dans plusieurs pays européens. Depuis l’élargissement oriental de l’Union européenne en 2004 et en 2007 et depuis la levée des restrictions à l’emploi des ressortissants roumains et bulgares dans un certain nombre de pays membres de l’Union européenne en 2014, les peurs concernant les migrations des Roms suscitent souvent des discours enflammés et mal informés.

Il n’y a pas « d’invasion » rom

Au Royaume-Uni, en Allemagne, en Suisse, en Italie et dans d’autres pays, les médias donnent souvent des chiffres infondés sur l’immigration réelle ou potentielle des Roms. Pourtant, dans certains endroits, le nombre des Roms migrants est resté stable au fil des ans. En France, par exemple, on estime que le nombre de migrants roms s’élève à environ 15 à 20 000, chiffre stable depuis le début des années 2000. L’année dernière, lors de la visite d’un campement de Roms migrants à Strasbourg, j’ai appris que le nombre global des Roms s’y est maintenu à environ 400 personnes au cours de ces dernières années. Les chiffres peuvent être plus variables ailleurs mais, en général, aucun élément probant n’indique que les Roms représentent une proportion plus importante des émigrés que celle qu’ils représentent dans la population de leur pays d’origine. Une étude de 2013 sur les Roms en Roumanie estime qu’ils ne sont pas plus prêts à émigrer que les non roms.

Le discours politique et médiatique décrit souvent les Roms migrants comme des profiteurs de la protection sociale et comme des personnes qui refusent toute forme d’intégration dans leur société d’accueil. Toutefois, ces perceptions ne sont pas étayées par des faits. Dans une étude de 2013, la Commission européenne a conclu que les personnes qui migrent entre les Etats de l’Union européenne, y compris les Roms, apportent une contribution nette à leur pays d’accueil, en payant davantage d’impôts qu’ils ne reçoivent de prestations. De plus, ils ont en général moins tendance à demander l’aide des agences pour l’emploi et à recevoir des prestations familiales que les nationaux. Des études effectuées au Royaume‑Uni (2014) et en Suède (2014) arrivent aux mêmes conclusions. Pendant ma visite en Allemagne en 2015, les autorités allemandes ont aussi confirmé que les migrants des pays d’Europe centrale et orientale, dont les Roms, représentent un bénéfice fiscal net pour le pays. Il est important de noter que la diversité des situations des immigrants roms est souvent négligée. De nombreux Roms travaillent et sont bien intégrés dans leurs nouveaux pays d’accueil.

Pourquoi les Roms émigrent‑ils ?

Selon les recherches, les raisons pour lesquelles les Roms émigrent ne sont pas fondamentalement différentes de celles des non roms : ils sont en quête d’emploi, de meilleures conditions de vie et d’une meilleure éducation pour leurs enfants. Toutefois, les Roms sont bien davantage exposés à l’extrême pauvreté, à la discrimination et à l’exclusion dans leurs pays d’origine. Les immigrants roms roumains en Espagne et en Italie qui ont fait l’objet d’une enquête dans le cadre du projet de recherche Migrom signalent que la principale raison pour laquelle ils émigrent à l’ouest est la volonté de trouver un emploi pour améliorer leurs conditions de logement dans leur pays d’origine, disposer d’équipements de meilleure qualité, mais aussi pour quitter les quartiers où ils sont ghettoïsés. Malheureusement, la discrimination et le rejet ne s’arrêtent pas aux frontières de leur pays d’origine. Dans les pays d’immigration, ils sont nombreux à devoir vivre dans des conditions lamentables, en situation de ségrégation et sont confrontés à des expulsions fréquentes et violentes par la police. Les autorités de plusieurs pays envisagent ou prennent de plus en plus des mesures pour pénaliser la présence des Roms dans les espaces publics, en adoptant des interdictions de la mendicité ou du vagabondage. J’ai critiqué cette approche dans mes rapports récents sur la France et la Norvège. J’ai aussi constaté que les enfants roms sont parfois privés d’inscription à l’école et que, lorsqu’ils sont scolarisés, des expulsions fréquentes nuisent gravement à leur éducation. Les responsables politiques de plusieurs pays utilisent une rhétorique agressive et raciste à l’égard des roms migrants, en en faisant des boucs émissaires pour tout un éventail de problèmes. Les médias de ces pays diffusent aussi des stéréotypes qui relèvent parfois du discours de haine. Cela a débouché sur des cas de violences collectives contre les Roms, comme le lynchage d’un adolescent rom migrant en France en 2014 ou de violentes agressions contre les camps de Roms en Italie.

Il n’en reste pas moins que la présence des Roms migrants ne se transforme pas toujours nécessairement en un problème majeur dans le débat public. C’est le cas par exemple en Espagne, qui accueille un nombre important de Roms migrants et où peu de cas d’expulsions forcées violentes et de crimes de haine ont été signalés.

