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Strasbourg 05/05/2015
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L’éducation inclusive, un facteur essentiel de la cohésion sociale des sociétés plurielles

Le débat public sur la nécessité d’accroître l’offre d’éducation inclusive pour les enfants et les adolescents confrontés à l’exclusion sociale dans les sociétés plurielles a repris récemment de la vigueur en Europe. Les chiffres montrent que, dans de nombreux pays européens, le taux d’abandon scolaire des enfants issus de familles immigrées ou de groupes minoritaires, tels que les Roms, est le double, au moins, de celui des écoliers appartenant à la majorité ethnique. Dans de nombreux pays, les enfants en situation de handicap et les Roms sont encore scolarisés séparément, alors qu’un soutien adéquat suffirait pour les intégrer pleinement dans le système d’enseignement général. La pauvreté, une discrimination persistante et la marginalisation sociale sont les principales causes de ce déficit en matière d’éducation inclusive, auquel il convient de remédier par des mesures résolues et systématiques dans tous les Etats européens.

Dans le domaine de l’éducation, l’exclusion ou les divisions selon des critères ethniques et linguistiques ont des effets délétères sur la cohésion sociale et la réconciliation des sociétés multiethniques qui s’efforcent de surmonter un passé violent. En Bosnie-Herzégovine, des générations de jeunes ont été scolarisées dans des écoles monoethniques ou dans des « écoles ségréguées sous le même toit ». Malheureusement, il ne semble n’y avoir aucune volonté politique de changer le système bien qu’une juridiction nationale l’ait jugé discriminatoire. L’éducation ségréguée est aussi une réalité pour de nombreux enfants serbes et croates à Vukovar, en Croatie. Je m’inquiète également des conséquences funestes que l’éducation ségréguée a sur la vie et les relations des élèves dans « l’ex-République yougoslave de Macédoine » et sur la cohésion sociale du pays.

Chacun a droit à une éducation de qualité

L’éducation inclusive, telle que la définit l’UNESCO, est un processus qui vise à prendre en compte et à satisfaire la diversité des besoins de tous – enfants, jeunes et adultes – par une participation accrue à l’apprentissage, à la vie culturelle et à la vie communautaire, et par une réduction du nombre de ceux qui sont exclus de l’éducation ou exclus au sein même de l’éducation. C’est un principe qui donne la responsabilité (« obligation positive ») aux Etats d’éduquer tous les enfants sans discrimination aucune au sein du système éducatif général. Comme l’a dit en 2014 l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Il faut faire de l’école un espace privilégié enseignant aux jeunes à vivre ensemble dans un environnement qui respecte la liberté de pensée et de conscience, qui favorise l’ouverture à l’autre et l’esprit critique, et qui récompense l’effort et le mérite en offrant aux élèves en difficulté le soutien dont ils ont besoin.

Le droit de chaque enfant à une éducation de qualité « sur la base de l’égalité des chances » est fermement établi dans la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies. Pilier essentiel des sociétés démocratiques, il est intrinsèquement lié à l’éducation inclusive et comprend non seulement le droit au développement cognitif mais aussi à l’apprentissage des valeurs et des comportements de la citoyenneté responsable. En outre, la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées impose de dispenser aux enfants handicapés une éducation de qualité dans un environnement général et inclusif, en érigeant ce principe en obligation juridique internationale. En fait, on estime que la non-inclusion des personnes handicapées en Europe et en Asie centrale représente une perte de PIB de 35,8 % pour ces régions.

Dans son arrêt historique de 2007, dans l’affaire D.H. et autres c. République tchèque, la Grande chambre de la Cour de Strasbourg conclut que la ségrégation des Roms dans le système éducatif est discriminatoire et note qu’il existe des barrières discriminatoires posées à l’accès à l’éducation des enfants roms dans un certain nombre de pays européens. Des arrêts analogues ont été rendus concernant la Grèce et la Hongrie. S’agissant plus généralement de l’éducation des minorités, la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales demande aux Etats de promouvoir l’égalité des chances en matière d’accès à l’éducation à tous les niveaux pour les personnes appartenant à des minorités nationales.

La Charte sociale européenne révisée garantit le droit des personnes handicapées à l’indépendance, à l’intégration sociale et à la participation à la vie de la collectivité, y compris dans l’éducation. Le Comité européen des droits sociaux défend ce principes dans des décisions sur des réclamations collectives liées au manque d’accès à l’éducation inclusive, par exemple concernant la France et la Belgique.

L’éducation inclusive profite à tous les apprenants. Elle ne se limite pas à l’intégration dans l’enseignement général  d’enfants ayant des besoins particuliers; elle a un effet positif sur tous les enfants, les établissements scolaires et l’ensemble de la collectivité, comme le note le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies dans une observation générale de 2006.

