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Protéger les droits des enfants dans le monde numérique : un défi croissant

La plupart des adolescents passent beaucoup de temps sur internet, en particulier sur les réseaux sociaux, qui sont devenus un moyen de socialisation majeur. Le développement de l’accès à internet ouvre aux enfants des possibilités quasi illimitées de consulter des contenus et d’exercer leurs droits, dont le droit de recevoir et de communiquer des informations. Cependant, ces avantages vont de pair avec un risque croissant de violation des droits des enfants.

Les droits des enfants sont exposés à de multiples menaces

Des atteintes risquent d’être portées notamment à la vie privée des enfants. En effet, nombre d’adolescents diffusent sur les réseaux sociaux des photos et bien d’autres données à caractère personnel, qui peuvent rester en ligne durant de longues périodes. Or, ces informations risquent de leur être préjudiciables plus tard, si elles sont utilisées par des établissements d’enseignement, voire des employeurs potentiels. Le profilage et la conservation de données concernant les activités des enfants sur internet, pratiqués à des fins commerciales, comportent aussi des risques d’atteinte à la vie privée, auxquels les enfants ne sont guère sensibilisés.

Les enfants risquent également de tomber sur des contenus illégaux ou préjudiciables, de plus en plus répandus sur la Toile : pornographie, documents à caractère raciste ou violent, ou encore contenus faisant l’apologie de la toxicomanie, du suicide ou d’autres comportements autodestructeurs.

D’autre part, les enfants eux-mêmes peuvent devenir des cyberdélinquants, lorsqu’ils portent préjudice à autrui au moyen d’internet. Parmi ces activités préjudiciables figure le harcèlement d’autres enfants sur les réseaux sociaux ; de plus en plus de ces cas sont d’ailleurs signalés aux services de permanence téléphonique destinés aux enfants. Ces pratiques peuvent avoir des conséquences tragiques, comme en témoigne le décès récent de plusieurs adolescents qui auraient été harcelés et poussés au suicide sur le réseau social ask.fm. Il y a aussi des enfants qui diffusent des images humiliantes (à caractère sexuel ou violent) d’autres enfants, parfois après avoir obligé ces derniers à produire eux-mêmes ces images.

En outre, internet est utilisé par des prédateurs pour prendre contact avec des enfants sous une fausse identité en vue d’abuser d’eux, y compris sexuellement (c’est la pratique dite du « grooming »), ou même de les soumettre à la traite.

L’usurpation d’identité est un autre phénomène dangereux, qui a été examiné par la Cour européenne des droits de l’homme en 2008, dans l’affaire K.U. c. Finlande. Une annonce à caractère sexuel avait été publiée sur un site de rencontres au nom du requérant, alors âgé de 12 ans, à son insu. La Cour a conclu que le droit du garçon au respect de sa vie privée avait été violé par l’Etat défendeur car celui-ci n’avait pas obtenu du fournisseur de services internet qu’il communique l’identité de l’auteur de l’annonce.

Que faudrait-il faire ?

La lutte contre ces menaces requiert des efforts de la part des parents et des enseignants, ainsi que des gouvernements des Etats membres, mais aussi d’entreprises privées comme les fournisseurs de services internet. Il faudrait prendre tant des mesures juridiques que des mesures pratiques, qui respectent l’intérêt supérieur de l’enfant et son droit de participer aux débats sur ces questions et d’être entendu.

Responsabiliser les enfants

Le moyen le plus efficace de protéger les droits des enfants sur internet consiste probablement à leur donner les outils qui leur permettront d’assurer eux-mêmes leur sécurité et de prendre conscience de leurs responsabilités. De nombreuses voix s’élèvent pour revendiquer le droit, pour les enfants, d’effacer leurs traces sur internet et de « se faire oublier ». Il importe certes que les enfants puissent remédier aux conséquences d’une diffusion imprudente de données personnelles, mais il importe plus encore d’agir préventivement, en sensibilisant les enfants aux risques potentiels et aux conséquences à long terme des échanges d’informations à caractère personnel sur la Toile. Toute une série de textes adoptés par le Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales ces dix dernières années soulignent la nécessité impérieuse de responsabiliser les enfants grâce à l’éducation, notamment en leur apprenant à adopter les bons comportements dans le monde numérique. Les enfants devraient être capables de repérer et de comprendre les contenus préjudiciables et savoir comment réagir. Il serait également souhaitable qu’ils connaissent mieux les droits de l’homme, en particulier le droit à la liberté d’expression et le droit au respect de la vie privée, mais aussi les droits d’autrui, qu’ils doivent respecter et auxquels ils doivent veiller à ne pas porter atteinte.