J’ai aussi constaté des exemples positifs de traitement de la situation des Roms migrants. Pendant ma visite en Allemagne en mai 2015, par exemple, j’ai été informé d’initiatives locales positives, telles qu’un projet d’intégration pour les familles roms migrantes à Duisbourg. Les collectivités locales allemandes sont intervenues rapidement pour trouver des solutions de logement pour les Roms migrants risquant d’être sans abri, en prévenant de ce fait l’apparition de bidonvilles. En décembre 2014, j’ai visité un site pour les Roms migrants à Strasbourg qui vivaient auparavant dans des bidonvilles. Le but est de les aider à trouver un logement et un emploi adéquats en leur fournissant un logement temporaire dans des conditions décentes. J’ai aussi relevé avec intérêt les résultats d’une étude britannique (2011) sur l’inclusion scolaire des enfants roms migrants d’origine tchèque et slovaque qui étaient auparavant inscrits dans des classes pour handicapés dans ces pays. L’étude montre que ces enfants, qui ont reçu une aide adéquate au Royaume-Uni, n’avaient pas de moins bons résultats scolaires que ceux de leurs camarades de classe.

Des Roms migrants provenant d’Etats non membres de l’Union européenne

Comme leurs compatriotes de la région, de nombreux Roms ont émigré depuis les années 1990 en raison des conflits armés dans les Balkans occidentaux. Les Roms ont continué de quitter la région des années après la fin des conflits, notamment le Kosovo [*], en raison de l’hostilité générale menaçant leur sécurité. Si de nombreuses personnes originaires du Kosovo ont été renvoyées ces dernières années parce que la situation s’améliorait, les Roms sont parfois revenus de plusieurs pays d’Europe occidentale et du Nord sans que l’on considère le fait qu’ils ne pourraient s’intégrer dans leur pays d’origine ou que leur sécurité y serait menacée.

Plusieurs pays de l’UE ont inscrit les pays des Balkans occidentaux sur leur liste de « pays d’origine sûrs » et appliqué des procédures accélérées pour les demandeurs d’asile originaires de ces pays, qui ont débouché dans la plupart des cas sur des refus de protection. Les expulsions collectives de groupes entiers de Roms migrants, lesquelles sont interdites par la Convention européenne des droits de l’homme, ont été signalées. Néanmoins, les Roms originaires de ces pays ont parfois bénéficié du statut de réfugié dans des Etats membres de l’UE, au motif d’une discrimination généralisée dans leur pays d’origine. En octobre 2014, les autorités françaises ont retiré le Kosovo de la liste française des pays d’origine sûrs, au motif que le Kosovo ne pouvait offrir des garanties adéquates de protection contre la violence à l’égard de certaines catégories de la population.

A la suite de la libéralisation du régime des visas entre les Etats membres de l’UE et cinq pays des Balkans occidentaux en 2009‑2010, le nombre de citoyens de ces pays demandant l’asile dans les Etats membres de l’UE a augmenté. Le fait que les Roms soient fréquemment identifiés comme formant la majorité de ces demandeurs d’asile a débouché sur des tentatives de les empêcher de quitter leur pays par des pratiques de profilage ethnique appliquées par les forces de l’ordre aux frontières et des mesures de limitation de leur liberté de circulation. Ces mesures comprennent le refus de sortie du territoire et des confiscations de passeport. En 2013, j’ai publié un document thématique sur le droit de quitter un pays dans lequel je critiquais ces mesures qui ont entraîné de graves violations des droits de l’homme des personnes concernées.

Que faire ?

Il n’y a eu aucune « invasion » de Roms migrants de Bulgarie et de Roumanie depuis la levée des restrictions d’emploi des ressortissants de ces pays dans d’autres Etats membres de l’UE. Il est temps que les responsables politiques et les médias cessent de jouer sur les peurs de flux massifs d’immigrants et de stigmatiser les Roms dans ce contexte. Ils devraient bien au contraire utiliser des données démographiques et économiques objectives. La rhétorique raciste devrait être fermement condamnée au plus haut niveau et un journalisme éthique devrait être promu. Les journalistes devraient aussi rendre compte des exemples positifs d’intégration des Roms migrants pour donner une image plus équilibrée de la situation.

Il faudrait faire davantage pour donner aux Roms migrants un soutien efficace pour des solutions durables, fondées sur des bonnes pratiques existantes, au lieu de se limiter à des mesures de répression et de stigmatisation. Les expulsions forcées sans solution de relogement doivent cesser. Elles empêchent toute forme d’intégration et ont des conséquences particulièrement négatives sur les enfants.

Les pratiques discriminatoires visant à empêcher les Roms de quitter un pays devraient cesser car elles violent différents droits fondamentaux, dont celui d’être protégé contre la discrimination et le droit de demander l’asile. Il est aussi essentiel de continuer d’examiner correctement les raisons de toutes les demandes d’asile sur une base individuelle.

[*] Toute référence au Kosovo dans le présent document, qu'il s'agisse de son territoire, de ses institutions ou de sa population, doit être entendue dans le plein respect de la Résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies, sans préjuger du statut du Kosovo.