L’éducation inclusive et interculturelle est soutenue par le programme sur l’éducation à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, qui comprend un programme destiné à l’Europe du Sud-Est : « Aide à l’éducation inclusive au niveau régional». Ce projet met en avant le concept d’éducation inclusive comme principe réformateur qui respecte et valorise la diversité de tous les apprenants, en particulier ceux qui risquent le plus de souffrir de la marginalisation et de l’exclusion, telles les personnes appartenant aux minorités nationales.

Pistes pour l’avenir

L’éducation inclusive exige un changement de mentalité au niveau de l’Etat : il faut cesser de voir les enfants et les adultes comme un problème, et recenser les lacunes actuelles et améliorer les systèmes éducatifs. Il faudrait cibler tout enfant pouvant être exclu des programmes de l’enseignement général, en prêtant une attention toute particulière aux membres des groupes vulnérables, tels que les immigrés et les minorités nationales, surtout les Roms, qui risquent de connaître ou connaissent déjà des situations de pauvreté et d’exclusion sociale.

En s’appuyant sur l’article 30 de la Charte sociale européenne, des mesures effectives sont nécessaires pour promouvoir l’accès de ces personnes à une éducation de qualité. Elles doivent comprendre des mesures positives pour accroître la présence des enfants à tous les niveaux du système éducatif, et pour assurer le recrutement et la promotion de professionnels de l’éducation issus des groupes immigrés ou des minorités nationales. Il existe des exemples de bonnes pratiques, comme en témoigne l’intégration réussi d’élèves tchèques et slovaques roms dans le système d’enseignement primaire et secondaire général au Royaume-Uni, élèves qui avaient fréquenté des écoles spéciales ou ségréguées de facto (réservées aux Roms) en République tchèque ou en Slovaquie.

S’agissant des Roms et des Gens du voyage, des médiateurs et/ou assistants scolaires recrutés au sein des communautés roms et de Gens du voyage devraient être employés pour faciliter les relations entre ces communautés, les enseignants et les établissements scolaires. Ils devraient bénéficier d’une une formation adéquate et d’un soutien suffisant pour être acceptés, dans la mesure du possible, comme des membres à part entière des équipes professionnelles des établissements scolaires.

Beaucoup reste à faire pour une véritable inclusion des enfants handicapés. Dans mes rapports sur les pays, par exemple ceux sur la République tchèque et la Roumanie, j’ai souvent insisté sur la nécessité d’accepter l’inclusion comme un principe fondamental et comme une obligation opposable pour les écoles générales qui doivent devenir accessibles et, le cas échéant, apporter le soutien individuel nécessaire. Une tendance inquiétante que j’ai notée à cet égard dans certains pays est la perpétuation de la ségrégation sous couvert de concepts cosmétiques tels que « l’éducation appropriée » (Pays-Bas) ou même par l’étiquetage d’écoles spéciales sous le label de « centres d’éducation inclusive » (Roumanie). La véritable inclusion exige des ressources adéquates – des budgets d’austérité ne sauraient en aucun cas justifier une éducation au rabais pour les enfants handicapés, comme je l’ai dit à propos de l’Espagne.

L’éducation inclusive doit être clarifiée dans les contextes nationaux et ses principes promus et intégrés dans la législation nationale et les politiques et pratiques éducatives de toute l’Europe. A cette fin, la capacité des écoles à créer un environnement inclusif doit être développée, notamment en améliorant les pratiques pédagogiques pour préparer les enseignants à la diversité de leurs classes. Il faut resserrer la coopération intersectorielle et interinstitutionnelle dans ce domaine, en particulier entre les instances chargées de l’éducation, de la santé et de la protection sociale. En outre, il est nécessaire de développer des systèmes d’aide à l’éducation inclusive, notamment en rendant flexible et inclusive la politique d’inscription de tous les élèves défavorisés, ainsi que le suivi et l’évaluation de la capacité d’intégration des écoles. Il importe enfin de renforcer les capacités et la participation des parents à ces processus.

Les données montrent que chaque année supplémentaire de scolarisation fait augmenter la croissance annuelle moyenne du PIB de 0,37 %, et contribue donc à réduire la pauvreté et à éradiquer l’exclusion sociale et la marginalisation. Les pays européens ne peuvent plus se permettre d’ignorer les besoins d’éducation inclusive des sociétés modernes. Des dotations budgétaires équitables et efficientes pour promouvoir l’éducation inclusive sont nécessaires. C’est un investissement indispensable pour le développement et la cohésion sociale durables de tous les pays européens.

Nils Muižnieks

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