Les programmes éducatifs doivent s’adresser non seulement aux enfants, dès leur plus jeune âge, mais aussi aux parents et aux autres éducateurs. Dans le cadre des programmes scolaires, il faudrait s’attacher plus activement à apprendre à bien utiliser les nouveaux outils numériques. A cet égard, il convient d’insister sur le rôle essentiel d’initiatives comme Insafe, un réseau soutenu par la Commission européenne qui mène des campagnes nationales de sensibilisation à la sécurité sur internet. De son côté, le Conseil de l’Europe a publié un manuel de maîtrise de l’Internet. Il faudrait soutenir davantage les recherches sur les risques auxquels les enfants sont exposés sur la Toile, afin d’améliorer l’efficacité des outils pédagogiques.

Créer un environnement sûr pour les enfants sur internet

La lutte contre la diffusion de matériels préjudiciables ou illégaux est une tâche complexe. En pratique, il est très difficile de supprimer les matériels illégaux à la source car les sites internet qui hébergent ces contenus peuvent se trouver n’importe où dans le monde et échappent généralement au champ d’application de la coopération européenne.

Pour combattre la diffusion de matériels illégaux, notamment d’images d’abus commis sur des enfants, certains pays utilisent par conséquent d’autres méthodes, dont les plus courantes sont les listes de blocage et le filtrage. Le recours à ces méthodes est toutefois controversé car il risque de conduire à des restrictions disproportionnées de la liberté d’expression, en l’absence d’un fondement juridique clair, d’une transparence suffisante et de protections efficaces contre les excès, y compris au moyen d’un contrôle judiciaire. Le fait est que des mesures de blocage appliquées par l’intermédiaire des fournisseurs de services internet ont parfois été étendues à des sites qui n’avaient rien à voir avec des abus commis sur des enfants, notamment des sites concernant la santé sexuelle et génésique. Sous prétexte de protéger les enfants, des Etats membres bloquent aussi des contenus relatifs aux questions LGBT, bien que la Cour européenne des droits de l’homme ait constaté l’absence de données scientifiques qui prouveraient les effets délétères de ces contenus sur le bien-être des enfants.

De plus, les autorités qui ont pris des mesures de blocage et de filtrage peuvent être tentées de considérer qu’elles se sont ainsi acquittées de leur obligation de lutter contre les abus commis sur des enfants. Or, les auteurs de ces abus, y compris ceux qui produisent et diffusent sur internet des contenus illégaux et des images pédopornographiques, sont des personnes réelles, qui doivent être recherchées et sanctionnées, en application de conventions internationales comme la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels ou la Convention sur la cybercriminalité. Des pratiques telles que le « grooming » doivent donc être érigées en infractions pénales. Quant aux victimes d’abus, elles doivent être identifiées et secourues. Il importe aussi que les Etats renforcent la lutte contre la traite des enfants, comme le prévoit la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains.

Il semble plus pertinent d’utiliser les outils de blocage et de filtrage au niveau des ordinateurs utilisés à la maison ou dans les établissements scolaires, d’avoir recours au contrôle parental, de créer sur internet des espaces sans danger pour les enfants et d’instaurer des labels et des marques de confiance permettant de faire la distinction entre les contenus préjudiciables et les autres. Le « Netz für Kinder » allemand est un bon exemple de site internet où les enfants peuvent surfer, apprendre et jouer en toute sécurité.

Développer l’éducation aux droits de l’homme sur internet

Malgré les risques, internet donne aux enfants des possibilités quasi infinies en termes d’apprentissage, d’échanges, de créativité et de socialisation. D’où la nécessité de produire davantage de contenus destinés à mieux faire connaître les droits de l’homme, sous une forme ludique et adaptée aux différents groupes d’âges. Des institutions internationales de défense des droits de l’homme ont d’ailleurs pris des initiatives en ce sens : on peut citer le Cyberschoolbus de l’ONU ou encore le D@dalos Education Server de l’UNESCO, un serveur consacré à l’éducation à la démocratie, à la paix et aux droits de l’homme. Il faut cependant redoubler d’efforts pour préparer des générations de citoyens actifs, déterminés à promouvoir et respecter les droits de l’homme.

Nils Muižnieks

Documents utiles

Conseil de l’Europe :

Nations Unies :

Union européenne :

Strasbourg 29/04/2014
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